Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 7 juin 2021, n° 20/02749

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Bordeaux, 4e ch. com., 7 juin 2021, n° 20/02749
Juridiction : Cour d'appel de Bordeaux
Numéro(s) : 20/02749
Décision précédente : Cour d'appel de Pau, 6 février 2019, N° 17/01164
Dispositif : Expertise

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE


ARRÊT DU : 07 JUIN 2021

(Rédacteur : Monsieur Robert CHELLE, Président)

N° RG 20/02749 – N° Portalis DBVJ-V-B7E-LUBX

S.A. OPEN SUD GESTION

c/

Monsieur C X

Madame D Y

Nature de la décision : EXPERTISE

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 28 mars 2018 (R.G : 17/01164) par le Tribunal de Grande Instance de Dax, infirmé par un arrêt de la Cour d’Appel de Pau en date du 07 février 2019, cassé partiellement le 28 mai 2020 (n°347 FS-P+B+I) par le Cour de Cassation de PARIS suivant saisine du 27 juillet 2020

DEMANDEUR :

S.A. OPEN SUD GESTION prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, […]

représentée par Maître Pierre B de la SELARL LEXAVOUE BORDEAUX, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Philippe-Francis BERNARD, avocat au barreau de PARIS

DEFENDEURS :

Monsieur C X, né le […] à […], demeurant 27 Kingsfield avenue IPI 3 TA IPSWICH 0000 IP3 TA IPSWICH – 0000 ROYAUME-UNI

Madame D Y, née le […] à […]

de nationalité Britannique, demeurant 27 Kingsfield avenue IPI 3 TA IPSWICH 0000 IP3 TA IPSWICH – 0000 ROYAUME-UNI

représentés par Maître Jean-baptiste BORDAS, avocat au barreau de BORDEAUX

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 mai 2021 en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Robert CHELLE, Président,

Madame Elisabeth FABRY, Conseiller,

Madame Catherine BRISSET, Conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT

ARRÊT :

— contradictoire

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.

FAITS ET PROCÉDURE

Le 9 mai 2008, M. X et Mme Y, qui prenaient la suite d’un autre propriétaire bailleur, ont donné à bail à la société Open Sud Gestion, pour une durée de neuf années entières, une villa meublée avec terrain,terrasse et piscine, le tout identifié par le lot n 42 de l’état descriptif de division de l’ensemble immobilier dénommé Club Royal Océan, « La clairière aux chevreuils », zone UZBn, […], destinée à une activité d’exploitation hôtelière et/ou para-hôtelière consistant en la sous-location meublée de locaux situés dans le même ensemble immobilier pour des périodes de temps déterminées, à la nuit, à la semaine ou au mois, avec la mise à disposition de différents services ou prestations para-hôtelière à sa clientèle.

L’acte mentionne notamment :

—  « Les soussignés affirment et déclarent leur intention expresse de soumettre la présente convention au statut des baux commerciaux, tel qu’il résulte des articles L.145-1 du code de commerce et des textes subséquents ; et ce même si toutes les conditions d’application de ce statut ne sont pas remplies ou ne le sont que pour partie, en sorte qu’il y aura éventuellement extension conventionnelle du champ d’application dudit statut » (article 2 – « Qualification du bail »),

—  « La partie qui voudra mettre fin au bail devra donner congé à l’autre par acte extrajudiciaire au moins six mois avant l’échéance du bail » (article 3 – « Durée du bail »),

—  « Le preneur entend exercer dans les locaux. meublés présentement loués, de même que dans les locaux similaires du même ensemble immobilier qu’il a déjà loués ou dont il va procéder à la location, une activité d’exploitation hôtelière et/ou para-hôtelière consistant en la sous-location meublée de ces locaux pour des périodes de temps déterminées, à la nuit, à la semaine ou au mois, avec la mise à disposition de différents services ou prestations para-hôtelière à sa clientèle » (article 4 – « Destination des lieux »).

Par exploit d’huissier du 3 novembre 2016, Mme Y et M. X ont délivré à la société un congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction pour le 27 mai 2017. Par lettre du 23 janvier 2017, la société Open Sud Gestion a indiqué prétendre à une

indemnité d’éviction à hauteur de 85 683 euros.

Par lettre du 10 février 2017, Mme Y et M. X ont alors dénié à la locataire le droit à indemnité d’éviction, à défaut d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour l’exploitation de leur villa, puis l’ont mise en demeure le 24 mai 2017 de quitter les lieux pour le 27 mai 2017. La société a fait part de son refus de quitter les lieux tant que le congé délivré n’était pas validé en justice et qu’il n’était pas statué sur son droit à percevoir une indemnité d’éviction.

Par exploit d’huissier du 1er août 2017, Mme Y et M. X ont assigné à jour fixe la société Open Sud Gestion, sur autorisation accordée par ordonnance du 25 juillet 2017, devant le tribunal de grande instance de Dax, aux fins de valider le congé avec refus de renouvellement et prononcer l’expulsion de la société.

Par jugement contradictoire du 28 mars 2018, le tribunal de grande instance de Dax a :

— Validé le congé délivré par Mme Y et M. X H à la SA Open Sud Gestion par acte d’huissier du 3 novembre 2016,

— Dit que la SA Open Sud Gestion ne bénéficie pas du droit au renouvellement du bail,

— Débouté la SA Open Sud Gestion de sa demande d’indemnité d’éviction,

— Ordonné l’expulsion de la SA Open Sud Gestion et celle de tout occupant du chef de cette dernière de la villa située dans l’ensemble immobilier dénommé Club Royal Océan La Clairière Aux Chevreuils zone […], objet du bail conclu le 9 mai 2008 entre, d’une part, Mme Y et M. X et, d’autre part, la SA Open Sud Gestion,

— Dit que cette expulsion se fera avec le concours de la force publique si besoin et sous astreinte de 500 euros (cinq cents euros) par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

— Condamné la SA Open Sud Gestion à verser à Mme Y et M. X la somme de 15 000 euros (quinze mille euros) à titre d’indemnité d’occupation,

— Dit qu’il n’y a pas lieu à l’application des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile,

— Condamné la SA Open Sud Gestion à verser à Mme Y et M. X la somme de 2 500 euros (deux mille cinq cents euros) au titre de l’article 700 du code de proc6dure civile,

— Condamné la SA Open Sud Gestion aux entiers dépens,

— Ordonné l’exécution provisoire.

La société Open Sud Gestion a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 20 avril 2018.

Par arrêt contradictoire du 7 février 2019, la cour d’appel de Pau a :

— Infirmé le jugement, mais seulement en ce qu’il a dit que l’expulsion de la SA Open Sud gestion des locaux appartenant aux consorts X-Y se ferait avec le concours de la force publique si besoin et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

— Et statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant, déboute les consorts X-Y de leur demande d’expulsion assortie d’une astreinte et de la liquidation de l’astreinte prononcée au jugement critiqué,

— Confirmé le jugement pour le surplus déboute la SA Open Sud Gestion de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

— Condamné la SA Open Sud Gestion aux dépens d’appel,

— Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamné la SA Open Sud Gestion à payer à C X et D Y la somme de 3 500 euros.

La société Open Sud Gestion a formé un pourvoi en cassation par déclaration du 9 avril 2019.

Par arrêt du 28 mai 2020, la Cour de cassation, 3e chambre civile, a :

— Cassé et annulé, sauf en ce qu’il valide le congé, l’arrêt rendu le 7 février 2019, entre les parties, par la cour d’appel de Pau ;

— Remis, sauf sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux ;

— Condamné M. X et Mme Y aux dépens ;

— En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par M. X et Mme Y et les a condamnés à payer à la société Open Sud Gestion la somme globale de 3 000 euros ;

— Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé.

Par déclaration de saisine du 27 juillet 2020, la société Open Sud Gestion a saisi la cour d’appel de Bordeaux, désignée comme cour de renvoi, afin de la voir statuer sur l’appel du jugement du tribunal de grande instance de Dax du 28 mars 2018.

Le 18 août 2020, le président de la chambre commerciale a, en application de l’article 905 du code de procédure civile, fixé l’affaire à l’audience du 10 mai 2021.

La société Open Sud Gestion a fait transmettre le 26 août 2020 par huissier de justice la déclaration de saisine et l’avis de fixation à bref délai, outre pièces annexes, avec leur traduction en langue anglaise, pour signification à Mme Y et M. X, demeurant au Royaume-Uni.

Ceux-ci ont constitué avocat le 6 novembre 2020.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Par conclusions déposées en dernier lieu le 26 mars 2021, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, la société Open Sud Gestion demande à la cour de :

— Vu les articles L 145-1, L 145-9, L 145-14, L 145-28, L 145-29 du Code de commerce,

— Vu les articles 1134 et 1156 anciens du Code civil, désormais codifiés au visa des articles 1103, 1104 et 1192 nouveaux du Code civil.

— Vu les pièces versées aux débats et la convention des parties,

— Vu l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 28 mai 2020 cassant et annulant l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel de PAU du 7 février 2019,

— Déclarer recevable et bien fondée la société OPEN SUD GESTION en son appel,

— En conséquence, y faisant droit :

— Infirmer le Jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de DAX le 28 mars 2018, en

— ce qu’il a :

- dit que la société OPEN SUD GESTION ne bénéficie pas au droit au renouvellement du bail

- débouté la société OPN SUD GESTION de sa demande d’indemnité d’éviction,

- ordonné l’expulsion de la société OPEN SUD GESTION et celle de tout occupant du chef de cette dernière de la villa situé dans l’ensemble immobilier dénommé CLUB ROYAL OCEAN LA CLAIRIERE AUX CHEVREUILS zone UZB, […], objet du bail conclu le 9 mai 2008 entre d’une part Monsieur X et Madame Y et d’autre part, la SA OPEN SUD GESTION,

- dit que cette expulsion se fera avec le concours de la force publique si besoin et sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir,

- condamné la SA OPEN SUD GESTION à verser à Monsieur C X et Madame D Y, la somme de 15.000 euros à titre d’indemnité d’occupation, dit qu’il n’y a pas lieu à l’application des dispositions de l’article 32-1 du Code de procédure civile,

- condamné la société OPEN SUD GESTION à verser à Monsieur C X et Madame D Y, la somme de 2.500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,

- ordonné l’exécution provisoire,

— Statuant à nouveau,

— Dire recevable et bien fondée la société OPEN SUD GESTION en sa demande de paiement d’une indemnité d’éviction en suite du congé avec refus de renouvellement et offre d’indemnité d’éviction qui lui a été notifié par Monsieur C X et Madame D Y, le 3 novembre 2016 ; – Condamner solidairement Monsieur C X et Madame D Y à payer à la société OPEN SUD GESTION une somme de 104.000 euros à titre d’indemnité d’éviction, sauf à recourir préalablement à l’expertise, pour en fixer le montant dans les conditions d’usage et par référence aux dispositions de l’article L 145-14 du Code de commerce ;

— Condamner solidairement Monsieur C X et Madame D Y à payer à la société OPEN SUD GESTION à titre de dommages et intérêts, une somme de 62.800

euros en réparation de son préjudice de dépossession pour la période allant du 17 août 2018 au 31 décembre 2020, outre une indemnité de dépossession mensuelle de 3.900 euros à compter du 1er Janvier 2021 et ce jusqu’à la perception par le locataire de l’indemnité d’éviction qui lui est due ;

— Fixer l’indemnité d’occupation due par la société OPEN SUD GESTION à Monsieur C X et Madame D Y pour la période du 27 mai 2017, date d’effet du congé, jusqu’au 17 août 2018, date de son éviction, au même montant que celui du loyer contractuel, sauf à recourir également à l’expertise sur ce point, dans les conditions d’usage et par référence aux dispositions de l’article L 145-28 du Code de commerce ;

— Débouter Monsieur C X et Madame D Y de toutes leurs demandes formée à l’encontre de la société OPEN SUD GESTION.

— Condamner solidairement Monsieur C X et Madame D Y à payer à la société OPEN SUD GESTION une somme de 15.000 €uros en application de l’article 700 du Code de procédure civile ;

— Condamner solidairement Monsieur C X et Madame D E en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître B, SELARL LEXAVOUÉ BORDEAUX dans les conditions de l’article 699 du Code de procédure civile, et dire que les dépens comprendront les frais de traduction des actes de procédure exposés par la société OPEN SUD GESTION pour la nécessité des délivrances et significations à l’étranger.

La société Open Sud Gestion fait notamment valoir que l’arrêt de la Cour de cassation a clairement consacré son droit à indemnité d’éviction, même si toutes les conditions du statut ne sont pas remplies, en application du bail ; que les bailleurs tentent vainement de réduire la portée de cet arrêt en tentant de faire juger le contraire ; qu’elle était d’ailleurs immatriculée au jour du congé ; que l’indemnité d’éviction doit être calculée selon la méthode hôtelière en raison de son activité de location d’établissements d’hébergement touristique ;

qu’il s’agit de locaux

monovalents au même titre que les hôtels ; qu’elle expose des éléments pour justifier le quantum de l’indemnité d’éviction ; qu’elle avait droit au maintien dans les lieux jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction aux conditions et clauses du bail ; que le tribunal n’avait aucun motif de la condamner à régler une indemnité d’occupation en fonction de son chiffre d’affaires ; que l’indemnité d’occupation doit être fixée au même montant que le loyer contractuel pour la période du 27 mai 2017 au 17 août 2018 ; que le jugement dont appel a été exécuté le 17 août 2018 aux risques et périls des bailleurs, et qu’elle a depuis été privée des fruits de l’exploitation sans recevoir juste et préalable indemnité ; qu’elle a alors vocation à recevoir une indemnité de dépossession.

Par conclusions déposées en dernier lieu le 25 janvier 2021, auxquelles il convient de se reporter pour le détail des moyens et arguments, Mme Y et M. X demandent à la cour de :

— Vu les dispositions des articles L. 145-1 et L. 145-14 et s. du Code de commerce,

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté les demandes de la S.A. OPEN SUD GESTION tendant au paiement d’une indemnité d’éviction ;

— Débouter la S.A. OPEN SUD GESTION de sa demande d’indemnité d’éviction et de l’ensemble de ses demandes accessoires et complémentaires ;

— Condamner la S.A. OPEN SUD GESTION au paiement d’une somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux

entiers dépens de la présente instance.

— Subsidiairement,

— Réduire à de plus justes proportions l’indemnité globale mise à la charge des consorts X/Y ;

— Dire que chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles.

Mme Y et M. X font notamment valoir que les termes de l’arrêt de la Cour de cassation n’imposent pas à la cour de renvoi de les condamner au versement d’une indemnité d’éviction ; qu’il s’y lit en effet une cassation purement disciplinaire pour dénaturation des termes d’une convention ; que la Cour de cassation ne s’est pas prononcée sur la validité de cette renonciation au profit d’un preneur commerçant ; au visa notamment des conclusions de l’avocat général devant la Cour de cassation, que même si la convention des parties peut dispenser le preneur non commerçant de son obligation d’immatriculation, tel ne saurait être le cas pour le preneur commerçant sur lequel pèse une obligation d’immatriculation relevant de l’ordre public ; que le preneur commerçant ne peut bénéficier d’une indemnité d’éviction que s’il est immatriculé au registre du commerce et des sociétés ; que la société n’était pas immatriculée à la date du bail et qu’elle ne peut pas bénéficier de l’indemnité d’éviction ;

A titre subsidiaire, que la société ne justifie pas l’application de la méthode hôtelière de calcul de l’indemnité d’éviction à un ensemble exploité sous le régime para-hôtelier ; que la société est défaillante dans la preuve qui lui incombe du quantum du préjudice qu’elle allègue.

MOTIFS DE LA DECISION

La société Open Sud Gestion, dont le siège social est à Chambéry (Savoie) depuis 2002, exploite notamment à Moliets (Landes) un fonds de commerce d’hébergement touristique, aux abords du golf de cette ville, qui comportait, au jour des faits de la présente cause, 1 074 lits dans 126 unités d’hébergement réparties en îlots dont « La Clairière aux Chevreuils » au sein duquel se trouve le local litigieux. Son fonds de commerce est constitué par la réunion des lots exploités. Elle y fournit à sa clientèle l’hébergement ainsi que d’autres prestations de service. La société n’est pas propriétaire des biens fonciers, mais les a pris à bail commercial aux divers propriétaires, qui bénéficient à ce titre d’avantages fiscaux.

Les locaux ici concernés par le bail commercial sont constitués par une maison n° 442 de cet ilot, comportant 8 lits hôteliers, un terrain et une piscine, dont les propriétaires sont depuis 2008 les consorts X et Y.

Dans le présent litige, la société Open Sud, dont la demande tend d’abord à obtenir une indemnité d’éviction, ne conteste plus le congé, mais conteste désormais aussi son expulsion faite en exécution du jugement attaqué, et elle demande en conséquence une indemnité de dépossession. Elle conteste aussi l’indemnité d’occupation qui avait été fixée par les premiers juges.

Sur le principe du droit du preneur à une indemnité d’éviction

La société Open Sud demande l’infirmation du jugement qui l’a déboutée de sa demande d’indemnité d’éviction, en se prévalant des termes du bail.

Il est constant que, après avoir adressé le 3 novembre 2016 un congé pour le 27 mai 2017 avec refus de renouvellement et offre de payer une indemnité d’éviction, M. X et

Mme Y, après réponse du preneur du 23 janvier 2017 chiffrant une indemnité, ont finalement dénié à la société Open Sud le droit à indemnité d’éviction, au motif d’un défaut d’immatriculation.

En effet, au moment du congé, la société était bien inscrite au registre du commerce et des sociétés, mais pour un « établissement principal » à l’Hôtel du Golf dans la même ville de Moliets. Elle a procédé le 22 mai 2017, soit postérieurement au congé, à une inscription pour l’exploitation des résidences avec prestation hôtelière, dont « La Clairière aux Chevreuils » et dont la villa 442, qui est la villa ici litigieuse.

Toutefois, la société appelante fait valoir que le bail commercial convenait que :

— pendant toute la durée du Bail et de ses renouvellements successifs, de la protection instituée par ce statut, et ce, quant à son occupation et son exploitation des locaux au titre des présentes et sera bien fondé à percevoir une indemnité d’éviction du Bailleur dans l’hypothèse d’un refus de renouvellement du bail, destinée à couvrir l’intégralité de son préjudice subi du fait de son éviction des locaux.

— la convention locative était soumise au statut des baux commerciaux, tel qu’il résulte des

articles L 145-1 du Code de Commerce et des textes subséquents et ce même si toutes les

conditions d’application de ce statut ne sont pas remplies, ou ne le sont que pour partie, en sorte qu’il y aura éventuellement extension conventionnelle du champ d’application dudit statut.

Les bailleurs, pour affirmer que la condition d’immatriculation trouveraient à s’appliquer pour justifier leur refus d’indemnité, se fondent exclusivement devant la présente cour sur l’avis émis par l’avocat général près la Cour de cassation dans ses conclusions en vue de l’arrêt qui a cassé la décision de la cour d’appel de Pau, et tentent notamment d’introduire une différence entre un bailleur non commerçant et un bailleur commerçant, estimant que seul le preneur non commerçant pourrait être conventionnellement dispensé de l’obligation d’immatriculation.

Il résulte pourtant de la convention claire et précise liant les parties que le bailleur avait renoncé à se prévaloir des conditions d’application du statut des baux commerciaux, ce qui inclut la condition d’immatriculation, sans qu’il n’y ait ici à distinguer entre preneur commerçant et preneur non-commerçant.

Il peut d’ailleurs être relevé que la Cour de cassation n’a pas suivi les conclusions de l’avocat général invoquées par les bailleurs devant la présente cour de renvoi.

Au demeurant, comme déjà noté ci-dessus, la société Open Sud était immatriculée au registre du commerce et des sociétés au jour du congé, même si elle ne l’était pas à l’adresse des locaux donnés à bail, de sorte que les parties pouvaient déroger à la condition particulière d’immatriculation à l’adresse des lieux loués sans porter atteinte au principe général voulant qu’une société commerciale soit immatriculée, puisque c’était par ailleurs le cas.

Il résulte des dispositions de l’article L. 145-14 du code de commerce que le bailleur peut refuser le renouvellement, mais qu’il doit alors, sauf exceptions qui ne sont pas ici invoquées ni d’ailleurs pertinentes, payer au locataire évincé une indemnité d’éviction égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement.

Dans ces conditions, c’est à bon droit que la société Open Sud présente une demande

d’indemnité d’éviction, et le jugement la déboutant sera infirmé.

Sur le montant de l’indemnité d’éviction

Aux termes de l’article L. 145-14 du code de commerce précité, l’indemnité d’éviction comprend notamment la valeur marchande du fonds de commerce, déterminée suivant les usages de la profession, augmentée éventuellement des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que des frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur, sauf dans le cas où le propriétaire fait la preuve que le préjudice est moindre.

En l’espèce, la société Open Sud fait d’abord valoir que les établissements d’hébergement touristiques exploitent des locaux monovalents, au même titre que les hôtels, et demande alors que la valeur de l’indemnité soit fixée selon la méthode dite « méthode hôtelière », qui consiste à appliquer au chiffre d’affaires moyen réalisé un coefficient généralement situé dans une fourchette de 2,5 à 5 fois le chiffres d’affaires annuel, selon la zone de chalandise et la qualité de l’emplacement.

Elle expose de manière détaillée que son chiffre d’affaires moyen pour les 3 dernières années qui ont précédé le congé est de 3 916 000 euros, que la valeur d’un fonds de commerce en partie hôtelière est généralement estimée à 3 fois le chiffre d’affaires annuel, soit, à la date d’effet du congé et selon les usages de la profession, 11 748 000 euros.

La société y ajoute des frais de déménagement chiffrés à 1% pour 117 740 euros, soit 932 euros pour chacun des 126 lots, un préjudice pour trouble commercial de 5 % de l’indemnité, et des frais de remploi de 10 % du montant de l’indemnité globale, soit un total de 13 627 940 euros.

Elle propose alors de pondérer deux méthodes pour diviser ce total par la portion ici litigieuse, en divisant soit par lit (1 074 lits), à 12 688 euros par lit soit 101 504 euros pour les 8 lits, soit par unité d’hébergement (126), ce qui donne respectivement 101 504 et 108 158 euros, pondération qu’elle arrondit à 104 000 euros.

La société observe que cette somme est proche de celle qu’elle avait initialement proposée.

En réponse, les bailleurs opposent que la société Open Sud ne justifie à aucun moment l’application de la « méthode hôtelière », et que la perte du fonds de commerce est moindre dans le cas d’un « établissement de sous-location para-hôtelière », qui n’est pas un hôtel. Ils ajoutent que les 126 « unités » invoquées s’analysent en des villas et appartements diversement situés et appréhendés, de niveaux disparates, qui constituent chacun en réalité un fonds de commerce autonome, de sorte qu’il est incompréhensible de prendre pour base de calcul le chiffre d’affaires global, alors qu’elle dispose de tous les chiffres nécessaires portant sur la villa loué.

Ils en concluent que la société Open Sud est défaillante dans la preuve qui lui incombe sur quantum du préjudice subi.

S’agissant d’un établissement particulier faisant partie d’un ensemble plus large au sein du fonds de commerce de la société Open Sud, et situé hors du ressort de la présente cour, il apparaît qu’il y a lieu à ordonner une expertise, comme exposé au dispositif, préalablement à la liquidation de l’indemnité d’éviction.

Sur l’expulsion prononcée par le tribunal

Le tribunal a jugé la société Open Sud sans droit ni titre à la date d’échéance du congé le 27

mai 2017.

Toutefois, la société Open Sud se prévaut du droit pour le preneur au maintien dans les lieux jusqu’au règlement effectif de l’indemnité.

Aux termes de l’article L. 145-28 du code de commerce, aucun locataire pouvant prétendre à une indemnité d’éviction ne peut être obligé de quitter les lieux avant de l’avoir reçue. Jusqu’au paiement de cette indemnité, il a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du contrat de bail expiré. Toutefois, l’indemnité d’occupation est déterminée conformément aux dispositions des sections VI et VII, compte tenu de tous éléments d’appréciation.

En l’espèce, le tribunal avait jugé que la société preneuse ne pouvait pas prétendre à une indemnité d’éviction, de sorte qu’il a estimé qu’elle était occupante sans droit ni titre depuis le 27 mai 2017, et qu’il ne lui a pas offert le bénéfice de ces dispositions.

Il s’avère désormais que c’est à tort que l’indemnité d’éviction avait été refusée, et qu’il n’y avait donc pas lieu à prononcer l’expulsion.

Le jugement sera infirmé de ce chef également.

Sur l’indemnité d’occupation

La société Open Sud critique l’indemnité d’occupation qui a été fixée par le tribunal, de manière forfaitaire, à 15 000 euros, au lieu des 93 150 euros demandés, correspondant au calcul de 30 semaines à 500 euros, visant notamment le caractère précaire de l’occupation s’agissant de locations de vacances.

L’appelante soutient que cette approche de l’indemnité d’occupation n’est pas cohérente ni conforme à la loi, faisant valoir que le locataire, jusqu’au paiement de l’indemnité d’éviction, a droit au maintien dans les lieux aux conditions et clauses du bail expiré, et que le tribunal n’avait aucun motif de la condamner à régler une telle indemnité forfaitaire, alors que l’indemnité d’occupation statutaire est égale à la valeur locative.

Les bailleurs ne s’expliquent pas sur ce chef de demande.

Au vu des dispositions de l’article L. 145-28 ci-dessus, et en l’absence de proposition différente ou d’autre éléments d’appréciation émanant des bailleurs, l’indemnité d’occupation sera fixée au loyer conventionnel.

A cet égard, la société preneuse relève à juste titre et sans être démentie que l’indemnité d’occupation est due pour la période du 27 mai 2017, date d’effet du congé, au 17 août 2018, date de son départ.

Sur la demande d’indemnité de dépossession

Selon la société Open Sud, qui n’est pas démentie par les bailleurs, la décision du tribunal de première instance a été exécuté par ces derniers, avant que le premier président qui avait été saisi lors de l’appel devant la cour de Pau n’ait pu statuer sur sa demande d’arrêt de l’exécution provisoire, et la société a restitué les clefs et quitté les lieux le 17 août 2018 (sa pièce n° 32).

La société preneuse, considérant que, comme vu ci-dessus, le locataire qui peut prétendre à une indemnité d’éviction a le droit au maintien dans les lieux aux clauses et conditions du

bail expiré, jusqu’au règlement effectif de l’indemnité, en application de l’article L. 145-28, demande une indemnité de dépossession de 62 800 euros pour la période du 17 août 2018 au 31 décembre 2020, outre 3 900 euros par mois à compter du 1er janvier 2021 jusqu’à perception de l’indemnité d’éviction qui lui est due.

Elle fait valoir que le locataire qui est indument évincé est fondé à réclamer à son bailleur qui s’est approprié le fonds de commerce une indemnité égale au produit retiré de cette exploitation entre la date de l’éviction effective et la date du versement de l’indemnité.

Elle fait valoir qu’elle a été privée d’un chiffre d’affaires pour la villa considérée, et présente ses calculs pour aboutir à ce résultat.

Les bailleurs, qui argumentent pourtant seulement sur l’indemnité d’éviction, demandent, sans s’en expliquer, le rejet ou la réduction subsidiaire à de plus justes proportions, de ce qu’ils qualifient d’indemnités « accessoires », sans argumenter sur le principe même de l’indemnité de dépossession sollicitée.

Il apparaît que, du fait de la mise à exécution de l’expulsion de la société Open Sud au bénéfice de l’exécution provisoire, et donc à leurs risques et périls, les bailleurs ont causé à la locataire un préjudice qui justifie que leur soit allouée une indemnité de dépossession de son fonds de commerce, alors que, pouvant prétendre à une indemnité d’éviction, elle avait le droit à être maintenue dans les lieux aux conditions du bail expiré jusqu’à paiement total de l’indemnité d’éviction.

S’agissant du quantum de cette indemnité, la société Open Sud propose des calculs non totalement explicites, qui apparaissent comporter des coquilles matérielles (« l’année 2000 » page 23 ; période de l’encadré même page), et qui n’explicite pas clairement le sort qui devrait être fait à l’année 2020, atypique en raison des fermetures en lien avec l’urgence sanitaire.

Un avis sur ce quantum sera en conséquence également demandé à l’expert, au vu des pièces qui lui seront fournies par la société appelante.

Sur les autres demandes

En raison de l’expertise avant dire droit, il sera sursis à statuer sur le surplus des demandes, ainsi que sur les demandes au titre des frais irrépétibles et sur les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et avant dire droit,

Infirme le jugement rendu entre les parties le 28 mars 2018 par le tribunal de grande instance de Dax,

Et, statuant à nouveau,

Dit bien fondée la demande de la société Open Sud Gestion en paiement par M. X et Mme Y d’une indemnité d’éviction en suite du congé avec refus de renouvellement notifié le 3 novembre 2016,

Dit bien fondée la demande de la société Open Sud Gestion en paiement par M. X et Mme Y d’une indemnité de dépossession en suite de l’exécution provisoire de leur expulsion des locaux litigieux,

Sursoit à statuer sur le montant de l’indemnité d’éviction et sur le montant de l’indemnité de dépossession,

Ordonne une expertise,

Désigne pour y procéder

M. F G, […], […], Tél : 05.58.73.64.07 Mèl : F.G@geometre-expert.fr

Et à défaut,

M. H I, […], […], Port. : […]

Avec pour mission, apès avoir entendu les parties et leurs conseils, ou celles-ci dûment convoquées par LRAR, de :

Se transporter sur les lieux en présence des parties et de leurs conseils ;

décrire les lieux et donner

tous éléments utiles quant à leur situation, et quant à l’environnement urbain dans lequel ils se situent ;

Fournir d’une part tous éléments utiles pour déterminer le montant de l’indemnité d’éviction due à la société Open Sud Gestion pour les locaux donnés à bail commercial, qui étaient exploités dans la une villa meublée avec terrain,terrasse et piscine, le tout identifié par le lot n 42 de l’état descriptif de division de l’ensemble immobilier dénommé Club Royal Océan, « La clairière aux chevreuils », zone UZBn, […],

A cette fin, fournir tous éléments utiles pour apprécier la valeur marchande du fonds de commerce, en fonction des usages de la profession et en fonction des caractéristiques propres, résultant du niveau de concurrence dans le secteur considéré, des commodités ou des inconvénients en terme de transport, d’accès, de circulation ou de stationnement ;

Il y aura lieu de proposer au moins deux méthodes d’évaluation, dont au moins une classique et l’autre selon la méthode dite « méthode hôtelière », en faisant toutes observations utiles pour éclairer le choix d’une méthode ; au moins l’une de ses propositions de calcul se fera sur la seule base de l’unité louée par les consorts X-Y, à l’exception des éléments relatifs aux autres unités exploitées par la société preneuse ;

fournir d’autre part tous éléments utiles pour déterminer de même le montant mensuel de l’indemnité de dépossession due à la société Open Sud Gestion pour les mêmes locaux, à compter de son départ le 17 août 2018, en fonction notamment de la perte de marge brute subie, au vu notamment du chiffre d’affaires des trois années précédent son départ,

établir une note de synthèse qui sera communiquée aux parties ; leur impartir un délai pour présenter leurs dires et observations et répondre aux dires et observations qui auraient été formulés dans le délai ;

Dit que si les parties se concilient, l’expert constatera que sa mission est devenue sans objet et en fera rapport au juge ;

Dit que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 264 et suivants du code de procédure civile

Dit que dans les deux mois du présent arrêt, la société Open Sud Gestion devra consigner auprès du Régisseur d’avances et de recettes une somme de 7 000 euros à titre de provision à valoir sur la rémunération de l’expert

Dit qu’à défaut de consignation dans le délai imparti, la désignation de l’expert sera caduque, conformément aux dispositions de l’article 271 du code de procédure civile, sauf prorogation du délai de consignation

Dit que l’expert devra déposer son rapport définitif au greffe de la cour dans les trois mois de la date à laquelle il aura été avisé de la consignation de la provision par le greffe, et en faire parvenir une copie à chacune des parties

Dit que la mesure d’expertise sera effectuée sous le contrôle du conseiller chargé de suivre les opérations d’expertise, à qui il sera référé en cas de difficulté et qui pourra notamment pourvoir au remplacement de l’expert en cas de refus ou d’empêchement

Dit que l’affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du 25 janvier 2022

Fixe à la charge de la société Open Sud Gestion une indemnité d’occupation du montant du loyer contractuel, pour la période du 27 mai 2017 au 17 août 2018,

Sursoit à statuer sur le surplus des demandes et les dépens, dans l’attente du rapport de l’expert.

Le présent arrêt a été signé par M. Chelle, président, et par M. Goudot, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

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Cour d'appel de Bordeaux, 4ème chambre commerciale, 7 juin 2021, n° 20/02749