Tribunal de commerce de Paris, 28 mars 2022, n° 2018017655

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Commentaires5

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Jean-Michel Vertut · 12 juin 2023

Affaire MPH Distribution c./ SAS Achats Marchandises Casino et autres (Cour d'appel de Paris, 10 mai 2023, n° 21-04967) Application étendue de la prohibition des avantages tarifaires abusifs, charge de la preuve, indice de la soumission tiré de l'absence de contreparties, domaine des prohibitions, pouvoirs économiques des parties et dépendance économique, effets de seuils… Un récent arrêt de la Cour d'appel de Paris du 10 mai dernier en matière de contentieux des restitutions, apporte d'intéressantes indications qui, au-delà des rappels, participent de l'enrichissement des critères …

 

Gouache Avocats · 13 juin 2022

Que retenir de la décision du tribunal de commerce de Paris concernant Google et son contrat avec les développeurs d'application Le Ministre de l'Économie avait assigné Google au début de l'année 2018, au motif que le contrat conclu par Google avec les développeurs français pour leur permettre de proposer leurs application sur la plateforme Google Play comportaient des stipulations révélant l'imposition d'obligations constituant un déséquilibre significatif au sens de l'article L. 442-6 1, 2° du code de commerce (aujourd'hui devenu L. 442-1 I, 2° du Code de commerce). Dans le cadre de …

 
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Sur la décision

Référence :
T. com. Paris, 28 mars 2022, n° 2018017655
Juridiction : Tribunal de commerce de Paris
Numéro(s) : 2018017655

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

TRIBUNAL DE COMMERCE DE PARIS

15 EME CHAMBRE

JUGEMENT PRONONCE LE 28/03/2022 par sa mise à disposition au Greffe

RG 2018017655

N

ENTRE : Ministre de l’économie représenté par le SERVICE NATIONAL DES ENQUETES, dont le siège social est 59 boulevard Vincent Auriol, 75703 Paris Cedex 13 Partie demanderesse : comparant par MINISTERE DE L’ECONOMIE ET DES FINANCES – SERVICE NATIONAL DES ENQUETES Mme LU BR Mandataire muni d’un pouvoir comparant par M. RZ CS Mandataire comparant par Mme BR MR

ET:

1) GOOGLE Inc (devenue GOOGLE LLC) société du Delaware, dont le siège social est 1600 Amphitheatre Parkway, Mountain view, CA 94043 Etats Unis 2) GOOGLE Ireland Limited, dont le siège social est Gordon House, Barrow Street, Dublin 4 Ireland

3) GOOGLE COMMERCE LIMITED, dont le siège social est Gordon House, Barrow Street, Dublin 4 Ireland

4) GOOGLE FRANCE, société à responsabilité limitée, dont le siège social est 8 rue de Londres 75009 Paris – RCS B 443061841 Parties défenderesses : assistée de Me Pierre Deprez et Me Julie Zoughi membres de la SCP DEPREZ GUIGNOT & ASSOCIES, avocat (P221) et comparant par Me Pierre Herné, avocat (B835)

APRES EN AVOIR DELIBERE

LES FAITS;

Les sociétés GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE COMMERCE LIMITED et GOOGLE FRANCE (ci-après GOOGLE ou les défendeurs) sont des acteurs majeurs du développement et de la distribution d’applications.

La Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (ci-après DGCCRF) a mené, au cours des années 2015 et 2016, une enquête relative aux relations commerciales entre notamment les sociétés GOOGLE et les développeurs d’applications proposant sur le marché français leurs produits à la vente sur la plateforme Play Store (Google Play).

Lancée en 2008, GOOGLE Play est une boutique en ligne qui a été modifiée en mars 2012 du fait de la fusion des services Android Market, GOOGLE Movies, GOOGLE Ebookstore et GOOGLE Music. GOOGLE Play (Play Store) permet la distribution d’applications qui s’appuient sur les fonctionnalités spécifiques d’Android et des terminaux sur lesquels le système d’exploitation est installé.

Cette plateforme GOOGLE Play bénéficie d’une position majeure sur le marché français. Android représente plus de 65% des parts de marché des différents systèmes d’exploitation mobiles en France. En 2015, Google avait identifié plus de 2.600 développeurs français développant leurs applications sur le territoire français.

Les conclusions de l’enquête ont conduit le Ministre de l’économie à introduire contre GOOGLE une action sur le fondement de l’article L 442-612° du code de commerce. L’action se fonde sur l’analyse des clauses du contrat de distribution intitulé « Contrat relatif à la distribution sur GOOGLE Play (pour les développeurs)», modifié les 5 mai 2015 et 2 juillet 2016 puis mis à jour, selon les indications de GOOGLE, les 26 février 2018, 15 avril 2019 et 5 novembre 2019,

L’analyse de ces versions a conduit le Ministre de l’économie à identifier plusieurs clauses, dans leurs différentes rédactions qu’il considère comme constituant une tentative de soumission ou une soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et les obligations des parties au sens de l’article L. 442-612° du code de commerce.

Le Ministre de l’Economie demande en conséquence la condamnation de GOOGLE à une amende ainsi que la cessation de la mention de certaines stipulations contractuelles dans les contrats en cause.

GOOGLE soulève plusieurs fins de non-recevoir.

LA PROCEDURE:

C’est dans ces conditions que :

Suivant assignation du 23 février 2018 réitérée par des conclusions des 22 février et 6 juin 2019, 12 juin 2020, 16 avril 2021, le Ministre de l’économie demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

Vu l’article L. 442-6 du code de commerce applicable aux faits, dans sa rédaction et sa numérotation antérieures à l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce Vu les articles 31, 32, 122 et 123 du code de procédure civile

Constater que les sociétés GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE COMMERCE LIMITED et GOOGLE FRANCE (ci-après GOOGLE) ont attendu plus de deux ans depuis que la présente procédure a été initiée en février 2018 pour soulever dans leurs conclusions n°4 et n°5, respectivement les 18 septembre et 10 novembre 2020, de prétendues fins de non-recevoir sur le fondement des articles 32 et 122 du code de procédure civile alors qu’elles s’étaient jusque-là limitées à invoquer «l’irrecevabilité » des demandes du Ministre et à solliciter la mise hors de cause des sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED;

Constater que, en vertu de l’article 123 du code de procédure civile, le juge a la possibilité « de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt »>;

Constater qu’en l’espèce, GOOGLE avait tout loisir de soulever ces fins de non-recevoir des le 2 novembre 2018 dans ses conclusions n°1, soit plus de deux ans avant la date à laquelle elle les a soulevées ;

Dire et juger en conséquence que GOOGLE s’est abstenue, dans une intention dilatoire, de soulever ces fins de non-recevoir plus tôt;

Condamner en conséquence GOOGLE au paiement d’une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l’article 123 du code de procédure civile, avec intérêts légaux à compter du prononcé du jugement à intervenir et capitalisation desdits intérêts, conformément aux dispositions, respectivement, des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil ;

Dire et juger que les fins de non-recevoir aujourd’hui soulevées par GOOGLE au titre des prétendus (i) défaut de qualité à agir du Ministre du fait de l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019, (ii) défaut de qualité à défendre de GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED et, (iii) absence d’intérêt à agir du Ministre pour défaut de preuve d’une atteinte à l’ordre public économique français, sont dénuées de toute pertinence et doivent être rejetées dès lors que :

(i) le Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 n’est pas applicable au présent litige et, en tout état de cause, le Ministre de l’économie serait parfaitement fondé à agir sur le fondement de l’article 14 de ce Réglement; (ii) l’enquête et les procès-verbaux qui en ont découlé montrent que (a) GOOGLE FRANCE est l’intermédiaire entre les développeurs qui ont une activité sur le marché français et les autres entités GOOGLE concernées dont les sièges sociaux sont hors de France et, (b) GOOGLE IRELAND LIMITED est expressément visée comme faisant partie de l’entité GOOGLE dans les contrats dénoncés du 5 mai 2015 et 2 juillet 2016; (iii) il est de jurisprudence constante que l’action du Ministre est une action autonome de protection du fonctionnement du marché et de la concurrence qui n’est pas soumise au consentement ou à la présence des fournisseurs et il existe des exemples notoires de développeurs d’applications se plaignant des pratiques de GOOGLE.

En conséquence, rejeter purement et simplement l’intégralité des fins de non-recevoir soulevées par GOOGLE, les déclarer mal fondées et dilatoires ;

Constater que le présent litige vise à dénoncer certaines clauses des contrats GOOGLE relatifs à la distribution de leurs produits sur Google Play par les développeurs d’applications, qui sont datės des 5 mai 2015 et 2 juillet 2016;

Dire et juger que, contrairement à ce que soutient GOOGLE, le Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019, applicable depuis le 12 juillet 2020 :

(i) ne s’applique pas au présent litige dès lors que celui-ci porte sur des contrats des 5 mai 2015 et 2 juillet 2016;

(ii) n’est pas rétroactif.

Débouter les sociétés GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE COMMERCE LIMITED et GOOGLE FRANCE de l’intégralité de leurs demandes et les déclarer mal fondées ;

Dire et juger que les clauses et pratiques suivantes des deux versions du contrat de distribution datées du 5 mai 2015 et du 2 juillet 2016 liant les sociétés GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE COMMERCE LIMITED et GOOGLE FRANCE (ci-après GOOGLE) aux développeurs d’applications actifs sur le marché français :

1. imposant aux développeurs d’applications de fixer les tarifs de leurs applications au sein d’une fourchette de prix définie par GOOGLE (tableaux des prix en ligne – pièces Ministre n°23 et 46) et leur imposant de laisser GOOGLE percevoir une commission de 30% sur chaque vente réalisée sur le Play Store (Google Play) (pièce Ministre n°8 et frais de transaction mentionnés à l’article 3 des deux versions du contrat – pièces Ministre n°9 et 12);

2. prévoyant la possibilité pour GOOGLE de modifier unilatéralement le contrat (article 14 des deux versions du contrat – pièces Ministre n°9 et 12);

3. offrant à GOOGLE la faculté de suspendre unilatéralement la distribution d’une application ou l’accès à ses services (article 7.2 des deux versions du contrat – pièces Ministre n°9 et 12)

;

4. offrant à GOOGLE des conditions de résiliation asymétriques à son seul bénéfice (article 10 des deux versions du contrat – piéces Ministre n°9 et 12):

5. permettant à GOOGLE d’utiliser librement l’ensemble des informations, notamment confidentielles, communiquées par les développeurs, sans aucune réciprocité (article 5 des deux versions du contrat – piéces Ministre n°9 et 12);

6. arrogeant à GOOGLE le droit unilatéral d’utiliser les signes distinctifs des développeurs, sans aucune réciprocité (article 6.1 des deux versions du contrat – pièces Ministre n°9 et 12);

7. exonérant GOOGLE de toute garantie et responsabilité vis-à-vis des développeurs et des utilisateurs finaux (articles 11, 12, 3.6 et 4,6 des deux versions du contrat – pièces Ministre n°9 et 12);

contreviennent à l’article L. 442-6 12° du code de commerce dans la mesure où elles sont imposées par GOOGLE sans négociation effective aux développeurs d’applications et où elles traduisent la soumission ou la tentative de soumission des développeurs d’applications à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties;

Dire et juger que l’analyse globale et concrète des deux versions du contrat de distribution datées du 5 mai 2015 et du 2 juillet 2016 liant les sociétés GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED, GOOGLE COMMERCE LIMITED et GOOGLE FRANCE (ci-après GOOGLE) aux développeurs d’applications actifs sur le marché français confirme la caractérisation du déséquilibre significatif au sens de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce

En conséquence : Ordonner aux sociétés (1) GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, (2) GOOGLE IRELAND LIMITED, (3) GOOGLE COMMERCE LIMITED et (4) GOOGLE FRANCE de cesser les pratiques consistant à mentionner les clauses litigieuses dans leurs contrats ou à les mettre en oeuvre sous quelque forme que ce soit, sous une astreinte de 10.000 euros TTC par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

Se réserver la liquidation de l’astreinte ;

Condamner in solidum les sociétés (1) GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, (2) GOOGLE IRELAND LIMITED, (3) GOOGLE COMMERCE LIMITED et (4) GOOGLE FRANCE au paiement d’une amende civile de 2 millions d’euros ;

Ordonner aux sociétés (1) GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, (2) GOOGLE IRELAND LIMITED, (3) GOOGLE COMMERCE LIMITED et (4) GOOGLE FRANCE de publier à leur frais, sous huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, pendant un mois, le dispositif dudit jugement en page d’accueil du site internet / moteur de recherches de GOOGLE https://www.google.fr/ ou https://www.google.com/ et ce, sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

Se réserver la liquidation de l’astreinte ;

Ordonner aux sociétés (1) GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, (2) GOOGLE IRELAND LIMITED, (3) GOOGLE COMMERCE LIMITED et (4) GOOGLE FRANCE de publier à leurs frais, sous huit jours à compter de la signification du jugement à intervenir, le dispositif dudit jugement dans les journaux suivants en version électronique et papier : LE MONDE, LE FIGARO et LES ECHOS et ce, pour une durée d’un mois, le tout sous astreinte de 10.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir ;

Se réserver la liquidation de l’astreinte ;

Dire que la DGCCRF pourra procéder à la publication du dispositif dudit jugement sur son site internet https://www.economie.gouv.fr/dgccrf, ainsi que sur ses comptes Facebook et Twitter i

Condamner in solidum les sociétés (1) GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, (2) GOOGLE IRELAND LIMITED, (3) GOOGLE COMMERCE LIMITED et (4) GOOGLE FRANCE à payer au Trésor Public la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamner in solidum les sociétés (1) GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, (2) GOOGLE IRELAND LIMITED, (3) GOOGLE COMMERCE LIMITED et (4) GOOGLE FRANCE aux entiers dépens ;

Ordonner, sur le fondement des anciens articles 515 et suivants du Code de procédure civile (dans leur rédaction antérieure au décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019 qui a institué l’exécution provisoire de droit pour les instances initiées à compter du 1er janvier 2020), l’exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions.

Par des conclusions des 2 novembre 2018, 31 mai 2019, 24 janvier et 18 septembre, 18 novembre 2020 et 19 mars 2021, GOOGLE demande au tribunal, dans le dernier état de ses prétentions, de :

Vu les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile Vu le Réglement (UE) 2019/1150 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d’intermédiation en ligne

Vu les articles L.442-1-1-2 et L.442-4 (anciennement L.442-6-1-2°) du code de commerce Vu la jurisprudence visée Vu les pièces versées au débat

A titre principal sur les fins de non-recevoir :

Juger l’absence de qualité à agir du Ministre de l’Economie à l’encontre des sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED;

Juger l’absence de preuve de l’atteinte à l’ordre public économique français ;

Rejeter la demande du Ministre tendant au rejet des fins de non-recevoir soulevées par GOOGLE

En conséquence :

Juger irrecevables les demandes du Ministre de l’Economie à l’encontre des sociétés

GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED ;

Prononcer la mise hors de cause des sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND

LIMITED;

Juger irrecevables pour défaut d’intérêt à agir les demandes du Ministre de l’Economie ;

Rejeter la demande de dommages et intérêts formulée par le Ministre du fait du défaut de preuve d’une intention dilatoire de la pert de GOOGLE dans la présentation des fins de non recevoir.

A titre subsidiaire sur le fond :

juger que le Réglement 2019/1150 est applicable au présent litige au regard de son objet et du fait de son entrée en vigueur le 1er août 2019 et en application le 12 juillet 2020 ; juger que les clauses incriminées des deux versions du 5 mai 2015 et du 2 juillet 2016 du contrat relatif à la distribution sur GOOGLE PLAY (pour les développeurs) liant la société GOOGLE COMMERCE LIMITED et les développeurs d’applications distribuées sur le territoire français sont conformes au Règlement 2019/1150 ;

Rejeter l’intégralité des demandes du Ministre de l’économie ;

A titre trés subsidiaire : Juger que la preuve de la soumission ou de la tentative de soumission, premier élément constitutif du déséquilibre significatif, n’est pas rapportée ;

Juger que les clauses incriminées des deux versions du 5 mai 2015 et du 2 juillet 2016 du contrat relatif à la distribution sur GOOGLE PLAY (pour les développeurs) liant la société GOOGLE COMMERCE LIMITED et les développeurs d’applications distribuées sur le territoire français ne reflètent pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-1-1-2° du code de commerce ;

Rejeter l’intégralité des demandes du Ministre de l’Economie ;

A titre infiniment subsidiaire :

Si par extraordinaire le Tribunal retenait que les clauses incriminées constituent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-1-1-2° du code de commerce :

Juger que le demandeur ne peut demander la cessation des pratiques ou leur mise en oeuvre pour l’avenir sous une astreinte de 10.000 euros TTC par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir alors qu’aucun cocontractant n’a été identifié ; juger que GOOGLE disposera d’un délai d’au moins 3 mois à compter de la signification de la décision pour pouvoir, le cas échéant, modifier les clauses du Contrat ;

Juger que le montant de l’amende civile demandée de deux millions d’euros doit être ramené à une plus juste proportion ;

Juger que les demandes de publication du demandeur sont disproportionnées et donc doivent être rejetées.

En tout état de cause :

Condamner le Ministre de l’économie à payer à chacune des Défenderesses la somme de 70.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

Condamner le Ministre de l’économie aux entiers dépens.

L’ensemble de ces demandes a fait l’objet du dépôt de conclusions : celles-ci ont été échangées en présence d’un greffier qui en a pris acte à la procédure.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l’audience collégiale de plaidoirie qui s’est tenue le 24 septembre 2021. A la demande du Président, un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions de l’article 870 du Code de procédure civile. Les parties entendues, le tribunal a clos les débats et mis le jugement en délibéré pour être prononcé par mise à disposition le 2 novembre 2021, date reportée au 28 mars 2022, report dont les parties ont été averties par courrier.

MOYENS DES PARTIES

Après avoir pris connaissance de tous les moyens et arguments développés par les parties, conformément à l’article 455 du Code de procédure civile, le tribunal les résumera succinctement de la façon suivante :

GOOGLE soutient trois fins de non-recevoir : im le défaut de qualité à agir du Ministre du fait de l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019, le défaut de qualité à défendre de GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED et,

l’absence d’intérêt à agir du Ministre pour défaut de preuve d’une atteinte à l’ordre public économique français sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile.

Le Ministre de l’Economie estime quant à lui que GOOGLE avait tout loisir de soulever ces fins de non-recevoir dès le 2 novembre 2018 dans ses conclusions n°1 et se dit bien fondé à réclamer la condamnation de GOOGLE à des dommages-intérêts sur le fondement de l’article 123 du code de procédure civile.

GOOGLE prétend en premier lieu que l’action du Ministre serait irrecevable au motif qu’elle violerait les principes de subsidiarité, de primauté et d’effet direct du droit de l’Union européenne.

GOOGLE fait référence au Réglement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne (dit Reglement « Platform to Business » ou encore Règlement « P to B »), applicable depuis le 12 juillet 2020 aux termes de son article 19, mais qui serait selon GOOGLE d’application rétroactive à la date de sa promulgation. Selon GOOGLE, ce texte d’effet direct prime les dispositions du code de commerce en ce qu’il a vocation à réguler ex ante la relation contractuelle entre les plateformes digitales et le professionnel les utilisant. Sous couvert de son action, le Ministre cherche à éluder l’application de ce texte dont les dispositions sont parfaitement respectées par GOOGLE.

Le Ministre conteste être irrecevable à agir sur le fondement de l’article L. 442-6 i 2° (aujourd’hui L.442-1 I 2°) du code de commerce au motif que le présent litige serait exclusivement régi par le Réglement. Il souligne que ce Réglement, qu’il ne cherche pas à éluder, n’est pas rétroactif et ne peut donc concerner les contrats de mai 2015 et juillet 2016 dénoncés dans la présente procédure.

En tout état de cause, ce Réglement s’applique sans préjudice des règles nationales qui, conformément au droit de l’Union, interdisent ou sanctionnent les comportements unilatéraux ou les pratiques commerciales déloyales, dans la mesure où les aspects pertinents ne sont pas régis par ce Réglement.

Le Réglement et les dispositions concernées du code de commerce ont en réalité un objet identique, lequel consiste à protéger les victimes de pratiques commerciales déloyales et à faire cesser celles-ci, et son application, à la supposer démontrée, ne serait en rien préjudiciable au Ministre.

2. GOOGLE sollicite la mise hors de cause des sociétés GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED aux motifs qu’elles n’ont aucun lien contractuel avec les développeurs d’applications présents sur Google Play et n’auraient pas participé aux pratiques dénoncées par le Ministre.

Le Ministre rétorque que GOOGLE FRANCE est l’intermédiaire entre les développeurs qui ont une activité sur le marché français et les autres entités GOOGLE concernées dont les sièges sociaux sont hors de France. Il souligne par ailleurs que le terme « GOOGLE » renvoie contractuellement à diverses entités avec lesquelles les développeurs contractent dans le cadre de l’utilisation de Play Store, dont la société GOOGLE IRELAND LIMITED.

3. Le Ministre considère que GOOGLE fait manifestement une confusion dans sa lecture et sa présentation de l’article 31 du code de procédure civile car celui-ci n’exige justement pas l’intérêt légitime dès lors que la loi confère le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention.

Contrairement à ce que soutient GOOGLE, l’atteinte à l’ordre public économique est indépendante des actions que les victimes des pratiques dénoncées ont pu ou peuvent mener et n’est pas conditionnée par les plaintes de ces dernières.

Sur le déroulement de l’enquête

GOOGLE critique les conditions dans lesquelles l’enquête de la DGCCRF a été menée. Celle ci ne s’est pas manifestée auprès de GOOGLE en vue de recueillir ses explications sur les clauses du contrat et l’assignation est intervenue sans qu’aucune discussion n’ait été initiée afin par exemple d’obtenir une modification des clauses contractuelles incriminées.

Le Ministre fait valoir qu’il était libre des suites à réserver á ladite enquête étant observé que GOOGLE a été en mesure de fournir des explications au cours de celle-ci ainsi que d’éventuelles preuves de négociations effectives avec les développeurs, ce qu’elle demeure en capacité de faire dans le cadre de la présente procédure.

GOOGLE critique en outre l’enquête en ce que celle-ci ne fait état d’aucun contrat entre GOOGLE et un développeur identifié.

Pour le Ministre, GOOGLE a confirmé lors de l’enquête que la contractualisation en ligne ne tenait pas compte de la situation particulière des développeurs, tous les développeurs souscrivant aux mêmes conditions qui leur sont applicables sans distinction. De fait, à la différence du secteur de la grande distribution alimentaire où le principe de la négociation commerciale, et donc de la différenciation des conditions, est crucial et peut nécessiter une approche au cas par cas pour caractériser un manquement à l’article L. 442-6 1 2° du code de commerce, le secteur des plateformes en ligne est construit de telle manière que la négociation commerciale du contrat, qui est un contrat d’adhésion, n’est ni envisagée, ni envisageable.

Sur le fond

Selon le Ministre, outre l’encadrement par GOOGLE des tarifs des développeurs sur sa plateforme, l’enquête de la DGCCRF a permis, dans le cadre d’une analyse globale et concrète du contrat et d’un examen du contexte de sa négociation et de sa conclusion, de constater que les clauses suivantes des contrats en cause comportent des obligations déséquilibrées au détriment des développeurs. Ainsi :

1) l’article 14.1 donne à GOOGLE le droit de modifier unilatéralement le contrat ;

2) l’article 7.2 octroie à GOOGLE le droit de suspendre une application du développeur de manière unilatérale et à sa seule discrétion:

3) l’article 10 fixe des conditions de résiliation asymétriques au seul bénéfice de GOOGLE;

4) l’article 5 décrit les licences accordées par les développeurs à GOOGLE et permet à cette dernière d’utiliser librement l’ensemble des informations communiquées dans le cadre des relations commerciales ;

5) l’article 6 attribue à GOOGLE le droit unilatéral d’utiliser tous les signes distinctifs du développeur, sans accorder les mêmes droits à ceux-ci ;

6) les articles 3.6. 4.6, 11 et 12 excluent toute garantie de GOOGLE et la dégagent de toute responsabilité.

Ces clauses créent ainsi un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-6 12° du code de commerce, GOOGLE n’apportant pas la preuve qui lui incombe d’un rééquilibrage de ces clauses par d’autres stipulations contractuelles.

GOOGLE considère que le Ministre n’apporte pas la preuve de l’existence d’une soumission ou d’une tentative de soumission et que les clauses incriminées des deux versions (2015 et 2016) du contrat relatif à la distribution des applications sur la plateforme GOOGLE PLAY ne caractériseraient pas un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.

GOOGLE allègue à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où le tribunal retiendrait que les clauses incriminées contreviennent aux dispositions de l’article L. 442-6 1 2° du code de commerce, que la cessation des pratiques ne devrait concerner que les deux contrats de distribution remis aux enquêteurs et non les contrats postérieurs.

Enfin, GOOGLE demande que le montant de l’amende civile réclamée à hauteur de deux millions d’euros soit réévalué à la baisse.

SUR CE, LE TRIBUNAL

Le tribunal note que l’action intentée par le Ministre de l’économie vise à faire sanctionner un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L 442-1 I 2° du code de commerce, lequel résulte selon le Ministre de clauses figurant au contrat relatif à la distribution sur GOOGLE PLAY conclu avec des développeurs français d’applications. Ce contrat de distribution, contrat d’adhésion, intitulé « Contrat relatif à la distribution sur GOOGLE Play (pour les développeurs) » a été modifié les 5 mai 2015 et 2 juillet 2016 puis a été mis à jour les 26 février 2018, 15 avril et 5 novembre 2019. Aucune variation importante n’est intervenue entre les versions 2015 et 2016.

Sur les fins de non-recevoir

L’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ».

Le tribunal observe que les fins de non-recevoir soulevées par GOOGLE figuraient en substance, certes sans être qualifiées de telles, pour les deux premières dans ses conclusions n°1 du 2 novembre 2018 et n°3 du 24 janvier 2020 et que seule la dernière a été formulée dans les conclusions n°5 du 24 septembre 2021. Dans ces conditions, le tribunal ne retient pas l’intention dilatoire alléguée contre GOOGLE et déboutera le Ministre de ses demandes à ce titre.

Sur le défaut de qualité à défendre de GOOGLE FRANCE et GOOGLE IRELAND LIMITED

Selon les défendeurs, GOOGLE FRANCE n’est pas la cocontractante des développeurs. A supposer que tel soit le cas, il incomberait alors au Ministre de démontrer que GOOGLE FRANCE a participé à la pratique prohibée.

Le Ministre relève au soutien de l’implication de GOOGLE FRANCE que GOOGLE déclarait en 2015 lors de l’enquête que « la relation contractuelle est entre le développeur et Google Inc. sise en Californie, Google Ireland Limited et Google Commerce Limited pour la zone Europe ».

Le tribunal note à cet égard qu’aux termes du contrat, celui-ci est conclu avec l’entité GOOGLE compétente en fonction du pays de distribution du produit et que cette entité est en France GOOGLE COMMERCE LIMITED, nonobstant le fait que le terme « GOOGLE » est, pour les besoins du contrat, génériquement défini par l’ensemble des entités GOOGLE.

GOOGLE FRANCE n’est donc pas l’interlocuteur contractuel des développeurs.

Au regard de sa participation aux faits reprochés, le tribunal note que GOOGLE FRANCE a certes été conduite à répondre aux questions posées dans le cadre de l’enquête menée par la DGCCRF, ce qui était une obligation, mais que cela ne suffit pas pour autant à affirmer qu’elle aurait participé à la contractualisation critiquée, alors qu’au contraire celle-ci a expressément précisé à l’administration le 6 mai 2015 que Google Play n’est pas exploité par elle mais par GOOGLE LLC et qu’aucun moyen humain ou matériel de GOOGLE FRANCE n’a été mobilisé au soutien du suivi des développeurs. GOOGLE FRANCE a recherché des éléments à transmettre aux services d’enquête dans la mesure où elle n’en disposait pas spontanément. Les services du Ministre n’ont pas apporte de contradiction sur ce point avant la présente action.

Le tribunal relève que le Ministre de l’économie ne produit pas davantage en l’espèce d’élément qui identifierait précisément la participation de GOOGLE FRANCE pas plus qu’il ne démontre le rôle allégué d’intermédiaire que celle-ci jouerait entre les développeurs exerçant en France et les autres entités du groupe GOOGLE.

Dès lors que l’entité GOOGLE en charge des développeurs français n’est pas GOOGLE FRANCE, aucune responsabilité de groupe ne pouvant ici être recherchée, le tribunal dira les demandes irrecevables à l’encontre de GOOGLE FRANCE.

En revanche, GOOGLE IRELAND LIMITED est bien en charge de la politique européenne en matière de relations avec les développeurs français, de telle sorte que le tribunal dira recevables les demandes formulées à son encontre.

Sur l’absence d’intérêt à agir du Ministre pour défaut de preuve d’une atteinte à l’ordre public économique français sur le fondement de l’article 31 du code de procédure civile.

GOOGLE soutient que l’action autonome dont dispose le Ministre conformément aux articles

31 du CPC et L 442-4-1 du code de commerce visent à la protection de l’ordre public économique, ce qui suppose que sa recevabilité soit subordonnée à la demonstration d’une telle atteinte. Or le Ministre se bornerait à affirmer l’existence d’un déséquilibre significatif alors même que ses services n’ont enquêté ni auprès de GOOGLE, ni après des développeurs d’applications en France, ni ne se sont référés à un contrat précis, contrairement à la pratique du Ministre dans ses autres contentieux, tels que documentés de manière exhaustive (pièce

32). Or le standard de preuve exigé pour la recevabilité des actions du Ministre doit être élevé et strictement respecté dès lors que l’action tend à démontrer que la pratique dénoncée a été effectivement mise en oeuvre sur le territoire français et a affecté l’ordre public économique.

En outre GOOGLE souligne que la DGCCRF ne s’est pas manifestée auprès d’elle ni pour recueillir certains éléments complémentaires, ni pour lui faire part de ses observations sur certaines clauses du contrat et que GOOGLE a été assigné sans qu’aucune discussion ne soit initiée pour obtenir par exemple la modification des clauses contractuelles incriminées.

Le Ministre soutient non seulement que rien ne lui imposait de diligenter une enquête, qu’il était totalement libre des suites données à celle-ci, qu’il n’avait pas l’obligation de recueillir les explications des défenderesses, ce qu’il a néanmoins rendu possible par plusieurs auditions, mais encore que le texte de l’article L 442-4-1 du code de commerce ne lui fait pas obligation de déterminer certaines pièces ou un certain degré d’atteinte à l’ordre public pour agir. De plus il produit des modèles du contrat d’adhésion, disponibles en ligne, qui ont nécessairement dû conduire à la contractualisation sans négociation avec des développeurs français, et ce en violation des dispositions de l’article L 442-4-1 précité. Les défendeurs ont été et demeurent dans le cadre de la présente procédure en mesure de produire toutes preuves d’une négociation effective des contrats, ce qu’ils n’ont pas fait.

Le tribunal relève à cet égard qu’il est constant que le Ministre dispose en tant que garant de l’ordre public économique sur le territoire national d’une action autonome, qui n’est au demeurant pas soumise au consentement ou à la présence des auteurs des pratiques visées, et qu’il n’a en conséquence pas à démontrer son intérêt à agir.

Le tribunal retient également que, si les services du Ministre n’ont pas été en mesure d’identifier précisément, ou n’ont pas estimé nécessaire en l’espèce de le faire contrairement à leur pratique dans d’autres instances, quels développeurs ou partenaires auraient été empêché de négocier le contrat en cause, il n’en demeure pas moins que le point 2 du contrat comme les explications de GOOGLE dans le cadre de l’enquête montrent que la souscription à ce contrat était une obligation pour les développeurs et qu’aucune négociation commerciale n’est par construction possible entre un développeur et l’entité GOOGLE compétente en raison du fait que le choix du contrat d’adhésion est conditionné par l’importante volumétrie des relations contractuelles. GOOGLE reconnaît ainsi que « Certes le Contrat est souscrit en ligne par les Développeurs, c’est le seul moyen évolutif permettent de contracter avec un très grand nombre de développeurs (plus de 700.000 développeurs rien que pour la plateforme Google Play à destination des utilisateurs français » (Paragraphes 33 des conclusions n°1) ou encore que « A ma connaissance, les contrats sont identiques pour toutes les applications mises en ligne. Le développeur signe en ligne ce contrat qui définit la relation contractuelle avec Google Inc. et la relation avec les filiales » (PV de déclaration du 26 mai 2015).

Au vu de ce qui précède, le tribunal affirme, conformément à la jurisprudence en la matière, qu’il n’est pas nécessaire au Ministre de fournir des exemples ou témoignages précis pour pouvoir soutenir l’existence d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties à un contrat type. La seule présence des clauses critiquées dans le contrat d’adhésion en cause permet de mettre en jeu l’action autonome dont dispose le Ministre de l’économie étant rappelé qu’il n’est de plus pas exigé de démontrer que les clauses critiquées ont été effectivement mises en cuvre.

En conséquence, le tribunal déboutera GOOGLE de sa fin de non-recevoir et dira l’action du Ministre recevable.

Sur le défaut de qualité à agir du Ministre de l’économie du fait de l’entrée en vigueur du Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019,

Selon GOOGLE, le Règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l’équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d’intermédiation en ligne (dit Réglement « Platform to Business » ou encore Règlement « P to B »), applicable depuis le 12 juillet 2020 aux termes de son article 19, serait d’application rétroactive à la date de sa promulgation. Ce texte d’effet direct primerait les dispositions du code de commerce en ce qu’il a vocation à réguler ex ante la relation contractuelle entre les plateformes digitales et le professionnel les utilisant. Le Ministre chercherait en réalité à éluder l’application de ce texte dont les dispositions sont parfaitement respectées par GOOGLE.

Le Ministre conteste être irrecevable à agir sur le fondement de l’article L. 442-6 1 2° (aujourd’hui L.442-1 I 2°) du code de commerce au motit que le présent litige serait exclusivement régi par ledit Règlement. Il souligne que celui-ci n’est pas rétroactif et ne peut donc concerner les contrats de mai 2015 et juillet 2016 dénoncés dans la présente procédure.

Le tribunal reléve à cet égard que le Règlement n’est en rien rétroactif, sa date d’application étant expressément prévue au 12 juillet 2020, et que la présente assignation a été introduite antérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte et qu’au regard de l’article 12 du Code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables, en l’espèce celles posées par le code de commerce.

Le tribunal relève au surplus que ce Règlement, qui a pour objectif de créer certaines régles de transparence, de bonne conduite et de loyauté dans le secteur des services d’intermédiation en ligne et des moteurs de recherche en ligne, s’applique sans préjudice des règles nationales qui, conformément au droit de l’Union, interdisent ou sanctionnent les comportements unitatéraux ou les pratiques commerciales déloyales, dans la mesure où les aspects pertinents dans ces matières ne sont pas régis par ce Règlement.

En conséquence, le tribunal déboutera GOOGLE de sa fin de non-recevoir et dira l’action du Ministre recevable.

Sur le fond

Sur la soumission ou tentative de soumission

L’article L. 442-6 1 2° du code de commerce vise le fait de « soumettre » ou de « tenter de soumettre ». La soumission implique que l’un des partenaires se soit vu contraint d’accepter des conditions contractuelles sans pouvoir les négocier de manière effective. La tentative de soumission permet d’appréhender les pratiques restrictives de concurrence dont le résultat a été recherché par son auteur sans qu’il soit nécessairement obtenu.

Outre ce qui a été relevé ci-avant sur l’uniformisation des relations contractuelles pour tous les développeurs, le tribunal note que GOOGLE, pourtant invitée à le faire par les services du Ministre, n’a jamais apporté les précisions qu’elle s’était engagée à fournir lors de son audition du 26 mai 2015 sur la négociation effective des conditions contractuelles. Or il n’appartient pas au Ministre de démontrer que tel serait le cas et que le contrat serait rééquilibré par la présence d’autres stipulations que celles critiquées et GOOGLE ne saurait chercher à inverser la charge de la preuve.

L’analyse du déséquilibre significatif sera menée en fonction d’une analyse globale in concreto de l’économie du contrat et du contexte dans lequel celui-ci est conclu, élément essentiel du raisonnement, et non d’une analyse clause par clause.

Sur le positionnement de GOOGLE

Le tribunal note la puissance économique incontestable de GOOGLE liée à sa place très importante sur le marché des smartphones, lesquels sont les principaux vecteurs de développements des applications mobiles. GOOGLE représente, selon des chiffres non contestés, 78% de parts de marché des systèmes d’exploitation mobiles dans le monde et 65% en France. Sa puissance économique est sans comparaison avec celle des développeurs actifs sur le marché français, avec lesquels GOOGLE est de plus et surtout devenu le partenaire incontournable, étant de plus observé que GOOGLE tient en dépendance un certain nombre de fabricants de smartphones. Les développeurs ne peuvent se permettre de ne pas proposer leurs produits sur GOOGLE Play sauf à perdre une clientèle considérable. Le système App Store d’Apple est un marché différent, non substituable à celui de GOOGLE Play. La puissance économique de GOOGLE n’est ainsi pas contestable ; GOOGLE est « leader » sur le marché des plateformes de distribution d’applications, ainsi que le corrobore a demeurant l’étude Xerfi de juin 2017 produite par GOOGLE (pièce 6).

Le tribunal observe que la soumission est révélée par l’existence de cette place de leader et de ce rapport de force économiquement déséquilibré entre les parties, sans qu’il soit nécessaire de rechercher l’existence d’une position monopolistique, au demeurant non documentée en l’espèce, et que la jurisprudence se fonde pour l’établir sur un faisceau d’indices parmi lesquels le rôle incontournable de l’une des deux parties, la puissance de négociation de la société qui occupe une position de leader sur le secteur économique concerné par sa taille et sa notoriété, l’absence de marge réelle de négociation des cocontractants ou encore la présence des clauses litigieuses dans tous les contrats,

Sur la caractérisation de la violation de l’article L 442-6/2° du code de commerce

GOOGLE soutient que l’existence du contrat d’adhésion ne suffit pas à caractériser la soumission ou la tentative de soumission et qu’il convient de rechercher si une négociation ou une adaptation particulière a pu intervenir.

Le tribunal note à cet égard que l’action du Ministre n’est pas fondée sur le droit commun de l’article 1171 du code civil, lequel dispose que « Dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputé non écrite. L’appréciation du déséquilibre significatif ne porte sur l’objet principal du contrat ni sur l’inadéquation du prix à la prestation » mais sur la règle spéciale de l’article L 442-6 12° du code de commerce. Or, conformément à l’article 1105 du code civil, le droit commun ne s’applique que sous réserve des régles particulières et au regard de celles-ci, la jurisprudence retient que l’existence d’un contrat d’adhésion interdisant de fait toute négociation effective, ce qui est le cas en l’espèce aux dires mêmes de GOOGLE (« en principe elles (les conventions d’adhésion) ne sont pas négociées avec les développeurs. Les contrats évoluent au fil des années »), peut caractériser l’infraction de l’article L 442-6 1 2° du code de commerce. Le tribunal note à cet égard que toute tentative de négociation est ainsi vouée à l’échec, ce qui caractérise la soumission des développeurs.

Si le choix par GOOGLE d’un contrat d’adhésion n’est pas en soi critiquable au regard du nombre de contrats conclus, le fait d’exclure toute négociation doit avoir pour corollaire l’absence de clauses créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties. Ainsi le principe de libre négociabilité n’est-il pas sans limite et il revient au tribunal d’apprécier si certaines stipulations contractuelles traduisent un tel déséquilibre.

Avant d’examiner les clauses critiquées, le tribunal rappelle que le Ministre de l’économie n’a pas à démontrer l’application effective de ces clauses ni à rechercher les effets précis du déséquilibre. Dès lors que la soumission est caractérisée, et pour autant que GOOGLE ne démontre pas le rééquilibrage des stipulations contractuelles par des contreparties, l’application de l’article L 442-6 12° peut venir sanctionner le déséquilibre significatif.

1. Sur le déséquilibre significatif créé par les contraintes tarifaires de GOOGLE

Le Ministre de l’économie reproche au contrat d’imposer aux développeurs d’applications de fixer les tarifs de leurs applications au sein d’une fourchette de prix définie en France entre 0,50 et 350 euros (tableaux des prix en ligne – pièces Ministre n°23 et 46) et de laisser GOOGLE percevoir une commission de 30% sur chaque vente réalisée sur le Play Store (Google Play) (pièce Ministre n°8 et frais de transaction mentionnés à l’article 3 des deux versions du contrat – pièces Ministre n°9 et 12). h Le tribunal note que la clause 3 des contrats critiqués stipule : « 3. Tarification et Paiements 3.2 Les Produits sont présentés aux utilisateurs en votre nom, aux prix que vous déterminez à votre entière discrétion » alors même que tel n’est pas le cas compte tenu de la fourchette de prix imposée. De plus, l’article 14.1 des contrats autorise GOOGLE et elle seule à modifier cette grille à tout moment et à sa seule discrétion.

Le tribunal note sue GOOGLE perçoit une commission de 30%, correspondant à des « frais de transaction » au sens des contrats, sur chaque vente réalisée sur GOOGLE Play à travers les applications avec achats intégrés alors même qu’elle ne fournit à ce tribunal aucune véritable justification quant à la fourchette de prix imposée au regard de ces frais de transaction alors que GOOGLE ne supporte aucun risque financier lié au développement des applications, et ne produit aucune justification chiffrée quant au coût de protection des développeurs contre la fraude censée venir en contrepartie des commissions prélevées.

Le tribunal relève que le déséquilibre significatif peut résulter d’une inadéquation du prix au service, ce qui est caractérisé en l’espèce dès lors que le taux de commission prélevée par GOOGLE caractérise une asymétrie entre les parties que GOOGLE ne peut justifier. Certes GOOGLE peut être conduite à supporter seule certains coûts en cas d’application gratuite mise à disposition sur Play Store mais il n’en demeure pas moins que le développeur verse à GOOGLE un droit d’inscription de 25 dollars et que le déséquilibre est là aussi caractérisé étant observé que GOOGLE dispose d’autres sources de revenus venant en compensation de ses coûts, parmi lesquelles la publicité lors du téléchargement par l’utilisateur, sans oublier la valorisation des données du développeur que GOOGLE utilise.

Les développeurs n’ont aucune marge de manoeuvre pour négocier le taux de commission et sont donc contraints dans leur politique tarifaire puisqu’ils n’ont d’autre choix que d’accepter ou de résilier leur contrat.

GOOGLE reconnaît au demeurant elle-même le caractère déséquilibré de cette clause puisque la version du contrat du 12 juin 2020 (pièce 15.6) prévoit désormais des « frais de service » que GOOGLE peut certes modifier à tout moment mais sous réserve de l’envoi d’une notification au développeur.

2. Le déséquilibre significatif créé par la faculté de modification unilatérale du contrat

L’article 14 des contrats de 2015 et 2016 « Modification du contrat » prévoit à quelques nuances près quant au produit que « GOOGLE peut apporter à tout moment des modifications au présent contrat en envoyant au Développeur une notification par email présentant les modifications apportées […] Si vous n’acceptez pas les modifications du présent contrat, vous devrez cesser votre utilisation du Store, ce qui constituera votre seul et exclusif recours […] ».

Il est manifeste que cette menace de résiliation immédiate conduit n’importe quel développeur à accepter les modifications même si elles lui sont défavorables puisqu’aucun véritable recours ne lui est ouvert. Les modifications sont applicables trente jours après leur publication, ce qui est un délai court pour offrir une réelle négociation, étant observé qu’en dehors de Play Store, un développeur n’a d’autre alternative que l’App Store d’Apple qui obéit à des règles différentes, alors même que ce développeur aura déjà consenti à des investissements importants pour développer son application sur Play Store.

Cette clause traduit ainsi un déséquilibre significatif, étant observé que les dispositions du Règlement 2019/1150 du juin 20 précité, lequel ne s’applique pas au présent litige, ne sauraient démontrer que ce déséquilibre aurait cessé à son entrée en vigueur le 12 juillet 2020.

En effet, l’article 3.2 dudit Réglement évoque des changements proposés, et non imposés, ainsi qu’un délai de préavis raisonnable et proportionné à la nature et à l’étendue des changements envisagés outre un véritable recours possible du développeur par la mise en place d’un véritable système de plainte (article 11) et un processus de médiation (article 12).

Le tribunal ne s’attachera pas aux prétentions de GOOGLE sur l’application du droit de la consommation dès lors que ce débat a été tranché par la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel et que le développeur n’est pas un consommateur. Le tribunal relève que GOOGLE ne produit aucun élément pertinent à l’appui du rééquilibrage des contrats en cause.

3. Le déséquilibre significatif créé par la faculté de suspension unilatérale du contrat

L’article 7.2 des contrats de 2015 et 2016 prévoit que GOOGLE peut « à sa seule discrétion » retirer le produit du Store ou le reclasser ou encore suspendre et/ou exclure un développeur du Store, sans qu’aucune information de celui-ci ne soit prévue a priori ou a posteriori. Si certains des cas listés peuvent légitimement conduire à la suspension du développeur, d’autres au contraire sont peu précis « d’autres conditions d’utilisation pouvant être actualisées à tout moment par GOOGLE » et laisse à GOOGLE une marge de manoeuvre discrétionnaire en fonction de ses seuls intérêts. La rédaction est ainsi ambigüe et l’absence totale de référence à la raison invoquée ou à une faute du développeur permet à GOOGLE de se soustraire à ses obligation sans délai et sans avoir à motiver la suspension du contrat.

GOOGLE ne peut se retrancher derrière les dispositions du Règlement 2019/1150 du 20 juin 2019 précité en ce sens qu’outre son inapplicabilité au présent litige, il prévoit les modalités de communication au développeur des motifs de la suspension envisagée accompagnée d’un délai de réponse.

GOOGLE soutient que cette stipulation vise à protéger les consommateurs et que les développeurs lui ont conféré un mandat en ce sens mais sans justification pertinente au soutien de ses prétentions. GOOGLE échoue à cet égard à démontrer que ces contrats devraient être requalifiés en contrat de mandat.

Le tribunal relève quant à lui que GOOGLE ne fournit aucun élément au soutien du rééquilibrage de cette clause manifestement déséquilibrée. Elle ne peut notamment sérieusement soutenir que le retrait par un développeur à son initiative (article 7.1) constituerait un rééquilibrage dudit article 7.2. L’asymétrie est bien réelle.

4. Le déséquilibre significatif créé par les conditions de résiliation asymétriques du contrat

L’article 10 des contrats en cause confère à GOOGLE la possibilité « à tout moment » de les résilier, sans préavis et pour des motifs parfois peu clairs, à savoir les motifs C et D : « A. si vous ne respectez pas les conditions du présent contrat; ou B. GOOGLE est tenue par la loi de procéder ainsi ; ou C. Vous cessez d’être un Développeur agréé, ou D. GOOGLE décide de ne plus mettre le Store à disposition ».

La possibilité de résilier est ainsi unilatérale en ce que seule GOOGLE est habilitée à résilier à tout moment, le développeur étant quant à lui soumis à un préavis de trente jours, quel que soit le motif de sa résiliation. Cette stipulation est ainsi manifestement déséquilibrée, ce qui est corroboré par le fait que le préavis de trente jours ne figure plus dans la version actuelle du contrat. Par contre, la résiliation de l’article 10 demeure, ce qui est contraire à l’obligation de préavis, tenant compte de la durée de la relation commerciale, posée par l’article L 442-I II du code de commerce.

La condition du point D. est une rupture à la convenance de GOOGLE dont les conséquences ne sont pas les mêmes pour GOOGLE et les développeurs actifs sur le marché français au regard de la position de GOOGLE Play sur le marché français.

Le tribunal note que, sur ce point également, GOOGLE se réfère vainement aux dispositions de l’article 4 du Règlement précité.

Les stipulations visées sont donc constitutives d’un déséquilibre.

Le tribunal note que le contrat a été mis à jour mais que le Ministre est fondé à demander la suppression de la clause pour l’avenir nonobstant le fait qu’elle ait disparu.

5. Le déséquilibre significatif créé par les conditions posées pour la confidentialité des informations et leur utilisation au seul bénéfice de GOOGLE

L’article 5 des contrats en cause prévoit que le développeur accorde à GOOGLE une licence gratuite, exclusive, mondiale et en exemption de rede ce, en particulier (article 5.1) pour analyser les produits, quels qu’ils soient, améliorer le Store et vérifier la conformité avec le contrat et le Règlement du programme. Or le développeur est engagé avant même qu’il n’ait pu soumettre son application sur GOOGLE Play et qu’il ait pu prendre connaissance des modalités de fonctionnement alors même qu’il n’a aucune possibilité de se renseigner préalablement

Le tribunal relève qu’il est déséquilibré de prévoir que GOOGLE s’accorde la possibilité de divulguer gratuitement et librement des informations auprès de tiers alors que les développeurs sont privés de tout contrôle sur la portée de la collecte d’informations et l’utilisation des données qu’ils communiquent à GOOGLE pour les besoins de la commercialisation de leurs applications et sans que la responsabilité de celle-ci ne puisse être engagée de ce fait. De plus, l’article 4.4 des contrats interdit aux développeurs d’utiliser les informations obtenues sur le Store pour vendre ou distribuer des produits en dehors du Store.

Le déséquilibre significatif est ainsi caractérisé et rien ne vient démontrer un quelconque rééquilibrage de cette clause, GOOGLE ne pouvant se retrancher derrière un supposé mandat qui lui serait conféré pour permettre la mise à disposition des applications, ce point ne faisant, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, l’objet d’aucun développement pertinent de GOOGLE.

6. Le déséquilibre significatif relatif aux signes distinctifs des parties

L’article 6 des contrats en cause contraint les développeurs à accorder gratuitement à GOOGLE une licence lui permettant d’afficher leurs signes distinctifs pendant la durée du contrat, selon son bon vouloir, l’inverse n’étant pas vrai.

Cet article crée ainsi un véritable déséquilibre entre les droits et obligations des parties.

7. Le déséquilibre significatif créé par les exclusions de garantie et de responsabilité de GOOGLE

L’article 11 des contrats stipule que :

L’utilisation par le développeur du Store se fait à ses propres risques, que le matériel est fourni en l’état sans garantie de quelque nature que ce soit, L’utilisation du matériel par le développeur se fait à se seule discrétion et à ses propres risques ;

— Le développeur est seul responsable de tout dommage causé à son système informatique ou tout autre appareil ainsi que de toute perte de données pouvant résulter de l’utilisation.

L’article 12 des contrats exclut toute responsabilité de GOOGLE pour tout préjudice direct, indirect, accessoire, spécial, exemplaire ou consécutif engendré par le développeur, y compris mais sans s’y limiter, toute perte de données.

Or le tribunal observe que le développeur rémunére GOOGLE pour pouvoir mettre en ligne ses applications et qu’il doit pouvoir bénéficier des services de GOOGLE qu’il rémunère par un droit d’inscription et une commission sur chaque vente. Le tribunal note que le développeur n’est cependant pas garanti des risques liés à l’obligation pourtant essentielle de GOOGLE puisque tous les risques sont mis à sa charge et que les contrats renvoient de plus, en cas de défaut de qualité ou problème de performance des applications (articles 3.6), les utilisateurs vers les développeurs lesquels sont tenus responsables de la gestion de l’assistance, de la maintenance et de toute réclamation. La sanction du défaut du développeur à cette obligation peut conduire à la suppression de l’application du Store, la bonne application de l’obligation conditionnant donc le maintien sur celui-ci.

Ces stipulations, qui privent en réalité les développeurs de toute action, traduisent elles aussi un déséquilibre dans les droits et obligations des parties, GOOGLE ne démontrant pas qu’une autre clause des contrats viendrait les rééquilibrer.

Le tribunal relève en conséquence que l’analyse globale et concrète de l’économie des contrats en cause, appréciée au regard du contexte dans lequel ils ont été conclus, conduit à retenir le déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, que GOOGLE n’a pas corrigé par une démonstration pertinente. Or, conformément à une jurisprudence établie, il appartenait à GOOGLE d’en rapporter la preuve et non au Ministre de l’économie d’identifier de possibles clauses au soutien du rééquilibrage des conventions.

Or GOOGLE ne peut utilement invoquer la protection des consommateurs pour expliquer le déséquilibre caractérisé dès lors que l’infraction de déséquilibre significatif vise à protéger les partenaires et non les consommateurs par la contribution au fonctionnement d’un marché concurrentiel,

Sans qu’il soit nécessaire de statuer plus avant sur les autres explications présentées par GOOGLE notamment quant à la protection recherchée des développeurs eux-mêmes, lesquelles sont dénuées de toute pertinence, le tribunal dira les stipulations contractuelles examinées ci-avant constitutives d’un déséquilibre significatif aux termes des article L 442-61 2° et ill du code de commerce.

Sur la cessation des pratiques sous astreinte

Le tribunal ordonnera à GOOGLE INC ; devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED GOOGLE COMMERCE LIMITED de cesser pour l’avenir toute pratique consistant à faire figurer les clauses litigieuses identifiées ci-avant, l’astreinte n’étant pas justifiée en l’espece.

Le tribunal dira que GOOGLE disposera d’un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement pour modifier en tant que de besoin les clauses du Contrat actuellement en vigueur.

Sur l’amende civile

Le tribunal retient que la gravité des pratiques de GOOGLE, partenaire incontournable et indispensable des développeurs d’application, a eu pour effet de les priver pendant une longue période de leur autonomie, de toute possibilité de négociation et les a prvés de leur liberté tarifaire. Le tribunal dit que ces pratiques, condamnables per se, portent atteinte à la loyauté des relations commerciales et créent un dommage à l’économie.

L’amende civile tend à sanctionner l’atteinte à l’ordre public économique causée par les agissements de GOOGLE. Elle a une vocation répressive et une finalité dissuasive que le tribunal retient.

En conséquence, le tribunal, au vu des critiques portant sur les sept articles des contrats, condamnera in solidum GOOGLE INC ; devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE COMMERCE LIMITED au paiement d’une amende civile de 2.000.000 d’euros conformément à l’article L 442-6 III du code de commerce.

Sur la publication

GOOGLE reproche au Ministre de mener une campagne médiatique à son encontre alors même que d’autres actions menées contre des opérateurs nationaux n’auraient conduit qu’à des propositions de modification de clauses en dehors de toute assignation.

Le Ministre rétorque qu’il n’appartient pas à GOOGLE de déterminer sa politique des actions contentieuses mais qu’en tout état de cause GOOGLE ne démontre pas la différence de traitement alléguée.

Le Ministre demande la publication du présent jugement et le tribunal retient que, si une publicité a d’ores et déjà été effectuée par le Ministre sur l’action entreprise, il est nécessaire d’informer les développeurs d’application.

En conséquence, le tribunal dira que la DGCCRF pourra procéder à la publication du dispositif du présent jugement sur son site internet https://www.economie.gouv.fridgccrf, ainsi que sur ses comptes Facebook et Twitter, déboutant pour les autres demandes de publication.

Sur la demande de dommages et intérêts

Le Ministre de l’économie ayant été débouté au titre de sa demande relative aux fins de non recevoir soulevées par GOOGLE, le tribunal le déboutera de sa demande de dommages intérêts.

Sur l’article 700 du Code de procédure civile

Le Ministre de l’économie a dû pour mener à bien son action supporter des frais qu’il serait inéquitable de laisser à sa charge. En conséquence le tribunal condamnera_in solidum GOOGLE INC, devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE COMMERCE LIMITED au paiement au Ministre de la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Sur les dépens

GOOGLE COMMERCE LIMITED sera condamnée aux dépens.

Sur l’exécution provisoire

Le tribunal ordonnera l’exécution provisoire du présent jugement eu égard à l’ancienneté des faits condamnés.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant par un jugement contradictoire en premier ressort :

Dit GOOGLE FRANCE hors de cause ; Dit les demandes contre GOOGLE IRELAND LIMITED recevables ; Dit recevable l’action autonome du Ministre de l’économie ;

Dit que les clauses et pratiques suivantes des deux versions du contrat de distribution datées du 5 mai 2015 et du 2 juillet 2016 liant les sociétés GOOGLE INC. devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE COMMERCE LIMITED aux développeurs d’applications actifs sur le marché français :

1. imposant aux développeurs d’applications de fixer les tarifs de leurs applications au sein d’une fourchette de prix définie par GOOGLE et leur imposant de laisser GOOGLE percevoir une commission de 30% sur chaque vente réalisée sur le Play Store (Google Play);

2. prévoyant la possibilité pour GOOGLE de modifier unilatéralement le contrat ;

3. offrant à GOOGLE la faculté de suspendre unilatéralement la distribution d’une application ou l’accés à ses services;

4. offrant à GOOGLE des conditions de résiliation asymétriques à son seul bénéfice;

5. permettant à GOOGLE d’utiliser librement l’ensemble des informations, notamment confidentielles, communiquées par les développeurs, sans aucune réciprocité ;

—  6. arrogeant à GOOGLE le droit unilatéral d’utiliser les signes distinctifs des développeurs, sans aucune réciprocité ; 7. exonérant GOOGLE de toute garantie et responsabilité vis-à-vis des développeurs et des utilisateurs finaux

contreviennent à l’article L. 442-6 1 2° du code de commerce dans la mesure où elles sont imposées par GOOGLE sans négociation effective, aux développeurs d’applications et où elles traduisent la soumission ou la tentative de soumission des développeurs d’applications à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties; Ordonne à GOOGLE INC, devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE COMMERCE LIMITED de cesser pour l’avenir toute pratique consistant à faire figurer les clauses litigieuses identifiées ci-avant ; Dit que GOOGLE INC ; devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE COMMERCE LIMITED disposeront d’un délai de trois mois à compter de la signification du présent jugement pour modifier les clauses du Contrat ; Dit que la DGCCRF pourra procéder à la publication du dispositif du présent jugement sur son site internet https://www.economie.gouv.fr/dgccrf, ainsi que sur ses comptes Facebook et Twitter. Condamne in solidum GOOGLE INC, devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE COMMERCE LIMITED au paiement d’une amende civile de 2.000.000 d’euros ; Condamne in solidum GOOGLE INC, devenue GOOGLE LLC, GOOGLE IRELAND LIMITED et GOOGLE COMMERCE LIMITED à payer au Ministre de l’économie la somme de 30.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires ;

Condamne la société GOOGLE COMMERCE LIMITED aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidės à la somme de 144,55 € dont 23,88 € de TVA. Ordonne l’exécution provisoire du jugement.

En application des dispositions de l’article 871 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 24 septembre 2021, en audience publique, devant Mme Nathalie Dostert, Présidente, M. Gérard Palti et M. Jean-Marc Bornet, Juge. Un rapport oral a été présenté lors de cette audience. Délibéré le 25 mars 2022 par Mme Nathalie Dostert, M. Gérard Terneyre et M. Jean-Marc Bornet.

Dit que le présent jugement est prononcé par sa mise à disposition au greffe de ce tribunal, les parties en ayant été préalablement avisées lors des débats dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

La minute du jugement est signée par Mme Nathalie Dostert présidente du délibéré et par M. Jérôme Couffrant, greffier.

Le Greffier. La Residente.

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Tribunal de commerce de Paris, 28 mars 2022, n° 2018017655