CEDH, Communiqué de presse sur l'affaire 71111/01, 14 juin 2007

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Texte intégral

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

414

14.6.2007

Communiqué du Greffier

ARRÊT DE CHAMBRE
HACHETTE FILIPACCHI ASSOCIES c. FRANCE

La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son arrêt de chambre[1] dans l’affaire Hachette Filipacchi Associés c. France (requête no 71111/01).

La Cour conclut, par cinq voix contre deux, à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des Droits de l’Homme, du fait de la condamnation de la société Hachette Filipacchi à la suite de la publication dans Paris-Match d’une photographie de la dépouille du préfet de Corse Claude Erignac. (L’arrêt n’existe qu’en français.)

1.  Principaux faits

La société requérante, Hachette Filipacchi Associés, est une personne morale de droit français, ayant son siège social à Levallois-Perret (France). Elle édite notamment l’hebdomadaire Paris-Match.

L’affaire concerne la condamnation de la société requérante en raison de la publication par Paris-Match d’une photographie du corps du préfet Erignac juste après son assassinat à Ajaccio en février 1998.

Dans le numéro de Paris-Match daté du 19 février 1998, fut publié un article intitulé « La République assassinée » relatant l'assassinat du préfet Erignac, survenu le 6 février 1998. L'article était illustré par une photographie du corps du préfet gisant sur la chaussée, le visage tourné vers l’objectif et portait notamment le commentaire « Sur ce trottoir d'Ajaccio, vendredi 6 février à 21 h 15, Claude Erignac, préfet de Corse, a écrit de son sang une page tragique de notre histoire. »

La veuve et les enfants du préfet Erignac assignèrent en référé plusieurs sociétés, dont Hachette Filipacchi Associés afin d’obtenir notamment la saisie des exemplaires de tout magazine, tel Paris-Match et VSD, comprenant la photo de la dépouille du préfet et l'interdiction de leur vente sous astreinte. Selon eux, la publication de la photographie du corps ensanglanté et mutilé de leur proche n'était, en aucune façon, utile à l'information du public mais répondait à des fins purement mercantiles et constituait une atteinte particulièrement intolérable au droit au respect de leur vie privée.

Le 12 février 1998, le juge des référés, sur le fondement de l'article 809 du nouveau code de procédure civile condamna de la société Hachette Filipacchi à publier à ses frais dans Paris-Match un communiqué spécifiant que la photographie représentant le corps du préfet Erignac publiée par Paris Match avait causé un trouble grave à Madame Erignac et à ses enfants.

La société Hachette Filipacchi fit appel de cette décision, faisant valoir que la photographie litigieuse était l'image sombre et atténuée d'un événement historique et ne pouvait à ce titre constituer une atteinte à la vie privée de la famille Erignac. Le 24 février 1998, la cour d'appel de Paris confirma l'ordonnance du juge des référés après avoir notamment relevé que la publication de ladite photographie, au cours de la période de deuil des proches parents de Claude Erignac, constituait, dès lors qu'elle n'avait pas reçu l'assentiment de ceux-ci, une profonde atteinte à leurs sentiments d'affliction, donc à l'intimité de leur vie privée. La cour d’appel estima qu’une telle photographie était attentatoire à la dignité humaine et condamna la société Hachette Filipacchi à publier à ses frais dans Paris-Match un communiqué spécifiant que la publication de cette photographie avait été faite sans l'assentiment de la famille Erignac, qui estime qu'une telle publication porte atteinte à l'intimité de sa vie privée.

Le 20 décembre 2000, la Cour de cassation rejeta le pourvoi de la société requérante.

2.  Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite devant la Cour européenne des Droits de l’Homme le 20 mars 2001 et déclarée recevable le 2 février 2006.

L’arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges composée de :

Christos Rozakis (Grec), président,
Loukis Loucaides (Cypriote),
Jean-Paul Costa (Français),
Nina Vajić (Croate),
Anatoli Kovler (Russe),
Dean Spielmann (Luxembourgeois),
Sverre Erik Jebens (Norvégien), juges,

ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section.

3.  Résumé de l’arrêt[2]

Grief

Invoquant l’article 10, la société requérante se plaignait de sa condamnation à la publication sous astreinte d’un communiqué indiquant que la photographie du préfet Erignac avait été publiée sans l’assentiment de la famille Erignac.

Décision de la Cour

Article 10

La Cour estime que l'obligation d'avoir à publier un communiqué s’analyse en une ingérence des autorités dans l'exercice de la liberté d'expression de la société requérante.

Sur le point de savoir si cette ingérence était prévue par la loi, la Cour relève que l'article 9 du code civil confère aux juges chargés de veiller à son application un pouvoir dont le cadre est défini et vise précisément à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée. D'une grande souplesse, ce texte a permis de développer le concept de « vie privée » et de « droit à l'image », lui-même né d'une construction jurisprudentielle désormais bien établie, et a permis de s'adapter aux nombreuses situations de fait qui peuvent se présenter ainsi qu'à l'évolution des mœurs, des mentalités et des techniques.

La Cour note d’autre part qu’il existe une jurisprudence française constante légitimant l’obligation de publier un communiqué, considérée par les juridictions françaises comme « l'une des modalités de la réparation des préjudices causés par voie de presse ». Selon la Cour, cette jurisprudence satisfait aux conditions d'accessibilité et de prévisibilité propres à établir que cette forme d'ingérence est « prévue par la loi » au sens de l'article 10 § 2 de la Convention.

Par ailleurs, la Cour estime que l’ingérence litigieuse poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits d’autrui, et que les droits protégés tombaient dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention garantissant le droit au respect de la vie privée et familiale.

La question qui se pose alors à la Cour est de déterminer si l’ingérence litigieuse était « nécessaire dans une société démocratique ». Pour ce faire, la Cour tient compte des devoirs et responsabilités inhérents à l'exercice de la liberté d'expression ainsi que de l'effet potentiellement dissuasif de la sanction prononcée en l'espèce.

En ce qui concerne les « devoirs et responsabilités » inhérents à l'exercice de la liberté d'expression, la Cour rappelle que le décès d'un proche et le deuil qu'il entraîne, cause d’intense douleur, doivent parfois conduire les autorités à prendre les mesures nécessaires au respect de la vie privée et familiale des personnes concernées. En l’espèce, la publication de la photographie litigieuse est intervenue dans le numéro de Paris-Match daté du 19 février 1998, soit seulement 13 jours après l'assassinat et dix jours après les obsèques du préfet Erignac. La Cour estime que la souffrance ressentie par les proches de la victime devait conduire les journalistes à faire preuve de prudence et de précaution dès lors que le décès était survenu dans des circonstances violentes et traumatisantes pour la famille de la victime, qui s'était expressément opposée à la publication de la photographie. Cette publication, dans un magazine de très large diffusion, a eu pour conséquence d'aviver le traumatisme subi par les proches de la victime à la suite de l'assassinat, lesquels ont donc pu légitimement estimer qu'il avait été porté atteinte à leur droit au respect de la vie privée.

La Cour a alors examiné le caractère dissuasif de l’obligation de publier un communiqué au regard de l’exercice de la liberté de la presse. Elle note que les juridictions françaises ont rejeté la demande de la famille Erignac de saisir les exemplaires en question de Paris-Match notamment. La Cour estime que la rédaction du communiqué, dont le texte en appel était différent de celui de première instance, est significative de l’attention que les juridictions françaises ont porté au respect de la liberté rédactionnelle du magazine Paris-Match, laquelle se caractérise en particulier par le choix d'illustrer les reportages par des photos chocs. Dans ces conditions, La Cour considère que l'injonction de publier le communiqué, dans son principe comme dans son contenu, constituait la sanction emportant le moins de restrictions à l'exercice des droits de la société requérante sur l'échelle des sanctions rendues possibles par la législation française, notamment au regard de l'interprétation de l'article 9 du code civil par les juridictions nationales. Ainsi, la société requérante n'a pas démontré en quoi l'ordre de publier le communiqué en question a effectivement pu avoir un effet dissuasif sur la manière dont Paris-Match a exercé et exerce encore son droit à la liberté d'expression.

Pour conclure, la Cour estime que l’obligation faite à Paris-Match de publier un communiqué, que les juridictions françaises ont justifiée par des motifs à la fois « pertinents et suffisants », était proportionnée au but légitime qu'elle poursuivait et, partant, « nécessaire dans une société démocratique ». Elle conclut donc à la non-violation de l’article 10.

Les juges Loucaides et Vajić ont exprimé des opinions dissidentes dont le texte se trouve joint à l’arrêt.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Contacts pour la presse

Emma Hellyer (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 42 15)
Stéphanie Klein (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 21 54)
Beverley Jacobs (téléphone : 00 33 (0)3 90 21 54 21)
Tracey Turner-Tretz (téléphone : 00 33 (0)3 88 41 35 30)
 

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950.


[1] L’article 43 de la Convention européenne des Droits de l’Homme prévoit que, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre (17 membres) de la Cour. En pareille hypothèse, un collège de cinq juges examine si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses protocoles ou encore une question grave de caractère général. Si tel est le cas, la Grande Chambre statue par un arrêt définitif. Si tel n’est pas le cas, le collège rejette la demande et l’arrêt devient définitif. Autrement, les arrêts de chambre deviennent définitifs à l’expiration dudit délai de trois mois ou si les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre.

[2] Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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