Cour d'appel de Versailles, 13 septembre 2021, 20/042931

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 04, 13 sept. 2021, n° 20/04293
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 20/042931
Importance : Inédit
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nanterre, 17 novembre 2014
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Identifiant Légifrance : JURITEXT000044525143

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES

Code nac : 54G

4e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 13 SEPTEMBRE 2021

No RG 20/04293 – No Portalis DBV3-V-B7E-UBCT

AFFAIRE :

SOCIETE CIVILE MEUDONNAISE ET PARISIENNE

C/

SOCIETE QUALICONSULT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Novembre 2014 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No Chambre : 7ème

No RG : 13/09202

Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :

Me Stéphanie TERIITEHAU

Me Christophe DEBRAY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE TREIZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation (3ème chambre) du 23/05/2019 cassant et annulant partiellement l’arrêt rendu par la cour d’appel de Versailles – 4ème chambre le 6/11/2017

SOCIETE CIVILE MEUDONNAISE ET PARISIENNE
Ayant son siège [Adresse 3]
[Localité 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, avocat postulant, au barreau de VERSAILLES – No du dossier 20200308 – vestiaire : 732
Représentant : Maître Mario TENDEIRO de la SCP SCP CASTON TENDEIRO, avocat plaidant, au barreau de PARIS, vestiaire : P0156,

****************

DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI

SOCIETE QUALICONSULT
Ayant son siège [Adresse 1]
[Localité 5]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentant : Maître Christophe DEBRAY, avocat postulant, au barreau de VERSAILLES – No du dossier 20601 – vestiaire : 627
Représentant : Maître Catherine RAFFIN-PATRIMONIO de la SCP RAFFIN, avocat plaidant, au barreau de PARIS, vestiaire : P 133

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 14 Juin 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseiller et Monsieur Emmanuel ROBIN, Président.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Emmanuel ROBIN, Président,
Madame Pascale CARIOU, Conseillère,
Madame Valentine BUCK, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Françoise DUCAMIN,FAITS ET PROCÉDURE

Le 11 juin 2004, la Société civile meudonnaise et parisienne a acquis un lot de copropriété dans un immeuble situé [Adresse 2] construit par la société le Bailli de [Localité 6] ; le 3 mars 2005, elle a constaté l’apparition de fissures au sol du local constituant la partie privative de son lot et elle a conclu un accord avec les constructeurs pour la réparation de la partie avant du sol de ce local, construite sur terre-plein ; en revanche, les constructeurs ont refusé d’intervenir sur la partie arrière du sol du local, réalisée en prédalles, au motif que la société Qualiconsult avait donné un avis de conformité le 6 mars 2001.

Par arrêt du 10 novembre 2008, la cour d’appel de Versailles a ordonné une expertise en référé. L’expert a déposé son rapport le 30 juillet 2010.

Par acte d’huissier des 11 et 15 juillet 2013, la Société civile meudonnaise et parisienne a fait assigner le syndicat des copropriétaires et la société Qualiconsult devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin d’obtenir réparation du préjudice subi et, par jugement en date du 18 novembre 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre a débouté la Société civile meudonnaise et parisienne de toutes ses demandes.

Pour l’essentiel, le tribunal a considéré, d’une part, qu’au titre de la mission qui lui avait été confiée par le maître de l’ouvrage, la société Qualiconsult avait rempli sa mission au vu des informations qui lui étaient fournies et qu’elle avait émis un avis favorable sans avoir connaissance de la charge supplémentaire devant être supportée par la dalle, et, d’autre part, qu’au titre de la mission qui lui avait été confiée le 3 mars 2005 par la Société civile meudonnaise et parisienne, la société Qualiconsult avait examiné le plancher litigieux seulement sous l’angle de la norme NF P 06-001, sans tenir compte des charges supplémentaires induites par la chape et le revêtement qui devaient être réalisés par l’acquéreur, mais qu’il n’était pas démontré que les documents contractuels les prévoyant avaient été inclus dans sa mission. En ce qui concerne l’action à l’encontre du syndicat de copropriétaires, le tribunal a estimé que la preuve du caractère inexploitable du local n’était pas rapportée et qu’il appartenait à la Société civile meudonnaise et parisienne, avec l’accord de l’assemblée générale, de faire réaliser les travaux nécessaires pour augmenter, si nécessaire, la charge admissible sur le plancher.

Par arrêt du 6 novembre 2017, la cour d’appel de Versailles a confirmé ce jugement.

Par arrêt en date du 23 mai 2019, la Cour de cassation a cassé l’arrêt ci-dessus en ce qu’il a rejeté les demandes de la Société civile meudonnaise et parisienne contre la société Qualiconsult fondées sur sa responsabilité contractuelle et délictuelle, aux motifs que, d’une part, la cour d’appel avait dénaturé le rapport d’expertise en retenant que les contraintes normatives d’exploitation étaient respectées et que, d’autre part, elle avait statué par des motifs impropres à caractériser l’absence de lien de causalité entre la faute invoquée et le dommage subi.

Le 3 septembre 2020, la Société civile meudonnaise et parisienne a saisi la cour d’appel de Versailles et l’affaire a été fixée à l’audience du 14 juin 2021, à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

*

Par conclusions déposées le 2 avril 2021, la Société civile meudonnaise et parisienne demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a écarté la responsabilité délictuelle et contractuelle de la société Qualiconsult et rejeté les demandes en réparation du préjudice, de condamner la société Qualiconsult à lui payer la somme de 8 551,40 euros au titre de frais d’études, celle de 52 410,17 euros, ou, subsidiairement, celle de 37 539,29 euros, au titre du coût du renforcement du dallage, celle de 8 385,63 ou 6 004,69 euros au titre de frais annexes, celle de 1 196 euros au titre d’une expertise privée, celle de 956 euros au titre de frais de géomètre, celle de 657,80 euros au titre de frais de sondages, celle de 30 000 euros en réparation du préjudice moral, celle de 90 540 euros au titre de la perte de loyers et celle de 2 404 euros au titre de l’impôt foncier pour les années 2009 et 2010 ; elle sollicite également les intérêts de ces sommes à compter de l’assignation en justice, outre leur capitalisation, le rejet de la demande de limitation de la responsabilité de la société Qualiconsult et la condamnation de cette société aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 25 498,48 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

La Société civile meudonnaise et parisienne invoque les conclusions du rapport d’expertise selon lesquelles le plancher arrière du local a été réalisé en prédalles calculées selon des hypothèses erronées et aptes, en tout état de cause, à supporter une charge n’excédant pas 250 daN/m2 au lieu de 500 daN/m2, et sans prise en compte du revêtement dont la masse s’élève à 175 kg/m2. Elle reproche à la société Qualiconsult d’avoir manqué aux obligations contractuelles découlant de la convention conclue entre elles le 26 novembre 2004 lui confiant une mission de contrôle de la solidité des ouvrages et des existants ; ce contrôle aurait nécessairement dû prendre en compte le cahier des clauses techniques particulières prévoyant la pose d’une chape et d’un carrelage sur le plancher en prédalles et une surcharge d’exploitation de 5 kN/m2 après réalisation de ces travaux et l’expert aurait mis en évidence les fautes et manquements de la société Qualiconsult.

La Société civile meudonnaise et parisienne soutient que la société Qualiconsult a engagé sa responsabilité délictuelle à son égard au titre de fautes commises dans l’exécution de sa mission de contrôle technique, avant la conclusion d’un contrat entre elles ; en effet, elle aurait approuvé les plans des prédalles malgré des incohérences importantes.

La Société civile meudonnaise et parisienne affirme que ses demandes nouvelles en appel sont la conséquence et le complément nécessaire de celles qu’elle avait présentées en première instance. Elle soutient que les sommes réclamées correspondent aux travaux strictement nécessaires pour rendre la dalle conforme aux contraintes normatives, aux dépenses qu’elle a exposées et aux pertes qu’elle a subies.

Par conclusions déposées le 22 mars 2021, la société Qualiconsult demande à la cour de confirmer le jugement entrepris ; elle demande également à la cour de déclarer irrecevables la demande d’indemnisation au titre de travaux affectant les parties communes et les demandes nouvelles en appel ; subsidiairement elle demande de limiter l’indemnisation au coût hors taxes des travaux et de limiter le montant des condamnations à son encontre à la somme de 2 400 euros ; en tout état de cause, elle demande la condamnation de la Société civile meudonnaise et parisienne aux dépens ainsi qu’au paiement d’une indemnité de 15 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.

La société Qualiconsult soutient avoir exécuté sa mission initiale selon le référentiel applicable, conformément à l’article 4.1.10 de la norme NF P 03-100. Elle indique s’être conformée aux indications données par le bureau d’études BDI lui ayant confirmé qu’un renforcement n’était pas nécessaire pour satisfaire à la norme imposant une charge admissible de 500 daN/m2, alors que les plans avaient été établis en retenant un maximum de 250 daN/m2. Elle ajoute qu’elle n’a commis aucune faute lors de la réalisation du diagnostic commandé par la Société civile meudonnaise et parisienne, en précisant qu’il ne s’agissait pas d’un contrôle technique au sens de la norme mentionnée ci-dessus et que les documents prévoyant une chape de 8 cm, dont elle a pris connaissance lors des opérations d’expertise, ne lui avaient pas été soumis. Par ailleurs, la société Qualiconsult conteste l’existence d’un lien de causalité entre les manquements qui lui sont reprochés et les préjudices allégués.

La société Qualiconsult soutient également que les demandes nouvelles de la Société civile meudonnaise et parisienne sont irrecevables et qu’en tout état de cause elles sont mal fondées. Elle invoque également une clause limitant sa responsabilité au double du montant de ses honoraires.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes nouvelles

Selon l’article 564 du code de procédure civile, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait ; cependant, conformément à l’article 566 du même code, les parties peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge les demandes qui en sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l’espèce, la Société civile meudonnaise et parisienne demandait en première instance la condamnation de la société Qualiconsult à lui payer la somme de 52 410,17 euros au titre des travaux de remise en état, celle de 64 016 euros au titre de la perte de loyers, celles de 8 551,40 euros et de 956 euros au titre de frais d’études et de géomètre, et celles de 2 000 et 20 000 euros au titre, d’une part, d’honoraires de syndic et de frais d’assurance et, d’autre part, de la perte de temps de son gérant. Elle sollicite à présent une somme de 90 540 euros au titre de la perte de loyers et forme des demandes nouvelles au titre de frais qu’elle a exposés pour les besoins du procès, au titre d’un préjudice moral et au titre du paiement de l’impôt foncier ; elle présente également des demandes d’indemnisation subsidiaires dans l’hypothèse où il ne serait pas fait droit aux montants sollicités à titre principal.

Ces demandes qui tendent à la réparation du préjudice subi par la Société civile meudonnaise et parisienne consécutivement aux fautes reprochées à la société Qualiconsult complètent celles présentées en première instance ; elles sont nécessaires à l’évaluation de l’indemnisation totale susceptible de lui être allouée dans l’hypothèse où la responsabilité de la défenderesse serait retenue.

Il convient en conséquence de déclarer recevables les demandes nouvelles formées par la Société civile meudonnaise et parisienne en cause d’appel.

Sur la qualité à agir

La société Qualiconsult demande à la cour de déclarer irrecevable la demande de la Société civile meudonnaise et parisienne tendant au paiement du prix de travaux affectant les parties communes en raison d’un défaut de qualité à agir ; selon les motifs de ses conclusions, cette fin de non-recevoir vise la demande en paiement du prix de travaux de renforcement de la dalle, que la demanderesse n’aurait « pas qualité pour réaliser » en ce qu’ils « relèvent des seules attributions du syndicat des copropriétaires ».

Cependant, la demanderesse a qualité pour agir en réparation de l’intégralité de son préjudice ; la question de l’étendue du préjudice découlant, le cas échéant, des fautes reprochées à la société Qualiconsult, et notamment celle de la charge du coût des travaux de renforcement de la dalle, relève du fond du litige.

Il n’y a donc pas lieu de déclarer irrecevable la demande d’indemnisation en ce qu’elle inclut le coût de travaux de renforcement de la dalle.

Sur la responsabilité délictuelle

Selon l’ancien article 1382 du code civil, applicable à la date des faits et dont les dispositions sont désormais reprises par l’article 1240 de ce code, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

En l’espèce, par une convention du 13 octobre 1999, la société Qualiconsult avait été chargée par la société le Bailly de [Localité 6], agissant en qualité de maître de l’ouvrage, d’une mission de contrôle technique comprenant notamment la mission particulière « LP » portant sur la solidité des ouvrages ; à ce titre, la société Qualiconsult était chargée de contribuer à la prévention des aléas techniques découlant de défauts dans l’application des textes techniques à caractère réglementaire ou normatif et susceptibles de compromettre la solidité de la construction ; son contrôle devait porter sur les documents techniques de conception et d’exécution définissant les ouvrages ainsi que sur la réalisation de ceux-ci sur le chantier.

Pour l’exécution de cette mission en ce qui concerne le plancher du local acquis par la Société civile meudonnaise et parisienne, la société Qualiconsult devait notamment prendre en compte la norme NF P 06-001, laquelle impose, pour les boutiques et annexes, la prise en compte d’une « charge d’exploitation dont la valeur minimale » est fixée à 5 kN/m2.

L’expert judiciaire a constaté que les documents techniques qui lui ont été transmis (plans et notes de calcul) présentaient des incohérences importantes, tant sur l’épaisseur de la dalle que sur les charges d’exploitation prises en considération ; ainsi, pour ce qui concerne le plancher en prédalles litigieux, le plan no14735 A mentionnait une épaisseur de plancher de 16 cm, un poids de charges permanentes nul et des charges d’exploitation limitées à 250 daN/m2, en contrariété avec la norme rappelée ci-dessus. Le cahier des clauses techniques particulières prévoyait en revanche expressément une épaisseur du plancher haut du sous-sol de 23 cm minimum, des charges permanentes résultant de la réalisation d’une chape de 8cm et d’un revêtement de 180 daN/m2 et des surcharges d’exploitation de 500 daN/m2.

L’erreur commise dans le plan no14735 A concernant les prédalles a été décelée seulement en cours de chantier ; la société Qualiconsult, après en avoir été informée, a sollicité une note de calcul justificative de la part de la société qui avait établi le plan d’origine et a émis un avis favorable sur ce plan, alors que l’expertise a mis en évidence que la note de calcul avait été établie sur des fondements douteux et sans prendre en compte les charges permanentes résultant de la réalisation d’une chape et d’un revêtement.

La société Qualiconsult n’a donc pas relevé d’elle-même les incohérences du plan no14735 A avec la norme applicable et, après avoir été alertée sur l’existence d’une difficulté, a émis un avis favorable au vu d’une note de calcul présentant des lacunes manifestes. L’expert a notamment constaté que son avis était erroné y compris après la diffusion d’un calcul justificatif et que les documents n’auraient pas dû être approuvés.

En outre, la société Qualiconsult ne pouvait ignorer que les prédalles ne constituaient pas à elles seules un plancher et, à supposer que le CCTP n’ait pas été porté à sa connaissance, elle aurait dû s’enquérir des charges permanentes résultant de la réalisation d’une chape et d’un revêtement afin d’apprécier la capacité de la dalle à remplir son office et, à défaut de pouvoir évaluer ces charges permanentes, émettre à tout le moins un avis réservé concernant le respect de la norme NF P 06-001, dans la mesure où les éléments qui lui étaient transmis ne permettaient pas de vérifier que la valeur minimale prévue par cette norme en ce qui concerne les charges d’exploitation serait préservée après réalisation d’une chape et d’un revêtement, quel qu’en soit le poids.

La société Qualiconsult a dès lors commis des fautes dans l’exécution de la mission de contrôle technique qui lui avait été confiée par le maître de l’ouvrage, et ces fautes engagent sa responsabilité délictuelle à l’égard des tiers.

Sur la responsabilité contractuelle

Conformément à l’ancien article 1142 du code civil, applicable à la date des faits et dont les dispositions sont désormais reprises aux articles 1217 et suivants de ce code, toute obligation de faire se résout en dommages et intérêts en cas d’inexécution de la part du débiteur.

Le 3 mars 2005, la Société civile meudonnaise et parisienne a conclu avec la société Qualiconsult une convention de vérification technique portant sur la solidité de la dalle du local litigieux ; cette convention prévoyait notamment la vérification du respect de la norme NF P 06-001.

Par une lettre du 28 juillet 2006, la société Qualiconsult a déclaré à la Société civile meudonnaise et parisienne « nous vous confirmons que le plancher résiste à la charge de 500 daN/m2 » ; par une lettre recommandée du 18 décembre 2006, la Société civile meudonnaise et parisienne a déclaré à la société Qualiconsult qu’elle estimait que la mission n’était pas terminée, en ce que la société de contrôle n’avait jamais précisé si la valeur de 5 kN/m2 correspondait à la surcharge d’exploitation après réalisation de la chape et du revêtement en grès cérame prévus par l’entreprise chargée des travaux d’aménagement, et l’a mise en demeure de confirmer si le plancher du local accepte une surcharge d’exploitation de « 500 kN/m2 » ; dans sa réponse du 10 janvier 2007, la société Qualiconsult, après avoir relevé l’erreur d’unité commise par sa cliente, ne répond pas à la question posée concernant l’admissibilité d’une surcharge d’exploitation de 5 kN/m2 en se contentant d’affirmer que « l’ensemble des plans examinés a été validé par nos services », en ajoutant que « les éléments que vous nous demandez de vous préciser sont clairement indiqués sur ces documents d’exécution », et en estimant que sa « mission est ainsi clairement effectuée ».

En refusant définitivement de répondre de manière claire et précise à la Société civile meudonnaise et parisienne sur la question du respect de la norme NF P 06-001, la société Qualiconsult a totalement manqué aux obligations de la mission qui lui était confiée.

En outre, ainsi que l’a relevé l’expert, la référence par la société Qualiconsult à l’avis favorable qu’elle avait donné à l’occasion de l’exécution de sa mission de contrôleur technique sans avoir réexaminé les documents des entreprises constitue un manquement aux obligations contractées à l’égard de la Société civile meudonnaise et parisienne ; elle n’a de surcroît effectué aucun examen sérieux de la zone litigieuse.

La Société civile meudonnaise et parisienne est dès lors fondée à invoquer la responsabilité contractuelle de la société Qualiconsult à son égard.

Sur la réparation du préjudice

Les fautes commises par la société Qualiconsult lors de l’exécution de sa mission de contrôle technique initiale sont directement à l’origine du défaut de solidité de la dalle du local commercial acheté par la Société civile meudonnaise et parisienne. En effet, si le contrôleur technique avait émis un avis circonstancié mettant en évidence le défaut de justification du respect de la norme NF P 06-001, les constructeurs y auraient remédié avant l’achèvement de l’immeuble, conformément à leurs obligations légales et contractuelles, soit en apportant des éléments permettant d’attester du respect de la norme soit en effectuant les modifications nécessaires.

1) la consolidation de la dalle

L’arrêt de la cour d’appel de Versailles du 6 novembre 2017 n’a pas été cassé en ce qu’il a confirmé le jugement du 18 novembre 2014 ayant débouté la Société civile meudonnaise et parisienne de son action à l’encontre du syndicat des copropriétaires tendant au renforcement de la dalle, en considérant qu’il appartenait à la société copropriétaire de faire effectuer elle-même les travaux nécessaires. Cette décision étant aujourd’hui définitive, il est démontré que la Société civile meudonnaise et parisienne supporte personnellement les conséquences du défaut de solidité du plancher de son local commercial au regard de la charge d’exploitation minimale fixée par la norme NF P 06-001.

L’expert a réalisé un essai destructif, qui lui a permis de constater l’épaisseur réelle du plancher, et a pris en compte les armatures réellement mises en place par le fournisseur des prédalles, selon les indications données par la société BDI ; il résulte des calculs effectués par l’expert que les prédalles 127, 128, 129, 155 et 156 présentent des caractéristiques suffisantes pour résister aux charges et surcharges appliquées ; en revanche, ces calculs ne permettent pas de justifier la résistance des armatures des prédalles 157 et 158. Ainsi, après avoir contrôlé l’épaisseur réelle du plancher et pris en compte les armatures effectivement mises en place par le fabricant, l’expert a constaté que le plancher pouvait, sur 75 % de sa surface, reprendre les charges permanentes et d’exploitation définies au CCTP grâce à des armatures ne figurant pas sur le plan, mais que sur 25 % de la surface la résistance était insuffisante et que, en l’état, la charge admissible était réduite à 250 kg/m2.

Dès lors, afin d’atteindre la valeur de 5 kN/m2 résultant des prescriptions de la norme NF P 06-001 et des documents contractuels, il est nécessaire de réaliser des travaux de consolidation de la dalle. L’expert a préconisé la réalisation d’une chape collaborante sur une surface de 40 m2 correspondant à la travée affectée d’un défaut de solidité, le reste de la surface pouvant recevoir une chape traditionnelle. Au vu d’un devis établi par la société SCE, et en retenant le coût des seuls travaux nécessaires au renforcement de la dalle, l’expert a évalué à 9 460,95 euros le coût hors taxes du confortement de la dalle.

Afin de pouvoir louer ce local conformément à sa destination et sans restrictions, la Société civile meudonnaise et parisienne devra prendre à sa charge le coût des travaux de confortement de la dalle et elle est dès lors fondée à invoquer le préjudice qu’elle subit personnellement à ce titre.

Aucun élément ne permet de contredire l’évaluation par l’expert des travaux strictement nécessaires au renforcement de la dalle, et la Société civile meudonnaise et parisienne est ainsi mal fondée à demander la prise en charge du montant de 48 821,21 euros hors taxes résultant d’un devis émis par la société Eiffage construction services. En revanche, la Société civile meudonnaise et parisienne fait valoir à juste titre que la réalisation de la chape lui imposera de démolir le revêtement de sol provisoire et de démonter puis de remonter les aménagements intérieurs de son local ; il convient de lui allouer la somme de 21 845 euros correspondant au coût hors taxes de ces travaux, tels qu’il résulte du devis de la société Eiffage construction services.

Par ailleurs, l’intervention de la Société civile meudonnaise et parisienne sur un plancher constituant de surcroît une partie commune de l’immeuble dans lequel elle est copropriétaire, imposera, à tout le moins, de recourir à l’assistance d’un maître d’oeuvre et d’un bureau de contrôle et de souscrire une assurance dommages-ouvrage. Au regard de la nature et de l’ampleur des travaux à réaliser, ce chef de préjudice sera réparé par une somme de 5 000 euros.

En conséquence, le coût total des travaux de réfection sera fixé à [9 460,95 + 21 845 + 5 000] 36 305,95 euros.

2) La perte de loyers et le paiement de la taxe foncière

La taxe foncière due par le propriétaire d’un bien immobilier n’est pas une conséquence des fautes commises par la société Qualiconsult.

Le défaut de respect de la norme NF P 06-001 n’a pas empêché la Société civile meudonnaise et parisienne de donner à bail le local commercial litigieux ; aucun élément ne démontre les raisons du départ de la société locataire en mars 2009 et aucune mention du rapport d’expertise ne vient étayer l’affirmation de la Société civile meudonnaise et parisienne selon laquelle les opérations menées par l’expert imposaient que le local soit libre de toute occupation ; au contraire l’expert avait commencé ses opérations dès le 11 décembre 2008 et avait organisé sans difficulté une nouvelle réunion sur place le 7 janvier 2009 ; la réalisation d’un sondage destructif s’est avérée nécessaire seulement au début de l’année 2010, après le départ du locataire en place. L’expert a lui-même constaté que rien n’empêchait la location du local dans l’état où il se trouvait, sauf à limiter la charge maximale à 250 kg/m2.

L’existence d’un lien de causalité entre les fautes commises par la société Qualiconsult et les périodes de vacances du bien invoquées par la Société civile meudonnaise et parisienne n’est donc pas démontrée.

En revanche, durant les travaux, qui entraîneront nécessairement la fermeture du local commercial, la Société civile meudonnaise et parisienne ne pourra percevoir un loyer de la part d’un locataire ni récupérer de charges. Compte tenu du montant du loyer mensuel à ce jour (2 000 euros hors taxes) et des charges récupérables (200 euros par mois), il convient d’allouer à la Société civile meudonnaise et parisienne une indemnité de 6 600 euros en réparation du préjudice subi à cette occasion.

3) Les frais divers

La Société civile meudonnaise et parisienne réclame à la société Qualiconsult le remboursement de frais d’études par la société SCE (8 551,40 euros), du coût d’une expertise privée (1 196 euros), ainsi de frais de géomètre et de frais de sondages avancés dans le cadre de l’expertise judiciaire (956 et 657,80 euros).

Pour justifier des frais d’études qu’elle allègue, la Société civile meudonnaise et parisienne se contente de se référer à sa pièce no9, qui est un devis de la société SCE en date du 14 avril 2005 relatif notamment au « renforcement de la dalle de la zone d’activité » et dans lequel figure une « étude béton 3750 + 3400 » au prix de 7 150 euros. Aucun élément ne permet cependant de démontrer la nécessité d’une telle étude.

La Société civile meudonnaise et parisienne sera donc déboutée de sa demande à ce titre.

Les autres dépenses constituent des frais exposés à l’occasion du litige et exclus des dépens et seront indemnisés par application de l’article 700 du code de procédure civile, comme il est dit ci-après.

4) La taxe sur la valeur ajoutée

La Société civile meudonnaise et parisienne, qui sollicite le paiement par la société Qualiconsult de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux travaux nécessaires, ne produit aucun élément permettant de démontrer qu’elle est le débiteur final de cette taxe et qu’elle subira ainsi un préjudice à ce titre.

Il résulte au contraire de ses explications qu’elle perçoit de son locataire un loyer soumis à la taxe sur la valeur ajoutée.

Il n’y a donc pas lieu de lui allouer une indemnité au titre de cette taxe.

5) Le préjudice moral

Pour solliciter une indemnisation au titre d’un préjudice moral, la Société civile meudonnaise et parisienne prétend que celui-ci serait « l’accessoire et le complément nécessaire de tous les préjudices subis » et qu’il inclurait « la perte de temps du gérant de la SCMP sollicitée en première instance ».

Cependant, les préjudices matériels ou financiers n’entraînent pas nécessairement un préjudice moral, et la cour ne peut allouer une indemnisation forfaitaire supplémentaire de ce seul chef.

En revanche, les carences de la société Qualiconsult dans l’exécution de la convention de vérification technique conclue avec la Société civile meudonnaise et parisienne ont contraint le gérant de celle-ci à multiplier les démarches pour lever l’incertitude concernant la charge d’exploitation admissible dans le local litigieux ; la Société civile meudonnaise et parisienne est fondée à solliciter une indemnisation du trouble ainsi occasionné dans son fonctionnement courant, même si elle le qualifie de manière impropre de préjudice moral.

Les éléments de l’espèce, notamment le temps qui a été nécessaire à la Société civile meudonnaise et parisienne pour se convaincre de la nécessité de travaux de confortement de la dalle et les démarches entreprises telles qu’elles résultent des documents versés aux débats, justifient de lui allouer une indemnité de 5 000 euros.

6) La clause limitative de responsabilité

La société Qualiconsult oppose à la Société civile meudonnaise et parisienne la clause limitative de responsabilité prévue par l’article 12 des conditions spéciales annexées à la convention de vérification technique conclue entre elles le 3 mars 2005, selon laquelle a responsabilité de la société Qualiconsult ne saurait être engagée au-delà de deux fois le montant des honoraires perçus par elle au titre de la vérification.

Cependant, conformément à l’ancien article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa rédaction applicable à la date de la conclusion du contrat, dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ; le caractère abusif d’une clause s’apprécie en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat.

La société Qualiconsult est un professionnel de la construction, ce que la Société civile meudonnaise et parisienne n’est pas, même si elle exerce son activité dans le domaine immobilier ; celle-ci peut donc invoquer à son profit les dispositions rappelées ci-dessus.

En l’espèce, la vérification demandée à la société Qualiconsult était essentielle pour la Société civile meudonnaise et parisienne en ce qu’elle consistait à vérifier que le plancher de son local présentait la solidité minimale exigée par la norme NF P 06-001 ; or la clause a pour effet de limiter les conséquences de l’inexécution ou de la mauvaise exécution du contrat à une somme de 2 400 euros, qui est dérisoire au regard de l’enjeu de la vérification demandée ; elle est manifestement destinée à décourager le cocontractant de la société Qualiconsult de toute recherche de la responsabilité de cette société, en le contraignant, pour établir cette responsabilité, à des démarches d’un coût supérieur à la somme qu’il serait susceptible d’obtenir, laquelle ne permettrait en aucun cas d’indemniser une part significative du préjudice subi.

Une telle clause, qui crée un déséquilibre significatif au détriment du non-professionnel est abusive et doit être réputée non écrite.

La société Qualiconsult est dès lors mal fondée à demander que l’indemnisation du préjudice subi par la Société civile meudonnaise et parisienne soit limitée à la somme de 2 400 euros.

7) Les intérêts moratoires

Dans la mesure où la Société civile meudonnaise et parisienne n’a pas agi contre la société Qualiconsult en exécution d’une obligation de payer une somme déterminée, elle est mal fondée à solliciter des intérêts au taux légal à compter de l’assignation en justice.

En l’absence de tout moyen de droit ou de fait au soutien de la demande d’intérêts moratoires, il convient de dire que les indemnités allouées par le présent arrêt porteront intérêts au taux légal à compter de ce jour, conformément à l’article 1231-7 du code civil.

Sur les dépens et les autres frais

La société Qualiconsult, qui succombe, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel, y compris les frais de l’expertise ordonnée en référé, conformément à l’article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l’article 699 du même code.

Selon l’article 700 1o de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.

Les circonstances de l’espèce, notamment les frais supplémentaires exposés par la Société civile meudonnaise et parisienne à l’occasion des opérations d’expertise, justifient de condamner la société Qualiconsult à lui payer une indemnité de 20 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés à l’occasion du présent litige ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,

DÉCLARE recevables les demandes nouvelles formées en cause d’appel par la Société civile meudonnaise et parisienne ;

DIT n’y avoir lieu de déclarer irrecevable la demande d’indemnisation en ce qu’elle inclut une somme au titre du coût des travaux de renforcement de la dalle ;

INFIRME le jugement déféré en ce qu’il a :

1) débouté la Société civile meudonnaise et parisienne de ses demandes à l’encontre de la société Qualiconsult,

2) condamné la Société civile meudonnaise et parisienne à payer à la société Qualiconsult la somme de 3 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile,

3) condamné la Société civile meudonnaise et parisienne aux dépens, dans ses rapports avec la société Qualiconsult ;

Et, statuant à nouveau de ces chefs,

DÉCLARE recevables la demande de la Société civile meudonnaise et parisienne au titre des travaux de confortement de la dalle ;

DIT que la clause limitative de la responsabilité de la société Qualiconsult est réputée non écrite ;

CONDAMNE la société Qualiconsult à payer à la Société civile meudonnaise et parisienne les sommes suivantes :

1) 36 305,95 euros au titre des travaux de confortement de la dalle,

2) 6 600 euros au titre de la perte de loyers,

3) 5 000 euros au titre du préjudice immatériel complémentaire ;

DIT que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

DÉBOUTE la Société civile meudonnaise et parisienne de ses autres demandes d’indemnisation ;

CONDAMNE la société Qualiconsult aux dépens de première instance et d’appel, y compris les frais d’expertise, et dit qu’ils pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Qualiconsult à payer à la Société civile meudonnaise et parisienne une indemnité de 20 000 euros, par application de l’article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.

— Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— Signé par Monsieur Emmanuel Robin, Président et par Monsieur Boubacar BARRY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRESIDENT,

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Cour d'appel de Versailles, 13 septembre 2021, 20/042931