Tribunal Judiciaire de Paris, 8 juillet 2022, n° 21/04905

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www.avocat-godfrin.com · 10 janvier 2023

Pendant les fêtes de fin d'année, on en a usé, on en a peut-être abusé, le champagne était, comme chaque année, sur toutes nos tables. Aujourd'hui devenu véritable symbole de fête, et pour cause, au XVIIIe siècle, les rois se faisaient couronner à Reims et festoyaient en buvant le « vin local » : le champagne ! Dès lors, l'habitude fut prise de « célébrer » avec ce vin. Napoléon considérait d'ailleurs ce nectar comme essentiel, et aurait déclaré « Je ne peux vivre sans champagne, en cas de victoire, je le mérite, en cas de défaite j'en ai besoin. ». En ce début d'année …

 

larevue.squirepattonboggs.com · 20 septembre 2022

Qui est l'auteur d'une œuvre : l'esprit qui la conçoit ou bien la main qui la réalise ? Voici une belle question de droit qui a été posée au tribunal judiciaire de Paris dans une affaire qui opposait l'artiste conceptuel Cattelan au sculpteur Druet. « Maurizio Cattelan / Not Afraid of Love – Monnaie de Paris » by corno.fulgur75 is licensed under CC BY 2.0. Maurizio Cattelan est un artiste italien aujourd'hui basé à New York et l'un des représentants vivants les plus connus de l'art conceptuel. Comme son nom l'indique, cet art fait primer le concept sur la forme ou les propriétés …

 
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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 8 juill. 2022, n° 21/04905
Numéro(s) : 21/04905

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PARIS 1

3ème chambre 2ème section

N° RG 21/04905 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUFCO

N° MINUTE :

JUGEMENT Assignation du : rendu le 08 Juillet 2022 02 Avril 2021

DEMANDERESSE

S.A. MHCS 9 avenue de Champagne 51200 EPERNAY

représentée par Maître Christophe CARON de l’AARPI Cabinet Christophe CARON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0500

DÉFENDERESSE

S.A.S. FREREJEAN FRERES 66 rue Pasteur 51190 AVIZE

représentée par Maître Julien CANLORBE, de la SELARL Momentum Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0343

Expéditions exécutoires délivrées le :

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Décision du 08 Juillet 2022 3ème chambre 2ème section N° RG 21/04905 – N° Portalis 352J-W-B7F-CUFCO

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Madame Catherine OSTENGO, Vice-présidente Madame Elise MELLIER, Juge Monsieur Arthur COURILLON-HAVY, Juge

assisté de Monsieur Quentin CURABET, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 03 juin 2022 tenue en audience publique devant Catherine OSTENGO et Elise MELLIER, juges rapporteurs, qui sans opposition des avocats ont tenu seules l’audience, et après avoir entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile.

Avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 08 juillet 2022

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société MHCS immatriculée en 2009 a pour activité l’élaboration et le négoce de champagne et commercialise notamment le champagne Ruinart Blanc de Blancs.

Elle est titulaire de la marque française tridimensionnelle n°18 4 493 472 enregistrée le 22 octobre 2018 en classe 33 pour désigner du champagne :

La société FREREJEAN FRERES (ci-après « FJF »), immatriculée en 2005, exploite la Maison de Champagne du même nom domiciliée à Avize.

Ayant constaté que la société FJF avait annoncé le lancement de son nouveau champagne Blanc de Blancs pour 2020 sur les réseaux sociaux, et s’apprêtait à commercialiser une bouteille, similaire selon elle, à celle de son champagne Ruinart, la société MHCS lui a fait adresser un courrier d’avertissement, par l’intermédiaire de son conseil en propriété industrielle le 19 juin 2019, mais a constaté en octobre 2020 que la société FJF avait lancé son champagne Blanc de Blancs Grand Cru brut « Solaire » dans une bouteille contrefaisant selon elle

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sa marque, à la suite de quoi elle a fait dresser un procès-verbal de constat et d’achat par huissier de justice des 8 et 21 décembre 2020 avant de lui faire adresser le 4 janvier 2021, une mise en demeure de cesser ses agissements.

La société FJF ayant répondu par l’intermédiaire de son conseil, le 15 mars 2021, qu’elle modifierait uniquement la forme de son étiquette et écoulerait son stock de bouteilles jusqu’en 2025, c’est dans ces conditions que par acte du 2 avril 2021, la société MHCS l’a fait assigner devant ce tribunal aux fins de voir reconnaître l’atteinte à sa marque renommée et subsidiairement, en réparation d’actes de contrefaçon de marque et concurrence déloyale et parasitaire.

***

Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 17 février 2022, la société MHCS demande au tribunal de :

Vu les articles L. 713-2, L. 713-3, L. 716-4-9, L. 716-4-10 du code de la propriété intellectuelle, Vu les articles 10 et 1240 du code civil, Vu l’article 11 du code de procédure civile,

A TITRE PRINCIPAL, sur l’atteinte à la marque renommée

- DIRE que la marque n° 18 4 493 472 de MHCS est une marque renommée.

- DIRE que la société FREREJEAN FRERES fait un usage dans la vie des affaires d’un signe similaire à la marque renommée française n° 18 4 493 472 de MHCS afin de tirer profit du caractère distinctif et de la renommée de ladite marque sans juste motif et DIRE que cet usage porte préjudice à MHCS.

En conséquence,

- DIRE que la société FREREJEAN FRERES se rend coupable d’atteinte à la marque renommée n° 18 4 493 472 de MHCS. A TITRE SUBSIDIAIRE, sur la contrefaçon de marque

- DIRE que la bouteille Blanc de Blancs Grand Cru brut « Solaire » de la société FREREJEAN FRERES imite la marque tridimensionnelle française n° 18 4 493 472 de MHCS.

- DIRE que cette imitation est constitutive de contrefaçon de marque en raison du risque de confusion qui en résulte dans l’esprit du public.

En conséquence,

- DIRE que la défenderesse s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon de la marque susvisée de la société MHCS.

A TITRE TRES SUBSIDIAIRE, sur la concurrence parasitaire

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- DIRE que la concurrence parasitaire est caractérisée par la circonstance selon laquelle une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou se place dans le sillage de la valeur économique d’un concurrent, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

- DIRE que la société FREREJEAN FRERES pour l’offre à la vente et la promotion de ses bouteilles de champagne Blanc de Blancs Grand Cru brut « Solaire » s’est rattachée délibérément à l’identité visuelle du champagne Ruinart Blanc de Blancs bénéficiant indûment du travail et des investissements de la société MHCS, afin de s’immiscer dans le sillage de cette dernière et de bénéficier du succès rencontré par ledit champagne auprès des consommateurs et DIRE que la société FREREJEAN FRERES l’a fait, à titre lucratif et de façon injustifiée, afin de se procurer un avantage concurrentiel.

En conséquence,

- DIRE que la société FREREJEAN FRERES a commis des actes de concurrence parasitaire à l’encontre de la société MHCS.

En conséquence de ces atteintes :

- RECEVOIR la société MHCS en ses demandes, fins et prétentions.

- ORDONNER qu’il soit mis un terme aux actes illicites par la cessation immédiate de la commercialisation et de la promotion des bouteilles de champagne Blanc de Blancs Grand Cru brut « Solaire » de la société FREREJEAN FRERES (avec l’ancienne et la nouvelle étiquettes), sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée et ce, à compter de la signification de la décision à intervenir.

- ORDONNER le rappel desdites bouteilles et la destruction des stocks dans un délai de 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard.

- ORDONNER à la société FREREJEAN FRERES de communiquer à la demanderesse :

% le nombre et la quantité de bouteilles champagne Blanc de Blancs Grand Cru brut « Solaire » de FREREJEAN FRERES vendues (que ce soit en boutique, via le site Internet ou via tout autre réseau) au jour du jugement ;

% le chiffre d’affaires réalisé et la marge brute réalisée sur les bouteilles litigieuses ;

% les éléments justificatifs, notamment comptables, correspondants.

- CONDAMNER la défenderesse au versement de :

• A titre principal, sur le fondement de l’atteinte à la marque renommée, 100.000 euros à parfaire au titre du préjudice matériel subi par MHCS et 200.000 euros au titre du préjudice moral subi par MHCS.

• A titre subsidiaire, sur le fondement de la contrefaçon de marque, 100.000 euros à parfaire au titre du préjudice matériel subi par MHCS et 200.000 euros au titre du préjudice moral subi par MHCS.

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• A titre très subsidiaire, sur le fondement de la concurrence parasitaire, 100.000 euros à parfaire au titre du préjudice matériel subi par MHCS et 200.000 euros au titre du préjudice moral subi par MHCS.

- ORDONNER la publication judiciaire de la décision à intervenir, sous forme de communiqués, dans cinq journaux français au choix de la société MHCS, et aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 7 000 euros et ORDONNER la publication de l’intégralité du dispositif de la décision à intervenir, pendant 90 jours consécutifs à compter de la signification de la décision, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, en partie supérieure de la page d’accueil du site Internet accessible à l’adresse suivante : .

- SE RESERVER la liquidation des astreintes conformément aux dispositions des articles L. 131- 1 et L. 131-3 du code des procédures civiles d’exécution.

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE,

- DEBOUTER la société FREREJEAN FRERES de l’ensemble de ses réclamations et notamment de ses demandes reconventionnelles en procédure abusive et au titre de la prétendue concurrence déloyale.

- ORDONNER l’exécution provisoire du jugement.

- CONDAMNER la défenderesse à payer à la société MHCS la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, en ce compris le remboursement des frais engagés aux fins d’établissement du procès-verbal de constat en pièces n° 5 et 17, qui pourront être recouvrés directement par le Cabinet Y Z, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

*

Dans ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 10 mars 2022, la société FJF demande au tribunal de :

Vu le Livre VII du code de la propriété intellectuelle,

Vu le principe de la liberté du commerce et de l’industrie,

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu l’article 32-1 du code de procédure civile,

- DÉBOUTER la société MHCS de l’intégralité de ses demandes,

A TITRE RECONVENTIONNEL :

- DIRE et JUGER la société FREREJEAN FRERES recevable et bien- fondée en ses demandes reconventionnelles,

- DIRE et JUGER que la procédure introduite par la société MHCS à l’encontre de la société FREREJEAN FRERES est abusive,

- DIRE et JUGER que la société MHCS a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société FREREJEAN FRERES,

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En conséquence :

- CONDAMNER la société MHCS à payer à la société FREREJEAN FRERES la somme de cinquante mille euros (50.000 euros) en réparation du préjudice subi du fait de la procédure abusivement introduite par MHCS,

- CONDAMNER la société MHCS à payer à la société FREREJEAN FRERES la somme de cent mille euros (100.000 euros) en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale commise par MHCS,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

- CONDAMNER la société MHCS à payer à la société FREREJEAN FRERES la somme de quarante mille euros (40.000 euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

- CONDAMNER la société MHCS aux entiers dépens de l’instance.

***

La procédure a été clôturée par ordonnance du 17 mars 2022 et l’affaire a été plaidée le 3 juin 2022.

Les parties ont été invitées, par messages RPVA du 10 juin 2022 à présenter leurs observations sur la recevabilité du moyen visant à voir déclarer irrecevables la demande reconventionnelle en concurrence déloyale.

En réponse, elles ont chacune communiqué une note par messages RPVA du 17 juin 2022.

Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est fait référence aux écritures précitées des parties, pour l’exposé de leurs prétentions respectives et les moyens qui y ont été développés.

MOTIFS DE LA DECISION

1- Sur l’atteinte à la marque renommée

La société MHCS fait valoir que sa marque tridimensionnelle fait l’objet d’un usage intensif et de grande ampleur, de sorte qu’elle est connue d’une large fraction du public. Elle ajoute que l’intensité de son usage et les efforts publicitaires pour mettre en avant ce signe sont de nature à caractériser sa renommée et elle produit à cet égard un sondage réalisé en mai 2018, qui confirme selon elle que cette marque est connue d’une partie très significative du public. Elle considère que l’atteinte est caractérisée dès lors que la société FJF fait un usage du signe litigieux dans la vie des affaires qui porte atteinte aux fonctions de la marque renommée, plus précisément à celles d’identité d’origine et d’investissement et soutient par ailleurs que la défenderesse tire de

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façon injustifiée profit du caractère distinctif et de la renommée de la marque litigieuse, l’objectif recherché étant d’inciter le consommateur à acheter sa bouteille de champagne Blanc de Blancs qui rappellera le célèbre champagne Ruinart. Elle termine en faisant valoir qu’un tel comportement lui porte nécessairement préjudice, sans qu’elle ait à démontrer une baisse effective de son chiffre d’affaires.

La société FJF réplique qu’en décidant de commercialiser son Blanc de Blancs dans la bouteille « Trinité astrale SOLAIRE » elle a souhaité adopter une forme de bouteille particulièrement élégante, rappelant la forme historique de la bouteille de champagne sur laquelle la société MHCS ne saurait utilement revendiquer un monopole. Elle soutient que seule la preuve de la renommée de la marque verbale Ruinart est démontrée et non pas celle de la marque tridimensionnelle et fait en tout état de cause valoir que sa bouteille « SOLAIRE » ne présente pas avec la marque litigieuse des similitudes qui permettraient de conclure à l’existence d’un « lien » dans l’esprit du consommateur. Elle fait ensuite valoir qu’elle n’a jamais entretenu la moindre équivoque sur l’origine de ses produits, dont les bouteilles portent de façon très visible la marque FREREJEAN FRERES et les emblèmes distinctifs de cette Maison et enfin, qu’il n’est démontré l’existence ni d’un profit, indu ni d’une modification du comportement économique du consommateur moyen et donc, d’un préjudice.

Sur ce,

1.1- Sur la renommée de la marque tridimensionnelle n°18 4 493 472

Une marque est considérée comme renommée lorsqu’elle est connue d’une fraction significative du public concerné par les produits visés à l’enregistrement et qu’elle exerce un pouvoir d’attraction propre indépendant des produits ou services qu’elle désigne, ces conditions devant être réunies au moment des atteintes alléguées.

Sont notamment pris en compte l’ancienneté de la marque, son succès commercial, l’étendue géographique de son usage et l’importance du budget publicitaire qui lui est consacré, son référencement dans la presse et sur internet, l’existence de sondages ou enquêtes de notoriété attestant de sa connaissance par le consommateur, des opérations de partenariat ou de mécénat ou encore éventuellement, de précédentes décisions de justice. Ces critères ne sont pas cumulatifs et le titulaire d’une marque enregistrée peut, aux fins d’établir le caractère distinctif particulier et la renommée de celle-ci, se prévaloir de preuves de son utilisation sous une forme différente en tant que partie d’une autre marque enregistrée et renommée, à condition que le public concerné continue à percevoir les produits en cause comme provenant de la m ê m e e n t r e p r i s e (C J C E 6 o c t 2 0 0 9 , PA G O international/Tirolmilchregistrierte genossenschaft, C-301/07, point 25, TPI 10 mai 2007 Antartica/OHMI The Nasdaq Stock Market, T- 47/06, point 51, TUE 5 mai 2015, Spa Monopole/OHMI-Orly International T-131/12, point 33).

En l’espèce, pour justifier de la renommée de sa marque, la société MHCS produit en premier lieu un sondage (pièce DEM n°7) qu’elle a commandé en mai 2018 auprès de la société OPENDMIND et si la

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société FJF semble remettre en cause l’impartialité de celle-ci au motif qu’elle ne peut être considérée comme un institut de sondage indépendant et qu’elle a travaillé en partenariat avec la société CORSEARCH, gestionnaire de portefeuilles de marque, elle ne produit à l’appui de cette allégation aucun élément permettant de douter de l’objectivité des réponses qui ont été apportées par les sondés. Il sera à cet égard relevé que l’objectif affiché de l’étude, qui est de « démontrer que le public associe la bouteille de Champagne présentée ci-dessous à la marque RUINART, sans autre élément distinctif (écusson, logo, marque) » ne suffit pas à démontrer que les questions ont été sciemment orientées ou organisées de façon à obtenir la réponse attendue ou à tout le moins espérée par le commanditaire.

Il ressort de cette enquête que, sur un panel constitué de 500 personnes réparties sur l’ensemble du territoire national et appartenant à la catégorie sociale CSP+ auxquelles a été présentée l’illustration de la marque tridimensionnelle litigieuse, à la première question ouverte « Q1. Selon vous, que représente cette image ? » 66 % ont répondu « Champagne » et 14 % « Ruinart ou Ruinart Blanc de Blanc ». Alors qu’il leur avait été précédemment demandé quel était selon elles le contenu de la bouteille, à choisir parmi 4 catégories d’alcool outre une boisson non alcoolisée, 85 % ont répondu « Du Champagne » puis à la question suivante : « Q5 D’après votre réponse à la question précédente, vous avez déclaré que le contenu de cette bouteille est du champagne. Pouvez-vous vous nous indiquer à quelle marque de champagne associez-vous cette bouteille ? », 40 % ont spontanément cité « Ruinart ».

La société FJF, toutefois, considère que l’échantillon sélectionné, à savoir représentant la catégorie socio-professionnelle supérieure, déclarant consommer du champagne plus d’une fois par mois, tronque nécessairement le résultat de l’enquête.

Il sera cependant relevé que le public pertinent doit ici être défini comme le consommateur de champagne, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Or, le sondage précise que s’agissant du profil de l’échantillon, la profession du « chef de famille » est certes composée à 52 % de « Professions libérales cadres supérieurs, ingénieurs » mais que pour les 48 % restant, il s’agit « d’artisans, de commerçants, instituteurs, cadre moyens, infirmiers » qui ne peuvent être strictement rattachés à la catégorie CSP+ mais permettent au contraire de considérer l’échantillon comme homogène, représentatif du public pertinent, ce d’autant qu’il est précisé que si 63 % des personnes interrogées consomment régulièrement du champagne et 17 % souvent, 20 % déclarent n’en consommer que rarement ce qui correspond selon l’enquête à une consommation moyenne d’au moins une fois par mois

– et non pas comme le soutient la défenderesse à « plus d’une fois par mois » – et partant, correspond à un consommateur de champagne, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé.

Ensuite, bien que la société FJF n’en dise rien, force est de constater que les résultats de ce sondage sont corroborés par plusieurs autres pièces produites par la demanderesse.

Sont ainsi versés pour justifier de l’usage intensif de la représentation tridimensionnelle de la bouteille de Ruinart Blanc de Blancs les chiffres

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des ventes correspondantes – non contestés – qui ont dépassé 700 000 bouteilles entre 2018 et 2020 et atteignaient 110 000 bouteilles au 28 février 2021 pour un chiffre d’affaires moyen annuel de 32 000 000 d’euros pour le seul marché français. (pièce DEM n°14)

Il est également produit plusieurs articles de presse (Les Echos.fr, Madame X, Nice Matin) et extraits de sites de vente en ligne (Glad10.com, 12bouteilles.com) desquels il résulte que le champagne Ruinart Blanc de Blancs est désigné par la forme de sa bouteille successivement qualifiée de « bombée », « unique », « atypique », « arrondie et reconnaissable » (pièce DEM n°8).

Il est enfin justifié d’un effort publicitaire certain par la production d’encarts dans les magazines VOGUE, VANITY FAIR, PARIS Capitale ou encore Paris Match (pièce DEM n°12).

La renommée de la marque tridimensionnelle n°18 4 493 472 apparaît ainsi suffisamment démontrée.

1.2- Sur l’atteinte à la renommée de la marque tridimensionnelle n°18 4 493 472

L’article L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle dispose : « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires, pour des produits ou des services, d’un signe identique ou similaire à la marque jouissant d’une renommée et utilisé pour des produits ou des services identiques, similaires ou non similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, si cet usage du signe, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque, ou leur porte préjudice ».

Le régime des marques de renommée vise à protéger les fonctions de la marque autres que celle d’indication d’origine, à savoir la transmission d’autres messages ou représentations qui y sont associées tels que le luxe ou un style de vie qui, ainsi véhiculés, confèrent au signe une valeur économique intrinsèque autonome et distincte de celle résultant du périmètre de son enregistrement. (TPI 22 mars 2007, SIGLA/OHMI – Elleni Holding T-215-03, point 35).

Les atteintes à la marque renommée sont la conséquence d’une similitude entre celle-ci et le signe postérieur, ayant pour effet de conduire le public concerné à établir un lien entre les deux marques en conflit alors même qu’il ne les confond pas. C’est en effet l’existence de ce rapprochement qui permet de conclure que l’usage de la marque postérieure est susceptible de bénéficier indûment de la distinctivité de la première, ou de lui occasionner un préjudice.

Cette appréciation doit s’effectuer globalement en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce, dont notamment l’intensité de la renommée de la marque, son caractère distinctif, le degré de similitude entre les signes ainsi que la nature et le degré de proximité des produits ou services respectivement visés au dépôt des titres.

En l’espèce, il sera en premier lieu relevé que la marque tridimensionnelle en cause représente une bouteille en verre transparent dont la forme est évasée dès le bas de la collerette, ce qui lui confère

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une forme arrondie. Elle est par ailleurs dotée d’une coiffe de couleur cuivrée entourée à sa base d’une collerette en forme de bague de même teinte et présente dans sa partie inférieure une étiquette blanche de forme ovale, et il sera rappelé que la renommée est établie pour la combinaison de l’ensemble de ces caractéristiques et ne saurait être opposée pour l’une ou l’autre d’entre elles, prise individuellement.

Ensuite, s’agissant d’une marque tridimensionnelle, l’exigence de distinctivité suppose que ses caractéristiques s’éloignent des normes et habitudes du secteur considéré et de la forme attendue par le consommateur. Or en l’occurrence, la marque constituée d’une bouteille enregistrée pour désigner du champagne constitue selon la demanderesse elle-même, une reprise de la forme des bouteilles de champagne, connues au 18 siècle très arrondie, qui reste relativemente répandue aujourd’hui dans le secteur du champagne, la société FJF produisant pour en justifier plusieurs exemples de bouteilles qui présentent, outre une rondeur quasiment équivalente, un même verre transparent (pièce DEF n°9.3.1, à 9.3.6). Cette forme bombée est par ailleurs caractéristique des bouteilles de Prosecco italien qui certes, n’est pas un champagne mais reste un vin effervescent (pièce DEF n°9.1.1 à 9.1.7). La coiffe et la collerette cuivrées ainsi que l’étiquette apposée en partie inférieure se retrouvent quant à elles presque systématiquement dans le secteur des bouteilles de champagne.

Il apparaît ainsi que si la marque litigieuse a acquis une renommée, c’est au regard de la combinaison particulière d’éléments en eux-mêmes banals et faiblement distinctifs, de sorte que des différences, même légères, ou la non reprise de l’intégralité d’entre eux dans la combinaison renommée et ayant acquis une certaine distinctivité par l’usage, ne sera pas constitutif d’une atteinte à la renommée, le public pertinent, familier de la forme arrondie de la bouteille pour du vin effervescent et des coiffes et collerettes cuivrées, n’étant pas susceptible, en présence d’une étiquette de forme différente par exemple, d’établir un lien entre les entreprises commercialisant les bouteilles en cause.

Il sera par ailleurs rappelé que le public pertinent ci-dessus décrit sera sensible aux différences visuelles pouvant exister entre les bouteilles de champagne et plus particulièrement de Blanc de Blancs, présentes sur le marché et il convient enfin de considérer que ce public connaît la bouteille correspondant à la marque renommée, utilisée par la société MHCS pour son champagne Ruinart Blanc de Blancs.

Or en l’espèce, les signes en conflit sont les suivants :

[…]

de la société FJF

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Force est de constater que les bouteilles de la société FJF, si elles ont effectivement une forme arrondie, présentent un col nettement plus long que celui de la marque de la société MHCS et comme le relève pertinemment la défenderesse, la forme bombée de la bouteille est amorcée à un niveau bien inférieur à celui de la collerette, ce qui a pour effet de lui conférer un aspect différent, plus trapu, ses « épaules » étant effectivement plus basses. Ensuite, les collerettes respectives ne présentent pas la même teinte, celle de la marque litigieuse étant plus cuivrée que dorée et alors que la bague dans le signe premier présente la forme d’un simple anneau de même teinte que la collerette, celle qui orne les bouteilles de la société FJF forme en son milieu un cercle illustrant le soleil dont elle supporte une représentation. Enfin, la forme ovale de l’étiquette cerclée d’un liseré doré ne se retrouve pas non plus chez sa concurrente, puisqu’initialement elle était parfaitement ronde et a, par la suite, été remplacée par une étiquette rectangulaire dont les angles sont arrondis. Dans les deux cas, elles ne comportent aucun liseré mais surtout, elles supportent l’inscription FREREJEAN FRERES et le signe SOLAIRE correspondant pour la première à la marque dont la société défenderesse est titulaire.

C’est donc à bon droit que la société FJF fait valoir que sa bouteille, dans ses deux versions d’étiquettes, ne présente pas avec la marque tridimensionnelle de la société MHCS, des similitudes permettant de conclure à l’existence d’un « lien » dans l’esprit du public concerné, nonobstant l’identité des produits visés.

Les demandes subséquentes, fondées sur l’atteinte à la marque renommée seront donc rejetées.

2- Sur la contrefaçon par imitation de la marque litigieuse

La société MHCS fait valoir, à titre subsidiaire, qu’à l’identité des produits en cause s’ajoutent des similitudes visuelles et conceptuelles entre les signes en présence qui génèrent auprès du public pertinent un risque de confusion, aggravé par la renommée de sa marque, constitutif de contrefaçon.

La société FJF, qui rappelle que la forme du produit ne constitue pas le mode habituel d’indication de l’origine d’un produit dans l’esprit du consommateur, observe d’une part que la présence visible sur sa bouteille « SOLAIRE » de la marque « FREREJEAN FRERES » et des emblèmes qui l’accompagnent permettent d’écarter tout risque de confusion, compte tenu d’autre part, de la faible ressemblance entre les signes en cause.

Sur ce,

Conformément à l’article L. 713-2 du même code, « Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :

1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;

2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels

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la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque ».

Et selon l’article L. 716-1 du même code, « l’atteinte portée aux droits du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque, la violation des interdictions prévues aux articles L. 713-2, L. 713-3 et L713-4 ».

Il convient de rechercher si, au regard d’une appréciation des degrés de similitude entre les signes et entre les produits et/ou services désignés, il existe un risque de confusion comprenant un risque d’association dans l’esprit du public concerné, ce risque de confusion devant être apprécié en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce.

L’appréciation de la similitude visuelle, auditive et conceptuelle des signes doit être fondée sur l’impression d’ensemble produite par ceux- ci, en tenant compte, notamment, de leurs éléments distinctifs et dominants mais également au regard de l’identité et/ou de la similarité des produits et services couverts, un faible degré de similitude entre les marques opposées pouvant être compensé par un degré élevé de similitude entre les produits ou services couverts et inversement.

En l’espèce, il résulte des développements relatifs à l’atteinte à la marque renommée que les similitudes visuelles entre les signes opposés portent sur des caractéristiques peu distinctives de la marque tridimensionnelle (forme bombée du corps de la bouteille, présence d’une coiffe, d’une collerette et d’une bague) et qu’il existe par ailleurs plusieurs différences tenant à l’arrondi de la bouteille, à la couleur de la coiffe, à la forme de la collerette et de l’étiquette ainsi qu’à la présence d’éléments verbaux, pour rappel essentiellement les termes FREREJEAN FRERES et SOLAIRE. La similitude visuelle doit donc être qualifiée de moyenne.

Conceptuellement, la société MHCS indique avoir eu la volonté de « protéger l’aspect visuel d’une bouteille de champagne se présentant sous une forme originale et inhabituelle, à savoir la bouteille de Ruinart ». Cette vision toutefois, correspond davantage à une démarche marketing qu’à l’approche conceptuelle d’un signe qui vise à rechercher son évocation intellectuelle. Et en l’espèce, la marque tridimensionnelle évoque une bouteille d’alcool, plus précisément, de vin effervescent. Les deux signes sont donc conceptuellement très proches, mais cette similitude doit être appréciée à la lumière de la faible distinctivité de la forme générale de la bouteille au regard des produits visés à son enregistrement, « les vins mousseux, à savoir vins d’appellation d’origine protégée Champagne ».

Malgré l’identité des produits, compte tenu du public concerné constitué de consommateurs de champagne, normalement informés et raisonnablement attentifs et avisés, le risque de confusion n’apparaît pas caractérisé au vu des différences visuelles entre les signes et plus particulièrement de la présence des termes FREREJEAN FRERES et SOLAIRE sur les bouteilles commercialisées par la société FJF.

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Dans ces conditions, les actes de contrefaçon n’apparaissent pas davantage constitués. Les demandes subséquentes seront donc pareillement rejetées.

3- Sur les actes de parasitisme

La société MHCS rappelle avoir fortement investi depuis 2001, pour conférer à ses bouteilles de champagne Blanc de Blancs Ruinart une identité visuelle propre afin que le public les reconnaisse comme telles, et que les choix de cette bouteille à la forme particulière et de son habillage impliquent des investissements humains et matériels, mais également promotionnels importants. Elle relève qu’outre les caractéristiques de la marque, la société FJF a repris les coloris noir et doré des inscriptions portées sur les étiquettes dans un but délibérément parasitaire, la bouteille litigieuse étant une des plus emblématiques de la Maison et ce, alors que lors des échanges précontentieux, son attention avait été attirée sur le risque de confusion entre les produits en cause.

La défenderesse réplique que l’action en concurrence parasitaire ne doit pas être une action de repli permettant de se constituer un droit privatif qui n’existe pas, la seule existence de similitudes entre les produits de deux concurrents étant insuffisante à caractériser la faute. Elle relève à cet égard que la société MHCS échoue à rapporter la preuve du détournement injustifié d’une valeur économique, que l’apparence de sa bouteille « SOLAIRE » ne crée aucune association fautive avec la bouteille Ruinart « Blanc de Blancs » et qu’il n’est donc nullement démontré la volonté de profiter d’un risque d’association avec ses propres produits.

Sur ce,

Le parasitisme, fondé sur l’article 1240 du code civil, qui dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre en profitant indûment de sa notoriété ou de ses investissements, indépendamment de tout risque de confusion. Il requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

La notion de parasitisme doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce et de l’industrie qui implique qu’un produit qui ne fait pas l’objet d’un droit de propriété intellectuelle, puisse être librement reproduit, en l’absence de faute résultant d’une captation parasitaire, notamment d’investissements, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

En l’espèce, il sera en premier lieu relevé que la société MHCS est titulaire d’une marque renommée dont la validité n’est pas contestée et qu’elle présente donc ses demandes à titre subsidiaire, non parce qu’elle ne bénéficie d’aucun droit de propriété intellectuelle, mais parce que ni l’atteinte à la marque renommée ni la contrefaçon n’ont été retenues en raison des dissemblances qu’elle présente avec la bouteille de

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champagne de la défenderesse. Il s’ensuit que le simple choix de cette bouteille de forme arrondie ne peut constituer à lui seul une valeur économique individualisée. Ensuite, s’il est exact que la société FJF a pareillement adopté un même code couleur pour l’étiquette qu’elle a apposée sur sa bouteille, la défenderesse démontre que les coloris blanc, noir et doré sont pareillement utilisés par d’autres opérateurs du secteur du vin de Champagne (Pièces DEF n° 9.3.2, 9.3.3, 9.3.7, 9.3.5 et 9.3.6), de sorte que la société MHCS ne saurait pertinemment s’arroger un monopole tant sur la forme de la bouteille que sur les coloris de l’étiquette.

Par ailleurs, bien que la demanderesse justifie d’efforts très conséquents pour promouvoir sa bouteille, dès lors que le consommateur de champagne, du fait des différences existant entre les deux bouteilles litigieuses, ne sera pas conduit à faire le lien avec le champagne Blanc de Blancs de Ruinart, la captation parasitaire n’est pas établie.

Et la société FJF, pour sa part, justifie avoir sélectionné sa bouteille dans le catalogue de son fournisseur italien – celle-ci étant par ailleurs enregistrée auprès de l’EUIPO sur le registre des dessins et modèles – et donc ne pas en avoir spécifiquement commandé la création par référence à celle de la société MHCS.

Au regard de l’ensemble de ces considérations, les demandes fondées sur le parasitisme ne peuvent qu’être rejetées.

4- Sur la demande reconventionnelle en concurrence déloyale

La société FJF fait valoir que postérieurement à l’introduction de la présente procédure, elle a découvert que la société MHCS avait procédé au dépôt en Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, et au Canada de quatre demandes d’enregistrement de marques portant sur le signe « SOLAIRE

», qu’elle-même utilise en France pour le commerce de sa cuvée de Champagne « Blanc de Blancs ». Elle considère que si le simple fait de déposer une marque ne peut en lui-même constituer un acte de concurrence déloyale, au cas d’espèce, la société MHCS cherche manifestement à lui interdire toute forme de commercialisation de son Champagne « Blanc de Blancs SOLAIRE » en relevant que la vente à l’étranger d’un champagne par la société MHCS sous le signe SOLAIRE entraînera nécessairement une dilution de sa marque sur le territoire national.

Dans sa note en délibéré du 17 juin 2022, elle conclut à l’irrecevabilité de la fin de non-recevoir soulevée par la société demanderesse tirée de l’article 70 du code de procédure civile en faisant valoir que seul le juge de la mise en état avait compétence pour en connaître compte tenu de la date de l’assignation, postérieure à l’entrée en vigueur du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019.

La société MHCS conclut à l’irrecevabilité de cette demande en soutenant qu’elle ne présente pas un lien suffisant avec les prétentions originaires, le dépôt des marques « SOLAIRE BY VEUVE CLICQUOT » dans d’autres pays que la France étant totalement déconnecté du présent litige. Sur le fond, elle fait valoir que le seul dépôt d’une marque n’est pas fautif et qu’il n’existe en tout état de cause,

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aucun risque de confusion avec les champagnes commercialisés par la société FJF.

Dans sa note en délibéré du 17 juin 2022, elle soutient d’une part que l’article 70 du code de procédure civile ne répond pas à proprement parler à la définition générale de la fin de non-recevoir prévue à l’article 122 du même code dès lors que son examen nécessite un examen de l’affaire au fond et d’autre part, que lorsque la fin de non-recevoir s’apparente à une défense au fond, comme au cas d’espèce, il est d’une bonne administration de la justice de confier son examen à la formation de jugement statuant au fond.

Sur ce,

4.1-Sur la recevabilité de la fin de non- recevoir tirée de l’article 70 du code de procédure civile

En application des dispositions de l’article 789 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019, le juge de la mise en état est désormais exclusivement compétent pour « 6° statuer sur les fins de non-recevoir. (…) Les parties ne sont plus recevables à soulever ces fins de non- recevoir au cours de la même instance à moins qu’elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du juge de la mise en état (…) ».

Ces dispositions sont applicables aux instances introduites après le 1 janvier 2020 (article 55 -II du décret, rectifié par décret n° 2019-er 1419 du 20 décembre 2019- article 22-I-5°).

L’article 122 du code de procédure civile dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande sans examen au fond pour défaut de droit d’agir tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix ou la chose jugée. Et l’article 70 du même code, que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

En l’espèce, l’assignation ayant été délivrée le 2 avril 2021, les dispositions de l’article 789 dans sa rédaction issue du décret n° 2019- 1333 du 11 décembre 2019 sont applicables.

Contrairement à ce que soutient la société MHCS, constitue une fin de non-recevoir le moyen tiré de l’irrecevabilité de la demande reconventionnelle au visa de l’article 70 du code de procédure civile or, à supposer même que l’examen de cette demande ait nécessité que soit préalablement tranchée une question de fond, il appartenait au seul juge de la mise en état, selon les dispositions de l’article 789 précité, de renvoyer « l’affaire devant la formation de jugement, le cas échéant sans clore l’instruction, pour qu’elle statue sur cette question de fond et sur cette fin de non-recevoir ». En tout état de cause, cet article dispose expressément que les parties ne sont plus recevables à soulever une fin de non-recevoir devant le juge du fond qui se serait révélée antérieurement à son dessaisissement.

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Dans ces conditions, le moyen tendant à voir déclarer la société FJF irrecevable en sa demande reconventionnelle doit être déclaré irrecevable.

4.2- Sur le bien-fondé de la demande reconventionnelle en concurrence déloyale

La concurrence déloyale, fondée sur le principe général de responsabilité édicté par l’article 1240 du code civil, consiste dans des agissements s’écartant des règles générales de probité applicables dans la vie des affaires tels que ceux créant un risque de confusion avec les produits ou services offerts par un autre opérateur. Ils supposent la caractérisation d’une faute génératrice d’un préjudice, dont l’appréciation doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété de la prestation copiée.

En l’espèce, force est de constater que la société FJF échoue à démontrer qu’il existe un risque de confusion avéré auprès du public pertinent du fait du dépôt par la société MHCS à l’étranger de sa marque « SOLAIRE BY VEUVE CLICQUOT » avec sa cuvée de Champagne « Blanc de Blancs », commercialisée sous la marque SOLAIRE en France. Il n’est en effet pas contesté que la marque querellée de la société MHCS n’a à ce jour fait l’objet que d’un simple dépôt et qu’elle n’est exploitée ni sur le territoire national ni même à l’étranger.

Il s’ensuit que la demande indemnitaire présentée sur ce fondement ne peut qu’être rejetée.

5- Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

La société FJF soutient que lors de ses échanges précontentieux avec la société MHCS, cette dernière avait seulement exigé que l’habillage de la bouteille litigieuse s’éloigne de celui de la bouteille de champagne Blanc de Blancs de Ruinart avant de finalement s’opposer au cumul de la reprise de la forme de la bouteille avec ses autres éléments sachant pertinemment que l’AOC Champagne interdit un transfert du vin dans une autre bouteille. Elle ajoute que, nonobstant le changement d’étiquettes, la société MHCS a maintenu ses demandes et les a étendues à ce nouveau packaging pour ensuite amplifier artificiellement l’enjeu du litige et solliciter des mesures totalement disproportionnées. Elle fait enfin valoir que dans son arrêt du 13 octobre 2015, la cour d’appel de Paris avait déjà jugé, qu’on ne saurait accorder à la société MHCS « une exclusivité sur toute forme de bouteille bombée, ce qui n’est pas envisageable, étant relevé par ailleurs que la forme ovale est banale s’agissant d’une étiquette », ce qui ne fait que confirmer que la présente action a été abusivement introduite.

La demanderesse réplique que dès son premier courrier en 2019, le grief tenant à la forme de la bouteille était déjà exposé et que malgré ses engagements initiaux, la société FJF a commercialisé son champagne dans une bouteille qui reprend la quasi-totalité des codes de la bouteille Blanc de Blancs Ruinart et qui ne diverge en rien de son habillage malgré une légère modification intervenue en cours de procédure, laquelle n’a d’ailleurs pas empêché la société FJF de poursuivre la

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commercialisation de son stock. Elle soutient enfin que l’arrêt du 13 octobre 2015 ne concerne pas la bouteille Blanc de Blancs Ruinart.

Sur ce,

L’action en justice, même dénuée de fondement, ne dégénère en abus susceptible d’ouvrir droit à une créance de dommages et intérêts qu’en cas de faute du plaideur, de preuve d’un préjudice pour celui qui l’invoque et de l’existence d’un lien de causalité. Le simple fait d’être poursuivi en justice, même vainement, est insuffisant en soi à caractériser un préjudice.

En l’espèce, il sera en premier lieu relevé que contrairement à ce que soutient la société FJF, le courrier que lui a initialement fait adresser la société MHCS suite à la publication de la bouteille SOLAIRE sur le compte Facebook d’un de ses associés indiquait de façon explicite que celle-ci reprenait les caractéristiques de sa marque tridimensionnelle et qu’elle craignait un risque de confusion avec ses produits (pièce DEM n°4). Dans la réponse que la société FJF lui a fait adresser, cette dernière conteste d’ailleurs les actes de reproduction reprochés (pièce DEM n°4.2). Ensuite, le seul fait que la société demanderesse considère que le changement d’étiquette n’a pas mis fin aux atteintes alléguées à sa marque ne peut suffire à caractériser une faute et de même, dans la mesure où les chiffres des ventes et du stock litigieux ne sont pas erronés mais seulement sans comparaison avec le chiffre d’affaires généré par la commercialisation du Blanc de Blancs Ruinart, il ne peut être reproché à la société MHCS de s’être montrée déloyale dans la présentation du litige. Par ailleurs, les mesures indemnitaires et réparatrices sollicitées sont expressément prévues par le code de la propriété intellectuelle et sont nécessairement laissées à l’appréciation du tribunal. Enfin, l’arrêt du 13 octobre 2015 apparaît sans lien avec le présent litige dès lors qu’il portait sur la contrefaçon des marques françaises n°98762354 et n°3466976, et de l’Union européenne n°1323815 représentant des rubans croisés destinés à orner le col de bouteilles de champagne et que les demandes formées par ailleurs sur la concurrence déloyale portaient sur la bouteille MOËT & CHANDON et non sur celle du Blanc de Blancs Ruinart.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, aucune faute n’étant établie, la demande reconventionnelle de dommages et intérêts sera rejetée.

6- Demandes relatives aux frais du litige et aux conditions d’exécution de la décision

La demanderesse, qui succombe en toutes ses demandes, supportera la charge des dépens.

Elle doit en outre être condamnée à verser à la société FJF, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 15 000 euros.

L’exécution provisoire est de droit et il n’est pas justifié de l’écarter au cas d’espèce.

PAR CES MOTIFS

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Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT que la marque française tridimensionnelle n°18 4 493 472 est une marque renommée,

DÉBOUTE la société MHSC de ses demandes formées au titre de l’atteinte à la renommée et subsidiairement au titre de la contrefaçon par imitation de la marque française tridimensionnelle n°18 4 493 472 dont elle est titulaire,

DÉBOUTE la société MHSC de sa demande subsidiaire fondée sur le parasitisme,

DÉCLARE irrecevable la fin de non-recevoir tirée de l’irrecevabilité de la demande reconventionnelle en concurrence déloyale ;

DÉBOUTE la société FREREJEAN FRERES de sa demande fondée sur la concurrence déloyale,

DÉBOUTE la société FREREJEAN FRERES de sa demande fondée sur la procédure abusive,

CONDAMNE la société MHCS à payer à la société FREREJEAN FRERES la somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.

CONDAMNE la société MHCS aux dépens.

Fait et jugé à Paris le 08 Juillet 2022

Le Greffier Le Président

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Tribunal Judiciaire de Paris, 8 juillet 2022, n° 21/04905