Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 2, 21 octobre 2021, n° 20/02828

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Douai, ch. 1 sect. 2, 21 oct. 2021, n° 20/02828
Juridiction : Cour d'appel de Douai
Numéro(s) : 20/02828
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Lille, 17 mai 2020, N° 19/04221
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 2

ARRÊT DU 21/10/2021

****

N° de MINUTE :

N° RG 20/02828 – N° Portalis DBVT-V-B7E-TDQK

Jugement (N° 19/04221) rendu le 18 mai 2020

par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTS

Monsieur B Y

né le […] à […]

demeurant […]

[…]

Monsieur C Z

né le […] à […]

demeurant […]

[…]

représentés par Me Laura Mahieu, avocat au barreau de Lille

ayant pour conseil Me Etienne Deshoulieres, membre de la SAS Deshoulières, avocat au barreau de Paris

INTIMÉE

La SASU Ankama Editions prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social, […]

[…]

représentée par Me Jeanine Audegond, avocat au barreau de Lille

ayant pour conseil Me Gilles Vercken, membre de la SELARL Cabinet Vercken & Gaullier, avocat

au barreau de Paris

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

F G-H, président de chambre

Nadia Cordier, conseiller

X-D Le Pouliquen, conseiller

GREFFIER LORS DES DÉBATS : I J

DÉBATS à l’audience publique du 07 juin 2021 tenue en double rapporteur par F G-H et X-D Le Pouliquen après accord des parties.

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 21 octobre 2021 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par F G-H, président, et I J, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 12 avril 2021

****

Vu le jugement du tribunal judiciaire de Lille du 18 mai 2020,

Vu la déclaration d’appel de M. B Y et M. C Z en date du 22 juillet 2020,

Vu les conclusions de M. B Y et M. C Z du 20 octobre 2020,

Vu les conclusions de la société Ankama éditions du 18 janvier 2021,

Vu l’ordonnance de clôture du 12 avril 2021

EXPOSE DU LITIGE

M. B Y et M. C Z sont photographes. Ils ont réalisé des photographies de la ville de Los Angeles.

La société Ankama éditions exploite une activité d’éditeur, notamment d’ouvrages en rapport avec les jeux vidéo, de bandes dessinées et de livres d’art. Elle appartient au groupe Ankama spécialisé dans la création numérique dans le domaine du divertissement.

Par acte sous seing privé en date du 2 mars 2011, la société Ankama éditions et MM. Y et Z ont signé un contrat d’édition.

Le contrat a pour objet la cession par les auteurs à l’éditeur, à titre exclusif, de l’universalité des droits patrimoniaux afférents à un ouvrage provisoirement intitulé 'Artbook-Lost Angels’ (ultérieurement L.A Kingz) regroupant les photographies de MM. Y et A accompagnées de légendes. Les auteurs ont notamment cédé à l’éditeur, pour le monde entier et pour toute la durée de protection des droits de propriété littéraire et artistique, le droit de reproduction, le droit de représentation, les droits d’utilisation secondaire et les droits dérivés.

L’éditeur a versé une somme de 9 000 euros HT à titre d’à-valoir récupérable sur les sommes à revenir aux auteurs. La somme a été payée entre les mains de M. B Y.

L’ouvrage a effectivement été édité en 2012.

Des photographies de MM. Y et Z ont été sélectionnées, tirées, encadrées, exposées à la boutique Memento Mori à Lille en décembre 2012 et janvier 2013. Des exemplaires de ces photographies ont été vendus.

Les relations entre les auteurs et l’éditeur se sont dégradées en 2016 lors de la reddition de comptes pour le paiement de la rémunération proportionnelle afférente au livre ainsi que sur le sort du prix de vente des photographies exposées chez Memento Mori.

Par acte du 12 janvier 2017, MM. B Y et C Z ont fait assigner la société Ankama éditions devant le tribunal de grande instance de Lille afin de réclamer le paiement de sommes qu’ils estimaient leur être dues, outre une indemnisation pour le préjudice subi du fait de la rétention abusive des sommes et du manquement de l’éditeur de rendre compte .

Par ordonnance du 5 avril 2017, le juge de la mise en état, après avoir obtenu l’accord des parties, a ordonné une médiation, mais le médiateur a fait savoir le 31 mai 2017 que le processus ne serait pas engagé.

Par jugement du 18 mai 2020, le tribunal judiciaire de Lille a

— déclaré irrecevable la demande d’annulation des clauses 6. 02 e et 9 du contrat d’édition conclu le 2 mars 2011 entre MM. B Y et C Z d’une part et par la Sasu Ankama éditions d’autre part,

— rejeté toutes les demandes présentées par MM. B Y et C Z,

— dit n’y avoir lieu à aucune condamnation titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné MM. B Y et C Z à supporter les dépens de l’instance,

— rejeté la demande relative au recouvrement direct des dépens par l’avocat.

Par déclaration en date du 22 juillet 2020, MM. B Y et C Z ont interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 20 octobre 2020, MM. B Y et C Z demandent à la cour, au visa des articles L 121-1, L.122-4, L.131-3, L.132-13 et L.132-14 du code de la propriété intellectuelle, de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction applicable au moment des faits, de :

— infirmer le jugement en ce qui les a déboutés de l’ensemble de leurs demandes,

statuant à nouveau

— débouter la société Ankama éditions de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

— condamner la société Ankama éditions à verser à B Y les sommes suivantes:

-14'150 euros au titre de dommages-intérêts en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux du fait de la vente de tirages photographiques réalisés au sein de la galerie Memento Mori à Lille en

2012 et 2013

—  5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la rétention abusive des sommes dues sur la vente des tirages, de la mauvaise foi et de l’attitude de la société Ankama éditions

—  1 260 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre des manquements contractuels de la société Ankama éditions du fait des redditions de compte défectueuses

—  7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Ankama éditions à verser à C Z les sommes suivantes:

—  10 883,67 euros au titre de dommages-intérêts en réparation de l’atteinte à ses droits patrimoniaux du fait de la vente de tirages photographiques réalisés au sein de la galerie Memento Mori à Lille en 2012 et 2013,

-5 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait de la rétention abusive des sommes dues sur la vente des tirages, de la mauvaise foi et de l’attitude de la société Ankama éditions,

-1 260 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre des manquements contractuels de la société Ankama éditions du fait des redditions de comptes défectueuses

-7 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Ankama éditions aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Étienne Deshouillères avocat au barreau de Paris conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 18 janvier 2021, la société Ankama éditions demande à la cour, au visa des articles 1103, 1188 à 1193 et 2224 du code civil, des articles 1156 à 1164 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, des articles L. 111-1, L. 132-12, L. 132-13, L. 132-14 et L. 122-8 du code de la procédure intellectuelle, de l’article L. 132-9 du code de la propriété intellectuelle dans sa version en vigueur à la date de signature du contrat d’édition, de l’article 98 A du code général des impôts, de :

à titre principal :

— débouter M. B Y et C Z de toutes leurs demandes, fins et prétentions,

— confirmer le jugement en toutes ses dispositions

à titre subsidiaire :

— si par impossible la cour recevait la demande indemnitaire des auteurs correspondant à la totalité des recettes provenant de l’opération de vente de tirages de photographies dans la boutique mémento Mori (18'000 euros), il est demandé à la cour de :

• juger que les appelants supportent la totalité des charges y afférentes, à savoir les frais d’organisation de l’exposition-vente (soit la somme de 4 374,68 euros), les frais des tirages des photographies (soit la somme de 5 235,03 euros) et les frais de commission de Memento Mori (soit 7 744,90 euros),

soit un total de 17'354,61 euros que les appelants doivent rembourser à Ankama éditions; en

conséquence, juger qu’il doit être opéré une compensation de sorte qu’il reste uniquement un solde de 322,695 euros pour chaque auteur à régler par Ankama éditions,

• juger que M. C Z doit rembourser à Ankama éditions la somme de 3 266,23 euros, ou si une compensation doit être effectuée, la somme de

3 266,23 moins 322,695 soit 2 943,535 euros,

En toutes hypothèses :

— condamner solidairement M. B Y et C Z à payer à la société Ankama éditions la somme de 10'000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner solidairement M. B le E C Z aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Jeannine Audegond avocat au barreau de Lille conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions déposées, soutenues à l’audience et rappelées ci-dessus.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 12 avril 2021.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour n’est pas saisie d’un appel à l’encontre des chefs du jugement ayant déclaré irrecevable la demande d’annulation des clauses 6.02 e et 9 du contrat d’édition en date du 2 mars 2011 et rejeté la demande de communication sous astreinte de l’ensemble des justificatifs certifiés conformes des ventes de tirages photographiques réalisées au sein de la galerie Memento Mori à Lille en 2012 et 2013.

1- sur la contrefaçon de droit d’auteur

Les appelants contestent le jugement qui les a déboutés de leurs demandes au titre de la contrefaçon de droit d’auteur, d’une part concernant leurs droits patrimoniaux, d’autre part de leur droit moral d’auteurs.

Ils estiment ainsi, s’agissant des droits patrimoniaux, que la société Ankama éditions, en organisant une exposition à la boutique Memento mori à Lille, a effectué des actes d’exploitation non prévus au contrat d’édition du 3 mars 2011.

En outre, s’agissant du droit moral d’auteur, ils soutiennent que la société Ankama éditions a évincé les artistes du processus de tirage des photographies, lequel n’a fait l’objet d’aucun accord de leur part.

La société Ankama éditions sollicite, quant à elle, la confirmation du jugement en tous égards.

a- sur les droits patrimoniaux

Les demandes des appelants portent sur les droits de reproduction des tirages photographiques et sur les droits de représentation, notamment dans le cadre de l’exposition des photographies à la boutique Memento mori à Lille.

Ils considèrent notamment que, selon l’interprétation stricte des contrats en droit d’auteur, le contrat

conclu avec la société Ankama éditions n’emporte pas cession des droits de reproduction et d’exposition de tirages photographiques issus de l’ouvrage 'LA Kingz'.

Selon l’article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle, 'la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.[…]

Le bénéficiaire de la cession s’engage par ce contrat à rechercher une exploitation du droit cédé conformément aux usages de la profession et à verser à l’auteur, en cas d’adaptation, une rémunération proportionnelle aux recettes perçues.'

En l’espèce, sont en question le droit de reproduction et le droit de représentation cédés.

— droit de reproduction

Si certes, comme le souligne le premier juge, la jurisprudence considère que les contrats portant sur les droits d’auteur sont gouvernés par le principe d’interprétation stricte, les règles générales d’interprétation des contrats prévues au code civil restent applicables.

Notamment, en application des articles 1156 à 1164 dudit code dans leur version applicable à la présente espèce, s’agissant d’un contrat conclu avant le 1er octobre 2016 conformément à l’article 9 de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, le juge doit rechercher la commune intention des parties, retenir l’interprétation qui fait produire un effet utile à l’acte plutôt que celle où elle n’en produirait aucun, apprécier l’économie générale du contrat pour interpréter les clauses les unes par rapport aux autres.

En outre, conformément à l’article 1134 ancien du code civil, le contrat de droit d’auteur comme tout autre contrat, doit être exécuté de bonne foi.

Enfin, l’article 1135 ancien du code civil, qui dispose que 'les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature', est applicable au contrat d’auteur.

En l’espèce, le contrat conclu entre les parties stipule:

"Article 1. Objet du contrat

L’auteur cède à l’éditeur, qui accepte, pour lui et ses ayants-droits, à titre exclusif, l’universalité des droits patrimoniaux, à savoir le droit de reproduction, le droit de représentation, les droits d’utilisation secondaire et les droits dérivés afférents à I’oeuvre provisoirement ou définitivement [appelée]

[…].

L’oeuvre comportera environ 226 pages dont 224 pages de photographies, plus couverture, ainsi que le texte de l’auteur.'

"Article 3. Etendue et domaine d’exploitation des droits cédés

3.01 Etendue et exclusivité

L’auteur cède à l’éditeur, pour la durée [durée française] et dans les territoires prévus à l’article 2 [le monde entier] le droit de reproduire, publier et exploiter I’oeuvre sous forme d’album sous tous formats, l’auteur déclarant connaître les formes de présentation habituelles de l’éditeur.

L’auteur, considérant les obligations mises à la charge de l’éditeur par le présent contrat, et notamment l’engagement qu’il souscrit de publier l’oeuvre sous forme d’album et de lui assurer une exploitation permanente et suivie, les risques financiers de la publication que l’éditeur assure seul, les avantages que comporte [sic] l’unité de gestion et les possibilités d’autres exploitations que la publication sous forme d’album assurent à l''uvre, cède également à l’éditeur, à titre exclusif, pour la durée et dans les territoires prévus à l’article 2, le droit de reproduire et de représenter, de publier et d’exploiter l''uvre en tout pays et dans toute langue ainsi que suit :

3.01.a Droit de reproduction et d’adaptation graphique […]

3.01.b Droit de traduction […]

3.01.c Droit de reproduction sous forme de produits dérivés

- Le droit d’exploiter séparément par voie d’adaptation, de reproduction et de représentation tout élément de l’oeuvre consistant en un dessin ou un graphisme et notamment ses personnages sous forme de dessin ou de figurine ainsi que leurs caractéristiques, leurs noms ou surnoms :

- soit à titre de marque commerciale, de produit ou service;

- soit pour donner forme ou ornement à tout objet ou marchandise, susceptible d’être exploité dans le commerce et la publicité sous diverses formes (reproduction des personnages en imagerie, cartes postales, posters, jeux, jouets, porte clés, bibelots, matériels de papeterie, textiles, verrerie, horlogerie, dessins et modèles…) […]

3.01.d Droit de reprographie […]

3.01.e Droit de prêt et de location […]

3.01.f Droit de représentation […]

3.01.g Droit d’exploitation sous forme numérique […]'

En outre, l’article 5.04 'propriété des planches’ stipule 'les tirages originaux des photographies ainsi que les textes les illustrant demeurent la propriété matérielle de l’auteur qui peut librement en faire commerce dans les limites des droits cédés par celui-ci à l’éditeur.'

Il résulte des dispositions précitées que les auteurs ont cédé à l’éditeur l’ensemble des droits patrimoniaux, notamment 'le droit de reproduction et les droits d’utilisation secondaire et les droits dérivés afférents à l’oeuvre' laquelle oeuvre est l’ouvrage intitulé 'LA Kingz’ composé presque exclusivement de photographies (224 pages sur 226) de MM. Y et Z et non un catalogue des oeuvres que seraient les photographies.

'Tout élément de l’oeuvre' (article 3.01 c) qui constitue l’ouvrage signifie donc bien les photographies sélectionnées par l’éditeur.

Le droit d’exploiter tout élément de l’ouvrage 'pour donner forme à tout objet ou marchandise, susceptible d’être exploité dans le commerce et la publicité sous diverses formes (reproduction des personnages en imagerie, cartes postales, posters, jeux, jouets, porte clés, bibelots, matériels de papeterie, textiles, verrerie, horlogerie, dessins et modèles…)' implique nécessairement l’autorisation d’extraire une ou plusieurs photographies issues de l’ouvrage pour une exploitation commerciale séparée.

En excluant toute interprétation extensive, que les auteurs condamnent, des diverses formes pouvant prendre 'tout élément de l’oeuvre’ savoir les photographies, l’ouvrage ne contenant que cela, notamment en utilisant les points de suspension mentionnés à l’article 3.01 précité après le terme 'modèles', il résulte notamment des termes expressément visés audit article tels que 'reproduction des personnages en imagerie', 'posters', dont la définition englobe la photographie (pièce n°14 intimée) que la reproduction d’une ou plusieurs photographies composant l’ouvrage, sous forme d’un tirage encadré est bien comprise par l’article 3.01 du contrat.

Sauf à dénaturer ledit contrat ou à lui enlever tout effet, la commune intention des parties est ainsi clairement affirmée dans les clauses du contrat qui est, dans l’intérêt bien compris des parties, de permettre à la société Ankama éditions d’exploiter les éléments constituant l’ouvrage aux fins de créer des produits séparés de l’ouvrage pouvant être vendus séparément, les photographies encadrées, exposées et vendues dans la boutique Memento mori.

En l’espèce, comme le souligne le premier juge, les auteurs n’ont pas fourni à la société Ankama les tirages originaux des photographies lesquelles sont tirées par le photographe ou sous sa direction et son contrôle, numérotées et signées, l’éditeur n’ayant pas exposé ni vendu de tels tirages pour la boutique Memento mori, laquelle contrairement à ce qu’affirment les appelants n’est pas une galerie mais bien une boutique vendant des objets et produits très divers et hétéroclites, comme le démontre son site Internet (pièce n° 11 intimée).

En revanche, la société Ankama a sélectionné ou fait sélectionner par la boutique Memento mori, certaines photographies contenues dans le livre, a défini le format et le cadrage du tirage, a supervisé ledit tirage ainsi que l’encadrement, étant en outre établi que la société Ankama a communiqué aux auteurs avant validation, les photographies sélectionnées par l’éditeur, puis organisées et mises en page par ce dernier, enfin exposées dans la boutique Memento mori, le vernissage ayant eu lieu en 2012 en présence des auteurs (pièce n°4 appelants; pièces n°5 et 18 intimée), sans aucune contestation de ces derniers pendant plus de trois années (pièce n°6 appelants).

De même, par des motifs que la cour adopte, le tribunal, rejetant l’argumentation des auteurs, reprise en appel, le débat sur la qualité du papier, le choix des cadres est indifférent et sans conséquence, s’agissant en l’espèce du droit de reproduction cédé à l’éditeur sur tout élément de l’ouvrage. Il en est de même des certificats d’authenticité, le jugement indiquant à juste titre, que n’est pas rapportée la preuve que des photographies ont été effectivement vendues, numérotées et signées (pièce n°12 appelants).

En conséquence, les reproductions exposées dans la boutique de Lille, puis vendues sont bien des produits dérivés de l’oeuvre, exploitées par l’éditeur, conformément aux dispositions contractuelles.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté M. Y et M. Z de leurs demandes indemnitaires de ce chef.

— sur le droit de représentation

Les appelants estiment qu’en organisant l’exposition à la boutique Memento mori la société Ankama éditions a réalisé la reproduction et la représentation des tirages photographiques de leurs oeuvres ce que ne permettait pas le contrat.

L’intimée considère que les auteurs ont concédé à l’éditeur le droit de représentation portant sur tout ou partie de l’ouvrage.

L’article L.122-2 du code de la propriété intellectuelle dispose que 'la représentation consiste dans la communication de l’oeuvre au public par un procédé quelconque, et notamment :

1° Par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique, présentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l’oeuvre télédiffusée;[…]'

L’article 3.01.f 'Droit de représentation’ de la clause du contrat 'Etendue et domaine d’exploitation des droits cédés’ énonce :

'- Le droit de présenter et de communiquer au public tout ou partie de l''uvre ou de ses adaptations et traductions, en toute langue, par tout procédé actuel ou futur de communication au public [']'.

'- Le droit de communiquer et de mettre à la disposition du public tout ou partie de l''uvre, ainsi que ses adaptations et traduction par tout réseau numérique et notamment Internet, Intranet ou tout mode de transmission actuel ou à venir ne supposant pas la vente d’un support'.

Il résulte de ce qui précède que la société Ankama éditions dispose des droits de reproduction cédés par les auteurs sur tout élément de l’ouvrage 'LA Kingz', en l’espèce, les photographies que constitue l’ouvrage, de sorte que le droit de représentation qu’elle détient également sur tout ou partie de l’oeuvre conformément à l’article 3.01 f ci-dessus, ne peut être remis en cause par les auteurs.

En l’espèce, lors de l’exposition dans la boutique Memento mori, la société Ankama éditions a communiqué et mis à la disposition du public les éléments de l’ouvrage par un moyen classique de communication, une exposition ouverte par un vernissage auquel les auteurs ont participé, l’éditeur prenant en charge les dépenses liées aux tirages des photographies exposées et à l’organisation du vernissage, outre la commission versée à la boutique, dépenses justifiées auprès des auteurs (pièces n°8 à 10, 18 intimée).

Le tribunal a, par conséquent, à juste titre, débouté les auteurs de leurs demandes indemnitaires, au titre de l’atteinte aux droits patrimoniaux.

b- sur l’atteinte au droit moral

Les appelants font valoir que la société Ankama les a évincés du processus de tirage des photographies, le format du tirage, la qualité du papier ou le tiers en charge de l’impression n’ayant pas fait l’objet de leur accord.

L’intimée, qui relève que l’atteinte au droit moral a été évoquée par les auteurs pour la première fois après trois ans de procédure, soutient que leur argumentation est contradictoire puisqu’après avoir prétendu que les tirages vendus seraient des originaux, ils affirment le contraire, en critiquant, sans en apporter la preuve, la qualité graphique des tirages, le choix des formats.

Aux termes de l’article L.121-1 du code de la propriété intellectuelle, 'L''auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. Ce droit est attaché à sa personne. Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.' […]

Le tribunal relève à bon droit qu’en se prévalant du caractère inaliénable de son droit moral sur son oeuvre, l’auteur ne peut revenir sur les accords compatibles avec ce droit, lorsqu’ils ont été librement consentis, sauf à rendre impossible l’élaboration de tout produit dérivé.

Il rappelle également que les auteurs ont cédé à la société Ankama éditions les droits notamment de reproduction, d’adaptation et de représentation de l’oeuvre qu’est l’ouvrage 'LA Kingz', dans le cadre du contrat conclu le 2 mars 2011, le premier juge relevant également que l’adaptation suppose d’accorder à l’adaptateur une certaine liberté qui lui permet des changements nécessaires.

En l’espèce, comme il a été dit précédemment, les auteurs ont participé à la sélection des photographies, n’ont émis aucune contestation sur le choix, le format, le prix de vente, fournissant

même les dates de prises de vue, l’atteinte au droit moral et les critiques sur les choix opérés n’étant pas évoqués dans l’assignation en date du 12 janvier 2017 (pièce n°5 intimée : échange de messages des 7 novembre et 4 décembre 2012 portant sur les dates de prises de vue, les photographies avec format et prix; pièce n°20 assignation).

Les appelants n’apportent en outre aucune preuve sur la qualité supposée médiocre des tirages, des encadrements des photographies exposées et vendues, qu’ils n’ont pas remis en cause pendant plusieurs années et très tardivement devant le tribunal.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté MM Y et Z de leurs demandes indemnitaires au titre de l’atteinte au droit moral d’auteur.

2- sur la reddition des comptes

Les appelants estiment, sur le fondement de l’article 1147 ancien du code civil, des articles L.132-13 et L.132-14 du code de la propriété intellectuelle, que la société Ankama éditions a manqué à son engagement contractuel de rendre des comptes. Ils réclament à ce titre des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi dont le montant correspond aux frais d’avocat qu’ils ont dû engagés.

L’intimée considère que le tribunal a mal apprécié les pièces qui lui avaient été soumises en jugeant que l’éditeur ne rapportait pas la preuve de la bonne exécution de son obligation de rendre compte ce qui équivalait à dire qu’il avait manqué à cet engagement.

Aux termes de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable à la présente espèce, 'le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.'

L’article L. 132-13 du code de la propriété intellectuelle dispose que ' l’éditeur est tenu de rendre compte.

L’auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat, exiger au moins une fois l’an la production par l’éditeur d’un état mentionnant le nombre d’exemplaires fabriqués en cours d’exercice et précisant la date et l’importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock.

Sauf usage ou conventions contraires, cet état mentionnera également le nombre des exemplaires vendus par l’éditeur, celui des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure, ainsi que le montant des redevances dues ou versées à l’auteur.'

Selon l’article L.132-14 dudit code, 'l’éditeur est tenu de fournir à l’auteur toutes justifications propres à établir l’exactitude de ses comptes. Faute par l’éditeur de fournir les justifications nécessaires, il y sera contraint par le juge.'

Le contrat d’édition stipule au 1er alinéa de son article 'reddition des comptes’ : 'les comptes des sommes dues à l’auteur seront arrêtés deux fois par an au 30 juin et 31 décembre et le solde créditeur s’il est supérieur à 50 euros lui sera payé pour le compte arrêté au 30 juin le 31 octobre de la même année, et pour le compte arrêté le 31 décembre, le 30 avril de l’année suivante.'

En l’espèce, la société Ankama éditions justifie de l’envoi à M. Z et M. Y de la reddition des comptes 2012 semestre 2, puis des années 2014 à 2019 (deux semestres pour chaque année) et enfin du premier semestre 2020, les dates d’envoi respectant les délais prévus à l’article 7 précité du contrat (pièces n°22 et 23).

Il est également établi que la société Ankama éditions a répondu le 22 octobre 2013 à une demande de précision de M. Y du 17 octobre 2013 (pièce n°7), puis à la lettre de réclamation des auteurs – non signée par eux, l’accusé de réception mentionnant le nom de leur conseil – du 16 décembre 2015 (pièce n°19 intimée), par une lettre très détaillée de l’éditeur répondant à leurs demandes de précisions en date du 15 janvier 2016 accompagnée des justificatifs des comptes, adressée à M. Y lequel n’a cependant pas réclamé le pli recommandé, le tout à nouveau envoyé à ce dernier par message électronique le 26 février 2016, puis au conseil des auteurs le 29 février 2016.

Les comptes produits aux débats mentionnent les exemplaires vendus, les droits de vente versés, les droits secondaires versés, la rémunération en fonction des pourcentages prévus au contrat. Si certes les premiers formulaires de comptes peuvent être jugés succincts, l’éditeur a fourni à première demande les explications. En outre, les derniers formulaires de comptes sont plus détaillés. Il n’est pas établi que la reddition des comptes qui a bien eu lieu, a été contraire aux dispositions précitées.

En outre, la régularisation effectuée par la société Ankama par lettre du 29 février 2016 adressée au conseil des auteurs, sur 109 ventes suite à une erreur de comptabilité, est insuffisante pour affirmer que la société Ankama a manqué à ses obligations de reddition de comptes.

Surabondamment, l’éditeur avait précédemment répondu à leurs demandes de précision sur les comptes reçus, de sorte que les seuls comptes du 2nd semestre 2015 ne justifiaient pas l’envoi d’une lettre très formelle émanant de fait du conseil des auteurs, la difficulté pouvant être résolue rapidement comme en atteste le courrier de la société Ankama éditions du 15 janvier 2016.

Les appelants ne justifient pas, dans ces circonstances, leur demande de dommages-intérêts pour manquement de l’éditeur à son obligation de rendre compte, correspondant aux frais de consultation de leur conseil.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire à ce titre.

3- sur les frais irrépétibles et les dépens

Le jugement sera confirmé de ces chefs.

M. Y et M. Z seront condamnés in solidum à payer à la société Ankama éditions la somme de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel.

Ils seront également condamnés aux dépens d’appel avec application de l’article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt mis à la disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme le jugement,

Y ajoutant,

Condamne M. B Y et M. C Z à payer à la société Ankama éditions la somme de 2 000 euros en application de dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, pour la procédure d’appel,

Condamne M. B Y et M. C Z aux dépens d’appel et autorise Me Jeanine Audegond, avocat au barreau de Lille, à recouvrer directement contre les parties condamnées, ceux des dépens d’appel dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision.

Le Greffier Le Président

I J F G-H

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Cour d'appel de Douai, Chambre 1 section 2, 21 octobre 2021, n° 20/02828