Tribunal judiciaire de Paris, 11 mars 2021, n° 21/51017

  • Présomption d'innocence·
  • Presse·
  • Déontologie·
  • Magazine·
  • Éditeur·
  • Journaliste·
  • Intervention volontaire·
  • Atteinte·
  • Avis·
  • Accessoire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 11 mars 2021, n° 21/51017
Numéro(s) : 21/51017

Texte intégral

TRIBUNAL JUDICIAIRE

DE PARIS

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ rendue le 11 mars 2021

N° RG 21/51017 – N° Portalis 352J-W- B7E-CTM2D par D C, Première vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, FMN° : 1

Assistée de F M, faisant fonction de Greffier. Assignation du : 21 Décembre 2020

1

DEMANDEUR
Monsieur X M

représenté par Me DEBOUZY, avocat au barreau de PARIS – P438

DEFENDERESSE

Association CONSEIL DE DÉONTOLOGIE JOURNALISTIQUE ET DE MÉDIAT ION

représentée par Me Jean-Sébastien BONNIN, avocat au barreau de PARIS – #P0164

INTERVENANTE VOLONTAIRE

Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine (SEPM), pris en la personne de son Président, M. Y Z

représentée par Maître Frédéric GRAS de la SELEURL FREDERIC GRAS SELARL, avocats au barreau de PARIS -

#E1051



DÉBATS

A l’audience du 02 Février 2021, tenue publiquement, présidée par D C, Première vice-présidente adjointe, assistée de M M, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil,

Vu l’assignation en référé délivrée le 21 décembre 2020 pour l’audience du 2 février 2021 au Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), à la requête d’X M qui, estimant qu’il a été porté atteinte au respect de son droit à la présomption d’innocence par la publication, le 10 novembre 2020, d’un avis relatif à la publication par le journal “Valeurs Actuelles” le 27 août 2020 d’un article intitulé

“Les couloirs du temps – 7e épisode – O l’Africaine”, nous demande, au visa de l’article 9-1 du code civil :

- de dire que l’avis rendu par le CDJM le 10 novembre 2020 porte atteinte à la présomption d’innocence dont il bénéficie,

- d’ordonner le retrait par le CDJM de l’avis rendu le 10 novembre 2020 de son site internet, et de toute autre plateforme qu’il exploiterait,

- d’ordonner la publication judiciaire en ligne d’un communiqué, pendant la durée au moins égale à celle pendant laquelle l’avis litigieux sera resté accessible en ligne et ce, à compter de la date de la signification de l’ordonnance à intervenir aux frais du CDJM, à peine d’une astreinte définitive de 1.000 euros par jour de retard, selon des modalités précisées dans l’acte introductif d’instance,

- de condamner le CDJM à verser à X M la somme de 5.000 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l’instance.

Vu les dernières conclusions sur intervention volontaire accessoire du Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine (SEPM), pris en la personne de son Président, Y Z, déposées à l’audience, qui nous demande, au visa des articles 330 du code de procédure civile, 2, 3, 4, 9 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, 6 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 9-1, 1102, 1199, et 1240 du code civil, 2 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse :

- de juger recevable l’intervention volontaire du SEPM afin de lui permettre la conservation de ses droits,

- de faire droit aux demandes principales,

2



- de condamner le CDJM à verser au SEPM la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- de la condamner aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Frédéric GRAS en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Vu les conclusions en défense du CDJM, déposées à l’audience, qui sollicite du juge des référés, au visa des articles 9-1 du code civil et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme :

- de le déclarer recevable et bien-fondé en ses présentes écritures,

- y faisant droit, à titre liminaire, de déclarer irrecevable l’intervention volontaire accessoire du SEPM,

- à titre principal, de débouter X M de l’ensemble de ses prétentions faute d’atteinte à la présomption d’innocence de ce dernier,

- à titre subsidiaire, de débouter X M de l’ensemble de ses prétentions, l’atteinte, si elle devait être reconnue, étant justifiée par le droit à la liberté d’expression,

- en tout état de cause, condamner X M à verser au CDJM la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

- condamner le SEPM à verser au CDJM la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 2 février 2021. Ils ont soutenu les termes de leurs écritures, à l’exception du CDJM qui formule une demande de condamnation du SEPM à lui payer également la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 11 mars 2021 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

- Sur les faits :

X M , directeur de publication de l’hebdomadaire

“Valeurs Actuelles”, est président de la société VALMONDE et CIE qui est l’éditrice de ce titre (pièce n°1 du demandeur).

Le CDJM est une association régie par la loi du 1er juillet 1901, fondée le 2 décembre 2019 (pièce 3 du défendeur). Selon ses statuts, “cette association tripartite est une instance de dialogue et de médiation entre les journalistes, les médias et agences de presse et les publics sur toutes les questions relatives à la déontologie journalistique dont elle est saisie ou 3


dont elle souhaite se saisir”. Les textes de référence sur lesquels elle se fonde sont, selon l’article 2 des statuts, “la Charte d’éthique professionnelle des journalistes de 1918, remaniée en 1938 et 2011, la déclaration des droits et devoirs des journalistes, dite “Déclaration de Munich” de 1971, la Charte d’éthique mondiale des journalistes de la fédération internationale des journalistes adoptée en 2019 à Tunis”. Les membres du CDJM sont réparties en trois collèges : un collège “journalistes”, un collège “éditeur”, un collège “public”. L’association dispose d’un conseil d’administration composé de 30 titulaires (et 30 suppléants) issus à parts égales des trois collèges. Le conseil d’administration est l’organe habilité à rendre un avis au nom du CDJM sur “toutes les questions relatives à la déontologie journalistique et notamment sur le respect de la déontologie à l’occasion d’un acte journalistique dont le CDJM est saisi ou souhaite se saisir”.

Les modalités de saisine du CDJM sont définies par le réglement intérieur de cette association.

C’est ainsi que, saisi le 29 août suivant par un particulier relativement au contenu d’un article publié le 27 août 2020 par le journal Valeurs actuelles, titré “Les couloirs du temps -7è épisode- O l’Africaine”, au motif que “cette image de la république est une honte pour son histoire” (pièce 10 en défense), le CDJM a publié sur son site internet, le 10 novembre 2020, un avis adopté le même jour en réunion plénière dont la conclusion était la suivante : “l’article, en plaçant et en représentant Madame A O dans une situation dégradante, ne respecte pas la dignité humaine et est susceptible de nourrir les préjugés” (pièce 7 en défense).

C’est dans ces conditions qu’X M a engagé la présente procédure devant le juge des référés, arguant d’une atteinte ainsi portée à la présomption d’innocence.

Le Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine, syndicat professionnel des éditeurs de presse magazine grand public, est intervenu volontairement à l’instance, souhaitant défendre les intérêts de la profession qu’il représente dans le cadre de ce procès. La recevabilité de l’intervention volontaire accessoire du SEPM est contestée en défense.

- Sur la recevabilité de l’intervention volontaire accessoire

Sur l’intérêt à agir :

Le CDJM conteste, en premier lieu, l’intérêt à agir du SEPM, 4


celui-ci ne démontrant pas en quoi la préservation d’un intérêt collectif de la profession d’éditeur serait engagée dans la présente instance, de nature à justifier son intervention volontaire accessoire.

Le SEPM soutient son intérêt à agir en l’espèce, dans le cadre d’une intervention volontaire accessoire, au vu de son objet tel que résultant de ses statuts, pour voir sanctionner une atteinte légale au droit à la présomption d’innocence d’un de ses éditeurs, désigné publiquement comme ayant commis des atteintes à des droits fondamentaux alors même qu’une enquête judiciaire est en cours et qu’aucune décision de justice définitive n’est intervenue et, plus généralement, pour éviter que les éditeurs de presse magazine ne soient stigmatisés par une association dont la dénomination, renvoyant à la notion de déontologie, pourrait laisser entendre qu’elle est investie d’une autorité légale et conventionnelle. Il déplore, à cet égard, que cet organisme se soit érigé en déontologue d’une presse non adhérente à ladite association. Il fait valoir qu’il a, dès lors, intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir l’action d’un de ses membres, en l’espèce le président de la SAS VALMONDE éditrice du titre Valeurs actuelles, pour défendre le droit à la liberté de la presse, à la présomption d’innocence et à être jugé par un tribunal impartial et indépendant.

L’article 330 du code de procédure civile dispose, en son premier alinéa, que “l’intervention est accessoire lorsqu’elle appuie les prétentions d’une partie” et précise, à l’alinéa 2, qu’elle est recevable “si son auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie”.

L’intérêt à agir de l’intervenant volontaire accessoire, de nature à justifier sa participation à l’audience au soutien des prétentions d’une partie, doit être légitime, personnel et suffisant, et peut être direct ou indirect, matériel ou moral.

S’agissant précisément d’un syndicat, l’intervention volontaire accessoire est admise dès lors que, sans se confondre avec les intérêts individuels d’une partie, elle est faite dans l’intérêt collectif de la profession représentée impliquant que le litige pose une question de principe susceptible d’entraîner des conséquences pour l’ensemble des membres adhérents.

En l’espèce, le SEPM, dont les statuts versés au dossier ont été approuvés le 8 octobre 2020 (pièce 1 de l’intervenant volontaire), a pour objet, notamment, :

“- L’étude, la défense et l’expression des intérêts professionnels collectifs, matériels et moraux, des éditeurs de titre de presse magazine, pour leurs activités papier et numérique 5



- La représentation des éditeurs de titres de presse magazine auprès des pouvoirs, et organismes publics, des instances interprofessionnelles, des organismes paritaires et des organisations internationales de la presse magazine

- […]

- La représentation en justice des intérêts collectifs de la profession […]”.

Les statuts prévoient que, “Dans ce cadre, le SEPM :

- Facilite les échanges entre les professionnels

- Etablit et promeut l’éthique de la profession

- Contribue à l’évolution de la législation et de la réglementation et défend les droits et intérêts de la profession

[…]”

La présente instance a été engagée par le directeur de publication d’un journal de presse magazine. Elle a pour objet de solliciter le retrait d’un avis rendu par un organisme associatif, récemment créé avec l’ambition de traiter de questions relatives à la déontologie journalistique dont il serait saisi ou dont il souhaiterait se saisir. L’action est fondée sur l’atteinte que cet avis porterait à la présomption d’innocence du directeur de publication concerné, dès lors qu’il est intervenu alors qu’une procédure judiciaire est en cours du chef de la violation de dispositions de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Si le présent litige concerne l’atteinte spécifique au droit au respect de la présomption d’innocence du directeur de publication concerné, il implique aussi de statuer en prenant en considération la portée des avis rendus par le CDJM, sur laquelle le syndicat professionnel doit pouvoir intervenir, ce d’autant plus que les analyses effectuées par l’association, qu’elle rend publiques, se fondent sur les textes qui régissent la déontologie de toute la profession.

Dans ces conditions, il convient de considérer que le SEPM justifie de la recevabilité de son intervention accessoire au soutien des prétentions d’X M dans l’intérêt collectif de la profession qu’il représente, le présent litige posant une question de principe susceptible d’entraîner des conséquences pour l’ensemble des membres adhérents.

Sur l’existence d’un pouvoir spécial aux fins d’ester en justice:

Le CDJM conteste la régularité de l’intervention volontaire du syndicat professionnel, faute pour celui-ci d’avoir confié à son président un mandat spécial régulier pour agir en justice, 6


conformément à ses statuts. A cette fin, il prétend que la résolution produite par le SEPM ne fait pas mention des conditions de quorum et de majorité dans lesquelles elle a été adoptée, rendant ainsi impossible la vérification de la régularité du mandat spécial accordé au Président du SPEM.

Les statuts du SEPM, point 8.2, conditionnent l’exercice d’une action judiciaire par le Président du syndicat, au nom de ce dernier, à la délivrance par le conseil d’administration d’un mandat spécial, lorsque l’action est relative à l’intérêt collectif de la profession.

En l’espèce, il est produit une résolution du conseil d’administration du SEPM en date du 10 décembre 2020, signée d’Y Z, président en exercice. Celle-ci est prise au visa de l’article 8.2 des statuts et vise explicitement l’action judiciare engagée par X M à l’encontre du CDJM. Il est, en outre, fourni le procès-verbal du conseil tenu le 10 décembre 2020, portant mention de la résolution n°1 engageant à “porter plainte contre le CDJM aux côtés de Valeurs actuelles” (page 4 de la pièce 9 versée par l’intervenant volontaire).

Au vu de ces éléments, il convient de juger que le SEPM apporte la preuve de la régularité du pouvoir d’agir en justice octoyé à son président en l’espèce.

L’intervention volontaire accessoire du SEPM sera donc déclarée recevable.

- Sur l’atteinte à la présomption d’innocence invoquée par le demandeur :

X M sollicite la réparation du préjudice subi par l’atteinte à la présomption d’innocence dont il bénéficie dès lors que le CDJM se prononce publiquement, en affirmant la conviction de sa culpabilité, sur les éléments constitutifs de l’infraction pour laquelle une enquête est en cours, en l’occurrence l’infraction d’injures à caractère raciste et dans le cadre de laquelle il a été auditionné par les services de police. Il conteste, au demeurant, au CDJM un statut dont il tirerait une légitimité à donner un tel avis en se prévalant d’une immunité ou d’un commandement légitime.

Pour sa part, le SEPM souligne qu’en publiant l’avis incriminé en l’espèce, le CDJM porte atteinte tant à la présomption d’innocence qu’au droit à un tribunal impartial et indépendant. Il relève que la dénomination prise par cette association est de nature à induire en erreur en laissant accroire qu’elle constituerait une institution déontologique et de médiation alors 7


qu’elle ne saurait revendiquer ni l’un ni l’autre et encore moins appliquer des textes déontologiques à des tiers non adhérents à l’association.

La défenderesse demande de débouter X M de ses demandes, contestant avoir violé les dispositions de l’article 9-1 du code civil par les propos contenus dans l’avis du 10 novembre 2020, soutenant que l’expression d’une entorse aux règles déontologiques se distingue d’un préjugé sur la cuplabilité d’une personne au sens du droit pénal. La société défenderesse invoque enfin, à titre subsidiaire, le bénéfice du droit à la liberté d’expression, au regard du sujet d’intérêt général majeur engendré par la publication polémique de l’article du magazine “Valeurs Actuelles” en cause.

*

L’article 9-1 du code civil dispose, en son premier alinéa, que

“chacun a droit au respect de la présomption d’innocence” et précise, à l’alinéa 2, que le juge peut prescrire toutes mesures aux fins de faire cesser l’atteinte à la présomption d’innocence “lorsqu’une personne est, avant toute condamnation, présentée publiquement comme coupable de faits faisant l’objet d’une enquête ou d’une instruction judiciaire”.

Ainsi pour être constituée, l’atteinte à la présomption d’innocence suppose la réunion de trois éléments qui sont :

- l’existence d’une procédure pénale en cours non encore terminée par une décision de condamnation définitive,

- l’imputation publique, à une personne précise, d’être coupable des faits faisant l’objet de cette procédure, non par simple insinuation ou de façon dubitative, mais par une affirmation péremptoire ou des conclusions définitives manifestant, de la part de celui qui les exprime, un clair préjugé tenant pour acquise la culpabilité de la personne visée,

- la connaissance, par celui qui reçoit cette affirmation, que le fait ainsi imputé est bien l’objet d’une procédure pénale en cours, une telle connaissance pouvant résulter soit d’éléments intrinsèques contenus dans le texte litigieux, soit d’éléments extrinsèques, tels qu’une procédure notoirement connue du public ou largement annoncée dans la presse.

Par ailleurs, en application de l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, en son paragraphe premier, toute personne a droit à la liberté d’expression, le texte prévoyant, en son paragraphe 2, que l’exercice de cette liberté peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, en particulier à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, parmi lesquels figure le droit à la présomption d’innocence et le droit au procès équitable. 8



Le droit à la présomption d’innocence et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge de mettre ces droits en balance en fonction des intérêts en jeu et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. Cette mise en balance doit être effectuée en considération, notamment, de la teneur de l’expression litigieuse, sa contribution à un débat d’intérêt général, l’influence qu’elle peut avoir sur la conduite de la procédure pénale et la proportionnalité de la mesure demandée.

*

En l’espèce, il n’est pas contesté qu’une procédure pénale était en cours au moment de la publication litigieuse, une enquête préliminaire ayant été ouverte du chef d’injures à caractère raciste dont la presse s’est fait l’écho. En effet, il est produit en demande plusieurs articles de presse y faisant expressément référence : sur le site du journal Le Monde en date du 31 août 2020 (pièce n°11 du demandeur), sur le site du journal Les Inrocks à la même date (pièce n°12 du demandeur), sur le site du journal Le Temps (pièce n°13 du demandeur). Le sort de cette procédure, visant X M , directeur de la publication du magazine Valeurs actuelles au moment de la parution de l’article consacré au septième épisode de la série

“Les couloirs du temps” intitulé “O l’Africaine”, n’est pas indiqué et les parties ne font état d’aucune date d’audience programmée pour en juger le cas échéant. Cette procédure pénale, largement annoncée dans la presse, était donc connue du public et n’a pas donné lieu à une décision définitive.

Il convient donc de s’interroger sur le point de savoir si l’avis publié par le CDJM contient l’imputation publique, à X M , d’être coupable des faits d’injures publique à caractère raciste, ce de façon péremptoire ou au moyen de conclusions définitives manifestant, de la part de l’association qui s’exprime, un clair préjugé tenant pour acquise sa culpabilité.

L’avis en cause, outre sa conclusion dans les termes ci-avant mentionnés, est construit en quatre parties :

- la première décrit la saisine ;

- la deuxième mentionne les règles déontologiques concernées et renvoie aux textes mentionnés dans les statuts de l’association en visant précisément les obligations du journaliste dans le sens du respect de la dignité des personnes et de la présomption d’innocence et devant veiller “à ce que la diffusion d’une information ou d’une opinion ne contribue pas à nourrir la haine ou les préjugés, selon la Charte mondiale des journalistes”; 9



- la troisième comporte la réponse du média mis en cause (en l’espèce aucune) ;

- la quatrième présente l’analyse du CDJM. A ce titre, l’avis expose en quoi l’article, présenté comme une oeuvre de fiction, relève en réalité de la compétence du CDJM. Il est précisé que “Le rôle du CDJM n’est pas de se prononcer sur le choix éditorial de Valeurs Actuelles, ni sur d’éventuelles infractions à la loi qui relèvent des tribunaux, mais sur le respect de la déontologie du journalisme” et qu’il “est saisi par l’auteur-e de la saisine d’une atteinte à la dignité humaine”.

Il poursuit ainsi : “Le CDJM considère qu’évoquer quelqu’un, a fortiori une élue de la République française, en faisant référence à sa “négritude” dans une situation d’esclave qui

“expérimente la responsabilité des Africains dans les horreurs de l’esclavage”, la représenter notamment nue, affublée d’un carcan (collier de fer au cou) et de chaînes et, sans qu’il soit nécessaire d’évoquer ici plus avant certains détails méprisants, conduisent à placer Mme A O dans de multiples situations dégradantes et attentatoires à sa dignité” pour en conclure qu’un “tel acte journalistique est contraire en de nombreuses occurences à la déontologie journalistique au sens de la Charte d’éthique professionnelle des journalistes et de l’article 8 de la Charte d’éthique mondiale des journalistes”.

L’avis est enfin résumé par la phrase conclusive rappelée ci- avant:

“Le CDJM, réuni le 10 novembre 2020 en séance plénière, estime que l’article, en plaçant et en représentant Madame A O dans une situation dégradante, ne respecte pas la dignité humaine et est susceptible de nourrir les préjugés. La saisine est déclarée fondée. Cette décision a été prise à l’unanimité des membres présents”.

Il convient donc de tenir compte du fait que :

- l’avis mentionne expressément la distinction à opérer entre, d’une part les éventuelles infractions à la loi, d’autre part les entorses à la déontologie du journalisme.

- il se prononce de manière claire et non équivoque au regard des règles déontologiques qu’il cite expressément.

La seule affirmation, en soi, de la violation de la déontologie ne saurait, dans ces circonstances et au vu des précautions prises, valoir conclusion définitive de culpabilité du chef d’injures à caractère raciste.

Reste à déterminer si, par la référence à l’atteinte faite à la dignité humaine, justifiée dans l’avis par le fait que la saisine porte sur cette notion, l’avis en cause constituerait, en ceci, une atteinte à la présomption d’innocence du demandeur.

10



A cette fin, il y a lieu de rappeler que l’injure publique est définie, aux termes de l’alinéa 2 de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 comme « toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait », étant précisé qu’elle est aggravée par le caractère raciste dès lors qu’elle vise une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.

Si la notion de dignité de la personne humaine peut être convoquée par le juge amené à se prononcer sur l’existence de ce délit, au moment où il réalise la balance des intérêts en présence, afin de n’envisager de restriction à la liberté d’expression qu’à condition qu’elle soit strictement nécessaire, dans le respect des exigences de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le concept de dignité de la personne humaine, qui est de l’essence même de cette Convention, ne constitue ni l’un des éléments de définition de l’incrimination d’injure ni un fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression.

Enfin, l’influence que pourrait avoir la publication de l’avis du CDJM sur la conduite de la procédure pénale doit être relativisée au regard des débats nombreux et importants sur la légitimité de cet organisme à se prononcer sur les questions de déontologie journalistiques comme en témoignent les pièces produites en demande (pièces 4 à 9 du demandeur).

Dans ces conditions, le fait que l’avis du CDJM procède à une analyse de la publication de l’article visant A O dans Valeurs actuelles au regard du respect de la dignité et des préjugés qui auraient été dégagés à cette occasion, en référence aux obligations déontologiques des journalistes, ne peut être assimilé à une déclaration péremptoire de culpabilité d’X M pour les faits d’injures à caractère raciste pour lesquels une procédure pénale est en cours.

Il convient donc de débouter X M de ses demandes.

Sur les autres demandes :

Il convient d’accorder au défendeur la somme de 2.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, à la charge du demandeur ; la demande formée à ce titre à l’encontre de l’intervenant volontaire accessoire est rejetée.

Le demandeur sera condamné aux dépens.

11



PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

- Reçoit le Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine en son intervention volontaire accessoire

- Déboute X M de ses demandes ;

- Condamne X M à verser au Conseil de déontologie journalistique et de médiation la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et rejette la demande formée à ce titre à l’encontre du Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine.

- Condamne X M aux dépens.

Rappelons que la présente ordonnance est exécutoire de plein droit nonobstant appel.

Fait à Paris le 11 mars 2021

Le Greffier, Le Président,

F M D C

12


1. B C D E

13 Copies exécutoires délivrées le:11/03/2021 1

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal judiciaire de Paris, 11 mars 2021, n° 21/51017