Tribunal administratif de Marseille, 5 octobre 2022, n° 2208000

  • Environnement·
  • Justice administrative·
  • Montagne·
  • Associations·
  • Atteinte·
  • Dérogation·
  • Juge des référés·
  • Autorisation de défrichement·
  • Équilibre·
  • Urgence

Commentaires3

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Arnaud Gossement · 7 décembre 2023

Le débat sur le pouvoir du juge des référés de suspendre les travaux de construction de projets contestés - routes, retenues collinaires, retenues de substitution, centres commerciaux... - est régulièrement relancé par les opposants, notamment les associations de protection de l'environnement. Deux députées, Madame Naïma Moutchou (groupe Horizons) et Madame Cécile Untermaier (groupe Socialistes) ont déposé, ce 5 décembre 2023, une proposition de loi visant à adapter la procédure des référés aux enjeux environnementaux. Une proposition de loi déposée à la suite de leur rapport remis en 2021 …

 

Arnaud Gossement · 25 novembre 2022

Par une ordonnance n°2202449 du 10 novembre 2022, le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Pau a suspendu l'exécution d'une autorisation de défrichement, accordée pour la réalisation de lotissements, dans l'attente d'un examen par l'administration de la nécessité pour le porteur de projet de déposer ou non une demande de "dérogation espèces protégées". Analyse. Pour mémoire, cette ordonnance du tribunal administratif de Pau a été rendue à la suite de celle du 20 septembre 2022 par laquelle le juge du référé-liberté du Conseil d'Etat a jugé que le droit de chacun de vivre …

 

Arnaud Gossement · 12 octobre 2022

Par une ordonnance n°2208000 en date du 5 octobre 2022, le juge du référé-liberté du tribunal administratif de Marseille a rejeté une demande de suspension des effets d'un arrêté par lequel un préfet a accordé, pour la construction d'une centrale solaire, une dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées. Une ordonnance qui intervient peu après celle - rendue le 20 septembre 2022 - par laquelle le Conseil d'Etat avait jugé que le droit à l'environnement, consacré à l'article 1er de la Charte de l'environnement, constitue une liberté fondamentale dont la menace peut être …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
TA Marseille, 5 oct. 2022, n° 2208000
Juridiction : Tribunal administratif de Marseille
Numéro : 2208000
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 7 octobre 2022

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 et 29 septembre 2022, l’association « Les amis de la montagne de Lure », représentée par Me Guin, demande au juge des référés :

1°) d’ordonner, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, la suspension des effets de l’arrêté du 17 janvier 2020 par lequel le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a accordé à la société Boralex une dérogation aux interdictions de destruction, de perturbation intentionnelle ou de dégradation de spécimens et d’habitats d’espèces animales protégées dans le cadre d’un projet de parc photovoltaïque, sur le territoire de la commune de Cruis, ainsi que des effets de la décision explicite de rejet de son recours gracieux ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat, d’une part, et de la société Boralex, d’autre part, une somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— ses statuts lui donnent intérêt à agir, dès lors qu’ils sont opposables aux tiers ; par ailleurs, son champ d’intervention géographique comprend la montagne de Lure et le plateau d’Albion, zone dans laquelle se situe la commune de Cruis ;

— l’autorisation délivrée porte atteinte à l’équilibre environnemental des terrains concernés par le projet car elle permet l’atteinte à une faune et une flore protégées, alors qu’elle emporte la transformation d’un espace naturel anthropisé, en violation de la liberté fondamentale récemment consacrée par le Conseil d’Etat relativement à l’article Ier de la Charte de l’environnement, qui garantit à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ;

— l’urgence est constituée car les travaux de défrichement ont commencé le 19 septembre 2022 ;

— il existe une atteinte grave et manifestement illégale dans l’exercice des pouvoirs d’une personne morale de droit public, en ce qui concerne la décision du 19 août 2021 :

o cette décision méconnaît l’article R. 411-6, alinéa 2, du code de l’environnement dès lors que le préfet ne pouvait légalement procéder au retrait de la décision implicite de rejet de la dérogation ;

o elle méconnaît l’article L. 411-2, I, 4, du code de l’environnement, les conditions cumulatives posées par ces dispositions n’étant pas remplies en l’espèce ;

o elle méconnaît l’article L. 411-2, I, c) du code de l’environnement, en l’absence d’un intérêt public majeur ;

o elle méconnaît l’article L. 411-2, I, 4° du code de l’environnement en raison de l’existence de solutions alternatives au projet, dès lors que la recherche d’alternative a été effectuée à une mauvaise échelle géographique, qu’il existe de nombreux sites alternatifs dans le périmètre restreint de la montagne de Lure et du plateau d’Albion, que les recherches d’un site alternatif sur le territoire même de la commune ont été insuffisantes, que le choix du terrain a été commandé par la purge des autorisations nécessaires à la réalisation des projets et non par des considérations de faisabilité technique et qu’il n’est apporté aucune garantie sur la pérennité des prescriptions de l’arrêté au-delà d’une durée de cinq ans, en méconnaissance de l’article L. 411-2, I, 4° du code de l’environnement.

Par un mémoire enregistré le 2 septembre 2022, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

— le projet ne porte pas une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale caractérisée par le droit de vivre dans un environnement équilibré compte tenu de ce que les impacts résiduels du projet sont faibles et non-significatifs sur les habitats et les espèces présentes ;

— l’urgence n’est pas constituée, les travaux de défrichement ayant été autorisés par une décision qui n’a pas été contestée ;

— il n’est pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à l’application de l’article R. 411-6, alinéas 1 et 2 et de l’article L. 411-2, I,4 du code de l’environnement tant en ce qui concerne l’étude préalable au choix du terrain d’assiette du projet que de l’absence d’alternatives au terrain projeté, au choix du terrain en fonction du foncier disponible ou à l’obtention des autorisations de défrichement et d’urbanisme, alors que le projet revêt par ailleurs un intérêt majeur.

Par un mémoire enregistré le 29 septembre 2022, la société Boralex SAS, représentée par Me Guiheux, demande au juge des référés :

— à titre principal de rejeter la requête pour irrecevabilité ;

— à titre subsidiaire, de la rejeter sur le fond ;

— de mettre à la charge de l’association requérante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne l’urgence :

— les travaux de défrichement, qui rendaient nécessaire la dérogation en litige, sont totalement achevés ;

— l’association requérante n’a contesté ni le permis de construire du 1er février 2017, ni l’autorisation de défrichement du 2 février 2017, qui sont donc devenus définitifs, de sorte que l’association a elle-même généré la situation d’urgence dont elle se prévaut ;

— à l’inverse, il existe une urgence collective à exécuter les travaux et mettre en œuvre le projet, compte tenu des crises climatique et énergétique imposant de réaliser au plus vite le projet photovoltaïque, et de l’impératif de préservation des espèces présentes sur le site.

En ce qui concerne l’atteinte à une liberté fondamentale :

— elle dispose, pour mettre en œuvre le projet, d’une autorisation administrative de dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées, d’un permis de construire et d’une autorisation de défrichement, de sorte qu’aucune atteinte au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé n’est caractérisée ;

— il en est de même s’agissant de l’atteinte du fait de l’action ou de la carence d’une autorité publique ;

— aucun des moyens soulevés par la requérante n’est de nature à démontrer un atteinte grave et manifestement illégale, qu’il s’agisse de la naissance d’une décision implicite de refus de dérogation, des conditions d’octroi de la dérogation dès lors qu’existent des raisons impératives d’intérêt public majeur et qu’il n’existe pas de solution alternative satisfaisante à l’échelle régionale, départementale ou communale, ou qu’il s’agisse encore du maintien des espèces dans un bon état de conservation.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— la Constitution, notamment la Charte de l’environnement à laquelle renvoie son Préambule ;

— le code de l’environnement ;

— le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme Hogedez, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 29 septembre 2022 à 14 heures 30, en présence de Mme Sibille, greffière d’audience :

— le rapport de Mme Hogedez, juge des référés ;

— les observations de Me Guin, pour l’association requérante, qui a renouvelé, en les développant ou les précisant, les moyens de la requête ;

— les observations de M. A, pour le préfet des Alpes-de-Haute-Provence ;

— et celles de Me Guiheux, pour la société Boralex.

La clôture d’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 521-1 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ». Aux termes de l’article L. 521-3 du même code : « En cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ».

2. L’association « Les amis de la montagne de Lure » demande au juge des référés de suspendre les effets de l’arrêté du 17 janvier 2020 par lequel le préfet des Alpes-de-Haute-Provence a accordé à la société Boralex une dérogation à l’interdiction de destruction d’espèces protégées. A l’appui de sa requête présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, elle soutient, en particulier, que le projet de parc photovoltaïque que la société Boralex entreprend de mettre en œuvre sur le territoire de la commune de Cruis, porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l’article premier de la Charte de l’environnement.

3. Il lui appartient toutefois de justifier, au regard de sa situation personnelle, notamment si ses conditions ou son cadre de vie sont gravement et directement affectés, ou au regard des intérêts qu’elle entend défendre, qu’il y est porté une atteinte grave et manifestement illégale du fait de l’action ou de la carence de l’autorité publique. Il lui revient alors de faire état de circonstances particulières caractérisant la nécessité pour elle de bénéficier, dans le très bref délai prévu par ces dispositions, d’une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2. Dans tous les cas, l’intervention du juge des référés dans les conditions d’urgence particulière prévues par ces dispositions est subordonnée au constat que la situation en litige permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires. Compte tenu du cadre temporel dans lequel se prononce le juge des référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2, les mesures qu’il peut ordonner doivent s’apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l’autorité administrative compétente et des mesures qu’elle a déjà prises.

4. Au cas d’espèce, l’association requérante, qui s’est donnée pour mission, selon l’article 2 de ses statuts, de préserver et promouvoir le site de la montagne de Lure, en particulier ses paysages, sa faune et sa flore, expose que les travaux de coupe et d’arrachage d’arbres sur le site du projet portent atteinte à la faune et la flore protégées, alors qu’elles sont indispensables à l’équilibre environnemental visé par l’article 1er de la Charte de l’environnement.

5. Toutefois, le projet en litige a donné lieu, outre l’autorisation de dérogation, à un permis de construire et une autorisation de défrichement délivrés après enquête publique les 1er et 2 février 2017, que l’association requérante n’a pas contestés et qui sont devenus définitifs. En outre, il résulte de l’instruction, notamment des éléments de l’enquête publique, de l’étude d’impact et du rapport de la DREAL Provence- Alpes-Côte d’Azur, que le site choisi pour l’implantation du projet est celui de parcelles forestières incendiées en 2004, « sous-solées » et reboisées en cèdre, afin de limiter les effets sur les espaces naturels et la biodiversité, en tenant compte des divers intérêts en place, agricoles, pastoraux, environnementaux et paysagers. Les impacts résiduels du projet ont été analysés comme faibles et non significatifs sur les habitats et les espèces présentes, et l’autorisation de dérogation accordée à la société Boralex s’accompagne également de mesures de réduction d’impact, de compensation et de suivi des populations des espèces protégées. En se bornant à faire valoir une atteinte à la faune et la flore protégées, l’association requérante n’établit pas l’atteinte grave et manifestement illégale au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

6. Enfin, si en vertu de l’article L. 521-3 du code de justice administrative, cité au point 1er de la présente ordonnance, le juge de référés saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du même code peut ordonner toute mesure utile à la sauvegarde d’une liberté fondamentale y compris, le cas échéant, la suspension d’une décision administrative, son office ne saurait toutefois se confondre avec celui du juge de l’excès de pouvoir et il ne lui revient ainsi pas de se prononcer sur l’ensemble des moyens de légalité externe et interne dont ce juge serait par ailleurs saisi et que l’association requérante a, en l’espèce, réitérés.

7. Il résulte donc de ce qui précède que les conclusions de la requête de l’association « Les amis de la montagne de Lure », tendant à la suspension des effets de l’arrêté du 17 janvier 2020 et de la décision de rejet du recours gracieux doivent être rejetées, sans qu’il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en défense.

Sur les frais d’instance :

8. Ni l’Etat, ni la société Boralex n’étant les parties perdantes dans la présente instance, les conclusions présentées par l’association « Les amis de la montagne de Lure » sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’association requérante la somme de 1 000 euros, au bénéfice de la société Boralex, sur le fondement de ces mêmes dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de l’association « Les amis de la montagne de Lure » est rejetée.

Article 2 : L’association « Les amis de la montagne de Lure » versera à la société Boralex la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à L’association « Les amis de la montagne de Lure », au préfet des Alpes-de-Haute-Provence et à a société Boralex.

Copie-en sera adressée à la commune de Cruis.

Fait à Marseille, le 5 octobre 2022.

La juge des référés,

Signé

I. Hogedez

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne et à tous commissaires à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

P/le greffier en chef,

Le greffier.

5

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal administratif de Marseille, 5 octobre 2022, n° 2208000