Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre sociale, 6 janvier 2021, n° 17/00775

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Montpellier, 1re ch. soc., 6 janv. 2021, n° 17/00775
Juridiction : Cour d'appel de Montpellier
Numéro(s) : 17/00775
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Montpellier, 14 mai 2017, N° 15/00525
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

IC/CK

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

1re chambre sociale

ARRET DU 06 JANVIER 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 17/00775 – N° Portalis

DBVK-V-B7B-NGRY

Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 MAI 2017

CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE MONTPELLIER – N° RG 15/00525

APPELANTE :

Madame F X

née le […] […]

[…]

8910 rosoy

Représentée par Maître Julie DE RUDNICKI, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Maître Alexandra MERLE, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMEE :

Association L’ARBRE A CHOUETTE SERVICES

44 avenue Saint-Lazare CS 59003

[…]

Représentée par Maître Bénédicte SAUVEBOIS PICON de la SELARL CABINET D’AVOCATS SAUVEBOIS, avocat au barreau de MONTPELLIER, substituée par Maître Lise RAISSAC, avocat au barreau de MONTPELLIER

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 1er Octobre 2020

COMPOSITION DE LA COUR :

En application de l’article 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 OCTOBRE 2020, en audience publique, Monsieur G H ayant fait le rapport prescrit par l’article 804 du même code, devant la cour composée de :

Monsieur G H, Président de chambre

Monsieur Jacques FOURNIE, Conseiller

Madame Karine CLARAMUNT, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffière, lors des débats : Madame Isabelle CONSTANT

ARRET :

— Contradictoire

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile ;

— signé par Monsieur G H, Président de chambre, et par Madame Isabelle CONSTANT, Greffière.

*

* *

Le 28 janvier 2013, Mme F X était embauchée par l’association l’ARBRE A CHOUETTE, en qualité d’infirmière dans le cadre d’un contrat de travail à temps complet et à durée indéterminée.

L’association est un établissement qui accueille en journée des enfants en bas âge dans leur développement psychomoteur et affectif.

Le 17 avril 2013, Mme X était promue directrice adjointe, statut de cadre, par avenant à son contrat de travail.

Suivant lettre recommandée en date du 26 février 2015, Mme X prenait acte de la rupture de son contrat de travail.

Le 8 avril 2015, Mme X saisissait le conseil de prud’hommes de Montpellier aux fins de voir requalifier sa prise d’acte de la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Suivant jugement rendu le 15 mai 2017, le conseil de prud’hommes de Montpellier déboutait Mme X de l’ensemble de ses demandes et la condamnait au paiement de la somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme X relevait appel de ce jugement par voie de déclaration électronique du 15 juin 2017.

Selon conclusions déposées par RPVA le 28 août 2017, Mme X sollicite l’infirmation du jugement dans toutes ses dispositions. Elle demande à la cour d’annuler la mise à pied du 12 février 2015 et de requalifier sa prise d’acte de la rupture du contrat de travail en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle

réclame paiement des sommes suivantes:

—  20 000 euros de dommages et intérêts pour rupture abusive;

—  5000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement, manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et exécution déloyale du contrat de travail;

—  2578, 38 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement;

—  7407, 99 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 740, 79 euros brut de congés payés y afférents;

—  1500 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de maintien de la couverture du régime de prévoyance et de mutuelle;

—  1500 euros de dommages et intérêts pour perte de chance de bénéficier des heures de DIF.

Elle sollicite la délivrance sous astreinte de 100 euros par jour de retard commençant à courir à compter de la notification de la décision à intervenir, de l’attestation Pôle Emploi, du certificat rectifiés, des bulletins rectifiés.

Mme X demande que les sommes allouées portent intérêts légaux à compter de l’acte introductif d’instance ce avec capitalisation annuelle.

Elle réclame paiement de la somme de 1800 euros au titre du remboursement de ses frais irrépétibles.

Au soutien de son appel, Mme X expose que dès son affectation au poste de directrice adjointe, les relations de travail se dégradaient. Elle constatait immédiatement une sous dotation en moyens humains accentuée par la méthode de gestion de la directrice qui se déchargeait totalement sur elle. Mme X compensait le manque de moyens par un travail intensif et une présence importante. De plus en plus de tâches lui étaient dévolues alors qu’elle continuait à assumer ses fonctions d’infirmière.

Mme X explique qu’elle annonçait sa grossesse au mois de juillet 2013. Elle partait en congé maladie à compter du 31 juillet 2013 puis en congé maternité du 25 novembre 2013 au 20 mars 2014. Elle devenait alors la cible de la directrice, Mme Y. La situation s’aggravait lorsque les salariés de la crèche déposaient un préavis de grève en septembre 2014. A compter du 5 janvier 2015, elle bénéficiait d’un arrêt maladie suite à un syndrome dépressif et réactionnel à un conflit au travail.

Suivant courrier du 29 janvier 2015, Mme X était convoquée à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement. Au cours de l’entretien fixé au 9 février 2015, Mme CAVADINI contestait tous les manquements reprochés. Pour autant, le 12 février 2015, elle se voyait notifier une mise à pied disciplinaire d’une durée de trois jours sur la base de faits non fondés. Par courrier du 19 février 2015, Mme X dénonçait les dysfonctionnements de la crèche et le harcèlement managérial de Mme Y. Elle expliquait devoir faire face à un management par le stress, une surcharge de travail, des reproches injustifiés, des insultes et gestes déplacés, une attitude familière, des propos non fondés et blessants suite à l’annonce de sa grossesse, des reproches faits par des salariés subordonnés à la demande de la directrice, une communication systématique des consignes par post it déposés sur son

bureau, une menace de fermeture de la crèche suite à son arrêt de travail durant sa grossesse, des reproches continus pour avoir signé un préavis de grève, envoi intensif de sms, messages vocaux et emails durant son arrêt de travail avec menaces à peine déguisées sur la pérennité de son poste, non respect des périodes d’arrêt maladie ou de repos, refus de congés.

Ne pouvant plus supporter ce climat, Mme X I, prenait acte de la rupture du contrat de travail par courrier du 2 mars 2015. Elle fait valoir que cette prise d’acte était provoquée par le harcèlement de Mme Y dont elle était victime et la dégradation des conditions de travail au sein de l’association.

Mme X soutient que l’employeur manquait à son obligation de sécurité du fait du harcèlement moral q’elle subissait. Ce harcèlement découlait du système managérial mis en oeuvre par Mme Y conjugué à une surcharge de travail. Ces conditions de travail dégradaient son état de santé. L’employeur ne prenait aucune des mesures nécessaires pour préserver sa santé. Une enquête était diligentée mais après son départ. Ainsi, l’association manquait gravement à ses obligations contractuelles. La prise d’acte de la rupture doit donc produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Mme X réclame indemnisation en raison du préjudice physique et moral subi du fait du harcèlement, du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et de son exécution déloyale du contrat de travail.

Mme X sollicite l’annulation de la mise à pied disciplinaire qui lui était notifiée.

En premier lieu, elle soulève l’irrégularité de la procédure sur le fondement des dispositions de l’article L 1232-2 du code du travail. Elle fait valoir que l’entretien préalable était mené par M. J A qui se présentait comme le responsable des relations humaines de l’association PRESENCE VERTE SERVICES désormais sans lien avec l’association l’ARBRE A CHOUETTE. Au surplus, la sanction était prononcée par la directrice générale de l’association PRESENCE VERTE qui ne disposait pas des pouvoirs nécessaires.

S’agissant du grief relatif au non respect d’un protocole de soins, Mme X expose que les parents de l’enfant concerné lui avaient expressément demandé de redonner du lait de vache, le nourrisson refusant le lait prescrit par le pédiatre.

Concernant le grief relatif à l’absence de prise de contact avec le pédiatre de la crèche, Mme X soutient que les RDV avec le pédiatre n’avaient plus lieu pendant son arrêt maladie ; ce qui ne lui est pas imputable.

S’agissant du reproché lié à une négligence dans la tenue du stock de médicaments, Mme X affirme qu’aucun médicament périmé n’était administré et qu’aucune boîte périmée n’était retrouvée dans la pharmacie. Elle ajoute qu’en sa qualité de directrice adjointe, elle n’était pas seule responsable de la tenue du stock de médicaments.

Mme X considère que Mme Y portait des accusations qu’elle savait fallacieuses pour se défausser.

Mme X fait valoir qu’elle n’avait jamais fait l’objet de procédure disciplinaire avant son arrêt maladie pour dépression réactionnelle.

Selon conclusions déposées par RPVA le13 octobre 2017, l’association l’ARBRE A CHOUETTE sollicite le confirmation du jugement entrepris. Elle réclame paiement de la somme de 7300, 17 euros au titre du préavis non effectué, outre 730, 01 euros de congés payés y afférents ainsi que le remboursement de ses frais irrépétibles à hauteur de 3000 euros.

A l’appui de ses prétentions, l’association l’ARBRE A CHOUETTE expose que suite à sa nomination de directrice adjointe, la relation de travail avec Mme X se poursuivait sans incident particulier, la salariée ne se plaignant de rien. En septembre 2014, l’absentéisme de certains salariés suscitait la réaction des autres collègues, y compris l’appelante, et la menace d’un mouvement de grève . Au vu des mesures prises par la direction, la salariée renonçait au préavis de grève. Mme X reprenait son travail sans difficulté. Mais, fin 2014, elle commettait de graves manquements dans l’exercice de ses fonctions. Elle était sanctionnée par une mise à pied disciplinaire de trois jours à compter du 9 février 2015. Dans l’intervalle elle était placée en arrêt maladie et ne reprenait plus jamais son activité. Par courrier du 10 février 2015, la salariée se plaignait de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral de la part de la directrice de crèche. A réception du courrier, la direction mandatait l’ancien directeur adjoint de la crèche, présentant toutes les garanties d’impartialité, pour diligenter, sans délai, une enquête interne. Sans attendre le résultat, Mme X prenait acte de la rupture du contrat de travail. Les investigations menées ne révélaient aucun harcèlement moral de la part de la directrice. Aucun des salariés auditionnés au cours de l’enquête ne corroborait les dires de Mme X. Si la salariée estimait être en surcharge de travail, il s’agissait d’un simple ressenti non fondé. L’absentéisme récurrent de certains collègues impactait l’ensemble des salariés.

En réalité, Mme Z voulait se libérer pour occuper un nouvel emploi en qualité d’infirmière à l’hôpital. Et, Mme Y très affectée par l’enquête diligentée finissait par solliciter la rupture conventionnelle de son contrat de travail.

L’association relève que mis à part ses propres écrits et réclamations, Mme X ne fournit aucun élément de preuve objectif à l’appui de ses allégations.

L’association l’ARBRE A CHOUETTE considère que la mise à pied disciplinaire notifiée le 9 février 2015, unique sanction prononcée à l’encontre de la salariée, ne peut caractériser un harcèlement moral.

S’agissant du vice de procédure invoquée par l’appelante, l’association rappelle qu’elle gère son activité dans le cadre d’une délégation unique de l’association PRESENCE VERTE SERVICES. M. A était titulaire d’un pouvoir pour représenter l’association lors de l’entretien préalable. Mme B, directrice générale de l’association PRESENCE VERTE SERVICES avait reçu délégation générale du président en ce qui concerne son pouvoir disciplinaire.

S’agissant des griefs ayant justifié la mise à pied disciplinaire, l’association reprochait à Mme X de ne pas avoir modifié , en concertation, le protocole d’accueil individualisé écrit avant de donner du lait de vache à l’enfant signalé allergique et gardé au sein de la crèche. Madame X ne prenait pas contact avec le pédiatre pour qu’il organise sa tournée sur la crèche. En outre, une partie du stock de médicaments de la crèche était périmée. Or, Mme X était l’infirmière référente de l’établissement. Ainsi, la mise à pied était parfaitement justifiée. En tout état de cause, la mise à pied restait sans effet puisque Mme X, en arrêt maladie ne reprenait pas son travail.

A titre subsidiaire, l’association ARBRE A CHOUETTE, tenant compte d’une ancienneté de la salariée de 18 mois, fait valoir que l’indemnité conventionnelle de licenciement doit être limitée à la somme de 1825, 04 euros.

S’agissant des droits à la formation et à la portabilité du régime de prévoyance, l’association relève que Mme Z ne justifie pas s’être inscrite au chômage après la rupture du contrat de travail.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 1er octobre 2020.

MOTIFS :

Sur l’annulation de la mise à pied disciplinaire :

Aux termes des dispositions de l’article 1332-2 du code du travail, lorsque l’employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l’objet de la convocation sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n’ayant pas d’incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l’entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

Au cours de l’entretien, l’employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

Sur la procédure :

C’est en principe l’employeur qui doit être présent à l’entretien mais il peut se faire représenter par une personne interne à l’entreprise. C’est à l’employeur compte tenu des explications fournies de choisir la sanction la plus propice et de la notifier.

La mise à pied disciplinaire litigieuse était notifiée le 12 février 2015 après un entretien du 9 février 2015.

Sont produits aux débats les statuts de l’association 'l’ARBRE A CHOUETTE’ et une situation au répertoire SIRENE du 5 février 2015 dont il ressort que l’association PRESENCE VERTE SERVICES en est membre de droit. Les statuts précisent : ' Les services de la crèche sont placés sous l’autorité hiérarchique d’un directeur. Ce cadre est recruté par la direction générale de PRESENCE VERTE SERVICES. Il est placé sous l’autorité du directeur général de PRESENCE VERTES SERVICES. Le règlement intérieur de l 'association l’ARBRE A CHOUETTE du 19 décembre 2014 porte le logo ' PRESENCE VERTE SERVICES'. L’en-tête de la lettre de notification de la mise à pied est 'PRESENCE VERTE SERVICES'.

C’est madame K B, directrice générale, qui notifiait la mise à pied . Elle disposait à cet effet d’une délégation de pouvoir du président de l’association PRESENCE VERTES SERVICES produite aux débats.

M. J A qui représentait l’employeur lors de l’entretien préalable bénéficiait à cet effet d’une délégation permanente de Mme B datée du 3 novembre 2014 et également produite aux débats.

La procédure est donc régulière.

Sur le bien fondé de la mise à pied disciplinaire :

En application des dispositions de l’article L 1333-1 du code du travail, le conseil de prud’hommes , juge du contrat de travail, saisi de la contestation sur le bien fondé d’une sanction disciplinaire peut l’annuler si elle apparaît injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.

L’employeur fournit au juge les éléments retenus pour prendre la sanction.

Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l’appui de ses allégations, le conseil de prud’hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d 'instruction qu’il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La lettre de mise à pied disciplinaire était rédigée en ces termes :

'- Vous n’avez pas remis à jour un protocole de soins que vous aviez obsolète. En effet les parents d’une petite fille vous ont informée du fait que vous pouviez, contrairement aux prescriptions du projet d’accueil personnalisé, donner du lait de vache à leur enfant. Vous n’avez pas pris soin de solliciter les autres acteurs afin de modifier ce document.

- Vous n’avez pas pris contact avec le pédiatre afin d’organiser ses tournées sur la crèche, empêchant tout suivi des enfants.

- le stock de médicaments dont vous aviez la charge était périmé et vous n’avez mis aucune action en place pour remédier à ce grave dysfonctionnement.

Ces différents manquements auraient pu avoir des conséquences dramatiques sur la santé des enfants de notre crèche…'

Il ressort du règlement intérieur de l’association que le projet d’accueil individualisé est un document écrit élaboré en concertation avec la famille, le médecin de la crèche, le médecin PMI, le directeur de la structure, l’équipe éducative pour prendre les mesures propres à faciliter la vie de l’enfant en collectivité et notamment les régimes alimentaires à appliquer.

Mise en cause par une infirmière la remplaçant au cours de son arrêt maladie, Mme X sollicitait, par mail du 12 février 2015, les parents du jeune enfant qui confirmaient ne pas avoir signé le PAI en question et avoir demandé son annulation suite à une conversation avec leur pédiatre ( cf mail produit aux débats).

L’existence de médicaments périmés dans la pharmacie n’est étayée par aucune pièce probante

(aucun listing, ni registre, ni photo..). Mme X affirmait vérifier régulièrement les dates de péremption. C’est pour cette raison qu’une boîte de valium périmée était restée sur son bureau. Les seules déclarations de Mme Y mise en cause pour harcèlement moral de la part de la salariée ne peuvent suffire à établir la matérialité de ce grief.

Le pédiatre de la crèche, le docteur C était contacté par Mme Y. Il admettait qu’il n’était pas sollicité régulièrement pour visiter la crèche. Il déplorait deux visites en cinq mois. Lors de l’entretien préalable, Madame X expliquait que le pédiatre était difficile à joindre. Sa fiche d’évaluation de novembre 2014, lui fixait comme objectif de 'trouver du temps pour le suivi médical des enfants'.

Mais il faut tenir compte de la charge de travail qui incombait à la directrice adjointe notamment du fait d’un grand absentéisme ou turn over, d’un grand nombre d’enfants accueillis comme en témoignent plusieurs salariés ( Mme M N/ Mme O P/ Mme D…), le préavis de grève déposé par les salariés en septembre 2014 et la réponse apportée par la hiérarchie le 1er octobre 2014.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, la mise à pied disciplinaire notifiée le 12 février 2015 n’était pas justifiée. Elle doit être annulée.

Sur le harcèlement moral :

Selon l’article L. 1152-1 du code du travail « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.»

La reconnaissance du harcèlement moral suppose trois conditions cumulatives : des agissements répétés ; une dégradation des conditions de travail ; une atteinte aux droits, à la dignité, à la santé physique ou mentale ou à l’avenir professionnel du salarié.

En application de l’article L.1154-1 du code du travail, il appartient au salarié qui prétend avoir été victime de harcèlement moral, de présenter des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et il incombe à l’employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Par mail du 26 avril 2013, Mme Y vantait les mérites de Mme X à la directrice générale : ' La nouvelle adjointe se débrouille très bien, elle est nettement plus volontaire et efficace; ça me soulage beaucoup'.

Du fait d’un grand absentéisme, d’un turn over important, du nombre conséquent d’enfants accueillis ( cf avis de grève du 30 septembre 2014 et réponse de la direction du 1er octobre) et de la diversité des tâches confiées (administratives et médicales), Mme X supportait une lourde charge de travail. Mme E, animatrice de crèche, en témoigne : ' Mme X devait être tout le temps de partout, bureau, secteut des bébés, des grands, elle relevait le défi, elle avait une surcharge de travail évidente…'

Il ressort de l’attestation rédigée par Mme D, éducatrice jeunes enfants, que suite au départ en congé maladie suivi d’un congé maternité de Mme X en juillet 2013, Mme Y, confrontée à un manque de moyens, faisait ressentir sa colère au sein de l’équipe.

Pendant son congé maternité, Mme Y et Mme X continuaient à échanger de nombreux mails (versés aux débats).

Par ailleurs, Mme X bénéficiait d’un arrêt de travail à compter du 5 janvier 2015. L’arrêt de travail mentionne : ' stress, anxiété, harcèlement au travail'. Est également versé aux débats un certificat médical du 2 février 2015 faisant état d’une anxiété réactionnelle avec syndrôme dépressif débutant. Le 6 février 2015, le médecin du travail relevait un effondrement une asthénie, des difficultés d’endormissement, des

réveils nocturnes.'

Sont produits aux débats les nombreux sms envoyés par Mme Y à Mme X en arrêt maladie à compter du 5 janvier 2015 suite à une dépression. . Mme Y insiste pour savoir si la salariée est en crise, si cette crise est due à son travail, elle se dit inquiète pour 'l’avenir de son poste'.

Mme Y , directrice adjointe, explique que sa relation avec Mme X se dégradait suite au mouvement de grève initié, en raison d’un manque d’effectif, par de nombreux salariés y compris la directrice adjointe qui n’avertissait pas sa supérieure. Mme Y affirme avoir alors perdu confiance. Mme O P et Mme M N, salariées, confirment que le préavis de grève était 'mal perçu’ par Mme Y.

Mme Y soutenait que l’infirmière recrutée en remplacement de Mme X lui rapportait le non respect par la directrice adjointe d’un plan d’accueil personnalisé pour un enfant allergique.

Mme Y décidait de contacter le pédiatre de la structure qui, dans un mail de réponse peu développé, regrettait un manque de collaboration, sans mettre cependant directement en cause Mme Z.

Enfin Mme Y soutenait avoir découvert dans la pharmacie de nombreux médicaments périmés. Elle en informait la direction en ces termes ( mail du 27 janvier) : ' je vous assure que j’ai totalement perdu confiance en ses compétences d’infirmière mais aussi d’adjointe. De toutes façons je ne suis même pas sûre qu’elle veuille revenir un jour'. S’en suivait une mise à pied disciplinaire.

Mais, il est acquis aux débats que la mise à pied disciplinaire notifiée le 12 février 2015 était injustifiée.

Au vu de ce qui précède, la salariée établit l’existence matérielle de faits précis et concordants, qui pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

En défense, l’employeur met en exergue l’enquête diligentée dans l’entreprise très rapidement après la dénonciation de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral. Sont produites aux débats les auditions de salariés réalisées dans le cadre des investigations. Le rapport d’enquête conclut à l’absence d’harcèlement moral. Mais, les salariés répondaient à des questions bien préparées, fermées, laissant peu de place à la spontanéité. Les réponses fournies sont peu développées et ne décrivent pas les conditions de travail au sein de la crèche.

Les diverses attestations de parents soulignant les qualités professionnelles de Mme Y ne sont pas de nature à l’exonérer du comportement harcelant qu’elle adoptait plus particulièrement envers la directrice adjointe. Ce ne sont pas les compétences générales de Mme Y qui sont mises en cause mais son attitude envers Mme X.

A l’examen des pièces produites et des moyens débattus, la cour retient que l’employeur échoue à démontrer que les agissements répétés établis par Mme X sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; le harcèlement moral est établi. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point.

Il résulte de l’examen des pièces versées aux débats et des moyens débattus, compte tenu du harcèlement subi, de sa durée, et des conséquences dommageables qu’il a eu pour Mme X, que l’indemnité à même de réparer intégralement son préjudice doit être évaluée à la somme de 5 000 euros.

Sur la prise d’acte :

Lorsqu’un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison des faits qu’il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets soit d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifient, soit dans le cas contraire d’une démission.

Les faits invoqués par le salarié doivent non seulement être établis mais constituer des manquements suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle.

Enfin, c’est au salarié et à lui seul qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur. S’il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l’appui de la prise d’acte, celle-ci doit produire les effets d’une démission.

Le harcèlement moral qui est caractérisé et qui a précédé immédiatement la prise d’acte de rupture constitue un manquement de l’employeur rendant impossible la poursuite du contrat de tarvail. La prise d’acte de la rupture du contrat de travail par Mme X est justifiée et produit les effets d’un licenciement dénué de cause réelle et sérieuse. Le jugement de première instance sera infirmé sur ce point.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

L’effectif de l’entreprise est apprécié au jour du licenciement. Il ressort du registre d’entrée et de sortie du personnel produit aux débats que l’entreprise occupait moins de onze salariés au jour du licenciement.

Conformément aux dispositions des articles L 1235-3 et L1235-5 alinéas 1 et 2 du code du travail, dans leur version applicable au présent litige, le montant des dommages et intérêts alloués dépend de l’importance du préjudice subi, lequel est évalué selon les principes du droit commun.

Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération de la salariée , de son âge, de son ancienneté, de son nouvel emploi et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice subi doit être évaluée à la somme de 10 000 euros.

Sur l’indemnité compensatrice de préavis :

Il ressort des bulletins de paie et de l’attestation Pôle Emploi produits aux débats que le salaire moyen brut de Mme X sur ses trois derniers mois d’activité ( dernier jour d’activité 2 mars 2015) était de 2469, 33 euros.

Aux termes des dispositions de l’article L 1234-5 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, l’indemnité compensatrice de préavis correspond aux salaires et avantages, y compris l’indemnité de congés payés qu’aurait perçus le salarié,

s’il avait travaillé pendant cette période.

Elle se calcule sur la base du salaire brut soumis aux cotisations sociales qu’aurait perçues le salarié s’il avait travaillé pendant cette période.

En application des dispositions de l’article L 1234-1 du code du travail et de la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial, l’ indemnité compensatrice de préavis due est d’un montant de 7407, 99 euros brut, outre 740, 79 euros brut de congés payés y afférents.

Sur l’indemnité conventionnelle de licenciement :

Aux termes des dispositions de l’article L1234-9 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige, le salarié titulaire d’ un contrat de travail à durée indéterminée licencié alors qu’il compte une année d’ancienneté ininterrompue au service du même employeur a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement.

Aux termes de la convention collective nationale des acteurs du lien social et familial, l’indemnité de licenciement est due à partir d’un an d’ancienneté et est égale à la moitié d’un mois par année d’ancienneté (proratisation en cas d’année incomplète).

En application des dispositions de l’article L 1234-11 du code du travail, sauf dispositions plus favorables, la période de suspension n’entre pas en compte pour la détermination de la durée d’ancienneté exigée pour bénéficier de l’indemnité de licenciement.

Si l’on tient compte des périodes de congé maladie ( 31 juillet au 24 novembre 2013, 4 juillet 2014, 22 et 23 septembre 2014, 5 au 26 février 2015), Mme X présentait au jour de la rupture du contrat de travail une ancienneté de 19 mois et 12 jours.

Il y a lieu d’allouer à la salariée une indemnité de licenciement d’un montant de 2015, 71 euros.

Sur la privation des droits DIF:

Le compte personnel de formation a remplacé le droit individuel à la formation depuis le 1er janvier 2015. Les droits de formation sont désormais attachés à la personne. Les droits accumulés ne sont pas perdus en cas de changement de contrat ou perte d’emploi. Mme X était d’ailleurs informée de cette réforme légale par courrier du 30 janvier 2015. La demande d’indemnisation est sans objet et sera rejetée.

Sur le droit au maintien des garanties prévoyance :

Mme X sollicite une indemnisation de la perte de chance de maintien de la couverture du régime de prévoyance du fait de la prise d’acte du contrat de travail aux torts de l’employeur.

Le dispositif légal de portabilité permet à chaque salarié, en cas de rupture du contrat de travail ouvrant droit à la prise en charge par l’assurance chômage et sauf faute lourde, de continuer à bénéficier pendant sa période de chômage des garanties collectives contre le risque décès, les risques portant atteinte à l’intégrité physique de la personne ou liés à la maternité ou les risques d’incapacité de travail ou d’invalidité

(article L911-8 du code de la sécurité sociale).

Les garanties de prévoyance sont maintenues à compter de la date de cessation du contrat de travail et pendant une durée égale à la période d’indemnisation du chômage, dans la limite de la durée du dernier contrat de travail ou, le cas échéant, des derniers contrats de travail s’ils sont consécutifs chez le même employeur (cas de CDD successifs, par exemple).

En l’espèce, il est constant que Mme X, embauchée dès le mois de février 2015 par le CHU, ne connaissait pas de période d’indemnisation chômage. Elle ne peut donc invoquer la perte d’une chance de bénéficier du maitien des garanties prévoyance du fait de la rupture du contrat de travail. Sa demande d’indemnisation doit être rejetée.

Sur les documents de fin de contrat :

Suite à la rupture du contrat de travail l’employeur doit délivrer un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi, les bulletins de paie, un solde de tout compte rectifiés conformément au présent arrêt, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette obligation d’une astreinte.

Sur les intérêts :

Les sommes à caractère salarial et l’indemnité de licenciement produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de l’arrêt, ce avec capitalisation annuelle;

Sur les dépens:

L’association l’ARBRE A CHOUETTE succombant à l’instance sera condamnée aux dépens.

Sur les frais irépétibles:

L’équité commande de condamner l’association l’ARBRE A CHOUETTE à payer à Mme X la somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement du conseil de prud’hommes de Montpellier du 15 mai 2017 dans toutes ses dispositions;

Statuant à nouveau :

Annule la mise à pied disciplinaire notifiée le 12 février 2015;

Requalifie la prise d’acte de la rupture du contrat de travail par Mme X en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Condamne l’association l’ARBRE A CHOUETTE à payer à Mme X les sommes suivantes :

— Une indemnité de 5000 euros en réparation du préjudice subi du fait d’un harcèlemnt moral ;

— Une indemnité de 10 000 euros du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

—  7407, 99 euros brut au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 740, 79 euros brut de congés payés y afférents ;

—  2015, 71 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement;

Ordonne à l’employeur de délivrer un certificat de travail, une attestation Pôle Emploi, les bulletins de paie, un solde de tout compte rectifiés conformément au présent arrêt ;

Condamne l’association l’ARBRE A CHOUETTE à payer à Mme X la somme de 1000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile;

Dit que les sommes à caractère salarial et l’indemnité de licenciement produiront intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation devant le bureau de conciliation et les sommes à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter de l’arrêt, ce avec capitalisation annuelle;

Rejette le surplus des demandes;

Condamne l’association l’ARBRE A CHOUETTE aux dépens.

la greffière, le président,

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Cour d'appel de Montpellier, 1re chambre sociale, 6 janvier 2021, n° 17/00775