Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 8, 2 novembre 2021, n° 19/10913

  • Sociétés·
  • Finances·
  • Fraudes·
  • Faux·
  • Contrats·
  • Courtage·
  • Chili·
  • Police·
  • Assureur·
  • Garantie

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 8, 2 nov. 2021, n° 19/10913
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/10913
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 6 février 2019, N° 2015036243
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 8

ARRÊT DU 02 NOVEMBRE 2021

(n° 2021/ , 19 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/10913 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CAAUH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Février 2019 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2015036243

APPELANTES

Société VIEL ET COMPAGNIE – FINANCE – SOCIÉTÉ EUROPÉENNE, agissant en la personne de ses représentants légaux, domiciliés audit siège en cette qualité.

[…]

[…]

Immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro : 328 .76 0.1 45

Représentée par Me Laurence TAZE-BERNARD , avocat au barreau de PARIS, toque : P0241

Ayant pour avocat plaidant, Me Pascal ORMEN, SELARL ORMEN PASSEMARD, avocat au barreau de PARIS, toque P 555

APPELANTE – INTIMÉE INCIDEMMENT

INTIMÉES

SA ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société CGU COURTAGE

[…]

[…]

N° SIRET : 542 110 291

SA AXA FRANCE IARD, venant aux droits de la société AXA COURTAGE IARD

[…]

[…]

N° SIRET : 722 057 460

Toutes deux représentées par Me Yann MICHEL de la SELARL ASEVEN, avocat au barreau de

PARIS, toque : P0196

INTIMÉES – APPELANTES INCIDENTES

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 29 Juin 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre

M. Christian BYK, Conseiller

M. B C, Conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur B C dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Joëlle COULMANCE

ARRÊT : Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Béatrice CHAMPEAU-RENAULT, Présidente de chambre et par Dominique CARMENT, Greffière présente lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSÉ DU LITIGE :

La société européenne VIEL ET COMPAGNIE-FINANCE (groupe VIEL/VIEL FINANCE) est une société d’ingénierie financière, déclarée comme telle au registre du commerce et des sociétés, selon extrait K-bis du 11 avril 2017. Elle détient une participation majoritaire dans une société de droit suisse, la COMPAGNIE FINANCIERE TRADITION qui elle-même, offre des services de courtage financier dans vingt-huit pays à travers des sociétés filiales, dont le Chili où la COMPAGNIE FINANCIERE TRADITION dispose de deux filiales, TRADITION CHILE ARGENTES DE VALORES LIMITADA (TAV) et […], détenues indirectement à travers la filiale TRADITION NORTH AMERICA (TNA) aux Etats-Unis.

La société VIEL FINANCE a souscrit le 29 mars 2002 auprès d’AXA COURTAGE aux droits de laquelle vient AXA France Iard, apériteur d’une police d’assurance aux côtés de CGU COURTAGE (aux droits de laquelle vient ALLIANZ Iard), un contrat applicable à compter du 21 septembre 2001, couvrant les risques de 'fraude et actes de malveillance sur données informatiques' pour elle-même et pour le compte de l’ensemble de ses filiales directes ou indirectes (ci-après 'la police').

Le 27 avril 2005, TAI a conclu un contrat de joint-venture avec la société Inversiones Actimel Limitada (ci-après 'Actimel') ayant principalement pour objet la réalisation d’opérations de change spot (opération de change exécutée immédiatement au prix convenu et dont le règlement a généralement lieu après deux jours ouvrables) et forward (opération exécutée à une date convenue, le cours de change à terme pouvant être supérieur ou inférieur au cours de change au comptant), à travers l’achat-vente de pesos chiliens et de dollars américains.

Le contrat prévoyait que TAI et Actimel se partageraient à parts égales les profits réalisés lors de ces opérations de change, mais qu’Actimel ne devrait supporter aucune perte d’un montant supérieur à 150.000 USD. En effet, au-delà de ce montant, 100% des pertes seraient transférées et supportées par TAI.

Par courrier du 12 août 2005, la société VIEL FINANCE a informé son courtier, M. X, du cabinet PEROUSE ASSURANCES de la suspicion 'd’un délit de fraude, fraude qui serait survenue dans une société du groupe installée au Chili', bureau placé sous la responsabilité de TNA, New York, que 'le responsable de TNA a diligenté une investigation et pris toutes les mesures nécessaires pour stopper les actions frauduleuses', et être'en relation avec [leur] bureau de New York' et qu’ils ne manqueraient 'pas de [les] tenir informés des résultats de l’investigation'.

Par courrier du 6 septembre 2005, la société TNA a communiqué au cabinet PEROUSE ASSURANCES les détails concernant selon elle les opérations exécutées par leur bureau chilien qui se sont soldées pour la société par 'une perte de l’ordre de 54 000 000 dollars'. Elle relevait que 'les circonstances entourant une grande partie de ces opérations semblent suspectes et cette activité en elle-même n’est pas régulière et dépasse largement le cadre des critères prescrits pour le bureau' et précisait notamment que la perte lui aurait été révélée lors d’un appel téléphonique du directeur du bureau, Ricardo BERCIZA, après que des positions aient 'été renouvelées sans tenir compte des objections de la banque qui a accordé la ligne de crédit, ce qui a permis de ne pas signaler la position, [banque qui] ne souhaitait pas renouveler la position […]mais a donné son feu vert lorsque [leur] représentant a accepté de payer un prix anormal pour le renouvellement'.

La société TNA concluait son courrier en ces termes : 'il semble que Tradition ait subi cette perte du fait des actions d’un courtier/trader véreux et d’un directeur mal inspiré au Chili, qui a effectué des transactions dans l’intention semble-t-il d’en faire tirer profit à Actimel. Lorsque l’opération a présenté des pertes très importantes, le courtier/trader et son directeur se sont arrangés pour dissimuler la position depuis NY pendant près de six semaines dans l’espoir que la situation se retournerait favorablement. Ainsi, le courtier/trader et son directeur ont falsifié le rapport financier du bureau, manqué à leurs obligations fiduciaires de rendre compte à NY du risque grave couru à Santiago, et Tradition a subi une perte de $ 4 000 000 du fait de leurs actions. Cette perte ne se serait jamais produite si la direction chilienne avait suivi son plan d’entreprise tel qu’il a été présenté à la Direction Générale à New York en novembre 2004'.

Par courrier du 10 octobre 2005, la société AXA France a indiqué au cabinet PEROUSE ASSURANCES que 'le contrat d’assurance souscrit ne paraît pas avoir vocation à intervenir pour garantir les pertes annoncées'.

Par courriel du 11 juillet 2006, le cabinet d’expertise et de conseil GMC, missionné par la société AXA France relevait que 'le contrat passé entre TAI et Actimel, bien que résolument établi en faveur d’Actimel, ne revêt aucun caractère frauduleux', qu’il n’avait 'relevé aucune pièce frauduleuse échangée avec le bureau de New York qui serait susceptible d’avoir trompé la vigilance de ses responsables' et qu’aucun des éléments dont il disposait ne lui permettait 'de relier les pannes constatées par la société FCL [concernant le système d’enregistrements téléphoniques] à un agissement frauduleux'. Il en a conclu n’avoir 'relevé aucun élément à ce jour [lui] permettant d’affirmer que les pertes subies par le bureau de SANTIAGO résultent d’une fraude orchestrée par les traders du bureau chilien'.

La société TNA a alors déposé plainte le 27 avril 2007 devant le juge de la juridiction pénale compétente au Chili d’une action pénale pour un délit d’escroquerie prévu par l’article 468 du code pénal chilien.

Par courrier du 2 mai 2007, le courtier de VIEL FINANCE (Développement et Partenariat Assurances) a transmis copie de cette plainte à la société AXA France en l’avisant 'que cet envoi [lui] est fait sous la forme recommandée afin d’interrompre la prescription biennale prévue par l’article L 114-1 du code des assurances, et ce conformément à l’article L 114-2 du même code'.

Par courrier du 3 avril 2009, le cabinet H I J a écrit à la société VIEL FINANCE avoir 'procédé à une analyse des éléments de dossiers disponibles sur la perte de USD 4 millions survenue en 2005 au sein de l’entité du Groupe au Chili, TAI' et conclure être 'en désaccord avec le cabinet GMC' et considérer, sur la base de ses analyses, 'que les faits survenus entre avril et juillet 2005 au sein de TAI pourraient constituer une fraude susceptible de faire l’objet d’une indemnisation dans le cadre du contrat d’assurance fraude du Groupe Viel avec AXA Courtage'.

A la suite d’une réunion tenue le 3 juillet 2009 entre la société AXA France et la société VIEL FINANCE, en compagnie du courtier et du cabinet GMC, ce dernier puis la compagnie ont confirmé les 10 et 17 juillet 2009 leur position selon laquelle 'les faits évoqués ne relèvent pas de la garantie contractuelle 'se réservant la possibilité d’apprécier ces faits autrement si la procédure pénale en cours devait apporter 'un éclairage nouveau sur ce dossier'.

Le 18 novembre 2009, la société VIEL FINANCE a précisé à la société AXA France que 'concernant la procédure pénale engagée au Chili en 2007, celle-ci est encore en phase d’investigation par la police'.

Par lettre du 17 juin 2010, la société AXA a indiqué à la société VIEL FINANCE qu’elle refusait sa garantie au motif que 'les faits évoqués ne relèvent pas de la garantie contractuelle'.

Le 10 novembre 2010, le courtier a alors informé la société AXA France de l’évolution de la situation en exposant que : 'Le tribunal de Santiago a indiqué à [son] client l’entrée de la plainte dans le stade du 'sumario'. Cela signifie que le tribunal entame effectivement une procédure de poursuite criminelle (…)

Les étapes à venir vont être :

- 'sumario’ : nouvelle investigation, phase durant laquelle Tradition Chili présentera à nouveau sa plainte (environ 3 mois)

- 'accusacion fiscal’ : accusation formelle des prévenus émise par le juge (durée de cette phase indéterminée)

- 'plenario’ : phase active du procès, durant laquelle chacune des parties pourra répondre à l’autre (minimum 3 mois)'. Il concluait en affirmant qu’il la tiendrait informée 'de l’évolution de la situation'.

Après dépôt d’un rapport d’expertise documentaire daté du 31 décembre 2010, rédigé à la demande du 34e tribunal pénal de Santiago, et échanges de courrier aux termes desquels chacune des parties est restée sur sa position, la société VIEL FINANCE a, par acte d’huissier du 16 juin 2015, fait assigner la société AXA et GROUPAMA devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de condamnation à l’indemniser en exécution du contrat d’assurance souscrit, des pertes subies par la société TAI comme conséquence de la fraude dont elle a été victime, sous déduction de la franchise contractuelle, condamnation assortie de l’intérêt légal à compter du 9 juillet 2014, avec capitalisation.

La société ALLIANZ est intervenue volontairement à la procédure le 23 septembre 2015.

Par jugement contradictoire en date du 7 février 2019, ledit tribunal a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :

— mis hors de cause la SA GROUPAMA,

— condamné solidairement les sociétés AXA France IARD, venant aux droits de la SA AXA COURTAGE IARD, et ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société CGU COURTAGE, à payer à la Société Européenne VIEL ET COMPAGNIE – FINANCE la somme de 75.894 euros en principal avec intérêts au taux légal à la date de l’assignation, retenant par là le faux en écriture matérialisé par l’existence d’un contrat et d’écritures comptables anti-datés, mais rejetant la qualification d’abus de confiance résultant de la commission par le dirigeant de TAI d’opérations de change pour compte propre, et estimant que les deux clauses d’exclusion de garantie revendiquées par les assureurs ne pouvaient recevoir application,

— ordonné la capitalisation des intérêts sur cette somme,

— condamné solidairement les sociétés AXA France IARD venant aux droits de la SA AXA COURTAGE IARD et ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société CGU COURTAGE à lui payer une indemnité de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

— condamné les sociétés AXA France IARD, venant aux droits de la SA AXA COURTAGE IARD, et ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société CGU COURTAGE in solidum aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 168,24 euros dont 27,82 euros de TVA.

Par déclaration en date du 23 mai 2019, la société VIEL ET COMPAGNIE- FINANCE a interjeté appel de cette décision (RG 1910913). La société ALLIANZ IARD a fait de même par déclaration du 26 juillet 2019 (RG 19/15641).

Aux termes de ses dernières écritures trans mises par voie électronique le 06 février 2020, la société VIEL ET COMPAGNIE demande à la cour au visa des articles 1134 du code civil, et L.113-5 du code des assurances, d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il :

— n’a condamné solidairement les sociétés AXA France IARD, venant aux droits de la SA AXA COURTAGE IARD, et ALLIANZ IARD, venant aux droits de la société CGU COURTAGE, à lui payer que :

. la somme de 75.894 euros en principal avec intérêts au taux légal à la date de l’assignation ;

. une indemnité de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— l’a déboutée de ses demandes autres, plus amples ou contraires,

— et statuant à nouveau, juger que la société TAI a été victime de faux et usage de faux, qui est à l’origine de son entier dommage,

— subsidiairement, juger que la société TAI a été victime d’un abus de confiance, qui est à l’origine de son entier dommage,

— en conséquence, que ce soit au titre du faux et usage de faux, ou de l’abus de confiance:

. condamner la société AXA France IARD en exécution du contrat d’assurance n° 1705305104 à lui payer la somme en principal de 2.357.721,78 euros après déduction de la franchise contractuelle, au titre des pertes subies par la société TAI comme conséquence de la fraude dont elle a été victime, assortie de l’intérêt légal à compter du 09 juillet 2014,

. condamner la société ALLIANZ IARD en exécution du contrat d’assurance n° 72.109.784 à lui payer la somme en principal de 1.010.452,20 euros après déduction de la franchise contractuelle, au

titre des pertes subies par la société TAI comme conséquence de la fraude dont elle a été victime, assortie de l’intérêt légal à compter du 09 juillet 2014,

— ordonner la capitalisation annuelle de l’intérêt légal et pour la première fois le 09 juillet 2015,

— condamner solidairement les sociétés AXA France IARD et ALLIANZ IARD au paiement de la somme de 4.018 euros au titre des frais de traduction qu’elle a engagés,

— condamner les sociétés AXA France IARD et ALLIANZ IARD à lui payer une somme de 30.000 euros chacune au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction.

Aux termes de leurs dernières écritures transmises par voie électronique le 14 janvier 2021, les sociétés AXA France IARD et ALLIANZ IARD demandent à la cour, au visa des articles 1134 et 1315 anciens du code civil, de :

— infirmer le jugement déféré en ce qu’il a été jugé qu’une fraude serait caractérisée, au seul motif de l’inscription dans la comptabilité de la société TAI à la date du 18 avril 2005 du montant d’un chèque daté du 25 avril 2005 et encaissé le 26 avril 2005,

Statuant à nouveau sur ce point, juger que :

— le contrat d’assurance Fraude ne saurait constituer une garantie de bonne fin pour l’exercice de l’activité professionnelle de la société VIEL ET COMPAGNIE FINANCE,

— la société VIEL ET COMPAGNIE FINANCE ne prouve pas l’existence d’une fraude par faux et usage de faux ou par abus de confiance, ni l’intention frauduleuse,

— elle ne justifie pas du montant des préjudices qu’elle invoque,

— juger en conséquence qu’elle n’établit pas que le contrat d’assurance souscrit le 29 mars 2002 devrait recevoir application et la débouter de l’ensemble de ses demandes formulées à leur encontre.

A titre subsidiaire, elles demandent de faire application des clauses d’exclusion de garantie stipulées aux conditions particulières, dont en particulier celle relative aux sinistres intentionnellement commis par les dirigeants de la société TAI, ou avec leur complicité, ainsi que de la clause de franchise de 152.449 euros.

En toute hypothèse, elles demandent de condamner la société VIEL ET COMPAGNIE FINANCE à leur payer une somme de 75.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction.

La clôture est intervenue le 08 février 2021. Par ordonnance du 04 mai 2021, la clôture a été révoquée et l’affaire renvoyée aux fins de jonction éventuelle avec le dossier RG 19/15641, devant être plaidée le 10 mai 2021, concernant les mêmes parties et le même jugement, à défaut de désistement d’ALLIANZ dans le cadre de ce dossier (dans lequel une caducité partielle avait été évoquée) et de fixation d’un nouveau calendrier.

Par ordonnance du 17 mai 2021, le magistrat en charge de la mise en état a constaté la caducité partielle de la déclaration d’appel à la date du 08 novembre 2019 dans le dossier RG 19/15641 et prononcé ladite caducité (à l’égard d’AXA France IARD).

Par ordonnance du 31 mai 2021, la jonction des deux procédures a été ordonnée et par ordonnance du 07 juin 2021, la clôture prononcée et l’affaire appelée pour dépôt de dossiers à l’audience du 29

juin 2021.

Il est expressément renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties aux conclusions ainsi visées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Au delà des demandes de 'dire et juger’ et de 'constater’ qui ne saisissent pas la cour de prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile, la société VIEL FINANCE soutient en substance que les conditions de mise en 'uvre de la police sont réunies parce qu’une fraude au sens de la police est bien caractérisée, la garantie d’assurance n’étant pas conditionnée à l’existence d’une condamnation pénale préalable, ni à l’existence cumulatives des trois infractions visées dans la police.

La société VIEL FINANCE soutient plus précisément qu’une fraude est caractérisée au sens de la police au regard du faux et usage de faux tels que définis à l’article 441-1 du code pénal, en ce qu’il existe un contrat écrit, conclu avec Actimel, qui a été sciemment antidaté et des irrégularités comptables associées à ce contrat, constituant en cela une altération frauduleuse de la vérité de nature à lui causer un préjudice.

Elle ajoute que la fraude est également caractérisée par :

— des reportings sur les transactions qui se sont avérés frauduleux, en ce que ces reportings quotidiens à TNA, prévus par le Business Plan présenté à TNA, incombaient à l’équipe chilienne qui devait ainsi l’informer de toutes les transactions, ouvertes et fermées, et ainsi des pertes et des profits réalisés pour le compte des clients, et lui communiquer des informations lui permettant le calcul des pertes et profits non réalisés découlant des positions ouvertes ; or, ils n’ont pas été transmis à TNA avant la découverte de la fraude;

— l’absence d’enregistrement de conversations téléphoniques de la salle de marché, en ce que ces enregistrements, qui auraient dû être systématiques afin de prouver les ordres passés par téléphone, ont fort opportunément cessé, sans explication crédible, durant un laps de temps trop important pour être purement accidentel.

Concernant la preuve de l’intention frauduleuse prévue par le code pénal, elle estime qu’elle n’est pas nécessaire au sens de la police mais qu’elle est ici caractérisée par les actes de falsification et la dissimulation du contrat litigieux à la société TNA.

Elle en déduit qu’elle est fondée à être dédommagée des conséquences dommageables subis du fait des profits illicites dont a bénéficié la société Actimel et des pertes financières subies par la société TAI (moins-values et reconduction de transactions non autorisées), d’autant plus que le profit au bénéfice du tiers (bien qu’il ne soit pas exigé par la police) est ici démontré.

Subsidiairement, elle soutient qu’une fraude est caractérisée au sens de la police au regard de l’abus de confiance, dès lors qu’il y a eu remise volontaire de biens à titre précaire, détournement de ces biens et, bien que non exigée par le contrat, intention frauduleuse.

Elle évalue son droit à réparation à hauteur de 3.368.173,97 euros réparti à 70 pour cent pour AXA et 30 pour cent pour ALLIANZ, soit respectivement, 2.357.721,78 euros et 1.010.452,20 euros, après déductions des franchises contractuelles respectives, outre les intérêts et leur capitalisation.

Enfin, elle affirme que les clauses excluant d’une part les pertes et leurs conséquences résultant des pertes de bénéfice ou d’intérêts, pertes de clientèle, manque à gagner, chômage, réduction de chiffre d’affaires, et d’autre part les sinistres intentionnellement commis ou provoqués dans l’exercice de leur

fonction par les mandataires sociaux ou avec leur complicité, sont nulles fautes d’être clairement exprimées et parfaitement déterminées, la première n’étant pas limitée et vidant la garantie d’assurance de toute substance, la seconde étant imprécise parce que susceptible de concerner plusieurs centaines d’individus.

Les sociétés ALLIANZ IARD et AXA France IARD répliquent en substance que les demandes de l’appelante, qui cherche en réalité à obtenir une indemnisation des opérations qui se sont avérées déficitaires, ce qui est exclu par la police, échouent à démontrer que les conditions de garantie sont réunies, en l’absence de preuve d’une fraude par faux et usage de faux, ou par abus de confiance, et d’intention frauduleuse tant pour l’un que pour l’autre de ces deux cas de fraude stipulés au contrat.

Concernant le délit de faux et usage de faux, les assureurs estiment que la société appelante se base sur des rapports qu’elle a commandités elle-même et qu’elle argue d’une fausse date d’un contrat pourtant préparé et rédigé par un cabinet d’avocat, puis enregistré auprès d’un notaire, ce qui lui donne date certaine. Le fait que le contrat ait été signé pour prévoir une date d’effet antérieure à celle de sa signature ne signifie pas qu’il s’agit d’un faux. Ayant été enregistré dans un compte dédié, expressément libellé au nom de la société Actimel, ce contrat n’a pas donné lieu à une falsification d’écritures comptables dès lors que les opérations effectuées en rapport avec ce contrat ont été valablement enregistrées en comptabilité, les pièces afférentes étant conservées à disposition de quiconque entendrait un jour contrôler cette comptabilité. En outre, ce contrat 'ne présente pas d’altération physique ou chimique attribuables à une modification matérielle frauduleuse', comme en atteste le rapport d’expertise documentaire, et au surplus son exécution a permis à la société TAI de réaliser des bénéfices qu’elle n’aurait autrement peut-être pas réalisés. Enfin, les assureurs estiment que l’absence d’enregistrement des appels téléphoniques s’explique par sa mauvaise qualité et le retour des supports au vendeur, et que les affirmations concernant les reportings, et plus largement l’intention frauduleuse, sont dénuées de la moindre pertinence.

Concernant l’abus de confiance, ils estiment que la preuve n’en est pas davantage rapportée parce qu’il n’existait aucune interdiction statutaire empêchant la société TAI de poursuivre des opérations pour comptes propres. Il n’y a donc pas eu fraude de sa part, ni dissimulation de ces opérations ou malversation d’écritures comptables en ce sens.

A titre subsidiaire, les assureurs affirment notamment qu’il convient de faire application des clauses d’exclusion de la garantie stipulées aux conditions particulières, dont en particulier celle relative aux sinistres intentionnellement commis par les dirigeants de la société TAI, ou avec leur complicité, ainsi que de la clause de franchise de 152.449 euros, ce à quoi l’appelante réplique en disant que ces clauses sont nulles donc inopposables.

Ils ajoutent que le quantum retenu par la société VIEL FINANCE pour estimer son préjudice a été établi de manière unilatérale par une société qu’elle avait elle-même mandatée et en déduisent que ce quantum, qui revient à demander l’indemnisation de moins-values, n’est pas justifié, de sorte que, si la fraude devait être retenue, il devrait être à tout le moins réévalué à la baisse.

1) Sur l’application du contrat de garantie

Vu les articles 1134 et 1315 du code civil, dans leur rédaction ici applicable, antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations, du régime général et de la preuve des obligations ;

La société VIEL FINANCE soutient que les conditions d’application de la police sont réunies parce qu’une fraude est caractérisée à un double titre au sens cette police : par l’existence d’un faux et usage de faux, et par celle d’abus de confiance, ce que contestent les assureurs.

Au terme des conditions particulières du contrat souscrit le 29 mars 2002, applicables à compter du

21 septembre 2001, 'l’Assureur -à savoir les sociétés AXA France (AXA Courtage, compagnie apéritrice) et ALLIANZ (CGU Courtage - garantit le Souscripteur (Viel et Compagnie Finance) contre tous les risques de Fraude et de Malveillance tels qu’ils sont définis aux Conditions Spéciales et Particulières du contrat. Il est précisé que le contrat ne saurait constituer une garantie de bonne fin pour l’exercice de l’activité professionnelle du Souscripteur' (page 4/22).

L’objet de la garantie 'fraude et actes de malveillance informatique’ est mentionné en partie III 1a), page 14/22, des conditions particulières, comme suit : 'Sont garantis les préjudices subis par les Assurés à la suite d’une Fraude ou d’un Acte de malveillance portant sur les Biens Assurés, commis par tout moyen ou support y compris informatique, Internet, Extranet par un ou plusieurs préposés du souscripteur et/ou par un ou plusieurs Tiers, agissant avec ou sans collusion'.

En page 9 de ces conditions, ce qu’il convient d’entendre par 'fraude' au sens du contrat souscrit, outre l’escroquerie, est défini en ces termes :

—  abus de confiance, c’est à dire : le fait pour une personne de détourner au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis ou qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé ;

—  faux et usage de faux, c’est à dire : toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques.

Ces définitions correspondent aux infractions prévues aux articles 314-1, dans sa version alors en vigueur, antérieure à la loi du 24 décembre 2020 (abus de confiance) et 441-1 (faux), du code pénal.

Il est précisé en page 10 que les 'actes frauduleux' sont caractérisés :' quant ils génèrent une perte pécuniaire pour l’Assuré et un profit pour son (ses) auteur(s) ou pour des tiers'.

C’est d’abord à bon droit qu’au vu du contrat souscrit, le tribunal a estimé que l’existence d’une sanction pénale n’était pas une condition de mise en jeu de la garantie en cause, de sorte qu’il était indifférent pour l’analyse de son applicabilité qu’aucun jugement pénal n’ait été prononcée par le juge chilien saisi par la société VIEL FINANCE. La cour ajoute que le fait que l’instruction pénale initiée au Chili n’a décelé aucune malversation de nature comptable est sans incidence sur l’issue de la présente procédure.

Au demeurant le fait que la garantie d’assurance n’est pas conditionnée à l’existence d’une condamnation pénale préalable n’est pas contesté. Il n’est de même pas contesté qu’en dépit du manque de précision de la police sur ce point, les infractions d’escroquerie, d’abus de confiance et de faux et usage de faux ne sont pas cumulatives pour pouvoir constituer une 'fraude’ au sens du contrat, génératrice des dommages couverts, le groupe VIEL ne prétendant d’ailleurs pas avoir été victime d’une escroquerie, et les assureurs n’ayant quant à eux jamais prétendu que le sinistre n’était pas constitué du fait de l’absence de la réunion de ces trois infractions.

L’existence d’une seule des trois infractions visées dans la Police suffit ainsi à constituer la fraude, évènement générateur des dommages pour lesquels il est demandé la mobilisation des garanties pour indemniser l’intégralité des dommages.

En outre, comme le soutient la société VIEL FINANCE, la police n’exige pas que l’existence d’une intention frauduleuse soit rapportée.

En effet, si les fraudes alléguées sont définies au regard d’éléments constitutifs d’apparence strictement similaires aux infractions prévues et réprimées par le code pénal français, dans sa version

applicable à la date de prise d’effet de la police d’assurance, celle-ci ne se réfère pas expressément et clairement aux articles du code pénal en question, de sorte que la cour ne peut suivre le tribunal lorsqu’il retient que, à défaut pour la police d’avoir expressément exclu l’exigence de l’existence d’une intention de nuire, celle-ci devait être établie par la société VIEL FINANCE, de la part des préposés à qui les agissements sont imputés.

En effet, exiger que soit rapportée la preuve d’une intention frauduleuse pour les actes frauduleux couverts par la garantie ajoute une condition au contrat.

D’ailleurs, celui-ci exige uniquement la preuve d’un élément intentionnel pour les actes de malveillance, qui doivent être 'commis dans l’intention de nuire', ce qui est encore différent parce que plus restrictif que la simple 'intention frauduleuse’ exigée pour caractériser les infractions de faux et d’abus de confiance prévues par le code pénal, qui est caractérisée pour le faux par la conscience chez l’agent de l’altération de la vérité du document probatoire de nature à causer un préjudice, et pour l’abus de confiance par la volonté d’intervertir le titre de propriété de la part de la personne qui adopte un comportement incompatible avec son engagement.

a) le faux et usage de faux

Comme l’a exactement retenu le tribunal, la signature anti-datée du contrat (au 1er avril 2005) conclu entre sa filiale indirecte TAI et la société Actimel, n’établit pas en elle-même son caractère frauduleux, les termes de ce contrat de société ayant été arrêtés courant avril 2005 avec le concours des propres avocats de TAI et le contrat signé le 27 avril 2005 en présence d’un notaire qui l’a enregistré.

S’il est exact que le contrat a été rédigé par un cabinet d’avocats, ce fait est en soi inopérant pour l’exonérer de tout caractère frauduleux, l’avocat étant uniquement le mandataire de son client, agissant certes en principe dans le respect de règles déontologiques, mais sur les instructions de son mandant et sous la foi du secret professionnel.

Il est établi par ailleurs que le fait générateur de la participation aux bénéfices est l’apport en numéraire d’Actimel, apport enregistré dans les comptes de TAI le 18 avril 2005, alors même que cet apport n’a été effectivement versé que le 25 avril 2005, versement suivi le lendemain d’une facture adressée par Actimel pour obtenir le paiement de gains résultat d’opérations sur devises faites entre le 15 et le 18 avril auxquels elle n’avait pas droit, 'participation aux bénéfices' qui s’est réalisée dans des conditions ne respectant pas les délais de versement prévus au contrat.

Cette chronologie, qui n’est pas davantage discutée devant la cour qu’elle ne l’a été devant le tribunal, a permis à Actimel d’obtenir indûment un versement de bénéfices réalisés à un moment où elle ne disposait d’aucun droit d’y participer et c’est ainsi à juste titre que le tribunal a retenu que l’enregistrement comptable de l’apport le 18 avril 2005 constitue une fausse écriture comptable, caractérisant une 'altération frauduleuse de la vérité' au sens du contrat.

C’est ainsi vainement que les assureurs font valoir que le tribunal a ajouté au contrat du 27 avril 2005 une condition que celui-ci ne comportait pas, au motif que rien n’empêchait les parties de décider de débuter leur collaboration à compter du 1er avril 2005 et de permettre à la société Actimel de procéder à quelque moment que ce soit au paiement de son apport par compensation avec les premiers bénéfices réalisés dans le cadre de l’exécution du contrat, et que la somme à la charge de la société Actimel n’était qualifiée le 21 avril 2005 par la société TAI, dans un e-mail à l’attention du cabinet BAKER & Mc KENZIE, que de 'dépôt de garantie en faveur de Tradition Chile d’un montant équivalent à 50 000 USD', somme qui sera manifestement ensuite portée à hauteur de 75.000 USD, versement destiné selon les assureurs à garantir la prise en charge de toutes pertes futures éventuelles, et non à conditionner le droit de chaque partie de pouvoir percevoir des bénéfices réalisés à la suite de toutes les opérations passées depuis le 1er avril 2005 dans le cadre du contrat de

joint-venture.

Certes, comme le font valoir les assureurs, le rapport d’expertise documentaire établi par M. Q R. F G, expert judiciaire, le 31 décembre 2010, sur désignation du 34 ème tribunal pénal de Santiago mentionne en page 35/37 que le Livre de Comptabilité de Inversions Tradition Chile Ltda, qu’il était chargé d’expertiser, et plus précisément les feuilles où figurent 'le compte en participation Actimel' ne présente pas 'd’altération physique ou chimique attribuables à une modification matérielle frauduleuse', pas plus que le contrat et les reportings d’ailleurs, ce qui n’a au demeurant jamais été la thèse de la fraude alléguée.

En effet, la société VIEL FINANCE invoque non une altération de la vérité strictement matérielle mais intellectuelle, substantielle.

Cependant, comme l’a ici encore à juste titre retenu le tribunal, et nonobstant les conclusions de des experts-comptables, M. K L M et N O P, relatées dans le rapport d’expertise judiciaire plus particulièrement en pages 9, 10, 12 et 15, sur la date exacte à laquelle ont été payés à TAI les 75.000 dollars, et le paiement à Actimel de 50.981.628 CLP correspondant aux opérations réalisées et liquidées en date du 19 avril 2005, ainsi que les profits perçus par Actimel, il apparaît au regard des autres pièces versées au débat par l’appelante, que le crédit du compte de participation Actimel résultant d’opérations de change postérieurement au 27 avril 2005, n’est justifié par aucun apport d’Actimel, condition pourtant nécessaire pour y prétendre, parce que son apport lui avait été reversé dès le lendemain de son versement effectif sous la forme trompeuse de participation à des bénéfices indus.

Enfin, il n’existe aucun enregistrement d’écrits ou de communications téléphoniques établissant les transactions demandées par Actimel.

A ce sujet, l’expert-comptable du cabinet EDUARDO Z et associés, qui se présente comme membre de la liste des experts judiciaires de la cour d’appel de Santiago, Chili, et dont il n’est pas contesté qu’il a été missionné par la société TNA, explique en page 30 de son rapport qu’en 'raison de la nécessité d’opérer rapidement dans cette situation de contrat, les contrats sont originellement consensuels, et il est convenu par voie téléphonique des prix et des volumes objets de la transaction ainsi que des dates d’échéances. Les contrats écrits sont signés au cours du jour ou le jour suivant dans une atmosphère de confiance entre les parties mais en s’appuyant sur des enregistrements des communications téléphoniques que chaque contractant a en sa possession à des fins de preuve'.

Il mentionne plus précisément en page 31 de son rapport qu’il n’existe dans le cas présent pas d’enregistrement parce que, selon ses informations, 'les CD sur lesquels figurent certains de ces enregistrements [ont] été effacés', seules 'quelques conversations inintelligibles' restant enregistrées.

Cet expert relate par ailleurs que Mme Y, Secrétaire de Direction chez TAI, lui a déclaré en octobre 2005 que ' certains [enregistrements] figuraient sur des CD mais qu’il y en avait d’autres – la majorité – que l’on n’entendait pas en raison du fait que l’équipement d’enregistrement des appels restituait les conversations de manière décomposée, de sorte qu’il a été retourné au fournisseur après que plusieurs réclamations avaient été déposées pour imperfection'. Il ajoute qu’elle lui a remis 'dans deux dossiers, des copies de divers Ordres de Travaux sur lesquels figuraient toutes les fois où l’enregistreur a été changé, occasions lors desquelles du personnel technique est venu faire des vérifications de fonctionnement, où il a changé des cartes du système sur lequel il a installé ou réparé des lignes déjà installées ou exécuté d’autres travaux'.

Certes, comme les assureurs l’objectent, aucune décision judiciaire pénale ou civile, n’apporte la preuve certaine et irréfutable que Mme Y aurait menti concernant les difficultés techniques rencontrées par la société TAI avec le système d’enregistrement et il est exact que la société n’a d’ailleurs à cet égard jamais prétendu que Mme Y aurait été licenciée pour faute lourde.

Néanmoins, ce passage du rapport d’expertise ne saurait davantage convaincre la cour qu’il n’a convaincu le tribunal, en ce qu’il suppose qu’aucun ordre d’Actimel entre avril et août 2005 n’ait été tracé, ce qui est dépourvue de toute vraisemblance au regard des enjeux économiques en cause et de l’usage tel que relaté par l’expert, en la matière, d’autant plus que dans le contrat de joint-venture conclu entre TAI-Actimel, composé de cinq pages, deux articles (3.1 et 3.6) prennent le soin de préciser que seuls 'les ordres par téléphone' pourront engager Actimel, et que les enregistrements audio de ces ordres, conservés par TAI, 'peuvent être considérés comme des preuves pleinement efficaces'.

L’expert conclut d’ailleurs en page 58 de son rapport, après avoir examiné dans le détail les 'Ordres de Travaux’ (OT) intervenus sur le système d’enregistrement, que cet examen portant sur leur émission et leur contenu, lui 'a fourni des éléments de jugement qui, lorsqu’ils sont comparés aux réponses que Madame D Y a données à [m]es questions sur l’acquisition de l’équipement d’enregistrement téléphonique ou sur la propriété dudit équipement en qualité de prêt par le fournisseur, sur les documents qui n’ont pas été émis pour le transfert de cet équipement au bureau d’Asesorias e Inversions Tradition Chile Ltda et, partant, qui n’ont pas non plus été enregistrés dans les livres des achats de la société, puisque ces documents n’existaient pas, [lui] ont permis de détecter divers autres indices qui font apparaître les explications relatives à l’absence d’enregistrement comme inconsistantes, illogiques, contredites par les annotations contenues dans les Ordres de Travaux examinés et, enfin, comme destinées à créer des man’uvres inadmissibles pour justifier la raison pour laquelle les décisions convenues par téléphone, à savoir les supposés contrats qui auraient été passés avec la participation d’Actimel, n’ont pas été enregistrées.

En effet, il semble incroyable que le fournisseur de l’équipement (…) n’ait jamais rien facturé pour les interventions de son personnel qui est venu 38 fois installer, réparer et contrôler le fonctionnement de l’équipement. Encore plus incroyables : les explications reçues sur l’absence d’enregistrement […]'.

Le rapport de la société de conseil en fusions-acquisitions, ingénierie financière et restructurations d’entreprises, H I J (PWC) réalisé en avril 2009, qui a procédé à une analyse des éléments de dossier disponibles sur la perte de 4 millions de dollars américains survenue en 2005 au sein de l’entité du groupe au Chili (TAI), en désaccord avec le cabinet GMC (Groupe Mayet Consultant) mandaté quant à lui par AXA Courtage, concluant à l’absence d’éléments permettant de retenir une fraude et donc une possibilité d’indemnisation de la part d’AXA Courtage, retient quant à lui que les faits survenus entre avril et juillet 2005 au sein de TAI pourraient constituer une fraude susceptible de faire l’objet d’une indemnisation dans le cadre du contrat d’assurance fraude du groupe Viel avec AXA Courtage.

Ce rapport mentionne plus précisément en page 8/19 qu’il est 'vraisemblable que les ordres d’Actimel n’aient tout simplement jamais existé, l’Equipe chilienne effectuant des opérations de marché non autorisées pour compte propre et utilisant le 'compte de participation d’Actimel’ pour détourner une partie des profits'.

S’il est exact que les rapports de M. Z, et du cabinet H I J ont été rédigés non contradictoirement, à l’invite de la société VIEL FINANCE, ils ont été soumis à la discussion des intimées, dans le respect du principe de la contradiction, et n’ont pas été utilement remis en cause par les pièces produites en défense.

Enfin, dans le cadre du Business Plan présenté à TNA, l’équipe chilienne s’était engagée à transmettre à TNA des reportings quotidiens sur les transactions.

Ces reportings quotidiens ont été effectivement préparés par l’équipe chilienne (annexe 11 du rapport PWC). Ils détaillaient toutes les transactions, ouvertes et fermées, et révélaient les pertes et les profits réalisés pour le compte des clients. Ils présentaient également les informations permettant le

calcul des pertes et profits non réalisés découlant des positions ouvertes.

Cependant, comme le fait valoir la société VIEL FINANCE, les reportings transmis à TNA ne présentaient que les opérations de courtage rentables et peu risquées, et non les opérations de marché très risquées générant des pertes, pour lesquelles il aurait fallu identifier le client concerné, de sorte qu’ils ne reflétaient pas les opérations et les performances financières réalisées pour compte propre de TAI dans le cadre de la joint-venture conclue avec Actimel, qui n’aurait pas pu être autorisée par TNA.

La transmission de reportings erronés à TNA n’a ainsi pas permis à cette dernière de déceler les opérations litigieuses pour y mettre un terme en temps opportun et limiter les pertes à leur date d’échéance initiale fixée au 29 juin 2005 ; or, à cette date, les pertes auraient pourtant été limitées à la somme de 700.000 USD.

Certes, comme le font valoir les assureurs, Mme Y a déclaré au cabinet Eduardo Z (page 6 du rapport d’expertise) que les opérations litigieuses n’avaient pas, selon ce qui lui avait été 'répondu depuis les USA, qu’elles n’avaient pas à faire l’objet de rapport sur le développement des opérations à moins qu’il ne s’agisse de pertes'.

Il n’y a cependant pas lieu d’opérer une distinction entre des pertes latentes faisant l’objet de report d’échéance, qui n’auraient pas eu à figurer dans les reportings, et des pertes effectives résultant d’opérations dénouées, comme le cabinet Eduardo Z l’indique en page 60 de son rapport, ces pertes devant selon lui précisément faire l’objet d’un compte rendu.

Comme le fait valoir la société VIEL FINANCE, s’il est concevable que des pertes latentes, résultant de positions prises par TAI en son nom, mais pour le compte de ses clients, n’aient pas à figurer sur les reportings, il est inconcevable de laisser penser que l’équipe chilienne ait pu croire que des positions, dont le dénouement était susceptible de se traduire par des pertes colossales, directement supportées par TAI (TAI ayant pris des positions les 15 et 16 juin 2005 pour un montant de 50 millions de dollars) n’avaient pas à figurer sur leurs reportings.

Les reportings en question altéraient ainsi la réalité de la situation et caractérisent des faux au sens du contrat.

Les moyens selon lesquels d’une part, la société VIEL FINANCE s’est abstenue de produire à ce jour une copie de décision arbitrale et/ou judiciaire définitive (ou de tout règlement et/ou de tout Protocole transactionnel) rendue à la suite de la réclamation indemnitaire formulée à hauteur de 82.643.500 pesos chiliens par la société Actimel à l’encontre de la société TAI en exécution du contrat conclu entre ces deux entités réputé avoir été résilié le 8 août 2005, et d’autre part, le contrat en cause aurait permis à la société TAI de réaliser des bénéfices qu’elle n’aurait autrement peut-être pas réalisés, sont quant à eux inopérants pour échapper à la mise en oeuvre de la garantie souscrite, dès lors que les conditions de mise en jeu sont réunies.

Le jugement est ainsi confirmé en ce qu’il a retenu que la fraude était caractérisée au sens du contrat, par les faits constitutifs de faux et usage de faux ainsi relatés, sans qu’il soit nécessaire de suivre les parties dans le détail de leur argumentation.

b) l’abus de confiance

Ce moyen étant soutenu à titre subsidiaire, il n’y a pas lieu de l’examiner au regard de la position retenue par la cour.

2) Sur les clauses d’exclusion de garantie

Vu l’article 113-1 alinéa 1er du code des assurances ;

Les conditions particulières du contrat stipulent en page 17/22 que 'sont seuls exclus de la présente Police les pertes et leurs conséquences résultant :

13. Des pertes de bénéfice ou d’intérêts, pertes de clientèle, manque à gagner, chômage, réduction de chiffre d’affaires.

'

17. Les sinistres intentionnellement commis ou provoqués dans l’exercice de leur fonction par

les mandataires sociaux ou avec leur complicité'.

S’agissant de la clause 13, excluant les pertes et leurs conséquences résultant des pertes de bénéfice ou d’intérêt, pertes de clientèle, manque à gagner, chômage, réduction de chiffre d’affaires, dont les assureurs se prévalent dans la mesure où le préjudice invoqué par le groupe VIEL correspondrait à un manque à gagner directement consécutif à l’évolution du taux de change entre le dollar US et le peso chilien sur le marché à terme, c’est à juste titre que la société VIEL FINANCE estime qu’elle encourt la nullité à deux titres, dès lors qu’elle n’est pas limitée et qu’elle vide la garantie d’assurance de toute substance.

En effet, les termes de cette clause sont vagues et sujets à interprétation, dès lors que, notamment, 'les pertes de bénéfice ou d’intérêts, les pertes de clientèle, le manque à gagner', auxquels elle se réfère ne sont pas précisément définis.

En outre, dans la mesure où la fraude implique, selon la définition contractuelle, 'une perte pécuniaire pour l’assuré et un profit pour son (ses) auteur(s) ou pour des tiers', il est inévitable que l’assuré subisse une réduction corrélative et automatique de son chiffre d’affaires, de sorte que l’application de cette clause aboutirait à annuler les garanties fraude de la police, sans laisser subsister aucun risque dans le champ de cette garantie.

La cour ne peut ainsi pas suivre les assureurs lorsqu’ils répliquent que cette clause d’exclusion renvoie simplement au principe rappelé en page 4 des conditions particulières, à savoir que 'le contrat ne saurait constituer une garantie de bonne fin pour l’exercice de l’activité professionnelle du Souscripteur', avec pour effet que la société VIEL FINANCE n’est recevable et fondée à exciper seulement de l’existence d’un manque à gagner (Actimel) ou d’une perte (opérations pour compte propre), sans prouver de manière certaine la fraude alléguée, pour obtenir l’exécution du contrat d’assurance.

S’agissant de la clause 17, excluant les sinistres intentionnellement commis ou provoqués dans l’exercice de leurs fonctions par les mandataires sociaux ou avec leur complicité, dont les assureurs se prévalent dans la mesure où le sinistre a été commis ou provoqué, dans l’exercice de ses fonctions, par M. A, représentant légal de la société TAI, ou avec sa complicité, c’est ici encore à juste titre que la société VIEL FINANCE estime qu’elle encourt la nullité.

En effet, la notion d’intention à laquelle elle se réfère peut être soumise à plusieurs interprétations, ce qui suffit pour encourir la nullité, l’intention au sens du droit pénal n’étant pas caractérisée de la même façon qu’en droit des assurances, qui exige que son auteur ait voulu le dommage tel qu’il s’est réalisé.

En outre, l’assureur ne peut à la fois exiger que l’intention frauduleuse soit démontrée pour que le sinistre soit constitué lorsqu’il résulte d’une des fraudes prévues dans la police, tels que le faux et usage de faux et l’abus de confiance et, dans le même temps, exclure de la garantie 'les sinistres intentionnellement commis', sauf à vider la garantie de sa substance.

Enfin, la notion de 'mandataire social' en tant que telle, est elle-même générique et s’oppose à l’exigence du caractère formel et limité attachée aux clauses d’exclusion, condition de leur validité et opposabilité, en ce qu’elle ne liste pas de façon claire et précise les mandataires sociaux visés par l’exclusion, cette clause pouvant ainsi viser le Président Directeur Général de la société VIEL FINANCE, souscriptrice de la police, ainsi que ses administrateurs et directeurs, tout comme elle pourrait viser les représentants du groupe Tradition, composé de multiples filiales présentes dans près de 30 pays, ou ceux de la société Bourse Direct, également filiale de la société VIEL FINANCE.

Comme le fait valoir la société VIEL FINANCE, l’absence de précision de cette clause ne permet pas davantage de déterminer si elle vise les mandataires sociaux du souscripteur, les mandataires sociaux de l’ensemble des filiales, ou les mandataires sociaux de leurs clients (dès lors que toute personne physique ou morale titulaire d’un compte dispose de la qualité d’assuré, selon la définition de l’Assuré stipulée en page 8 des conditions spéciales), ou même encore si cette exclusion a vocation à s’appliquer aux mandataires sociaux de sociétés extérieures au groupe qui seraient à l’origine de la fraude.

Enfin, les assureurs soutiennent en page 38/43 de leurs écritures, que le contrat d’assurance souscrit le 29 mars 2002 par la société VIEL FINANCE n’a pas vocation à s’appliquer au sinistre dès lors que l’activité déclarée était, dans les conditions particulières, celle d’intermédiation sur les marchés d’institutionnels et non la réalisation d’opérations pour compte propre, qui est pourtant l’objet du sinistre que le Souscripteur a déclaré avoir été subi par la société TAI.

L’activité litigieuse de la société TAI ne correspondant pas à l’activité déclarée lors de la souscription du contrat d’assurance fraude, ils en déduisent que celle-ci se situe hors du champ d’application de cette police, laquelle devra être jugée en conséquence inapplicable au sinistre.

S’il est exact que les conditions particulières du contrat d’assurance 'fraude et actes de malveillance sur données informatiques' mentionnent en page 6/22 que les activités déclarées sont 'l’intermédiation sur les marchés d’institutionnels', c’est précisément parce qu’elle a estimé que les opérations sur instruments financiers réalisées par la société TAI dans le cadre de la joint-venture conclue avec Actimel, ne procédaient pas d’une activité normale et autorisée mais étaient le résultat d’une fraude, que la société VIEL FINANCE a cherché la mise en oeuvre de la garantie, et a été reconnue bien fondée en sa demande au regard du faux et usage de faux.

Ce dernier moyen est ainsi rejeté.

3) Sur l’indemnisation du préjudice

Les actes frauduleux, constitués par des faux et usages de faux ont généré des pertes pécuniaires pour TAI chiffrés en 2009 à hauteur de 3.343.865,97 ', par le cabinet PWC, au terme de son rapport (pages 6, 8, 16 et 18) et de ses annexes, selon le calcul suivant :

*dommages subis par TAI en raison des profits illicites de la société Actimel en conséquence :

. du transfert à Actimel de bénéfices issus de transactions auxquelles elle n’a pas contribué, avant le 27 avril 2005 : 75.348,67 ' (50 981 628 CLP / 685,71, taux de change EUR / CLP en vigueur à la date de sa découverte, le 5 août 2005) ;

. de l’attribution à Actimel de bénéfices pour des transactions irrégulières réalisées après le 27 avril 2005 : 152.994,71 ' (104 910 000 CLP / 685,71, taux de change EUR / CLP en vigueur à la date de sa découverte, le 5 août 2005).

*dommages subis par TAI résultant des pertes financières générées par les opérations frauduleuses en conséquence :

— des moins-values générées par les positions risquées : 3.024.376,19 ' (2.073.845.000 CLP / 685,71, taux de change EUR / CLP en vigueur à la date de sa découverte, le 5 août 2005) ;

— du rollover (reconduction) des transactions non autorisées : 91.146,40 ' (62.500.000 CLP / 685,71, taux de change EUR / CLP en vigueur à la date de sa découverte, le 5 août 2005).

Le tribunal n’a pris en compte le préjudice de TAI qu’à hauteur des profits illicites attribués à Actimel, soit 75.348,67 ', arrondie à 75.348 ', et 152.994,71 ', arrondie à 152.994 ', avant déduction de la franchise.

L’appelante soutient que cette somme est insuffisante parce que :

— s’agissant de l’exécution du contrat avec Actimel, Actimel a par l’effet de pratiques frauduleuses au sens de la police, capté des bénéfices illicites à hauteur de 228.343,38 ' (75.348,67 ' + 152.994,71 ') ;

— s’agissant des pertes enregistrées par TAI, les moins-values correspondantes ont nécessairement permises à un tiers présent sur le marché de réaliser un profit, et les frais liés au rollover ont bénéficié à la banque.

Au vu du rapport PWC, elle affirme qu’il est clair que c’est la banque avec laquelle les contrats de change à terme ont été négociés et reconduits qui a bénéficié des pratiques frauduleuses.

Les assureurs contestent ce chiffrage en faisant valoir notamment qu’en admettant que le dirigeant de la société TAI a commis un acte frauduleux en inscrivant à la date du 18 avril 2005 en comptabilité une somme effectivement perçue quelques jours plus tard, ceci n’a eu pour seul effet que de causer à la société TAI un préjudice maximal égal à la somme de 75.348,67 ' (suivant conversion réalisée en 2009) relative au 'transfert à Actimel de bénéfices issus de transactions auxquelles elle n’a pas contribué avant le 27 avril 2005', à l’exclusion de toute autre somme, et qu’il incombait en tout état de cause à la société VIEL FINANCE de produire d’autres éléments qu’un simple tableau de circonstance dressé unilatéralement par le cabinet PWC pour apporter la preuve certaine du montant exact des règlements prétendument réalisés au profit de la société Actimel au titre de ce contrat, telles que des factures de la société Actimel, et des relevés bancaires de la société TAI démontrant le débit en compte au profit de son cocontractant, ce en monnaie locale du Chili dont la conversion devrait ensuite s’opérer à la date la plus proche de celle de la décision à intervenir en France.

Ils ajoutent qu’il ressort par ailleurs de la lecture tant du rapport du cabinet Eduardo Z d’octobre 2005 que du rapport d’expertise documentaire de M. F G du 31 décembre 2010 (pages 15 et 16), que la société TAI restait encore redevable au profit de la société Actimel d’un solde de 82.643.500 $ (soit environ 120.000 ' en avril 2017, et 95.338 ' en novembre 2019), sans qu’aucun élément versé aux débats n’indique que ce solde pourtant réclamé devant la cour a été effectivement réglé.

Ils reprochent à la société VIEL FINANCE de ne pas justifier du versement à quelque date que ce soit de quelconque somme dont notamment celle de 82.643.500 Pesos chiliens qui doit donc – à tout le moins – venir en déduction des sommes réclamées au titre des bénéfices dus à la société Actimel en exécution du contrat de joint-venture, de même que la somme de 75.000 USD versée par la société Actimel en guise de participation à la joint-venture et encaissée le 27 avril 2005 doit aussi être déduite du quantum des réclamations de la société VIEL FINANCE.

Ils rappellent que si la société VIEL FINANCE invoque la police d’assurance en garantie des résultats (en seules moins-values) générés par les opérations pour compte propre réalisées par l’un de ses employés, le contrat souscrit auprès des sociétés AXA France et ALLIANZ précise expressément qu’il ' ne saurait constituer une garantie de bonne fin pour l’exercice de l’activité professionnelle du Souscripteur'.

Les assureurs relèvent par ailleurs que la société VIEL FINANCE ne justifie pas du règlement effectif par la société TAI de la somme évaluée à hauteur de 3.024.376,19 ' au titre des pertes prétendument réalisées le 5 août 2005 lors des opérations réalisées pour compte propre, autrement que par un décompte réalisé sur des tableaux par son prestataire PWC, sans non seulement prouver, en communiquant par exemple les relevés de transactions bancaires correspondants, que cette somme aurait été payée, ainsi que le montant exact réglé en Pesos chiliens.

Quant au paiement du montant des frais liés à la reconduction des positions litigieuses initiées courant juin 2005 et débouclées en juillet 2005, prétendument de 91.146,40 ', ils font observer qu’il aurait été effectué également en Pesos chiliens et en application du Contrat de Conditions Générales pour Contrats de Dérivés sur le Marché Local conclu en avril 2005 avec la BANCO DE CREDITO E INVERSIONES, sans que la société VIEL FINANCE n’ait jamais allégué que des stipulations de ce contrat auraient été frauduleusement enfreintes par la société TAI et sans qu’il puisse dès lors constituer un préjudice indemnisable dans le cadre d’un contrat d’assurance pour fraude.

Les sociétés AXA et ALLIANZ en déduisent que le préjudice allégué par la société VIEL FINANCE est totalement injustifié, tant dans son principe qu’au regard des montants réellement payés en Pesos chiliens en son temps, alors même qu’il lui appartiendrait en toute hypothèse de démontrer de quelle manière aurait été concrètement traitée dans le cadre de ses comptes consolidés la perte réputée avoir été supportée lors de l’exercice 2005 par la société TAI, et l’incidence financière finale et réelle de celle-ci pour la société VIEL FINANCE, étant observé que cette information ne ressort ni de la lecture du rapport annuel 2005 de la compagnie FINANCIERE TRADITION sur les comptes consolidés 2005, ni de la simple page versée aux débats en mai 2018 (pièce numérotée alors 31) réputée représenter 'un extrait des comptes consolidés de CFT à la fin de 2005' et indiquant 'TCAI', 'continuing operations', 'revenue' et '-4 581'.

Certes, comme le fait valoir la société VIEL FINANCE, la qualification de faux et usage de faux doit conduire à la prise en charge par la police de l’intégralité des préjudices subis par TAI, qui sont liés à la conclusion de ce contrat frauduleux conclus avec Actimel, et sans le support duquel le montant des moins-values et des frais liés au rollover n’aurait pas été supporté par TAI.

Par ailleurs, si la police subordonne la garantie à l’existence d’un préjudice subi par l’Assuré, elle n’exige pas que l’acte caractérisant la fraude en question, soit la cause exclusive des pertes. Il suffit, selon les termes de cette police (page 14/22 des conditions particulières), que les préjudices subis par l’Assuré l’aient été 'à la suite d’une Fraude'.

Enfin, il est exact que, dès lors que les opérations litigieuses n’auraient pas pu se réaliser et créer les préjudices subis par TAI sans le support du contrat passé avec Actimel, les écritures comptables frauduleuses enregistrées dans le système d’information, les reportings frauduleux ou encore l’absence d’enregistrement des ordres passés par téléphone, les préjudices de TAI ont été subis 'à la suite'de ces faux et usages de faux et sont, dès lors, garantis par la police.

Cependant, la cour ne peut suivre l’appelante lorsqu’elle maintient au vu du seul rapport qu’elle a elle-même commandité, au terme de ses écritures, le quantum de ses demandes, sans produire les justificatifs réclamés par les assureurs (factures de la société Actimel, relevés bancaires de la société TAI démontrant le débit en compte au profit de son cocontractant etc.), alors que la charge de la preuve lui a appartient et que les assureurs soulèvent plusieurs difficultés dans le calcul opéré, à savoir, notamment, que l’appelante ne justifie pas :

— du règlement du solde de 82.643.500 $/Pesos chiliens dont la société TAI était encore redevable au

profit de la société Actimel, selon les rapports du cabinet Eduardo Z d’octobre 2005 et de M. F G du 31 décembre 2010, citant sur ce point en pages 15 et 16 les rapports de Domingo O P, expert comptable judiciaire, du 11 août 2008, et du laboratoire de criminalistique centrale (LACRIM) du 05 avril 2010;

— du versement de quelque somme que ce soit dont notamment celle de 82.643.500 Pesos chiliens devant à tout le moins venir en déduction des sommes réclamées au titre des bénéfices dus à la société Actimel en exécution du contrat de joint-venture ;

— alors même que le versement de la somme de 75.000 USD par la société Actimel à titre de participation à la joint-venture, encaissée le 27 avril 2005, devrait aussi être déduit du quantum des réclamations de la société VIEL FINANCE.

Force est de constater qu’elle ne justifie pas davantage du règlement effectif par la société TAI de la somme évaluée à hauteur de 3.024.376,19 ' au titre des pertes réalisées le 5 août 2005 lors des opérations réalisées pour compte propre autrement que par un décompte réalisé sur des tableaux par son prestataire H I J, sans communiquer les relevés de transaction bancaires correspondants, afin de prouver que cette somme aurait été payée, ainsi que le montant exact réglé en Pesos chiliens, comme les assureurs le lui ont expressément demandé.

Quant au paiement du montant des frais liés à la reconduction des positions litigieuses initiées

courant juin 2005 et débouclées en juillet 2005, évalué à 91.146,40 ', qui aurait pour sa part été effectué également en Pesos chiliens et en application du Contrat de Conditions Générales pour Contrats de Dérivés sur le Marché Local conclu en avril 2005 avec la BANCO DE CREDITO E INVERSIONES, les assureurs ne sont pas utilement contredit lorsqu’ils objectent que la société VIEL FINANCE n’a jamais allégué que des stipulations de ce contrat ont été frauduleusement enfreintes par la société TAI, de sorte qu’il ne peut dès lors constituer un préjudice indemnisable dans le cadre du contrat d’assurance pour fraude.

Certes, le rapport PWC a été établi sur la base de nombreux documents, pièces comptables et bancaires qui y sont annexés, mais force est de constater que l’appelante n’a pas répliqué avec la précision qui s’imposait en la matière, sur les interrogations soulevées par les assureurs, qui perdurent à ce jour. Or, la cour ne peut évaluer le préjudice subi par l’appelante, dans un tel contexte, au vu du seul rapport commandité par celui qui s’en prévaut, la communication des comptes annuels de la société VIEL pour les exercices 2005 à 2008, et des rapports des commissaires aux comptes sur les comptes consolidés afférents, n’étant pas suffisante en tant que telle pour palier ces carences.

Enfin, il n’est pas contesté que AXA est apériteur de la coassurance mais qu’aucune solidarité n’a été stipulée entre les deux assureurs, lesquels sont tenus à garantie à hauteur de 70 % (AXA) et 30 % (ALLIANZ).

Pour l’ensemble de ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a limité le quantum alloué à la somme de 75.348,67 euros (arrondie a 75.348 euros) et de 152.994,71 euros (arrondie a 152.994 euros), soit une somme globale de 228.343,38 euros (somme arrondie à 228.343 euros), somme ramenée à 75.894 euros après déduction de la franchise d’assurance de 152.449 euros, repartie entre les sociétés AXA et ALLIANZ à hauteur de 70 % pour AXA et de 30 % pour ALLIANZ en proportion de leurs pourcentages de couverture du risque.

Il convient cependant d’infirmer le jugement sur le point de départ des intérêts et leur capitalisation, outre la solidarité de la condamnation, la solidarité étant expressément exclue par le contrat.

En effet, en application de l’article 1153-1 du code civil, l’appelante est fondée en sa demande tendant à faire courir les intérêts au taux légal à compter du 09 juillet 2014, date des courriers

adressés en recommandé par la présidente du directoire de la société VIEL FINANCE, à AXA France Iard et alors, à Groupama, au terme desquelles elle maintenait sa demande à hauteur de 3.343.866 euros, ces courriers valant mise en demeure au sens des dispositions précitées.

Ces intérêts seront capitalisés dans les conditions fixées à l’article 1154 (devenu 1343-2) du code civil.

4) Sur les autres demandes

L’appelante sollicite la condamnation solidaire des sociétés AXA et ALLIANZ à lui rembourser les frais de traduction exposés à hauteur de la somme de 4.018 ' HT en produisant trois factures.

Les intimées n’ont pas répondu sur ce chef de demande.

Les trois factures produisent en date des 2 décembre 2015 (3.387 euros HT, soit 4.064,40 euros TTC), 15 février 2016 (313 euros HT, soit 375,60 euros TTC) et 7 avril 2016 (318 euros HT, soit 381,60 euros TTC), font état d’une dépense globale de 4 018 euros HT soit 4.821,60 euros TTC (TVA à 20%) au titre des frais de traduction de l’anglais et de l’espagnol au français, de documents qui se sont avérés utiles à la résolution du litige.

La cour accueille ainsi cette demande en son principe, dont il n’est pas soutenu qu’elle serait nouvelle en cause d’appel bien que n’étant pas mentionnée dans le jugement, telle que sollicitée, c’est à dire hors taxe, soit à hauteur de 4.018 euros.

Parties perdantes, les sociétés AXA et ALLIANZ seront condamnées in solidum aux entiers dépens et à payer, à hauteur de leurs parts respectives (70 et 30 %) à la société VIEL FINANCE, en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité qui sera, en équité, fixée pour l’ensemble de la procédure, à la somme de 10.000 euros.

Les sociétés AXA et ALLIANZ seront déboutées de leur demande formée de ce chef.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant en dernier ressort, contradictoirement et par mise à disposition de la décision au greffe,

Confirme, pour des motifs en partie substitués, le jugement en ce qu’il a :

— jugé que la fraude était caractérisée au sens du contrat, pour le faux et l’usage de faux,

— fixé le quantum alloué à la somme globale de 228.343,38 euros (somme arrondie à 228.343 euros), ramenée à 75.894 euros après déduction de la franchise d’assurance de 152.449 euros, repartie entre les sociétés AXA et ALLIANZ à hauteur de 70 % pour AXA et de 30 % pour ALLIANZ en proportion de leurs pourcentages de couverture du risque;

L’infirme pour le surplus et y ajoutant :

Déclare nulles les clauses d’exclusion de garantie n°13 et 17 stipulées en page 17/22 des conditions particulières du contrat d’assurance fraude et actes de malveillance sur données informatiques, souscrit par la société VIEL et COMPAGNIE-FINANCE auprès d’AXA Courtage et de CGU Courtage ;

Condamne les sociétés AXA France IARD et ALLIANZ IARD à hauteur de leurs parts respectives

(70 % et 30 %) au paiement des sommes suivantes :

—  75.894 euros au titre du contrat, somme augmentée des intérêts au taux légal courant à compter du 09 juillet 2014, lesquels seront capitalisés dans les conditions de l’article 1154 ancien du code civil ;

—  4.018 euros au titre des frais de traduction engagés par la Société Européenne VIEL ET COMPAGNIE ' FINANCE ;

—  10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés tant devant le tribunal que la cour ;

Condamne in solidum les sociétés AXA et ALLIANZ aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Déboute les sociétés AXA et ALLIANZ de leur moyen concernant l’objet déclaré, soutenu dans le cadre des clauses d’exclusion de garantie, ainsi que de leurs demandes formées au titre des frais irrépétibles et des dépens.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 8, 2 novembre 2021, n° 19/10913