Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 24 novembre 2021, n° 19/08758

  • Île-de-france·
  • Amiante·
  • Bailleur·
  • Pollution·
  • Conseil régional·
  • Loyer·
  • Sociétés·
  • Résiliation du bail·
  • Résiliation unilatérale·
  • Dépassement

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 3, 24 nov. 2021, n° 19/08758
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/08758
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 20 février 2019, N° 18/00218
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 3

ARRET DU 24 NOVEMBRE 2021

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/08758 – N° Portalis 35L7-V-B7D-B7Z3K

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Février 2019 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 18/00218

APPELANTE

SCI UNION DE GESTION IMMOBILIERE CIVILE – UGICI prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 323 036 426

[…]

La Défense 4

[…]

[…]

Représentée par Me C D de la SELARL SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056, avocat postulant

Assistée de Me Paul TALBOURDET de l’AARPI DE PARDIEU BROCAS MAFFEI, avocat au barreau de PARIS, toque : R045, avocat plaidant

INTIMES

LA REGION ILE DE FRANCE représentée par la Présidente en exercice, Madame A Y, dûment habilitée par la délibération n° CR 93-15 du 18 décembre 2015

[…],

[…]

Madame A Y ès qualités d’ordonnateur

Représentées par Me Véronique DE LA TAILLE de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K0148, avocat postulant

Assistée de Me Jean MAUVENU de la SCP SUR MAUVENU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0319, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 12 Octobre 2021, en audience publique, devant la cour composée de :

Monsieur Gilles BALA', président de chambre

Madame Sandrine GIL, conseillère

Madame Elisabeth GOURY, conseillère

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffière, lors des débats : Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE

ARRET :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Monsieur Gilles BALA', président de chambre et par Madame Marie-Gabrielle de La REYNERIE, greffière à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par la magistrate signataire.

*****

FAITS ET PROCEDURE

Par acte du 18 juillet 2006, la société Union de Gestion Immobilière Civile (la société UGICI) a donné à bail à la Région Île-de-France les lots n°34 et 63 correspondant à des locaux à usage de bureaux commerciaux de 3.584 m² situés aux 20ème et 21ème étages de la Tour Maine Montparnasse, […] à Paris 15ème, ainsi que des locaux à usage d’archives de 320 m² au 4ème sous-sol, outre 35 emplacements de stationnement au 6ème sous-sol, pour 9 ans à compter du 1er août 2006 moyennant un loyer annuel en principal d’un montant global de 1.771.540 euros assorti d’une clause d’échelle mobile.

Par courrier daté du 4 mars 2014, le Président du Conseil Régional de la Région Île-de-France, se prévalant d’une autorisation donnée à cette fin par la commission permanente du Conseil Régional du 20 novembre 2013, a notifié à la société UGICI la résiliation anticipée du bail à effet du 17 mars 2014, invoquant notamment un manquement du bailleur à son obligation de délivrance et jouissance paisible, des dépassements des seuils réglementaires de présence de fibres d’amiante ayant été détectés dans la Tour Maine Montparnasse lors de travaux de désamiantage.

La société UGICI a refusé la résiliation unilatérale du bail. La Région Île-de-France a établi un état des lieux non contradictoire le 17 mars 2014 et remis les badges d’accès aux locaux loués aux services de sécurité de la tour. Elle a ensuite émis le 4 décembre 2014 un titre de recette pour obtenir la restitution de trop-perçus de charges et de loyers.

Par acte du 9 avril 2015, la société UGICI a assigné la Région Île-de-France et M. X, Président du Conseil Régional d’Île-de-France, ès qualités d’ordonnateur devant le tribunal de grande instance de Paris, principalement aux fins de voir constater la poursuite du bail liant les parties jusqu’à son

terme, soit jusqu’au 31 juillet 2015, annuler le titre de recette n° 2089-1 émis le 18 février 2015 par la Région Île-de-France et condamner cette dernière à lui payer la somme de 4.156.668,91 € TTC, à parfaire, au titre des loyers et charges impayés entre le 1er avril 2014 et la fin du bail, outre les intérêts de retard au taux contractuel.

Par jugement du 21 février 2019, Le Tribunal de Grande Instance de Paris a :

— Donné acte à Mme Y, ès qualités de Présidente du Conseil Régional d’Île-de-France et d’ordonnateur, de son intervention volontaire aux lieu et place M. X, ès qualités de Président du Conseil Régional d’Île-de-France et d’ordonnateur,

— Déclaré recevable l’action de la société Union de Gestion Immobilière Civile,

— Prononcé la résiliation du bail au 17 mars 2014 aux torts du bailleur,

— Rejeté la demande de la société Union de Gestion Immobilière Civile en paiement des loyers et charges jusqu’au 31 juillet 2015,

— Rejeté la demande de la société Union de Gestion Immobilière Civile en annulation du titre de recettes n° 2089-1 du 4 décembre 2014 portant sur les loyers et charges trop-versés au titre du 1er trimestre,

— Condamné la Région Île-de-France à payer à la société Union de Gestion immobilière la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts,

— Condamné la société Union de Gestion Immobilière Civile aux dépens,

— Condamné la société Union de Gestion Immobilière Civile à payer à la Région Île-de-France la somme de 10.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— Ordonné l’exécution provisoire,

— Rejeté toute demande plus ample ou contraire.

Par déclaration du 19 avril 2019, la société Union de Gestion Immobilière Civile a interjeté appel de cette décision.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 avril 2021.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 14 janvier 2020, la société Union de Gestion Immobilière Civile demande à la Cour de :

— Annuler le jugement du Tribunal de grande instance de Paris du 21 février 2019 ;

— A titre subsidiaire, infirmer le jugement sauf en ce qu’il a déclaré recevable son action;

Et en tout état de cause, statuant à nouveau,

— Constater que le bail liant la Région d’Île-de-France à la SCI UGICI s’est poursuivi jusqu’au 31 juillet 2015 ;

— Annuler l’Avis des Sommes à Payer n°2089-1 émis par la Région d’Île-de-France le 18 février 2015

et notifié à la SCI UGICI le 24 février 2015 ;

— Dire et juger irrecevable la demande de résolution judiciaire du bail formée à titre extrêmement subsidiaire par la Région ;

— Condamner la Région d’Île-de-France à payer à la SCI UGICI la somme de quatre millions cent cinquante-six mille six cent soixante-huit euros et quatre-vingt-onze centimes (4.156.668,91 €) (sauf à parfaire) au titre des loyers, taxes et charges impayés entre le 1er avril 2014 et la fin du bail augmentée des intérêts de retard au taux légal majoré de deux points à compter de l’expiration d’un délai de 8 jours à compter de chacune des échéances concernées, conformément à l’article 2.19.1 du Bail (avec capitalisation pour les intérêts échus depuis plus d’un an conformément à l’article 1154 du Code civil) ;

— Condamner la Région d’Île-de-France à payer à la SCI UGICI la somme de 4.160.804,31 euros à titre de dommages et intérêts se décomposant comme suit :

• 100.000 euros au titre des préjudices matériel, moral et d’image liés aux conditions de départ de la Région ;

• et, pour le cas où par extraordinaire, la Région d’Île-de-France ne serait pas condamnée au paiement des loyers et charges jusqu’au 31 juillet 2015, 4.060.804,31 euros au titre de la perte de chance de percevoir les loyers et charges jusqu’au 31 juillet 2015.

— Débouter la Région d’Île-de-France de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;

— Condamner la Région d’Île-de-France à payer à la SCI UGICI la somme de 35.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction, pour ceux la concernant, au profit de Maître C D ' SELARL 2H Avocats et ce, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions notifiées par RPVA le 16 février 2021, la Région Île-de-France et Mme Y demandent à la Cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré la société UGICI recevable en son action, et statuant à nouveau :

— In limine litis, vu l’absence de recours de la Société UGICI à l’encontre des décisions administratives du 20 novembre 2013 et du 4 mars 2014, vu leur caractère irrévocable, déclarer l’action de la Société UGICI irrecevable,

— A titre subsidiaire, déclarer l’action de la Société UGICI prescrite,

— Au fond à titre très subsidiaire, si la Cour déclare l’action de la Société UGICI recevable, débouter la Société UGICI de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du jugement entrepris, réformer le jugement entrepris en ce qu’il a ordonné la résiliation judiciaire du bail, et statuant à nouveau :

— Déclarer bien fondée la résiliation unilatérale du bail par la Région Île-de-France aux torts du bailleur au 17 mars 2014,

En conséquence :

— Débouter la Société UGICI de sa demande de paiement des loyers, des charges et intérêts légaux majorés ainsi que de la capitalisation des intérêts, sollicités jusqu’au 31 juillet 2015 ;

A titre extrêmement subsidiaire,

— Confirmer le jugement entrepris,

— Prononcer la résiliation judiciaire du bail aux torts de la Société UGICI à la date du 17 mars 2014,

En conséquence :

— Débouter la Société UGICI de sa demande de paiement des loyers, des charges et intérêts légaux majorés ainsi que de la capitalisation des intérêts, sollicités jusqu’au 31 juillet 2015 ;

A titre infiniment subsidiaire,

— Limiter à six mois de loyers hors charges, et hors intérêts de retard majorés et capitalisation, le montant des sommes éventuellement mises à la charge de la Région Île-de-France ;

En toute hypothèse,

— Réformer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la Région Île-de-France au paiement d’une somme de 100.000 € à titre de dommages et intérêts,

Et statuant à nouveau sur ce point :

— Débouter la société UGICI de sa demande en paiement de dommages et intérêts et de toutes ses demandes,

— Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de la société UGICI en annulation du titre de recette numéro 2089 ' 1 du 4 décembre 2014 portant sur les loyers et charges trop versés au titre du premier trimestre 2014

— Condamner la Société UGICI au paiement de la somme de 35.000 € en application de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de l’instance.

MOYENS DES PARTIES

L’appelante demande l’annulation du jugement aux motifs que le tribunal a prononcé la résiliation judiciaire du bail alors qu’aucune demande en résiliation judiciaire n’a été formée par les parties. Elle soutient que les prérequis d’une résiliation unilatérale et d’une résiliation judiciaire ne sont pas les mêmes et expose que l’objet du litige n’était pas la résiliation du bail, mais la contestation de la résiliation unilatérale. Elle reproche aussi au premier juge une violation du principe du contradictoire pour avoir ainsi statué sans inviter les parties à s’en expliquer.

L’intimée s’oppose au moyen de nullité du jugement au motif qu’elle a développé en première instance une argumentation relative à la résiliation pour manquement du bailleur sur le fondement de l’article 1184 du code civil, qui permet de prononcer la résiliation du bail à la date à laquelle une partie a cessé d’exécuter ses obligations, aux torts de celle-ci si sa faute est grave. Elle ajoute que le tribunal a prononcé la résiliation judiciaire à compter de la date à laquelle la région avait résilié le contrat de bail, ce qui démontre l’absence de modification de l’objet du litige. Elle précise que la résiliation unilatérale et la résiliation judiciaire ont pour fondement la gravité du comportement fautif d’une partie à un contrat, et le sanctionnent par les mêmes effets.

La région Île-de-France soulève, à titre principal, deux fins de non-recevoir, d’une part en ce que l’appelante n’a pas formé de recours contre les décisions administratives relatives à la résiliation du bail et d’autre part en ce qu’elle a délivré son assignation après l’expiration du délai de recours contentieux de deux mois.

La société UGICI s’oppose à la fin de non-recevoir au motif que son action ayant pour fondement le contrat de bail est soumis à la prescription quinquennale sans que puisse lui être opposée la

prescription de deux mois applicable aux actions en contestation d’un acte administratif, alors qu’au surplus la décision du président de région du 4 mars 2014 de résilier unilatéralement le bail n’est pas un acte administratif.

Pour s’opposer à la résiliation du bail, au fond, la société UGICI conteste avoir manqué à ses obligations et soutient que les locaux loués étaient désamiantés et qu’aucun grief ne peut lui être reproché pendant l’exécution du bail. Elle ajoute que les incidents de 2013 résultent de travaux dans l’ensemble immobilier de la tour Montparnasse et non à l’intérieur des locaux loués. Elle précise que la préfecture avait affirmé l’absence de danger pour les occupants, après que l’expert désigné par les copropriétaires a garanti l’absence de risque d’exposition passive aux poussières d’amiante pour les occupants et que les locaux étaient désamiantés. Elle affirme avoir respecté la réglementation en matière d’amiante et reproche au tribunal de ne pas avoir considéré qu’aucune pollution de l’air n’a été constatée dans les parties communes par lesquelles il était nécessaire de passer pour accéder aux locaux loués et que les gaines, source de transfert de pollution visées par le rapport Z, ne sont que les gaines techniques (avec un transfert de pollution très localisé) et les gaines de désenfumage. Elle précise que le diagnostic technique amiante (DTA) du 10 février 2014 révèle que les ventilo-convecteurs des R+20 et R+21 ont été désamiantés en 2006 et que l’on ne peut lui reprocher la présence d’enduit plâtre amianté dans 3 des 4 locaux d’archives loués à la Région, car celui-ci n’étant pas dégradé, son retrait n’est pas imposé par la réglementation.

Subsidiairement, elle considère que les conditions relatives à la résiliation unilatérale posées par la jurisprudence ne sont pas remplies à défaut d’urgence. Elle observe que le courrier de résiliation du bail date seulement du 4 mars 2014 alors que la région a recherché de nouveaux locaux à compter du 5 septembre 2013 et que le président de la région a été autorisé à résilier le bail le 20 novembre 2013.

La société UGICI dénonce les conditions du départ de la Région Île-de-France, notamment l’annonce par voie de communiqué de presse, l’extrême brièveté du préavis ainsi que les manquements répétés du preneur à son obligation de bonne foi ; elle affirme avoir subi un préjudice matériel, moral et d’image, qu’elle évalue à 100.000 euros. Si la résiliation du bail était prononcée, elle sollicite la condamnation de l’intimée à lui payer la somme de 4.160.804,31 euros à titre de dommages et intérêts correspondant à la perte de chance de percevoir les loyers et charges dus pendant la période ferme du bail qui restait à courir, produisant une attestation sur l’honneur du gestionnaire des 20e et 21e étages de la tour Montparnasse ainsi qu’une attestation sur l’honneur de son représentant légal confirmant que les lieux n’ont pas fait l’objet d’une quelconque occupation entre le 17 mars 2014 et le 31 juillet 2015.

Elle expose ne pas avoir à justifier des charges locatives dans la mesure où les parties sont convenues d’un forfait de charges.

La région Île-de-France estime que les conditions de la résiliation unilatérale aux torts du bailleur le 17 mars 2014 sont remplies ; subsidiairement, elle demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a prononcé la résiliation du bail, aux torts de la société UGICI, à cette même date.

Elle considère que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance par manquement à l’obligation de sécurité en raison du dépassement des seuils réglementaires de 5 fibres d’amiante par litre d’air, attesté par un arrêté préfectoral du 13 août 2013 prévoyant l’évacuation des occupants des locaux de la tour Montparnasse. Elle soutient que les fibres d’amiante se propageaient dans toute la tour par les gaines d’aération et les gaines techniques.

Elle conteste la portée d’une lettre de l’expert qui avait été missionné par le syndicat des copropriétaires de la tour, en ce qu’il répond aux questions orientées du conseil de l’appelante ; mais elle relève que cette même lettre confirme l’existence des 72 dépassements de seuils et admet que les personnes fréquentant la tour sont exposées au risque amiante ainsi qu’à l’inhalation régulières de

fibres, sans que cela soit limité aux parties communes ni à certains étages. Elle ajoute que l’absence d’obligation d’évacuation des locaux ne signifie pas une absence de risque pour les occupants puisqu’il n’existe pas de seuil en-dessous duquel les fibres d’amiante n’auraient aucun effet toxique. C’est pourquoi elle prétend avoir résilié le bail à bon droit en application du principe de précaution et de prévention car elle est tenue d’une obligation de sécurité envers ses agents.

Sur les troubles de jouissance et les manquements à l’obligation d’entretien, la région Île-de-France soutient qu’ils résultent notamment de 72 incidents répertoriés révélant une mesure supérieure à 5 fibres/litre, d’autres dépassements pour certains étages, et de la longueur des travaux de désamiantage commencés en 2003 ainsi que plus généralement des risques d’exposition passive aux poussières d’amiante, alors que ce risque constitue en outre un vice caché dont le bailleur doit la garantie.

Elle prétend que la gravité de ces manquements justifie qu’elle ait mis fin de façon unilatérale au contrat de bail, reprochant au tribunal de n’avoir pas retenu la preuve d’un péril imminent justifiant le caractère unilatéral de la résiliation au motif qu’elle a attendu six mois, alors que le temps des personnes publiques est soumis à des contraintes réglementaires, et au délai de recours des tiers suivant la publication des décisions administratives. Elle observe aussi qu’il fallait pouvoir trouver de nouveaux locaux et organiser le déménagement de l’ensemble des agents.

L’intimée s’oppose à la demande de dommages-intérêts dès lors qu’aucune faute ne peut lui être imputée et qu’elle a été contrainte de quitter les lieux, affirmant que l’appelante n’a subi aucun préjudice car elle avait connaissance de ce départ et aurait pu anticiper la re-location ou la vente de ses locaux dès le 21 novembre 2013. Elle sollicite à titre extrêmement subsidiaire, par application de l’article 1760 du Code civil, de limiter à six mois de loyers hors charges et hors intérêts de retard majorés et capitalisation, le montant des sommes mises à sa charge.

Elle soutient que l’appelante ne peut solliciter le paiement des charges pour un montant équivalent à des appels de provision, qui ne sont pas justifiés par des documents de reddition des comptes du syndicat des copropriétaires, ce qui constituerait un enrichissement sans cause du bailleur.

Sur les intérêts de retard, elle considère qu’ils ne sont pas dus en raison du choix du bailleur de ne pas reprendre possession des lieux, aggravant son propre préjudice.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la demande d’annulation du jugement

Les articles 4 et 5 du Code de procédure civile disposent que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement sur ce qui est demandé.

En l’espèce, il est reproché au tribunal d’avoir prononcé la résiliation judiciaire du bail aux torts du bailleur, alors que la région Île-de-France n’avait pas formé cette prétention.

S’il est exact que dans ses conclusions en réponse numéro 4 signifiées le 30 novembre 2018, la région Île-de-France n’avait pas demandé au tribunal de prononcer la résiliation du bail aux torts du bailleur, elle avait d’une part, soutenu que son acte de résiliation unilatérale était fondé, pour s’opposer à la demande adverse de loyer ; et d’autre part, pour le cas où le tribunal ferait droit à la demande de résiliation judiciaire du bail aux torts du preneur, qu’il convenait de limiter à six mois de loyer hors charges et hors intérêts de retard le montant des sommes éventuellement mises à sa charge.

D’autre part et surtout, lorsque le tribunal s’est prononcé au-delà de ce qui lui était demandé, la

sanction n’est pas la nullité du jugement mais la possibilité pour les parties de faire retrancher du dispositif ce qui excède les demandes dont il était saisi, par application des articles 463 et 464 du code de procédure civile.

Il ne saurait être reproché au tribunal d’avoir violé le principe de la contradiction, en application de l’article 16 du code de procédure civile, alors qu’il résulte des conclusions échangées entre les parties que le débat a notamment porté sur la justification de la résiliation du bail, au regard des obligations respectives des parties, la région Île-de-France ayant notamment développé une argumentation relative à la résiliation du bail pour manquement du bailleur à ses obligations.

La demande d’annulation du jugement n’est en conséquence pas fondée.

Sur les fins de non recevoir

L’action exercée par la société UGICI est une action en paiement de loyers, taxes et charges impayées en vertu d’un bail commercial ; son bien-fondé dépend de l’application du contrat, et suppose en conséquence qu’il n’ait pas été résilié à une date antérieure aux échéances de loyers et charges qui font l’objet de la demande.

Aucune des parties ne prétend que le bail du 1er août 2006, et son avenant du 29 janvier 2010, seraient des contrats administratifs ; il s’agit bien d’un bail à usage exclusif de bureaux que par un exposé préalable, à titre de condition essentielle et déterminante et bien que le preneur n’ait pas la qualité de commerçant, les parties ont décidé de soumettre volontairement aux dispositions des articles L 145-2 à L 145-60 du code de commerce et aux articles non abrogés du décret 53-960 du 30 septembre 1953 régissant les baux commerciaux ; les parties ont également déclaré l’une et l’autre renoncer expressément à se prévaloir des conditions d’application du statut des baux commerciaux résultant de l’article L 145-1 du code de commerce, quand bien même elles ne sont pas satisfaites par le preneur.

Pour l’application de ce contrat de droit privé, le tribunal doit être approuvé d’avoir jugé que l’action en paiement est soumise aux règles du code civil et du code de commerce quant au fondement juridique de la demande, la qualification de la faute commise et au délai de prescription de l’action.

En effet, pour apprécier le bien-fondé de cette demande, le juge judiciaire n’est pas tenu d’examiner la légalité de la délibération de la commission permanente du conseil régional d’Île-de-France du 20 novembre 2013 par laquelle la collectivité a autorisé son président à résilier le bail de manière unilatérale, ni de la décision du président du conseil régional d’Île-de-France du 4 mars 2014 qui a mis en 'uvre cette décision ; car la délibération de la commission permanente n’avait pas d’autre effet que d’autoriser le président de la région à agir au nom de la collectivité, et la décision de ce dernier n’a pas d’autre objet que d’exercer un droit de nature civile, tiré du contrat de bail qu’il a souhaité résilier par anticipation. En d’autres termes, le président de la Région a pu prendre une décision dont le juge judiciaire, sans avoir à se prononcer sur sa légalité, n’appréciera que le bien fondé et les effets en application des règles du contrat.

De même, l’action en paiement du loyer et des charges n’était pas soumise à un délai de prescription de deux mois.

Et l’action en annulation d’un avis de sommes à payer, portant sur le compte des sommes dues en vertu du bail soumis au droit privé, peut également être jugée sans que le juge n’ait à examiner sa légalité.

Le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu’il a déclaré recevable à agir la société UGICI.

Sur la résiliation du bail et le titre de recette 2089-1 du 4 décembre 2014

Aux termes de l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction applicable au contrat, les

conventions ne peuvent être révoquées que du consentement mutuel des parties ou pour les causes que la loi autorise.

Aux termes de l’article 1184 du Code civil, dans sa rédaction applicable au contrat, la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des deux parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté, a le choix de forcer l’autre à l’exécution de la convention lorsqu’elle est possible, ou d’en demander la résolution avec dommages-intérêts. La résolution doit être demandée en justice et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances.

Cependant, la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important que le contrat soit à durée déterminée ou non.

Aux termes de l’article 1719 du Code civil, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, de délivrer au preneur la chose louée et de l’entretenir en état de servir à l’usage pour lequel elle a été louée en garantissant au preneur une jouissance paisible pendant la durée du bail.

En particulier, il incombe au bailleur de délivrer un local conforme à sa destination contractuelle tout au long de l’exécution du contrat.

En l’espèce, la présence d’amiante dans la tour Montparnasse était connue lors de l’entrée dans les lieux puisqu’à cette date, la tour était en cours de désamiantage sur site occupé, sous surveillance du préfet de police de Paris, et le contrat de bail portant principalement sur des locaux à usage de bureaux situés aux 20e et 21e étage de la tour, en fait état.

L’arrêté préfectoral numéro 2'013'225-000 1 du 13 août 2013 vise le courrier du 15 mars 2013 de la société ICADE, syndic de l’EITMM l’informant de l’achèvement au 6 mars 2013 des travaux de retrait ou recouvrement des produits ou matériaux amiantés classés en niveau 3 au sein de la tour Maine Montparnasse; considérant un nombre significatif d’expositions aux poussières d’amiante et la connaissance de 72 dépassements du seuil réglementaire de cinq fibres par litre depuis la mise en 'uvre de l’arrêté préfectoral du 28 novembre 2009, les pollutions constatées ou enregistrées en dehors des zones de travaux de retrait d’amiante y compris dans les zones publiques du centre commercial ou au sein des locaux de travail de type réserve, considérant l’hypothèse émise par le syndic et les services de l’inspection du travail et de la Cramif d’une pollution possible par le système d’aération commun à l’ensemble des bâtiments, et le risque d’exposition passive des salariés et des personnes de passage sur le site, le préfet a arrêté plusieurs dispositions et notamment:

• article 1 : les copropriétaires de l’ensemble immobilier devront prendre des mesures de prévention adaptées pour supprimer le risque d’exposition passive aux poussières d’amiante

• article 2 : le dossier technique amiante sera mis à jour dans le délai de six mois

• article 3 : l’état de conservation des matériaux contenant de l’amiante devra être contrôlé visuellement au moins une fois par an et après chaque intervention significative

• article 4 : une expertise des causes de pollution récente sera réalisée dans le délai de quatre mois aux frais du propriétaire, notamment pour vérifier l’hypothèse d’émission de fibres d’amiante par les gaines verticales ou d’établir les autres sources d’émission, de déterminer le réseau de ces gaines, les travaux nécessaires et les mesures conservatoires à prendre

• article 8 : toutes les informations demandées par l’arrêté seront consignées semestriellement dans un rapport unique pour chaque bâtiment transmis au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris

Par une lettre du 29 août 2013, le syndic a informé les copropriétaires du traitement des incidents constatés les 26 et 27 juin 2013 concernant les étages 33,35, 37,44 et 46, etc. Par cette lettre, le syndic a aussi rappelé l’investissement à ce jour de plus de 250 millions

d’euros dans les opérations de désamiantage et de rénovation, au-delà des obligations formulées par les arrêtés préfectoraux de 2006 à 2012.

Ayant été informé par la presse qui avait déjà divulgué l’information, le président du conseil régional Île-de-France se plaignait auprès du représentant du bailleur, par une lettre du 30 août 2013, de n’avoir pas été suffisamment informé et il disait sa préoccupation de trouver une solution alternative à la localisation des agents régionaux en cas d’évacuation, mais aussi de respecter les dispositions du code de travail en informant le comité d’hygiène et de sécurité (CHS) de la collectivité régionale; il lui était répondu par le syndic le 11 septembre 2013 et par le représentant du bailleur le 16 septembre 2013.

Une présentation par le syndic, en présence d’un représentant du bailleur, était faite au CHSCT du conseil régional Île-de-France le 5 septembre 2013, avec un exposé de la situation, du diagnostic technique amiante, du rapport des incidents des 26 et 27 juin 2013 et des actions menées, des procédures applicables en cas d’incident et des mesures de surveillance post-pollution, du plan et du protocole de mesures d’air applicables, des dispositions de l’arrêté préfectoral du 13 août 2013, des précisions sur le système de climatisation de l’ensemble de la tour, et des mesures et actions complémentaires mises en place, en particulier relatives aux dispositifs de communication complémentaire à l’ensemble des occupants des résultats des mesures d’air, de la révision de la procédure d’incident et du renforcement des mesures de prévention et de protection autour des chantiers.

Il résulte de l’exposé des motifs annexés à la délibération du 20 novembre 2013, exposé contenu dans un document édité le 25 octobre 2013, que dès le 5 septembre 2013, soit le jour même de la réunion du CHSCT, des recherches de locaux ont été engagées pour envisager dans les plus brefs délais un déménagement des agents de l’unité d’aménagement durable de la région ; ainsi, alors que les incidents relatés ne concernaient pas les locaux occupés par les salariés du conseil régional d’Île-de-France, une proposition de délibération était établie afin, « du fait des manquements graves et répétés des bailleurs à leurs obligations (défaut d’information, trouble de jouissance liés au nombre d’incidents, de la longueur des travaux'), de mettre fin de manière unilatérale et avant leur terme aux baux précités. En effet les bailleurs auraient dû assurer la délivrance d’un bien conforme à l’usage qui en est fait, entretenir la chose en état de servir l’usage auquel elle est destinée et assurer à la région une jouissance paisible ».

Il résulte des constatations qui précèdent que la région Île-de-France, alors qu’aucune évacuation n’était envisagée, que de simples mesures de contrôle et de surveillance étaient préconisées par le préfet de Région, dans un but purement préventif des difficultés et pour tenir compte, selon l’exposé des motifs déjà cités, de l’inquiétude et du malaise des agents régionaux, avait pris la décision de mettre fin au bail par une décision de résiliation unilatérale avec recherche immédiate de nouveaux locaux. La délibération de la commission permanente du conseil régional d’île de France a d’ailleurs été prise le 20 novembre 2013, sur le document écrit qui avait été édité le 25 octobre 2013.

Cependant, à ce stade, il s’agissait seulement d’une autorisation donnée par la commission permanente au président qui n’avait pas encore pris sa décision.

Or des éléments nouveaux sont intervenus, nécessairement pris en compte par ce dernier:

• dans la note d’étape du 27 novembre 2013, Monsieur E Z, expert commis en exécution de l’arrêté préfectoral du 13 août 2013, a recensé les dépassements des seuils autorisés d’amiante au cours d’année 2013 ; et il a validé l’hypothèse suivant laquelle les

• gaines d’air verticales sont un simple vecteur de transfert d’une pollution d’une zone d’activité avec émission de fibres d’amiante vers des locaux situés dans d’autres niveaux, tandis que les gaines techniques sont à la fois source d’émission et vecteur de transfert d’une pollution d’une zone d’activité avec émission de fibres d’amiante vers des locaux situés dans d’autres niveaux. Dans son rapport d’expertise définitif du 22 janvier 2014, l’expert a une nouvelle fois confirmé les hypothèses précitées, émettant l’a vis que les causes probables des pollutions récentes sont à rechercher dans la conception et l’organisation des travaux de désamiantage, d’où la préconisation d’une suspension des travaux jusqu’à la mise en 'uvre d’une organisation pérenne de la prévention du risque amiante

• dans ce même rapport, l’expert a préconisé que les copropriétaires procèdent à des travaux de sécurisation d’éléments non constitués d’amiante mais pollués, ainsi qu’à des travaux d’amélioration de la ventilation du site pour prévenir le risque de transfert de pollution.

• par communiqué de presse du 29 janvier 2014, à l’occasion de la publication du rapport d’expertise précité, le préfet de la région Île-de-France a demandé aux copropriétaires, suivant les préconisations de l’expert, de créer une cellule dédiée au management du risque amiante, un comité de pilotage, et d’établir un programme prévisionnel rigoureux des mesures à entreprendre, et de mettre à jour le dossier technique amiante, avant reprise des travaux toujours suspendus.

• Pour autant, l’expert a précisé que l’activité normale pouvait se poursuivre sur le site et lors d’une conférence de presse organisée le jour même en sa présence, il a déclaré, selon les propos rapportés par le syndic, qu’il n’y avait pas de risque sanitaire en l’état, exprimant son étonnement devant la décision de la région Île-de-France de déplacer immédiatement ses agents, considérant le risque sanitaire, décision ayant fait l’objet d’un communiqué de presse de la Région également le même jour.

• Le 10 février 2014, le DTA de la tour a été mis à jour par la société STM pour le compte du syndicat des copropriétaires de l’EIMM, indiquant qu’il existe à tous les étages de bureaux, y compris les niveaux R 20 et R 21, une pollution ponctuelle de fibres d’amiante en surface des matériaux se trouvant dans la zone des éjecto-convecteurs ce qui nécessite la mise en place de procédures minutieuses en cas d’intervention. Cependant, des éléments d’information postérieurs au jugement dont appel sont venus préciser qu’il s’agissait d’une pollution de matériaux non accessibles, sans danger pour le personnel.

À ce stade, il apparaît clairement que la décision du président de la région Île-de-France de résilier unilatéralement le bail par lettre recommandée avec accusé de réception du 4 mars 2014, au motif que les locaux loués ne présentent pas les caractéristiques requises pour la poursuite d’une activité normale, sécurisée et sereine pour les agents présents sur le site, relève de l’application d’un principe de précaution, ce que d’ailleurs la Région admet dans ses conclusions.

Il faut rappeler qu’aucune mesure d’évacuation n’a été décidée, que la tour Montparnasse accueille quotidiennement des milliers de personnes, qu’aucune mesure de dépassement de seuil n’a jamais été effectuée à l’intérieur des locaux loués à la région Île-de-France, et qu’il n’a été rapporté aucun incident impliquant un des agents de la collectivité.

Si l’exposition anormale aux poussières d’amiante constitue un manquement à l’obligation de sécurité, comprise dans l’obligation de délivrance du bailleur de locaux à usage de bureaux, un simple risque d’exposition ne saurait caractériser un tel manquement, s’il est sérieusement pris en compte par des mesures de prévention, de suivi et de contrôle et qu’aucune exposition anormale n’a été constatée pour la collectivité locataire, ses personnels et ses visiteurs.

Or le risque a fait l’objet de mesures de suivi et de précaution très strictes, sous le contrôle de l’État ; il résulte d’un communiqué de presse du préfet de la région Île-de-France du 12 mars 2015 que sur les 2700 mesures d’air effectué en 2014, soit sept par jour, toutes se sont révélées négatives, sauf une pour laquelle la copropriété soupçonne un acte de malveillance, faisant l’objet du dépôt d’une plainte ; dans ce communiqué, le préfet de la région rappelle que les résidus amiantés, qui ont été repérés par

le DTA dans les gaines de désenfumage, ne sont pas accessibles par les occupants.

L’expert E Z, dans une lettre à l’attention de la société UGICI en date du 12 juillet 2019, en réponse aux interrogations suscitées par le rapport du 29 janvier 2014, dont certaines ont été relevées par le tribunal, apporte de nombreuses précisions techniques et d’interprétation qui modifient la compréhension de la situation objective, et permettent d’affirmer que les personnels et visiteurs des bureaux occupés par la région Île-de-France n’ont en réalité pas été exposés à des seuils d’amiante supérieurs aux normes autorisées.

Il convient d’observer que cette note de l’expert Z qui a été établie et produite au cours

de l’instance d’appel, fait l’objet de critiques de principe dans les conclusions de l’intimée, laquelle n’a cependant pas fait établir d’avis technique contraire ou seulement critique. Les informations données par Monsieur Z, pour une meilleure compréhension du rapport public du 29 janvier 2014, doivent dès lors être prises en considération.

L’expert confirme qu’aucun dépassement de seuil n’a jamais été relevé aux 20e et 21e étages de la tour Montparnasse pas plus que dans les locaux d’archives ou parking R -6 correspondant aux lots de copropriété de la société UGICI. Il précise que n’ayant pas relevé de dépassement de seuil dans le hall ni dans les locaux loués litigieux, les occupants de ces locaux n’ont pas cheminé dans l’immeuble dans des zones de dépassement de seuil depuis leur entrée par le parking, le métro ou l’accès piéton jusqu’aux espaces mis à leur disposition.

L’expert a précisé que les gaines potentiellement génératrices de fibres d’amiante sont des gaines techniques placées aux extrémités du noyau central à tous les étages. Elles comportaient un plâtre amianté en plafond. Il précise que ce sont des locaux techniques qui ont pu être à l’origine du transfert de fibres d’amiante au-delà des zones de travaux de désamiantage mais jamais dans les locaux de la société UGICI ni dans les lots aux niveaux immédiatement supérieurs ou inférieurs, et que ces gaines ne font pas partie des réseaux de ventilation d’air.

De même, il a précisé que les gaines de désenfumage traversent tous les niveaux jusqu’au sommet de la tour, qu’elles ont fait office de conduit transportant des fibres d’amiante dans les étages supérieurs de la tour (33e et au-delà ) par des phénomènes de pression inversée ; elles font partie du réseau d’insufflation d’air et d’extraction des fumées du système incendie et sont activées uniquement en cas d’alarme incendie dans l’immeuble, mais n’ont pas de rapport avec les réseaux de ventilation d’air par les éjecto-convecteurs.

Il affirme qu’ainsi les locaux de la société UGICI loués à la région n’ont pas été affectés.

Il précise que les éjecto-convecteurs du réseau de climatisation, présents dans tous les bureaux, sont des équipements à l’intérieur desquels les personnes occupant les bureaux n’ont pas accès, et qui font l’objet, en cas de travaux de maintenance, d’une procédure adaptée, ce qui en tout état de cause ne concernait plus les locaux des vingtièmes et vingt et unièmes étages depuis 2006 car ces matériels avaient fait l’objet d’un nettoyage et curage avant le début du bail.

L’expert a pu affirmer dans cet avis que les personnes fréquentant la tour Montparnasse ne sont pas exposés au risque amiante au-delà des seuils définis par la réglementation. Il rappelle que les incidents de dépassement de seuil en juin 2013 ont fait l’objet de mesures techniques et administratives précises, et depuis lors de contrôles très stricts. Il rappelle que les dépassements de seuil ont été clairement imputables aux travaux mal maîtrisés, donc suspendus, de sorte que leur reprise sous le contrôle du préfet et ses équipes justifiaient parfaitement le maintien de l’activité dans la tour.

Enfin, il n’est fait état d’aucune entreprise ayant évacué ses salariés de la tour Montparnasse à la

même époque.

Si le président de la région Île-de-France ainsi qui l’affirme dans ses conclusions, a voulu à tout prix éviter le risque de mise en jeu de sa responsabilité pénale pouvant être encourue pour le délit de mise en danger délibéré de la personne d’autrui, il faut rappeler que le bail a pris effet le 1er août 2006 alors que les travaux de désamiantage avaient été entrepris précédemment par les copropriétaires du site; le bail en fait mention à la clause 1.10.6.

Il résulte de ces constatations que la décision du 4 mars 2014 de résilier unilatéralement le bail n’était pas justifiée par un manquement grave du bailleur à ses obligations ni par un péril imminent qui en serait résulté.

À l’inverse, il est démontré que le bailleur, par l’intermédiaire du syndicat des copropriétaires, sous le contrôle des services de l’État, a mis en 'uvre toutes les prescriptions, jusqu’à financer sur les préconisations de l’expert et les prescriptions de l’arrêté du préfet de région, une cellule de management amiante qui intervient depuis 2014 sur tous les projets de travaux, anime au quotidien la prévention du risque auprès des occupants de l’immeuble, locataires ou propriétaires.

Ainsi, la société UGICI a rempli son obligation de délivrance, de garantie de la jouissance paisible et d’entretien. L’immeuble loué n’est pas atteint d’un vice caché au jour de la conclusion du contrat.

Il n’y a pas lieu d’ordonner la résiliation judiciaire du bail.

Il en résulte que l’avis des sommes à payer émis par la région Île-de-France le 18 février 2015, numéro 2089-1, aux fins de restitution de sommes payées indûment, doit être annulé.

Sur la demande en restitution de loyers et charges

Par acte extrajudiciaire du 29 janvier 2015, la région Île-de-France a donné congé pour le 31 juillet 2015, avec mention qu’elle ne renonçait pas à se prévaloir de la résiliation du bail à la date du 17 mars 2014.

Dans la mesure où la demande de résiliation est rejetée, le bail a pris fin par l’effet de ce congé à la date du 31 juillet 2015.

La société UGICI demande la condamnation de la région Île-de-France à lui payer, au titre des loyers et charges pour la période du 1er avril 2014 au 31 juillet 2015, la somme principale de 4'156'668,91 €; elle produit des réclamations et mises en demeures, mais aucun décompte récapitulatif ni appel de loyers et charges.

La région Île-de-France n’émet toutefois aucune contestation sur le décompte des loyers qui paraît conforme au contrat de bail et pour des montants qu’elle ne prétend pas avoir payés, mais elle indique ne pas devoir les charges à défaut de reddition de comptes.

Par l’avenant au bail signé le 29 janvier 2010, à l’article 3, les parties ont décidé de modifier les conditions particulières pour substituer aux provisions sur charges un forfait fixé à 609'280 € hors taxes par an, devant être révisé annuellement selon les mêmes modalités que les loyers et redevances, payable par trimestre et d’avance. La réclamation conforme au montant forfaitaire des charges est en conséquence fondée.

Il en résulte qu’à défaut d’autre contestation du montant de la créance, celle-ci doit être fixée au montant de la réclamation.

Aux termes de la clause 2. 19. 1 du bail, 'toute somme non réglée par le preneur plus de huit jours après leur échéance portera intérêt depuis la date d’exigibilité jusqu’au jour du paiement effectif, sans qu’il soit besoin d’effectuer une mise en demeure. Cet intérêt sera égal au taux de l’intérêt légal applicable à l’année considérée majorée de deux points. Les intérêts afférents à tout mois commencé seront dus dans leur intégralité'. Il y a lieu de faire application de ladite clause, et d’ordonner la capitalisation annuelle des intérêts en application de l’article 1154 du Code civil.

Sur les autres demandes

La société UGICI ne démontre pas qu’elle a subi un préjudice matériel, moral ou d’image, qui serait lié aux conditions du départ anticipé de la région Île-de-France ; elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts.

La demande de la région Île-de-France de limiter les sommes mises à sa charge en application de l’article 1760 du Code civil n’est pas fondée, en l’absence de résiliation du bail.

En application de l’article 700 du code de procédure civile, en équité, et compte tenu des très importantes diligences qui ont été nécessaires à la conduite des procédures engagées depuis l’assignation introductive d’instance du 9 avril 2015 il y a plus de six ans, il y a lieu de condamner la région Île-de-France à payer à la société UGICI, en indemnisation de ses frais non compris dans les dépens, la somme de 30'000 €.

Elle devra en outre supporter les dépens de première instance et d’appel, dont la distraction sera ordonnée au profit de l’avocat postulant en application des dispositions des articles 696 et 699 du même code.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Dit n’y avoir lieu de prononcer l’annulation du jugement rendu le 21 février 2019 par le tribunal de grande instance de Paris,

Infirme partiellement le dit jugement,

Le confirme en ce qu’il a rejeté les fins de non recevoir et déclaré recevable l’action de la société Union de Gestion Immobilière Civile (UGICI)

Le réforme pour le surplus et, statuant à nouveau,

Annule l’avis des sommes à payer émis par la région Île-de-France le 18 février 2015, numéro 2089-1,

Condamne la région Île-de-France à payer à la société Union de Gestion Immobilière Civile (UGICI) la somme principale de quatre millions cent cinquante-six mille six cent soixante-huit euros et quatre-vingt-onze centimes (4'156'668,91 €), augmenté des intérêts au taux légal majoré de deux points à compter de la date d’exigibilité de chaque échéance, avec capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière,

Déboute la société Union de Gestion Immobilière Civile (UGICI) de sa demande de dommages-intérêts,

Déboute la région Île-de-France de toutes ses prétentions,

Condamne la région Île-de-France à payer à la société Union de Gestion Immobilière Civile (UGICI)

la somme de 30'000 € en indemnisation de ses frais irrépétibles d’instance,

La condamne aux dépens de première instance et d’appel et autorise Maître C D ' SELARL 2H Avocats à recouvrer directement ceux dont elle a fait l’avance sans recevoir de provision.

LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 3, 24 novembre 2021, n° 19/08758