Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 2, 19 mars 2021, n° 19/17493

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Chronologie de l’affaire

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Village Justice · 23 avril 2024

L'utilisation d'un logiciel par une personne autre que son auteur est généralement encadrée par un contrat de licence, ce dernier détermine les conditions d'utilisation du logiciel. Il existe de nombreux types de licences, les plus courantes sur le marché étant les licences propriétaires [1] ou privatives, par opposition aux licences libres [2]. Les licences permettent l'utilisation du logiciel contre un paiement, et interdisent tout partage, copie ou modification du logiciel. Le non-respect d'une licence de logiciel doit-il être qualifié de contrefaçon ou de faute contractuelle ? …

 

roquefeuil.avocat.fr · 25 octobre 2023

18 oct 2018 – Le licencié peut-il être qualifié de contrefacteur ? Evolution du débat. Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d'un contrat de licence de logiciel (par expiration d'une période d'essai, dépassement du nombre d'utilisateurs autorisés ou d'une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code-source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il : – une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 2, 19 mars 2021, n° 19/17493
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/17493
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 20 juin 2019, N° 11/07081
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 19 MARS 2021

(n°54, 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 19/17493 – n° Portalis 35L7-V-B7D-CAUVB

Décision déférée à la Cour : jugement du 21 juin 2019 -Tribunal de grande instance de PARIS – 3e chambre 3e section – RG n°11/07081

APPELANTE

Société ENTR’OUVERT

Société coopérative de production à responsabilité limitée, agissant en la personne de son gérant domicilié en cette qualité au siège social situé

[…]

[…]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 443 170 139

Représentée par Me François TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD – SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque J 125

Assistée de Me Olivier ITEANU, avocat au barreau de PARIS, toque D 1380

INTIMEES

S.A. ORANGE, anciennement dénommée FRANCE TELECOM, prise en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège social situé

[…]

[…]

Immatriculée au rcs de Paris sous le numéro 380 129 866

S.A. ORANGE BUSINESS SERVICES, venant aux droits de la société ORANGE APPLICATIONS FOR BUSINESS, prise en la personne de son président domicilié en cette qualité au siège social situé

1, place des Droits de l’Homme

93210 SAINT-DENIS LA PLAINE

Immatriculée au rcs de Bobigny sous le numéro 345 039 416

Représentées par Me Nicolas HERZOG de l’AARPI H2O AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque A 77

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 3 février 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Laurence LEHMANN, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mme Laurence LEHMANN a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Brigitte CHOKRON, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Brigitte CHOKRON, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 21 juin 2019 par le tribunal de grande instance de Paris,

Vu l’appel interjeté le 05 septembre 2019 par la société Entr’Ouvert,

Vu les dernières conclusions (conclusions n°4) remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 16 décembre 2020 par la société Entr’Ouvert, appelante,

Vu les dernières conclusions (conclusions n°3) remises au greffe, et notifiées par voie électronique le 30 novembre 2020 par les sociétés Orange SA et Orange Business Services, (les sociétés Orange), intimées,

Vu l’ordonnance de clôture du 14 janvier 2021.

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

La société Entr’Ouvert est une société coopérative de production, créée le 2 septembre 2002, entièrement détenue par ses salariés ayant pour activité le service informatique avec la réalisation de logiciels, le conseil, l’expertise et la formation. Elle précise accompagner depuis 17 ans des

collectivités locales et des administrations françaises dans leur gestion de la relation dématérialisée avec les usagers (e-administration/e-services), en développant notamment des solutions de gestion d’identité numérique.

Elle a conçu dès 2003, un logiciel dénommé Lasso qui permet la mise en place d’un système d’authentification unique (Single Sign On’SSO), afin que l’internaute ne s’identifie qu’une seule fois pour accéder à plusieurs services/sites en ligne.

La société Entr’Ouvert précise que son logiciel Lasso permet de concilier les nécessités d’une authentification, avec le respect de la vie privée des internautes, ces derniers pouvant décider des informations personnelles qu’ils souhaitent voir partager entre les divers services en ligne accessibles via une seule authentification.

Elle indique être seule titulaire des droits de propriété intellectuelle sur ce logiciel qu’elle exploite depuis mars 2004. Elle le diffuse :

* soit sous licence libre GNU GPL version 2,

* soit sous licence commerciale, c’est-à-dire, en contrepartie du paiement de redevances à son profit, si l’utilisation souhaitée du logiciel LASSO est incompatible avec la licence GNU GPL. Il y a notamment incompatibilité lorsque LASSO doit être intégré fortement à une solution propriétaire.

La société Orange, anciennement France Télécom, est une société française qui compte parmi les principaux opérateurs de télécommunications dans le monde. Elle développe et commercialise des services de télécommunications à destination d’une clientèle tant résidentielle que composée d’entreprises.

La société Orange Business Services (OBS), venant aux droits de la société Orange Applications For Business, est une filiale de la société Orange spécialisée dans la fourniture de prestations de services informatiques à destination des entreprises.

Dans le cadre d’un appel d’offre lancé fin 2005, par l’Agence pour le gouvernement de l’Administration électronique (ADAE), rattachée par la suite à la Direction Générale de la Modernisation de 1'Etat, en vue de la conception et de la réalisation du portail dénommé «Mon service Public», la société Orange, opérateur de télécommunications, a obtenu la réalisation du lot n°2, relatif à la fourniture d’une solution informatique de gestion d’identité et des moyens d’interface, à destination des fournisseurs de service

La société Orange a proposé dans ce cadre une solution comprenant l’interfaçage de la plate-forme IDMP avec la bibliothèque logicielle LASSO de la société Entr’Ouvert, dans sa version GNU GPL Version 2, sous licence libre.

La société Entr’Ouvert estimant que la mise à disposition de la bibliothèque libre LASSO à la DGME par Orange dans le cadre du projet MON SERVICE PUBLIC, n’était pas conforme aux articles 1 et 2 de la licence libre, a fait procéder suivant procès-verbal des 22 et 27 avril 2011, à une saisie contrefaçon au siège de la société Orange, puis a par acte du 29 avril 2011 fait assigner la société Orange devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droit d’auteur.

La société Orange Applications For Business, aux droits de laquelle se trouve la société OBS, est intervenue volontairement à la procédure.

Par une ordonnance du 31 mai 2013, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Paris a désigné M. X en qualité d’expert judiciaire qui a déposé son rapport le 23 octobre 2017.

Le jugement déféré en date du 21 juin 2019, a :

— dit sans objet la demande tendant «au prononcé de la validité du rapport d’expertise»,

— dit n’y avoir lieu à statuer sur la validité des procès-verbaux des 22 et 27 avril 2011,

— déclaré la société Entr’Ouvert irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon et en ses demandes qui y sont accessoires,

— rejeté la demande de la société Entr’Ouvert au titre du parasitisme,

— rejeté la demande subsidiaire de la société Entr’Ouvert aux fins de communication de pièces comptables et financières par les défenderesses,

— condamné la société Entr’Ouvert aux dépens, y incluant les frais d’expertise,

— condamné la société Entr’Ouvert à payer à chacune des sociétés Orange et OAB, la somme de 7.000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.

La cour constate qu’elle n’est pas saisie de demandes relatives à la validité du rapport d’expertise de M. X, ni de celles des procès-verbaux des 22 et 27 avril 2011.

La société Entr’Ouvert demande l’infirmation du jugement qui l’a déclarée irrecevable en ses demandes relatives à des atteintes à ses droits de propriété intellectuelle sur son logiciel Lasso, et qui l’a déboutée du grief de parasitisme pour faits distincts. Les sociétés intimées demandent à titre principal la confirmation du jugement de ces chefs.

Sur les atteintes aux droits de propriété intellectuelle

La société Entr’Ouvert reproche aux sociétés intimées de n’avoir pas respecté les obligations résultant du contrat de licence GNU GPL v2 applicable au logiciel Lasso, en incorporant/ encapsulant le logiciel dans un nouveau logiciel IDMP qu’elles ont commercialisé seules auprès de l’État et demande qu’il soit jugé que ces violations, constitutives d’atteinte à ses droits de propriété intellectuelle, caractérisent une contrefaçon. Ainsi, elle fonde ses demandes sur le droit d’auteur en matière de logiciel et la faute délictuelle de contrefaçon.

Elle demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a déclarée irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon de son logiciel et de la dire recevable à agir de ce chef et en ses demandes accessoires.

Les premiers juges ont considéré que la société Entr’Ouvert poursuivait en réalité la réparation d’un dommage généré par l’inexécution des obligations contractuelles résultant de la licence, qu’ainsi en application du principe de non-cumul de responsabilités seul le fondement de la responsabilité contractuelle était susceptible d’être invoqué et qu’il y avait lieu dès lors de déclarer irrecevable l’action en contrefaçon fondée exclusivement sur la responsabilité délictuelle.

Les sociétés Orange demandent la confirmation du jugement en ce qu’il a déclaré la société Entr’Ouvert irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon et en ses demandes accessoires dans la mesure où le litige relève de la responsabilité contractuelle.

Elles ajoutent que la société Entr’Ouvert doit également être déclarée irrecevable à agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle, tel que visé par les premières écritures d’appel de la

société Entr’Ouvert, car il s’agit d’une demande nouvelle au sens de l’article 564 du code de procédure civile soulevée la première fois en cause d’appel.

La cour constate, ainsi que relevé expressément lors de l’audience des plaidoiries et constaté par une note d’audience, que les dernières écritures susvisées de la société Entr’Ouvert ne formulent aucune demande fondée sur la responsabilité contractuelle, et dès lors la demande d’irrecevabilité à agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle formulée par les sociétés Orange est sans objet.

La société Entr’Ouvert maintient qu’elle est recevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon, nonobstant l’existence d’un contrat de licence, dès lors qu’elle invoque la violation de ce contrat. Elle reproche aux sociétés intimées la violation des articles 2, 3, 4 et 10 du contrat de licence GNU GPL v2 et affirme que ces manquements constituent une atteinte à ses droits de propriété intellectuelle sur le logiciel dont elle revendique la titularité et l’originalité. Elle considère qu’il n’y a pas lieu en la matière d’appliquer la règle du non -cumul des responsabilités et se prévaut d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) rendu le 18 décembre 2019, postérieurement au jugement entrepris.

Les parties sont en désaccord sur la portée de cet arrêt de la CJUE rendu sur une question préjudicielle posée en ces termes par un arrêt en date du 16 octobre 2018 de la cour d’appel de Paris (chambre 5-1) :

«Le fait pour un licencié de logiciel de ne pas respecter les termes d’un contrat de licence de logiciel (par expiration d’une période d’essai, dépassement du nombre d’utilisateurs autorisés ou d’une autre unité de mesure, comme les processeurs pouvant être utilisés pour faire exécuter les instructions du logiciel, ou par modification du code source du logiciel lorsque la licence réserve ce droit au titulaire initial) constitue-t-il

- une contrefaçon (au sens de la directive 2004/48 du 29 avril 2004) subie par le titulaire du droit d’auteur du logiciel réservé par l’article 4 de la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur,

- ou bien peut-il obéir à un régime juridique distinct, comme le régime de la responsabilité contractuelle de droit commun

L’affaire opposait la société IT Development qui avait consenti à la société Free Mobile un contrat de licence sur un progiciel et lui reprochait des modifications apportées au logiciel en violation du contrat de licence qu’elle avait fait constater par une saisie-contrefaçon.

A l’appui de la question posée, la cour d’appel rappelait que :

«le droit français de la responsabilité civile repose sur le principe cardinal du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, lequel implique :

- qu’une personne ne peut voir sa responsabilité contractuelle et sa responsabilité délictuelle engagées par une autre personne pour les mêmes faits,

- que la responsabilité délictuelle est écartée au profit de la responsabilité contractuelle dès lors que, d’une part, les parties sont liées par un contrat valable et que, d’autre part, le dommage subi par l’une des parties résulte de l’inexécution ou de la mauvaise exécution

de l’une des obligations du contrat.

Par ailleurs, le droit français considère de manière traditionnelle que la contrefaçon, laquelle est à l’origine un délit pénal, ressort de la responsabilité délictuelle et non de l’inexécution d’un contrat».

Le tribunal, avait dans l’affaire IT Development/ Free, comme dans la présente procédure, retenu que dès lors que les parties étaient liées par un contrat et qu’il était invoqué la violation d’une clause de ce contrat, la responsabilité délictuelle devait être écartée au profit de la responsabilité contractuelle, et par voie de conséquence que l’action en contrefaçon, assimilée à l’action délictuelle, devait être déclarée irrecevable.

La CJUE a reformulé la question préjudicielle considérant qu’il lui était demandé si «les directives 2004/48 et 2009/24 doivent être interprétées en ce sens que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme relève de la notion d'«atteinte aux droits de propriété intellectuelle», au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national.».

Répondant à la question ainsi reformulée la CJUE énonce par ses considérants 32 et 33 que :

32 – S’agissant de la directive 2009/24, qui établit les droits matériels des auteurs de programmes d’ordinateur, il y a lieu de relever que les États membres sont tenus, en vertu de l’article 1er de celle-ci, de protéger les programmes d’ordinateur par le droit d’auteur en tant qu''uvres littéraires. Aux termes de l’article 4 de cette directive, les droits exclusifs du titulaire de ces programmes qui doivent être protégés par les États membres comprennent, sous réserve de certaines exceptions qu’elle prévoit, notamment, le droit de faire ou d’autoriserla traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation d’un programme d’ordinateur. L’interdiction de modifier le code source d’un logiciel relève donc des droits d’auteur d’un programme d’ordinateur dont la directive 2009/24 prévoit la protection. Il convient d’ajouter que, en vertu de l’article 3 de ladite directive, une telle protection est accordée à toute personne physique ou morale admise à bénéficier des dispositions de l a législation nationale en matière de droit d’auteur applicable à ces 'uvres.

33 – Il s’ensuit que la directive 2009/24 ne fait pas dépendre la protection des droits du titulaire des droits d’auteur d’un programme d’ordinateur de la question de savoir si l’atteinte alléguée à ces droits relève ou non de la violation d’un contrat de licence.

Et par ses considérants 35 et 36 :

35 – S’agissant de la directive 2004/48, celle-ci prévoit, ainsi qu’il ressort de ses considérants 10 et 15 ainsi que de son article, les mesures, procédures et réparations nécessaires pour assurer le respect des droits de propriété intellectuelle, ce qui englobe les droits relevant de la directive 2009/24.

36 – Aux termes de son article 2, paragraphe 1, la directive 2004/48 s’applique à « toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle ». Il ressort du libellé de cette disposition, en particulier de l’adjectif « toute », que cette directive doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre également les atteintes qui résultent du manquement à une clause contractuelle relative à l’exploitation d’un droit de propriété intellectuelle, y compris celui d’un auteur d’un programme d’ordinateur.

Et précise par ses considérants 42, 43 et 44 :

42 – Il y a lieu de constater, au vu de ce qui précède, que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme relève de la notion d'« atteinte aux droits de propriété intellectuelle », au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette directive.

43 – Toutefois, si la directive 2004/48 vise à établir les mesures, procédures et réparations à l’égard des titulaires des droits de propriété intellectuelle, ce qui englobe les droits d’auteur des programmes d’ordinateur prévus par la directive 2009/24, cette première directive ne fixe pas les modalités exactes d’application de ces garanties et ne prescrit pas l’application d’un régime de responsabilité particulier en cas d’atteinte à ces droits.

44 – Il s’ensuit que le législateur national reste libre de fixer les modalités concrètes de protection des dits droits et de définir, notamment, la nature, contractuelle ou délictuelle, de l’action dont le titulaire de ceux-ci dispose, en cas de violation de ses droits de propriété intellectuelle, à l’encontre d’un licencié de programme d’ordinateur. Toutefois, il est indispensable que, dans tous les cas, les exigences de la directive 2004/48 soient respectées.

Au dispositif de son arrêt la CJUE énonce que :

'La directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, et la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, doivent être interprétées en ce sens que la violation d’une clause d’un contrat de licence d’un programme d’ordinateur, portant sur des droits de propriété intellectuelle du titulaire des droits d’auteur de ce programme, relève de la notion d'« atteinte aux droits de propriété intellectuelle', au sens de la directive 2004/48, et que, par conséquent, ledit titulaire doit pouvoir bénéficier des garanties prévues par cette dernière directive, indépendamment du régime de responsabilité applicable selon le droit national.

Ainsi, la CJUE ne met pas en cause le principe du non cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle et la conséquence qui en découle de l’exclusion de la responsabilité délictuelle au profit de la responsabilité contractuelle dès lors que les parties sont liées par un contrat et qu’il est reproché la violation des obligations de celui-ci.

La CJUE s’attache à voir respectées les exigences de la directive indépendamment du régime délictuel ou contractuel de responsabilité applicable ainsi que la protection des logiciels telle que prévue par la directive 2009/24.

Ainsi lorsque le fait générateur d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d’un acte de contrefaçon, alors l’action doit être engagée sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle prévue à l’article L.335-3 du code de la propriété intellectuelle.

En revanche lorsque le fait générateur d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle résulte d’un manquement contractuel, le titulaire du droit ayant consenti par contrat à son utilisation sous certaines réserves, alors seule une action en responsabilité contractuelle est recevable par application du principe de non-cumul des responsabilités.

En l’espèce, l’action en contrefaçon formée par la société Entr’Ouvert qui agit, en première instance, comme en appel, sur le seul fondement délictuel doit être déclarée irrecevable dès lors que comme indiqué elle se fonde sur le contrat de licence qui lie les parties et se prévaut de la violation des clauses de ce contrat.

Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu’il a déclaré la société Entr’Ouvert irrecevable à agir sur le fondement délictuel de la contrefaçon et en ses demandes qui y sont accessoires.

Sur le parasitisme

La société Entr’Ouvert demande l’infirmation du jugement en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes fondées sur le parasitisme.

Elle reproche à la société Orange d’une part un détournement de son savoir-faire sur son logiciel LASSO qui lui a permis de réaliser indûment d’importantes économies et d’autre part d’avoir grâce à ce logiciel remporté le marché public «mon.service-public» et dès lors obtenu un avantage concurrentiel injustifié. Elle indique qu’il s’agit là d’agissements parasitaires distincts des manquements contractuels invoqués par ailleurs au titre de la contrefaçon et demande la condamnation de la société Orange à lui payer, sur ce fondement, la somme de 500.000 euros en réparation de son préjudice.

Les sociétés intimées soulèvent à titre principal l’irrecevabilité de cette action délictuelle dès lors que les fautes invoquées sont comme pour les faits de contrefaçon constitués de supposés manquements contractuels et subsidiairement mal fondée.

Pour autant les reproches articulés par la société Entr’Ouvert ne sont pas tirés de violations des clauses du contrat de licence mais sont relatifs à des faits distincts de parasitisme et dès lors ne se heurtent pas à la règle du non-cumul des responsabilités ci-dessus évoquée. L’action de ce chef fondée sur l’article 1240 du code civil doit dès lors être déclarée recevable et le jugement confirmé de ce chef.

Le parasitisme est constitué lorsqu’une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

Or, il ressort des éléments versés à la procédure que dès 2004, les parties ont entretenu des relations d’affaires, à l’occasion desquelles la société Orange a très vite montré son intérêt pour LASSO en sollicitant divers renseignements/formations et prestations sur ce logiciel.

Il est avéré, ainsi que l’expert judiciaire M. X le souligne dans la conclusion de son rapport, que la société Orange pour répondre à l’appel d’offre en vue de la conception et de la réalisation du portail dénommé «Mon service Public» a identifié le logiciel LASSO comme «permettant d’apporter la brique technique et fonctionnelle à la version IDMP» dont elle disposait vraisemblablement au préalable et que la solution IDMP présentée dans ce cadre est totalement dépendante de la présence de LASSO. L’expert ajoute que « la dépendance de IDMP à LASSO se manifeste également par le fait qu’aucun dispositif de «secours» ou alternative lié à la défaillance ou à l’absence de LASSO n’est intégré à l’architecture ou aux codes sources de IDMP.(…) il est impossible, sauf au prix d’une refonte conséquente des codes sources de IDMP, d’intégrer un autre composant logiciel qui rendrait le même service que LASSO.».

L’expert note que la solution proposée par la société Orange a permis de rendre IDMP conforme au protocole informatique «Security assertion markup language» (SAML) tel que décrit par le consortium Liberty Alliance par l’intégration du logiciel LASSO, seule bibliothèque libre certifiée SAML 2.0, qui a été encapsulé dans au moins un des composants de IDMP. Il conclut que IDMP/MSP s’appuie entièrement sur le logiciel LASSO et que deux versions de ce logiciel ont été utilisées.

Ainsi le logiciel LASSO, tel que modifié et incorporé dans la solution proposée par la société Orange, a procuré à celle-ci l’avantage de pouvoir répondre à l’appel d’offre de l’Etat en respectant les pré-requis demandés.

Ce faisant, la société Orange a, sans bourse délier, utilisé le savoir-faire, le travail et les investissements de la société Entr’Ouvert et commis, en conséquence, au préjudice de cette dernière, des actes de parasitisme.

La société Entr’Ouvert sollicite la condamnation de la société Orange à lui verser la somme de 500.000 euros en réparation de son préjudice résultant selon elle d’un manque à gagner, de la perte

d’un avantage concurrentiel et d’un préjudice moral.

Pour autant, comme justement retenu par les premiers juges, elle ne produit aucune pièce comptable ou financière tant pour quantifier les moyens qu’elle a consentis au développement de la bibliothèque LASSO que pour chiffrer son préjudice économique.

Toutefois, les faits de parasitisme ci-dessus décrits opérés par la société Orange pour remporter un marché conséquent avec l’Etat sans aucune reconnaissance ni financière, ni morale du travail et des investissements de la société Entr’Ouvert causent nécessairement à celle-ci un préjudice, économique et moral, dont le principe est incontestable et qui doit être réparé.

Au vu des éléments d’appréciation dont dispose la cour, il sera alloué à la société Entr’Ouvert la somme de 150.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son entier préjudice, sans qu’il n’y ait lieu d’ajouter de mesures de publications.

Le jugement qui a débouté la société Entr’Ouvert de son action fondée sur le parasitisme sera infirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Le sens de l’arrêt conduit à infirmer le jugement sur les dépens et l’application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile. La société Orange sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d’appel comprenant les frais de l’expertise judiciaire et à verser à la société Entr’Ouvert une somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

Dit sans objet la demande d’irrecevabilité à agir sur le fondement de la responsabilité contractuelle présentée par les sociétés Orange SA et Orange Business Services,

Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté la société Entr’Ouvert de ses demandes sur le fondement de la concurrence parasitaire, et en ses condamnations prononcées au titre des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile,

Y substituant et y ajoutant,

Condamne la société Orange SA à payer à la société Entr’Ouvert la somme de 150.000 euros pour parasitisme,

Déboute les sociétés Orange SA et Orange Business Services de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes des parties contraires à la motivation,

Condamne la société Orange SA aux dépens de première instance et d’appel, comprenant les frais de l’expertise judiciaire, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile et, vu l’article 700 de ce code, la condamne à payer à la société Entr’Ouvert la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel.

La Greffière La Présidente

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