Tribunal de grande instance de Paris, 17 mai 2019, n° 19/53935

  • Risque d'altération d'un scrutin·
  • Exactitude de l'informatique·
  • Fausses informations·
  • Diffusion délibérée·
  • Artificielle·
  • Automatisée·
  • Fake news·
  • Twitter·
  • Diffusion·
  • Hôpitaux

Sur la décision

Texte intégral

Par acte du 10 mai 2019, Madame X et Monsieur Y ont assigné en référé la SAS Twitter France, aux fins de l’enjoindre, au visa de l’article L.163-2 du code électoral, de retirer le tweet publié par le compte Twitter@CCastaner le 1er mai 2019 à 12h04, dans le but de faire cesser la diffusion d’allégations ou d’imputations présentées comme inexactes et trompeuses.

Par conclusions complémentaires déposées à l’audience, Madame X et Monsieur Y demandent de leur donner acte de ce qu’ils redirigent leurs demandes vers la société Twitter International Company qui intervient volontairement à la procédure.

A l’audience, ils contestent cependant le défaut de qualité à agir de Twitter France.

Par conclusions déposées à l’audience, la SAS Twitter France soulève l’irrecevabilité de la demande en raison de son défaut de qualité à agir et elle demande à être mise hors de cause.

La société Twitter International Company intervient volontairement à la procédure et conclut au rejet des demandes.

Dans des écritures déposées à l’audience, Monsieur A Z intervient volontairement à la procédure et dit n’y avoir lieu à référé.

Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 16 mai 2019.

A l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 17 mai 2019 à 14 heures, par mise à disposition au greffe.

DISCUSSION

Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de la société Twitter France :

En communiquant son extrait Kbis et les conditions d’utilisation de Twitter, la société Twitter France justifie qu’elle a pour seule activité principale la commercialisation et la monétisation du réseau d’informations Twitter et que c’est la société Twitter International Company qui est hébergeur et qui est seule responsable du traitement des données.

La SAS Twitter France doit en conséquence être mise hors de cause et la société Twitter International Company être reçue en son intervention volontaire.

Sur l’intervention volontaire de Monsieur A Z :

L’intervention volontaire de Monsieur A Z à la procédure est recevable, dès lorsqu’elle se rattache aux prétentions des parties par un lien suffisant, puisqu’il est l’auteur du tweet litigieux.

Sur les demandes de mesures visant à faire cesser la diffusion d’informations :

L’article L.163-2 du code électoral, applicable à l’élection des représentants français au parlement européen en application de l’article 14-2 de la loi n°77-729 du 07 juillet 1977, dispose que, « pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d’élections générales et jusqu ‘à la date du tour de

scrutin où celles-ci sont acquises, lorsque des allégations ou imputations inexactes ou trompeuses d’un fait de nature à altérer la sincérité du scrutin à venir sont diffusées de manière délibérée, artificielle ou automatisée et massive par le biais d’un service de communication au public en ligne, le juge des référés peut, à la demande du ministère public, de tout candidat, de tout parti ou groupement politique ou de toute personne ayant intérêt à agir, et sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire aux personnes physiques ou morales mentionnées au 2 du I de l’article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1 du même 1toutes mesures proportionnées et nécessaires pour faire cesser cette diffusion ».

Il convient de préciser, au regard des réserves posées par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2018-773 DC du 20 décembre 2018 :

– que les allégations ou imputations inexactes ou trompeuses ne recouvrent ni les opinions, ni les parodies, ni les inexactitudes partielles ou les simples exagérations, mais qu’elles sont celles dont il est possible de démontrer la fausseté, de manière objective ;

– que le caractère inexact ou trompeur des allégations ou imputations doit être manifeste, au regard du principe de la liberté d’expression et de communication ;

– que la diffusion des allégations doit répondre à trois conditions cumulatives, à savoir être délibérée, artificielle ou automatisée, et massive ;

– que le risque d’altération de la sincérité du scrutin doit également présenter un caractère manifeste.

En l’espèce, le tweet posté le 1er mai 2019 est rédigé comme suit :

« Ici à la Pitié-Salpêtrière, on a attaqué un hôpital.

On a agressé son personnel soignant. Et on a blessé un policier mobilisé pour le protéger.

Indéfectible soutien à nos forces de l’ordre : elles sont la fierté de la République ».

Il appartient en premier lieu au juge des référés d’apprécier le point de savoir si ces allégations sont inexactes ou trompeuses, comme le soulignent les demandeurs qui indiquent que cette dénonciation s’est révélée fausse et que ces événements n’ont jamais eu lieu.

Ils en veulent pour preuve un article du journal Le Figaro qu’ils produisent et qui évoque une intrusion de manifestants dans l’enceinte de l’hôpital, lors d’une scène très courte et non violente.

L’article du journal poursuit en précisant que le Premier ministre a qualifié l’incident de scandaleux, que la ministre de la santé a évoqué une intrusion inqualifiable, que le président du conseil de surveillance de l’hôpital a parlé d’acte de pure barbarie et que B C, le directeur de l’APP-HP a déposé plainte en affirmant que l’ « on est passé au bord de la catastrophe ».

Il est encore indiqué que le parquet de Paris a ouvert une enquête, que 32 personnes ont été arrêtées par les forces de l’ordre et que le 2 mai, la directrice de l’hôpital a décrit des personnes qui ont eu des gestes violents et menaçants.

Par contre, un témoin a expliqué que les manifestants se sont introduits dans l’hôpital, pour se protéger des gaz lacrymogènes qui étaient lancés dans la rue.

Le journal Le Monde explique de son côté que lorsque les manifestants se sont dirigés d’un coup vers un escalier, plusieurs membres du personnel sont rentrés en catastrophe pour bloquer la porte.

Un manifestant a alors crié qu’ils ne pouvaient pas rentrer, car c’était le service de réanimation et personne n’a cherché à pénétrer de force dans le service.

Un témoin cité par le journal Le Monde a indiqué également qu’ils ont simplement voulu se mettre à l’abri des gaz lacrymogènes.

A ce stade, il appartiendra à l’enquête ouverte par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris de démêler les intentions des manifestants qui semblent avoir forcé les grilles de l’hôpital.

Cependant, il est acquis que le service de réanimation n’a pas fait l’objet d’une attaque par les manifestants qui sont restés à l’extérieur du bâtiment et que le personnel soignant n’a pas été blessé.

De toutes les pièces produites par les parties, il ressort que si le message rédigé par Monsieur A Z apparaît exagéré en ce qu’il évoque le terme d’attaque et de blessures, cette exagération porte sur des faits qui, eux, sont réels, à savoir l’intrusion de manifestants dans l’enceinte de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière le 1er mai 2019.

L’information n’étant pas dénuée de tout lien avec des faits réels, la condition selon laquelle l’allégation doit être manifestement inexacte ou trompeuse n’est pas remplie.

En deuxième lieu, et au-delà de ces considérations relatives au contenu de l’information diffusée, l’article L.163-2 du code électoral fixe encore des critères tenant à l’ampleur et aux modalités de diffusion, laquelle diffusion doit être cumulativement massive, artificielle ou automatisée, et délibérée, et opérer sur un service de communication au public en ligne.

En particulier, le caractère artificiel ou automatisé de la diffusion renvoie, selon les travaux parlementaires, et notamment l’exposé des motifs de la proposition de loi ayant abouti à l’adoption de l’article L.163-2 du code électoral, aux contenus sponsorisés- par le paiement de tiers chargés d’étendre artificiellement la diffusion de l’information – et aux contenus promus au moyen d’outils automatisés – par le recours à des « bots ».

Dans ces conditions, et en l’absence de tout élément démontrant l’utilisation de tels procédés de diffusion artificielle ou automatisée du tweet litigieux, la demande présentée n’entre pas dans les prévisions de l’article L.163-2 du code électoral.

En troisième lieu, le juge des référés doit apprécier le caractère manifeste du risque d’altération de la sincérité du scrutin, lié à la diffusion de ce tweet.

Les demandeurs exposent que les propos du ministre de l’Intérieur visent à faire croire à un climat de violence pour faire jouer le ressort de la peur et du chaos, ce qui ne peut que perturber la campagne des élections européennes.

Pour solliciter le retrait du tweet, les demandeurs indiquent au surplus que M. Z, ministre de l’Intérieur, a lui-même reconnu dès le 3 mai 2019 que le terme d'attaque n’était pas approprié.

Mais si le tweet a pu employer des termes exagérés, comme cela vient d’être évoqué, il n’a pas occulté le débat, puisqu’il a été immédiatement contesté, que de nombreux articles de presse écrite ou Internet ont indiqué que les faits ne se sont pas déroulés de la manière dont l’exposait Monsieur A Z et que des versions différentes ont surgi, permettant ainsi à chaque électeur de se faire une opinion éclairée, sans risque manifeste de manipulation.

En conséquence, les conditions posées par l’article L.163-2 du code électoral ne sont pas remplies et il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de retrait.

DÉCISION

LE TRIBUNAL,

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par jugement en état de référé, contradictoire et en premier ressort,

Déclare irrecevable la demande formée à l’encontre de la SAS Twitter France ;

La met en conséquence hors de cause ;

Reçoit la société Twitter International Company en son intervention volontaire ;

Reçoit Monsieur A Z en son intervention volontaire ;

Rejette les demandes ;

Condamne Madame X et M. Y aux dépens.

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