CJUE, n° C-226/15, Conclusions de l'avocat général de la Cour, 13 avril 2016

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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Village Justice · 9 mars 2017

Par cette décision, la Cour de Justice rappelle l'étendue et les limites des pouvoirs et fonctions de l'Office de l'Union Européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) et des tribunaux nationaux saisis en tant que tribunaux des marques de l'UE. Cour de Justice de l'Union Européenne (CJUE), 21 juillet 2016, C-226/15, Apple and Pear Australia Ltd/ Star Fruits Diffusion Rappel des faits et procédure En 2009, la société belge Carolus C dépose en tant que marque de l'Union Européenne le signe verbal « English Pink » auprès de l'EUIPO. En 2010, les sociétés Apple and Pear Australia …

 
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Sur les parties

Texte intégral

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 13 avril 2016 ( 1 )

Affaire C-226/15 P

Apple and Pear Australia Ltd et

Star Fruits Diffusion

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO)

«Pourvoi — Marque de l’Union européenne — Opposition à l’enregistrement — Décision de la chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) — Action en contrefaçon fondée sur une marque de l’Union européenne antérieure devant un tribunal des marques de l’Union européenne — Rapport entre procédures judiciaires — Autorité de la chose jugée — Coopération loyale»

I – Introduction

1.

Apple and Pear Australia Ltd (APAL) et Star Fruits Diffusion sont cotitulaires de trois marques de l’Union européenne couvrant des pommes PINK LADY. Les requérantes ont engagé deux procédures afin d’empêcher Carolus C. BVBA (ci-après « Carolus ») d’utiliser le signe verbal English pink. Dans un premier temps, elles se sont opposées à la demande d’enregistrement du signe verbal English pink en tant que marque de l’Union européenne que Carolus avait présentée à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO). Dans un second temps, elles ont engagé contre Carolus une action en contrefaçon de leur marque de l’Union européenne verbale PINK LADY devant un tribunal des marques de l’Union européenne. Ces deux procédures ont débouché sur deux décisions qui diffèrent sur le point du risque de confusion entre la marque de l’Union européenne verbale antérieure PINK LADY et le signe verbal English pink.

2.

Le présent pourvoi soulève, notamment, une question de principe importante : dans quelle mesure l’EUIPO saisi d’une procédure d’opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne est-il lié par un jugement définitif rendu par un tribunal des marques de l’Union européenne clôturant une action en contrefaçon d’une marque de l’Union européenne enregistrée antérieure ?

II – Le cadre juridique

3.

Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, du traité sur l’Union européenne, « [e]n vertu du principe de coopération loyale, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités ».

4.

Les considérants 16 et 17 du règlement (CE) no 207/2009 ( 2 ) sont rédigés dans les termes suivants :

«(16)

Il est indispensable que les décisions sur la validité et la contrefaçon des marques de l’Union européenne produisent effet et s’étendent à l’ensemble de l’Union, seul moyen d’éviter des décisions contradictoires des tribunaux et de l’Office, et des atteintes au caractère unitaire des marques de l’Union européenne. Ce sont les dispositions du règlement (CE) no 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale [JO 2001, L 12, p. 1] qui devraient s’appliquer à toutes les actions en justice relatives aux marques de l’Union européenne, sauf si le présent règlement y déroge.

(17)

Il convient d’éviter que des jugements contradictoires soient rendus à la suite d’actions dans lesquelles sont impliquées les mêmes parties et qui sont formées pour les mêmes faits sur la base d’une marque de l’Union européenne et de marques nationales parallèles. À cet effet, lorsque les actions sont formées dans le même État membre, les moyens pour atteindre cet objectif sont à rechercher dans les règles de procédure nationales, auxquelles le présent règlement ne porte pas atteinte, alors que, lorsque les actions sont formées dans des États membres différents, des dispositions inspirées des règles en matière de litispendance et de connexité du règlement (CE) no 44/2001 apparaissent appropriées. »

5.

Conformément à l’article 56, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 « [u]ne demande en déchéance ou en nullité est irrecevable lorsqu’une demande ayant le même objet et la même cause a été tranchée entre les mêmes parties soit par l’Office soit par un tribunal des marques de l’Union européenne visé à l’article 95 et que la décision de l’Office ou de ce tribunal concernant cette demande est passée en force de chose jugée ».

6.

Aux termes de l’article 94, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, « [à] moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les règles de l’Union européenne en matière de compétence, de reconnaissance et d’exécution des décisions en matière civile et commerciale sont applicables aux procédures concernant les marques de l’Union européenne et les demandes de marque de l’Union européenne ainsi qu’aux procédures concernant les actions simultanées ou successives menées sur la base de marques de l’Union européenne et de marques nationales ».

7.

L’article 96 du règlement no 207/2009 énonce les dispositions que voici :

« Les tribunaux des marques de l’Union européenne ont compétence exclusive :

a)

pour toutes les actions en contrefaçon et – si la loi nationale les admet – en menace de contrefaçon d’une marque de l’Union européenne ;

[…]

d)

pour les demandes reconventionnelles en déchéance ou en nullité de la marque de l’Union européenne visées à l’article 100. »

8.

L’article 100 du règlement no 207/2009 est rédigé comme suit :

« […]

2. Un tribunal des marques de l’Union européenne rejette une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité, si une décision rendue par l’Office entre les mêmes parties sur une demande ayant le même objet et la même cause est déjà devenue définitive.

[…]

7. Le tribunal des marques de l’Union européenne saisi d’une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité peut surseoir à statuer à la demande du titulaire de la marque de l’Union européenne et après audition des autres parties et inviter le défendeur à présenter une demande en déchéance ou en nullité à l’Office dans un délai qu’il lui impartit. Si cette demande n’est pas présentée dans ce délai, la procédure est poursuivie ; la demande reconventionnelle est considérée comme retirée. L’article 104, paragraphe 3, est applicable. »

9.

L’article 104 du règlement no 207/2009 contient les dispositions suivantes :

« 1. Sauf s’il existe des raisons particulières de poursuivre la procédure, un tribunal des marques de l’Union européenne saisi d’une action visée à l’article 96, à l’exception d’une action en constatation de non-contrefaçon, sursoit à statuer, de sa propre initiative après audition des parties ou à la demande de l’une des parties et après audition des autres parties, lorsque la validité de la marque de l’Union européenne est déjà contestée devant un autre tribunal des marques de l’Union européenne par une demande reconventionnelle ou qu’une demande en déchéance ou en nullité a déjà été introduite auprès de l’Office.

2. Sauf s’il existe des raisons particulières de poursuivre la procédure, l’Office saisi d’une demande en déchéance ou en nullité sursoit à statuer, de sa propre initiative après audition des parties ou à la demande de l’une des parties et après audition des autres parties, lorsque la validité de la marque de l’Union européenne est déjà contestée devant un tribunal des marques de l’Union européenne par une demande reconventionnelle. Toutefois, si l’une des parties à la procédure devant le tribunal des marques de l’Union européenne le demande, le tribunal peut, après audition des autres parties à cette procédure, suspendre la procédure. Dans ce cas, l’Office poursuit la procédure pendante devant lui.

[…] »

10.

L’article 109 du règlement no 207/2009 dispose ce qui suit :

« 1. Lorsque des actions en contrefaçon sont formées pour les mêmes faits entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents saisies l’une sur la base d’une marque de l’Union européenne et l’autre sur la base d’une marque nationale :

a)

la juridiction saisie en second lieu doit, même d’office, se dessaisir en faveur de la juridiction première saisie lorsque les marques en cause sont identiques et valables pour des produits ou services identiques. La juridiction qui devrait se dessaisir peut surseoir à statuer si la compétence de l’autre juridiction est contestée ;

b)

la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer lorsque les marques en cause sont identiques et valables pour des produits ou services similaires ainsi que lorsque les marques en cause sont similaires et valables pour des produits ou services identiques ou similaires.

2. La juridiction saisie d’une action en contrefaçon sur la base d’une marque de l’Union européenne rejette l’action si, sur les mêmes faits, un jugement définitif a été rendu sur le fond entre les mêmes parties sur la base d’une marque nationale identique, valable pour des produits ou services identiques.

3. La juridiction saisie d’une action en contrefaçon sur la base d’une marque nationale rejette l’action si, sur les mêmes faits, un jugement définitif a été rendu sur le fond entre les mêmes parties sur la base d’une marque de l’Union européenne identique, valable pour des produits ou services identiques. »

III – Les faits et la procédure

11.

Les requérantes sont les cotitulaires de trois marques de l’Union européenne pour les pommes PINK LADY. L’une d’entre elles est un signe verbal et les deux autres sont des signes figuratifs. Carolus est une entreprise belge qui souhaite obtenir l’enregistrement du signe verbal English pink en tant que marque de l’Union européenne pour sa propre variété de pommes. Depuis l’année 2009, la marque ENGLISH PINK possédait le statut de marque Benelux, dont le titulaire était Carolus.

12.

Le 13 octobre 2009, Carolus a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement du signe verbal English pink en tant que marque de l’Union européenne. Informées de cette demande, les requérantes ont alors engagé deux types de procédures différents contre Carolus afin de protéger leurs marques de l’Union européenne existantes.

13.

Premièrement, les requérantes ont, le 20 avril 2010, formé opposition à l’enregistrement de la marque de l’Union européenne English pink devant l’EUIPO sur la base de l’article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, du règlement no 207/2009.

14.

Deuxièmement, les requérantes ont, le 8 juin 2010, engagé une action en contrefaçon contre Carolus devant le tribunal de commerce de Bruxelles (Belgique) en sa qualité de tribunal des marques de l’Union européenne. Elles ont fait valoir que l’utilisation du signe verbal English pink était illégale parce qu’il crée un risque de confusion avec la marque de l’Union européenne verbale antérieure PINK LADY. Elles ont donc demandé l’annulation de la marque Benelux ENGLISH PINK, propriété de Carolus.

15.

Ces deux procédures ont finalement débouché sur une décision de l’EUIPO et sur une autre du tribunal de commerce de Bruxelles. Ces décisions diffèrent sur le point du risque de confusion entre la marque de l’Union européenne verbale PINK LADY et le signe verbal English pink.

16.

Le 27 mai 2011, en effet, la division d’opposition de l’EUIPO a rejeté l’opposition formée par les requérantes au motif qu’il n’existait aucun risque de confusion entre le signe verbal English pink et la marque de l’Union européenne verbale PINK LADY.

17.

Pour sa part, le tribunal de commerce de Bruxelles a jugé, le 28 juin 2012, que l’utilisation du signe verbal English pink crée un risque de confusion avec la marque de l’Union européenne verbale antérieure PINK LADY. Il a donc annulé la marque Benelux ENGLISH PINK, ordonné à Carolus de cesser immédiatement d’utiliser le signe English pink dans l’Union européenne et accordé des dommages et intérêts aux requérantes, condamnant Carolus à leur verser la somme forfaitaire de 5000 euros.

18.

Au cours de l’été 2012, les requérantes ont adressé plusieurs lettres à l’EUIPO pour l’informer de la décision rendue par le tribunal de commerce de Bruxelles.

19.

Le 29 mai 2013, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO, que les requérantes avait saisie d’un appel dirigé contre la décision de la division opposition, a rejeté leurs prétentions sans même évoquer le jugement du tribunal de commerce de Bruxelles (ci-après la « décision litigieuse »).

20.

Les requérantes ont alors saisi le Tribunal d’un recours en annulation dirigé contre la décision litigieuse. Elles ont demandé, à titre principal, que le Tribunal modifie la décision litigieuse de manière à faire droit à leur opposition à l’enregistrement du signe English pink en tant que marque de l’Union européenne. À titre subsidiaire, elles lui ont demandé d’annuler la décision litigieuse.

IV – L’arrêt du Tribunal et la procédure devant la Cour

21.

Par arrêt du 25 mars 2015 ( 3 ), le Tribunal a annulé la décision litigieuse et rejeté le recours pour le surplus.

22.

Le Tribunal a notamment dit pour droit que le jugement du tribunal de commerce de Bruxelles ne pouvait pas être considéré comme étant revêtu de l’autorité de la chose jugée par rapport à la décision ultérieure de la chambre de recours de l’EUIPO. Il a estimé que l’objet et la cause du recours engagé devant l’EUIPO n’étaient pas les mêmes que ceux de l’action engagée devant le tribunal de commerce de Bruxelles et que la chambre de recours n’était donc pas liée par le jugement rendu par celui-ci.

23.

Le Tribunal a néanmoins annulé la décision litigieuse parce que cette dernière n’avait pas tenu compte du jugement du tribunal de commerce de Bruxelles et n’avait pas évalué l’effet que ce jugement pouvait avoir sur l’issue de la procédure d’opposition. Dans le même temps, le Tribunal a refusé de modifier la décision litigieuse. Il a déclaré qu’il n’était pas en mesure de déterminer quelle décision la chambre de recours devait adopter sur la base des éléments de fait et de droit avérés et qu’il ne pouvait donc pas substituer son appréciation à celle de la chambre de recours de l’EUIPO.

24.

Les requérantes fondent leur pourvoi contre l’arrêt attaqué sur trois moyens.

25.

Le premier moyen contient sept griefs. Il peut être résumé de la manière suivante : les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur en droit en décidant que le jugement définitif du tribunal de commerce de Bruxelles ne suffisait pas en soi pour déterminer la décision que la chambre de recours aurait dû prendre. Bien que le règlement no 207/2009 ne contienne aucune disposition explicite à cet effet, elles considèrent qu’en sa qualité de décision de justice, le jugement du tribunal des marques de l’Union européenne liait l’EUIPO. Elles soutiennent en outre que les deux procédures légales qu’elles avaient engagées, à savoir l’opposition formée devant l’EUIPO et l’action en contrefaçon introduite devant le tribunal de commerce de Bruxelles, étaient identiques puisqu’elles portaient sur la même cause, avaient le même objet et opposaient les mêmes parties. Les requérantes soutiennent que le Tribunal devait apprécier la légalité de la décision de l’EUIPO non pas uniquement à la lumière du règlement no 207/2009, mais, avant toute chose et surtout, au regard des principes généraux du droit de l’Union, tels que le principe de l’autorité de la chose jugée.

26.

Comme deuxième moyen, les requérantes affirment qu’en concluant que l’EUIPO n’était pas lié par le jugement définitif d’un tribunal des marques de l’Union européenne, le Tribunal a porté atteinte à leur confiance légitime et que cette conclusion comporte une violation des principes généraux de sécurité juridique et de bonne administration.

27.

Dans leur troisième moyen, les requérantes soutiennent qu’en refusant de modifier la décision litigieuse, le Tribunal a enfreint l’article 65, paragraphe 3, du règlement no 207/2009.

V – Appréciation

28.

Bien que présentés comme des moyens distincts, le premier et le deuxième moyen sont étroitement liés. Ils contestent l’un comme l’autre, sous des angles différents, la conclusion du Tribunal selon laquelle le jugement du tribunal de commerce de Bruxelles n’était pas revêtu de l’autorité de la chose jugée et qu’il ne liait donc pas la chambre de recours de l’EUIPO. C’est la raison pour laquelle je vais analyser le premier et le deuxième moyen conjointement (sous A) avant de me pencher sur le troisième (sous B).

A – Sur les premier et deuxième moyens

29.

L’autorité de la chose jugée est un principe organisateur nécessaire à tout ordre juridique cohérent. Une juridiction (et, dans certaines circonstances, une autorité administrative également) doit décliner sa compétence lorsqu’elle est saisie d’un litige sur lequel il a déjà été statué définitivement. Pour qu’un tel obstacle de procédure se présente, il faut cependant que le premier et le second litige soient identiques. Il doit y avoir une identité de procédure dans les deux affaires. Dans celle qui nous occupe aujourd’hui, le principe de l’autorité de la chose jugée ne peut s’appliquer que s’il y avait identité de procédure entre l’action en contrefaçon engagée devant le tribunal de commerce de Bruxelles et l’opposition formée contre l’enregistrement devant l’EUIPO.

30.

La question essentielle qui se pose en l’espèce est donc la définition de l’« identité de procédure » conformément au règlement no 207/2009.

1. Identité de procédure et autorité de la chose jugée

31.

Le règlement no 207/2009 a pour objet d’empêcher que des tribunaux des marques de l’Union européenne, des autorités nationales ou l’EUIPO rendent des décisions contradictoires et qu’il soit ainsi porté atteinte au caractère unitaire des marques de l’Union européenne ( 4 ). Cet objectif trouve son expression dans un certain nombre de règles de procédure spécifiques du règlement qui ont pour objet d’éviter des décisions potentiellement incompatibles.

32.

Le principe de l’autorité de la chose jugée apparaît à l’article 56, paragraphe 3, et à l’article 100, paragraphe 2, du règlement no 207/2009. Ces dispositions énoncent les critères de l’identité de procédure et les conséquences qui s’attachent à pareille constatation.

33.

L’article 56, paragraphe 3, du règlement no 207/2009 dispose qu’une demande en déchéance ou en nullité est irrecevable lorsqu’une demande ayant le même objet et la même cause a été tranchée entre les mêmes parties soit par l’EUIPO soit par un tribunal des marques de l’Union européenne visée à l’article 95 et que la décision de l’EUIPO ou de ce tribunal concernant cette demande est passée en force de chose jugée.

34.

Pareillement, l’article 100 du règlement no 207/2009, vise à éviter que tant l’EUIPO qu’un tribunal des marques de l’Union européenne soient invités à se prononcer sur la validité de la même marque de l’Union européenne. L’article 100, paragraphe 2, en particulier, exige qu’un tribunal des marques de l’Union européenne rejette une demande reconventionnelle en déchéance ou en nullité si une décision rendue par l’EUIPO entre les mêmes parties sur une demande ayant le même objet et la même cause est déjà devenue définitive.

35.

Il est manifeste qu’aucune de ces deux dispositions ne s’applique en l’espèce. Elles fournissent néanmoins une définition utile de ce qu’il y a lieu d’entendre par « identité de procédure » au sens du règlement no 207/2009. Une identité qui engendre l’autorité de la chose jugée se compose de trois éléments : le même objet, la même cause et les mêmes parties ( 5 ).

36.

Cette conception de l’identité de procédure ne se limite pas au règlement no 207/2009. Elle se trouve également dans d’autres domaines du droit de l’Union, comme dans le règlement (CE) no 6/2002 ( 6 ) ou, ce qui est plus important, dans le règlement no 44/2001 ( 7 ).

37.

En ce qui concerne les conséquences de l’identité de procédure dans le régime du règlement no 207/2009, l’effet de l’autorité de la chose jugée s’attache à la première décision définitive rendue soit sous la forme d’un jugement prononcé par une juridiction de l’ordre judiciaire, soit sous la forme d’une décision administrative prise par l’EUIPO. Par conséquent, les recours ultérieurs impliquant les mêmes parties, portant sur le même objet et ayant la même cause, doivent soit être déclarés irrecevables, soit être rejetés.

38.

Il convient néanmoins d’ajouter que le règlement no 207/2009 ne vise pas seulement des situations dans lesquelles les trois éléments d’identité sont réunis (le même objet, la même cause et les mêmes parties) et dans lesquelles il y a donc autorité de la chose jugée. Le règlement contient également plusieurs autres dispositions qui visent à éviter que des décisions antagonistes soient adoptées dans le système de la marque de l’Union européenne même lorsqu’à strictement parler, les trois éléments de l’identité de procédure ne sont pas réunis.

39.

Premièrement, l’article 104 du règlement no 207/2009, intitulé « Règles spécifiques en matière de connexité », oblige les tribunaux des marques de l’Union européenne et l’EUIPO, en l’absence de raison particulière de poursuivre la procédure, à surseoir à statuer lorsque la validité de la marque de l’Union européenne est déjà contestée devant un autre tribunal des marques de l’Union européenne par une demande reconventionnelle ou qu’une demande en déchéance ou en nullité a déjà été introduite auprès de l’EUIPO.

40.

Il semble résulter à la fois du titre et de la teneur de l’article 104 du règlement no 207/2009 que cette disposition vise des situations dans lesquelles il n’y a pas identité de procédure au sens que nous avons esquissé plus haut. Il concerne explicitement des « actions connexes » et non pas des actions identiques. Cette formulation indique que les actions en question sont différentes bien que la validité d’une marque de l’Union européenne soit en litige dans les deux types de procédures.

41.

Deuxièmement, l’article 109 du règlement no 207/2009, qui a trait à des actions connexes sous la forme d’actions civiles simultanées et successives engagées sur la base de marques de l’Union européenne et de marques nationales, dispose que, lorsque des actions en contrefaçon sont formées pour les mêmes faits entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents saisies l’une sur la base d’une marque de l’Union européenne et l’autre sur la base d’une marque nationale, la juridiction saisie en second lieu doit se dessaisir ou surseoir à statuer en fonction de la situation. Il ajoute que, si un jugement définitif a été rendu sur le fond dans un litige opposant les mêmes parties et ayant la même cause, la juridiction saisie d’une action en contrefaçon sur la base d’une marque nationale ou d’une marque de l’Union européenne doit rejeter cette action.

42.

L’article 109 s’oppose donc à ce qu’une partie mécontente engage une seconde action contre la même partie adverse, même si l’objet de celle-ci n’est pas le même puisque, formellement, la nouvelle action est fondée sur la marque de l’Union européenne et non sur la marque nationale, ou inversement.

43.

Les deux articles que je viens de citer suggèrent qu’au-delà d’une identité (complète) de procédures portant sur le même objet, ayant la même cause et opposant les mêmes parties, le règlement no 207/2009 couvre également des situations dans lesquelles des litiges parallèles ou successifs portant sur des marques de l’Union européenne se recoupent largement sur le fond. Le règlement reconnaît donc l’interconnexion des effets légaux de marques de l’Union européenne, d’une part, et de marques nationales, d’autre part.

44.

Ces principes ne sont pas l’apanage du règlement no 207/2009, mais s’appliquent également dans d’autres domaines du droit de l’Union. On trouve ainsi des mécanismes de sursis à statuer ou même de déclinatoire de compétence dans le règlement no 44/2001, auquel se réfèrent explicitement les considérants 16 et 17 ainsi que l’article 94 du règlement no 207/2009. C’est probablement ce règlement no 44/2011 qui présente le plus d’analogies avec le règlement no 207/2009 en ce qui concerne l’autorité de la chose jugée et les procédures connexes.

45.

L’article 27 du règlement no 44/2001 énonce les dispositions suivantes :

« 1. Lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit d’office à statuer jusqu’à ce que la compétence du tribunal premier saisi soit établie.

2. Lorsque la compétence du tribunal premier saisi est établie, le tribunal saisi en second lieu se dessaisit en faveur de celui-ci. »

46.

L’article 28 du règlement no 44/2001 dispose ce qui suit :

« 1. Lorsque des demandes connexes sont pendantes devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

[…]

3. Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément.

[…]» ( 8 ).

47.

Les articles 27 et 28 du règlement no 44/2001 établissent une répartition claire des compétences entre les juridictions. Premièrement, lorsqu’il y a identité des procédures, toute juridiction autre que la juridiction saisie en premier lieu doit décliner sa compétence en faveur de celle-ci. Deuxièmement, dans d’autres types d’actions qui sont non pas identiques, mais connexes, les juridictions saisies ultérieurement conservent le pouvoir discrétionnaire de décider si elles sursoient à statuer pendant toute la durée de la procédure devant la juridiction saisie en premier lieu.

48.

En résumé, deux situations distinctes peuvent se présenter dans le domaine du règlement no 207/2009 en fonction du degré d’interconnexion des procédures. Premièrement, il s’agit des situations décrites à l’article 56, paragraphe 3, et à l’article 100 de ce règlement (qui sont analogues à celles visées à l’article 27 du règlement no 44/2001). Elles concernent des affaires dans lesquelles il y a identité de procédure, c’est-à-dire des affaires dans lesquelles les trois éléments d’identité sont réunis, à savoir qu’elles portent sur le même objet, ont la même cause et opposent les mêmes parties. Si ces trois éléments sont réunis, il y a autorité de la chose jugée, ce qui a pour conséquence que toute institution judiciaire ou administrative, telle que l’EUIPO, autre que l’institution saisie en premier lieu est tenue de décliner sa compétence ou de surseoir à statuer.

49.

Deuxièmement, même en l’absence d’une parfaite identité de procédure, l’on peut se trouver en présence de la catégorie plus vague des actions liées ou connexes, telles que celles qui se présentent dans les situations décrites à l’article 104, à l’article 109, paragraphe 1, sous b), et à l’article 109, paragraphes 2 et 3, du règlement no 207/2009 (qui, elles aussi, sont analogues à celles qui sont visées à l’article 28 du règlement no 44/2001). Dans les situations relevant de cette catégorie plus souple, l’autorité saisie a le pouvoir discrétionnaire de surseoir à statuer en attendant la décision de l’autorité saisie en premier lieu.

2. Identité des procédures en cause en l’espèce

50.

Je vais à présent examiner l’affaire qui nous occupe à la lumière de l’exposé qui précède.

51.

La présente affaire concerne une situation procédurale spécifique, qui n’est couverte par aucune disposition du règlement no 207/2009, à savoir l’interaction entre, d’une part, une procédure en contrefaçon engagée devant un tribunal des marques de l’Union européenne à propos d’une marque de l’Union européenne antérieure et d’une marque nationale et, d’autre part, une procédure d’opposition introduite devant l’EUIPO fondée sur la même marque de l’Union européenne antérieure et le même signe que la marque nationale dont l’enregistrement est demandé au niveau de l’Union.

52.

Même en l’absence de toute disposition spécifique traitant de cette situation dans le règlement no 207/2009 lui-même, il n’y a autorité de la chose jugée que s’il y a une identité de procédure entre l’action en contrefaçon et la procédure d’opposition.

53.

Tel n’est cependant pas le cas en l’espèce. Selon moi, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu que les deux types d’action n’étaient pas identiques et qu’en conséquence, l’EUIPO n’était pas lié par le jugement du tribunal de commerce de Bruxelles.

54.

Au point 65 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a dit pour droit que les objets respectifs des affaires examinées par le tribunal de commerce de Bruxelles et par l’EUIPO, à savoir les prétentions des parties, ne sont pas identiques puisque l’action en contrefaçon engagée devant la juridiction belge avait pour objet l’annulation de la marque Benelux ENGLISH PINK et l’interdiction de faire usage de cette marque sur le territoire de l’Union, tandis que la procédure devant l’EUIPO avait pour objet l’opposition à l’enregistrement de la marque de l’Union européenne English pink.

55.

Au point 66 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a ajouté que les causes de ces deux affaires, à savoir les fondements des prétentions, sont également différentes. D’une part, dans la procédure devant le tribunal de commerce de Bruxelles, les requérantes demandaient au juge de prononcer une injonction visant à empêcher la contrefaçon des marques de l’Union européenne et fondaient cette prétention sur l’article 9, paragraphe 1, sous b) et c), du règlement no 207/2009. Elles souhaitaient également qu’il déclare nulle la marque Benelux ENGLISH PINK sur le fondement de l’article 2.3 et l’article 2.28, paragraphe 3, sous b), de la convention Benelux en matière de propriété intellectuelle (marques, dessins ou modèles), signée à La Haye le 25 février 2005. Le juge a considéré qu’il y avait un acte de contrefaçon des marques de l’Union européenne précitées. Il a ainsi prononcé l’annulation de la marque Benelux ENGLISH PINK et a interdit d’utiliser ce signe sur l’ensemble du territoire de l’Union. D’autre part, dans le cadre de la procédure devant l’EUIPO, les requérantes se sont opposées à l’enregistrement d’une nouvelle marque de l’Union européenne et se sont fondées, à ce titre, sur d’autres dispositions du règlement no 207/2009, à savoir son article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5.

56.

C’est donc à bon escient que le Tribunal a dit pour droit qu’il n’y avait pas d’identité d’objet ni d’identité de cause dans ces deux procédures.

57.

Premièrement, en ce qui concerne l’objet ( 9 ), les actions en contrefaçon et les procédures d’opposition poursuivent des objectifs plutôt différents. D’une part, les actions en contrefaçon peuvent être engagées devant des tribunaux des marques de l’Union européenne par le titulaire d’une marque de l’Union européenne antérieure et dirigées contre l’utilisateur d’un signe qui crée un risque de confusion avec la marque de l’Union européenne dans le but d’obtenir de cette juridiction qu’elle interdise cette utilisation préjudiciable sur tout le territoire de l’Union. D’autre part, les procédures d’opposition s’inscrivent dans le cadre de la procédure d’enregistrement d’un signe comme marque de l’Union européenne auprès de l’EUIPO. Ces procédures visent à empêcher cet enregistrement, qui est un acte administratif. Ainsi, bien que les deux types d’action aient incontestablement plusieurs traits en commun, ils ne sont pas identiques ( 10 ).

58.

Cette absence d’identité apparaît dans la présente affaire également si l’on s’arrête aux prétentions des parties : l’objectif spécifique que poursuivaient les requérantes lorsqu’elles ont saisi le tribunal de commerce de Bruxelles était l’annulation de deux marques Benelux, alors que l’opposition formée devant l’EUIPO visait à empêcher l’enregistrement d’une nouvelle marque de l’Union européenne.

59.

Deuxièmement, en ce qui concerne la cause, les tribunaux des marques de l’Union européenne et l’EUIPO appliquent des règles différentes. Dans la présente affaire, le tribunal de commerce de Bruxelles a appliqué le règlement no 207/2009, mais également la loi nationale et la loi uniforme Benelux sur les marques lorsqu’il a annulé la marque Benelux ENGLISH PINK, tandis que l’EUIPO n’a appliqué que le seul règlement no 207/2009 ( 11 ).

60.

De surcroît, l’EUIPO et le tribunal de commerce de Bruxelles n’ont pas appliqué les mêmes dispositions du règlement no 207/2009 puisque le premier a appliqué l’article 98 et l’article 102, alors que l’EUIPO a appliqué l’article 8, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 5, ainsi que l’article 41 et l’article 42.

61.

Enfin, si le risque de confusion doit être apprécié tant dans la procédure d’opposition que dans l’action en contrefaçon, la Cour n’en a pas moins dit pour droit que cette appréciation diffère en fonction du type de procédure. Cette appréciation doit forcément être rétrospective et plus concrète dans les actions visant à faire interdire l’utilisation d’un signe, où elle doit « se limiter aux circonstances qui caractérisent cet usage, sans qu’il y ait lieu de rechercher si un autre usage du même signe intervenant dans d’autres circonstances serait également susceptible de créer un risque de confusion» ( 12 ). Inversement, l’évaluation est obligatoirement prospective et plus générale dans les procédures d’opposition. Comme l’a dit la Cour, « dès lors que [les modalités particulières de commercialisation des produits en cause] peuvent varier dans le temps et suivant la volonté des titulaires des marques en conflit, elles ne sont pas appropriées aux fins de l’analyse prospective du risque de confusion entre les […] marques» ( 13 ).

62.

En l’absence d’identité des causes et des objets des deux procédures, l’autorité de la chose jugée ne peut pas s’appliquer en l’espèce.

63.

Je considère, en conséquence, que le Tribunal n’a commis aucune erreur en droit lorsqu’il a déclaré que l’EUIPO n’était pas lié par le jugement du tribunal de commerce de Bruxelles.

3. Au-delà de l’identité formelle : coopération sincère et loyale à l’intérieur du système de la marque de l’Union européenne

64.

L’appréciation de l’identité des procédures, qui est le seul élément déclencheur du principe de l’autorité de la chose jugée, est, par définition, une appréciation formelle à spectre étroit. C’est logique : comme ce principe porte sur la clarté et la prévisibilité, son interprétation doit être prévisible et plutôt stricte, et doit se concentrer rigoureusement sur l’appréciation de la réunion de tous les trois éléments qui la composent. Or, comme l’analyse que j’ai menée plus haut l’a déjà démontré, la mission tant des autorités nationales que de l’Union qui opèrent à l’intérieur du système de la marque de l’Union européenne ne se borne pas à éviter des décisions formellement contradictoires. Ainsi qu’il résulte du considérant 17 du règlement et, au niveau du droit primaire, de l’article 4, paragraphe 3, TUE, les mêmes autorités sont tenues de veiller à empêcher que soient rendues des décisions qui, tout en n’étant pas identiques dans la forme, soient difficilement compatibles sur le fond.

65.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce point dans la présente affaire. Bien qu’il n’y ait pas d’identité formelle des procédures, on ne saurait fermer les yeux sur l’importante convergence de fond entre la décision litigieuse et le jugement du tribunal de commerce. Les procédures engagées devant les deux autorités qui ont statué en l’espèce remplissent certainement les critères qui font d’elles des actions connexes, ce que ces autorités savaient apparemment.

66.

Premièrement, comme le Tribunal l’a indiqué aux points 30 à 34 de son arrêt, la chambre de recours de l’EUIPO avait été dûment informée de la décision antérieure du tribunal de commerce de Bruxelles, mais elle n’en a pas tenu le moindre compte dans sa décision, enfreignant ainsi l’article 75 du règlement no 207/2009.

67.

Comment ne pas se rallier à cette conclusion ? Les chambres de recours de l’EUIPO doivent prendre en considération tous les nouveaux éléments de fait et de preuve qui sont portés à leur connaissance. Elles n’exercent pas un contrôle limité de la décision de première instance, mais, en raison de la continuité fonctionnelle entre la première et la seconde instance de l’EUIPO, elles sont appelées à connaître de recours de novo ( 14 ). Elles doivent fonder leurs décisions sur tous les éléments de fait et de droit invoqués par les parties en première instance ou en appel. En conséquence, la quatrième chambre de recours aurait dû tenir compte du jugement du tribunal de commerce de Bruxelles dans son raisonnement.

68.

Cette contrainte n’entame en rien l’autonomie de l’EUIPO. Le règlement no 207/2009 demeure l’étalon décisif lorsqu’il s’agit d’enregistrer une marque de l’Union européenne. Néanmoins, une décision d’un tribunal des marques de l’Union européenne statuant au fond sur la même question, c’est-à-dire sur le risque de confusion entre les deux mêmes signes, est un fait pertinent aux fins du règlement no 207/2009. Elle l’est d’autant plus que l’on peut imaginer qu’en raison de sa compétence, le même tribunal des marques de l’Union européenne soit appelé à évaluer le risque de confusion entre les signes verbaux English pink et Pink Lady une seconde fois étant donné que la Cour a récemment dit pour droit que le titulaire d’une marque de l’Union européenne antérieure pourrait également engager une action en contrefaçon contre le titulaire d’une marque de l’Union européenne enregistrée ultérieurement ( 15 ).

69.

Il convient d’ajouter avec insistance que l’obligation « de tenir compte» n’est pas la même chose qu’« être lié» par la teneur de la décision antérieure et ne signifie pas que la juridiction saisie en second lieu serait obligée de tirer la même conclusion au fond. La conclusion inconfortable, mais logique, de cette distinction est qu’en matière de risque de confusion entre deux signes dont l’un fait l’objet d’une demande d’enregistrement comme marque de l’Union européenne, l’EUIPO pourrait éventuellement adopter sur le fond une conclusion différente de celle qu’un tribunal des marques de l’Union européenne aurait adoptée à propos de la révocation d’une marque nationale antérieure.

70.

Cette conclusion est inconfortable parce qu’elle n’est certainement pas souhaitable. Elle est néanmoins possible dans le cadre de l’organisation procédurale actuelle. Il convient néanmoins de souligner que, s’il n’y a pas identité de procédure au moment de statuer au fond, pareille identité ne saurait pas non plus être requise au stade ultérieur de l’exécution. Concrètement, l’interdiction d’utiliser un signe en tant que marque nationale ne saurait faire obstacle à l’enregistrement et à l’utilisation du même signe en tant que marque de l’Union européenne.

71.

Deuxièmement, il convient de souligner que le jugement définitif du tribunal de commerce de Bruxelles n’est évidemment pas mis en cause dans le présent litige. Néanmoins, on pourrait ajouter, d’une manière générale, qu’un tribunal des marques de l’Union européenne qui se trouve dans une situation analogue à celle du tribunal de commerce de Bruxelles serait bien avisé de surseoir à statuer en attendant que l’EUIPO ait rendu sa décision sur la question. En l’absence de toute disposition spécifique sur ce point dans le règlement no 207/2009, une juridiction nationale agissant en qualité de tribunal des marques de l’Union européenne pourrait utiliser son pouvoir discrétionnaire et certainement surseoir à statuer en application des règles de procédure nationales en se référant par analogie à l’article 100, paragraphe 7, à l’article 104 et à l’article 109, paragraphe 1, du règlement no 207/2009. Elle pourrait même ordonner des mesures provisoires et conservatoires durant le sursis conformément à l’article 104, paragraphe 3, et à l’article 109, paragraphe 4, du règlement.

72.

En conclusion, la présente affaire n’est certainement pas un bon exemple de coopération sincère et loyale dans l’Union en général et dans le système de la marque de l’Union européenne en particulier, sauf à considérer que le principe du manque de considération réciproque doit se substituer au principe de coopération mutuelle. Néanmoins, même en l’absence d’une disposition de procédure spécifique dans le règlement no 207/2009 lui-même et en l’absence d’une identité de procédure qui obligerait à appliquer le principe général de l’autorité de la chose jugée aux deux procédures en question, je considère que, pris avec sérieux, le système actuel fournit une solution pour ce genre de situations : tant l’EUIPO que les tribunaux des marques de l’Union européenne ont l’obligation de tenir compte de procédures liées ou connexes, ou de décisions rendues par l’autre autorité et de le faire apparaître dans leurs actes et leurs éventuelles décisions au fond.

BSur le troisième moyen

73.

En ce qui concerne le troisième moyen du pourvoi tiré de la violation de l’article 65, paragraphe 3, du règlement no 207/2009, je considère que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit lorsqu’il a refusé de trancher l’affaire lui-même.

74.

Le pouvoir qu’a le Tribunal de réformer des décisions n’a pas pour effet de lui conférer celui de substituer sa propre appréciation à celle d’une chambre de recours ou d’analyser des éléments sur lesquels celle-ci n’a pas encore pris position ( 16 ). L’exercice du pouvoir de réformation doit donc, en principe, être limité à des situations dans lesquelles, après avoir étudié le raisonnement de la chambre de recours, le Tribunal est en mesure de déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit avérés, quelle décision la chambre de recours était tenue d’adopter.

75.

Dans la présente affaire, la chambre de recours de l’EUIPO n’a pas tenu compte du jugement du tribunal de commerce de Bruxelles en dépit des effets qu’il pouvait avoir. Le Tribunal ne saurait lui-même apprécier ce jugement.

76.

Enfin, si le Tribunal ne peut pas substituer sa propre appréciation à celle de l’EUIPO en pareilles circonstances, il en va de même a fortiori de la Cour. Dans la présente affaire, la Cour ne peut pas substituer sa propre appréciation à celle de la chambre de recours et statuer sur le fond de l’opposition en application de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne. En conséquence, l’affaire devrait être renvoyée devant la chambre de recours.

77.

Pour les raisons que je viens d’exposer, je propose à la Cour de rejeter le troisième moyen du pourvoi.

VI Sur les dépens

78.

Les requérantes ayant succombé en leur pourvoi, elles devraient supporter leurs propres dépens ainsi que ceux de l’EUIPO conformément à l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. On ne saurait toutefois occulter le fait que le présent litige a notamment vu le jour en raison de lacunes considérables que contient la décision litigieuse. Il me paraît donc équitable que chaque partie supporte ses propres dépens en application de l’article 138, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour.

VII Conclusion

79.

À la lumière de l’exposé qui précède, je propose à la Cour :

1)

de rejeter le pourvoi et

2)

de condamner chaque partie à supporter ses propres dépens.


( 1 ) Langue originale : anglais.

( 2 ) Règlement du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

( 3 ) Arrêt Apple and Pear Australia et Star Fruits Diffusion/OHMI–Carolus C. (English pink) (T-378/13, EU:T:2015:186, ci-après l’« arrêt attaqué »).

( 4 ) Voir considérant 16 du règlement no 207/2009. Voir, sur le caractère unitaire du régime de la marque de l’Union européenne en général, points 18 à 26 des conclusions que l’avocat général Cruz Villalón a présentées le 7 octobre 2010 dans l’affaire DHL Express France (C-235/09, EU:C:2010:595).

( 5 ) Il convient de souligner que la terminologie utilisée pour les différents éléments de l’autorité de la chose jugée varie quelque peu selon les différentes versions linguistiques et peut donc causer une certaine confusion. En particulier, la version en langue anglaise du règlement no 207/2009 utilise l’expression « subject matter », alors que la version en langue française utilise le terme « objet » pour désigner le même élément. Dans les présentes conclusions, qui sont rédigées en anglais, je retiendrai la terminologie de la version en langue anglaise bien que la signification naturelle des mots peut être quelque peu différente. Aux fins de la présente affaire, j’entends par « cause» les faits et les dispositions légales sur lesquels le pourvoi est fondé et par « objet» à la fois l’objet du pourvoi au sens du résultat que les requérantes cherchent à obtenir et l’objet « concret» de ce pourvoi.

( 6 ) Règlement du Conseil du 12 décembre 2001 sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2001, L 3, p. 1). Voir en particulier article 52, paragraphe 3, et article 86, paragraphe 5.

( 7 ) Ce règlement a été abrogé par le règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement et du Conseil, du 12 décembre 2012 (JO 2012, L 351, p. 1). Voir, dans le contexte de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32), telle que modifiée par les conventions successives relatives à l’adhésion des nouveaux États membres à cette convention, arrêts du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, EU:C:1987:528, points 14 à 17) ; du 6 décembre 1994, Tatry (C-406/92, EU:C:1994:400, points 38 à 45) ; du 19 mai 1998, Drouot assurances (C-351/96, EU:C:1998:242, point 19) ; du 8 mai 2003, Gantner Electronic (C-111/01, EU:C:2003:257, points 24 à 32) ; du 9 décembre 2003, Gasser (C-116/02, EU:C:2003:657, point 41), ainsi que du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas (C-39/02, EU:C:2004:615, points 34 à 39). Voir, en ce qui concerne le règlement no 44/2001, arrêts du 19 décembre 2013, Nipponkoa Insurance Co. (Europe) (C-452/12, EU:C:2013:858, points 42 à 44), et du 22 octobre 2015, Aannemingsbedrijf Aertssen et Aertssen Terrassements (C-523/14, EU:C:2015:722, points 43 à 46).

( 8 ) Dans la version abrogée, les articles 27 et 28 sont devenus les articles 29 et 30. Les modifications intervenues n’ont aucun impact sur la présente analyse.

( 9 ) Voir note 5.

( 10 ) Voir, une fois encore, pour une analogie plus large dans le contexte de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, arrêts du 8 décembre 1987, Gubisch Maschinenfabrik (144/86, EU:C:1987:528, points 15 à 17) ; du 6 décembre 1994, Tatry (C-406/92, EU:C:1994:400, points 41 à 44), ainsi que du 14 octobre 2004, Mærsk Olie & Gas (C-39/02, EU:C:2004:615, points 35 et 36). Voir également, dans un autre contexte, mais exprimant des préoccupations similaires, arrêts du 22 janvier 2013, Commission/Tomkins (C-286/11 P, EU:C:2013:29, point 43), et du 17 septembre 2015, Total/Commission (C-597/13 P, EU:C:2015:613, points 39 à 41).

( 11 ) Voir, d’une manière générale, ordonnance du 22 mars 2012, Emram/OHMI (C-354/11 P, EU:C:2012:167, points 92 et suiv.), ainsi qu’arrêt du 26 avril 2007, Alcon/OHMI (C-412/05 P, EU:C:2007:252, point 65).

( 12 ) Arrêt du 12 juin 2008, O2 Holdings et O2 (UK) (C-533/06, EU:C:2008:339, point 67).

( 13 ) Arrêt du 15 mars 2007, T.I.M. E. ART/OHMI (C-171/06 P, EU:C:2007:171, point 59).

( 14 ) Arrêt du 13 mars 2007, OHMI/Kaul (C-29/05 P, EU:C:2007:162, point 57).

( 15 ) Arrêt du 21 février 2013, Fédération Cynologique Internationale (C-561/11, EU:C:2013:91).

( 16 ) Arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI (C-263/09 P, EU:C:2011:452, point 72).

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CJUE, n° C-226/15, Conclusions de l'avocat général de la Cour, 13 avril 2016