Tribunal judiciaire de Paris, 27 septembre 2023, 19/11466

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Résumé de la juridiction

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, ct0196, 27 sept. 2023, n° 19/11466
Numéro(s) : 19/11466
Importance : Inédit
Identifiant Légifrance : JURITEXT000048389793

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

3ème chambre
3ème section

No RG 19/11466 – 
No Portalis 352J-W-B7D-CQZPA

No MINUTE :

Assignation du :
10 septembre 2019

JUGEMENT
rendu le 27 septembre 2023

DEMANDERESSE

S.A.S.U. WATI B EDITIONS
[Adresse 2]
[Localité 3]

représentée par Maître Serge MONEY de la SELARL ORMILLIEN MONEY, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #E0188

DÉFENDEURS

Monsieur [J] [F]
[Adresse 6]
[Localité 8]

représenté par Maître Laurence GOLDGRAB de l’AARPI A. SCHMIDT – L. GOLDGRAB, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0391

S.A.S. BLACK PALLADIUM MUSIC
[Adresse 5]
[Localité 4]

représentée par Maître Christine AUBERT- MAGUERO de l’AARPI DAM AVOCATS, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0391

Société SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM)
[Adresse 1]
[Localité 7]

représentée par Maître Anne BOISSARD de l’AARPI ARTLAW, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #P0327

_____________________________

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Jean-Christophe GAYET, premier vice-président adjoint
Anne BOUTRON, vice-présidente
Linda BOUDOUR, juge

assistés de Lorine MILLE, greffière,

DÉBATS

A l’audience du 29 mars 2023 tenue en audience publique devant Jean-Christophe GAYET et Linda BOUDOUR, juges rapporteurs, qui, sans opposition des avocats, ont tenu seuls l’audience, et, après avoir donné lecture du rapport, puis entendu les conseils des parties, en ont rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023 puis prorogé au 27 septembre 2023.

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

_____________________________

EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

1. La société par actions simplifiée (ci-après SAS) Wati B Editions, immatriculée le 16 février 2010 au registre du commerce et des sociétés (RCS) de Paris, a pour activité l’édition musicale, phonographique et graphique.

2. M. [J] [F], dit [J], est auteur-compositeur et interprète de rap et de RnB.

3. La SAS Black Palladium Music, immatriculée le 18 décembre 2017 au RCS de Nanterre, a pour activité l’édition musicale, l’enregistrement sonore et la production musicale. Elle se présente comme l’éditeur du compositeur [D] [I], dit Seysey.

4. La société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (ci-après SACEM) est une société de gestion collective des droits d’auteur d’oeuvres musicales.

5. Le 30 mai 2012, la société Wati B Prod, qui fait partie du même groupe que la société Wati B Editions, a signé un contrat d’artiste avec M. [J] [F], l’engageant à titre exclusif pour l’enregistrement et l’exploitation de deux albums de musique.

6. Le 1er juin 2013, la société Wati B Prod a signé un contrat d’enregistrement exclusif avec M. [J] [F] et M. [C] [M], en tant que membres du groupe « The Shin Sekai ».

7. À la même date, la SAS Wati B Editions et M. [J] [F] ont conclu un contrat de préférence éditoriale pour cinq ans, portant sur l’édition et l’exploitation des oeuvres futures et de celles déjà écrites par M. [J] [F].

8. Entre février 2016 et mars 2017, M. [J] [F] a enregistré plusieurs morceaux, produits par la société Wati B Prod.

9. La SAS Wati B Editions a édité ou coédité plusieurs oeuvres composées par M. [J] [F], dont « TPCMP », « Aime-moi demain », « Alter ego », « Mes épaules », « Normal », « Précieuse », « Je n’en peux plus », « J’ai du mal », « Ma jolie », « Où aller », « Du berceau au linceul », « Dévergondé », « Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur », « Nous sommes demain / Oublie-moi », « Rien à foutre / Soum soum », « Mens moi dans les yeux », « Rappelle-toi », « Je reviendrai », « Ne me le dis pas », « Moi d’abord », « La peur », « Si j’étais », « Tout ce que je sais ».

10. Par lettre de son conseil du 3 octobre 2017, M. [J] [F] a reproché à la SAS Wati B Editions l’absence de reddition de comptes et d’exploitation suivie de ses oeuvres et l’a mise en demeure de lui communiquer lesdites redditions de comptes et d’autres documents relatifs à l’exploitation de ses titres musicaux.

11. Le 27 novembre 2017, M. [J] [F] a reçu en main propre de la société Wati B Prod ses lettres d’engagement et les contrats d’enregistrements en lien avec deux titres et un vidéoclip.

12. Le 24 novembre 2017, un album inédit de M. [J] [F], intitulé « Gentleman 2.0 », a été commercialisé par l’intermédiaire de la société Universal Music.

13. La société Wati B Prod a alors fait assigner M. [J] [F] devant le Conseil des Prud’hommes de Paris, qui a jugé le 17 janvier 2020 que M. [J] [F] a violé ses obligations contractuelles et son obligation de loyauté à son égard. Un appel de ce jugement a été interjeté.

14. Par courrier de son conseil du 14 mai 2018, reprochant à la SAS Wati B Editions de ne pas avoir répondu à sa mise en demeure du 3 octobre 2017, M. [J] [F] lui a déclaré mettre fin au pacte de préférence du 1er juin 2013 pour absence de reddition de comptes et d’exploitation de ses oeuvres.

15. Le 2 juillet 2018, cinq titres, produits par la société Wati B Prod, ont été enregistrés auprès de la SACEM, répertoriant M. [D] [I] en tant que compositeur, M. [J] [F] en tant qu’auteur-compositeur et la SAS Black Palladium Music en tant qu’éditeur : « Comme si de rien était », « Déjà donné », « Gentleman 2.0 », « J’ai dit non », « Reine ».

16. Estimant que ces faits portaient atteinte au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013, par actes d’huissier du 10 septembre 2019, la SAS Wati B Editions a fait assigner M. [J] [F], la SAS Black Palladium Music et la SACEM en réparation de ses préjudices.

17. L’instruction a été close par ordonnance du 30 juin 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 29 mars 2023 pour être plaidée.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

18. Dans ses dernières conclusions au fond, notifiées par voie électronique le 11 mars 2022, la SAS Wati B Editions a demandé au tribunal de :
- la recevoir en ses écritures et l’y déclarer bien fondée ;
sur le bien-fondé de ses demandes au titre du contrat de préférence éditorial du 1er juin 2013 et le débouté des demandes de M. [F] :
- juger que le contrat de préférence éditorial du 1er juin 2013 a été résilié par M. [F] sans cause légitime pouvant être reconnue en justice ou à tout le moins de manière abusive ;
- rejeter comme prescrites les demandes formées par M. [F] à son encontre concernant tous les contrats conclus avant le 14 août 2015 ;
- débouter M. [F] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- prononcer l’exécution forcée du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 jusqu’à son terme ;
- prononcer la nullité de tous les contrats de cession et d’édition d’oeuvre musicale conclus en violation dudit contrat de préférence éditorial ;
sur ses préjudices :
à titre principal,
- condamner M. [F] à lui verser :
> 100 000 euros, à parfaire, en réparation de son préjudice financier ;
> 30 000 euros, à parfaire, en réparation de son préjudice moral et de l’atteinte à sa réputation professionnelle ;
à titre subsidiaire,
- désigner tel expert qu’il lui plaira aux fins :
> de se faire communiquer par les parties et par tous tiers les éléments nécessaires à ses travaux, notamment l’ensemble des contrats et éléments contractuels portant sur les oeuvres conclues en violation du contrat de préférence du 1er juin 2013 ;
> d’évaluer les préjudices financiers et d’image subis par Wati B Editions du fait de la publicité donnée au présent litige ;
> d’évaluer précisément les revenus engendrés par l’exploitation des oeuvres signée en violation du contrat de préférence du 1er juin 2013 ou ensuite de la résiliation abusive de M. [F] ;
sur les demandes concernant la SAS Black Palladium :
- condamner la SAS Black Palladium au paiement du montant des sommes versées au titre des droits d’édition des titres suivants et tout autre titre édité par cette société en fraude de ses droits ;
- débouter la SAS Black Palladium de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
en tout état de cause :
- condamner M. [F] et la SAS Black Palladium à lui verser chacun respectivement 5000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. [F] et la SAS Black Palladium aux entiers dépens ;
- assortir le jugement à intervenir de l’exécution provisoire.

19. Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 1er juin 2022, M. [J] [F] a demandé au tribunal de :
à titre principal :
- dire et juger que le contrat de préférence a débuté le 1er juin 2013 pour les oeuvres non éditées au jour de la signature et non en février 2014, la SAS Wati B Editions ne pouvant se prévaloir de sa carence et son retard dans le dépôt de l’oeuvre « ça marche » commercialisée le 20 mai 2013
- dire et juger que la date de terminaison du contrat était le 30 mai 2018
- dire et juger qu’une levée d’option ne peut être effectuée qu’auprès de l’auteur et doit désigner précisément les oeuvres dont s’agit
- constater que la SAS Wati B Editions n’a transmis à l’auteur aucun contrat de cession et d’édition sur les oeuvres revendiquées avant ou après la divulgation
- constater l’absence de levée d’option ou d’exercice des prérogatives d’éditeur de la SAS Wati B Editions sur les cinq oeuvres « Comme si de rien était », « Déjà donné », « Gentleman 2.0 », « J’ai dit non », « Reine », ainsi que toute autre oeuvre de l’album « Gentlemen 2.0 » ;
- constater en tout état de cause la résiliation le 14 mai 2018 du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 aux torts exclusifs de la SAS Wati B Editions du fait de l’absence de reddition de compte, paiement des droits d’auteur et défaut d’exploitation permanente et suivie de ses oeuvres éditées par la SAS Wati B Editions ;
- dire et juger irrecevable et non fondée la demande d’exécution forcée du pacte de préférence et les demandes de nullité des contrats signés par l’auteur sur les oeuvres figurant sur l’album « Gentleman 2.0 ».
à titre reconventionnel :
- prononcer la résiliation des contrats de cession et d’édition concernant les oeuvres ci-après listées du fait de l’absence de reddition de compte, de paiement des redevances et d’exploitation permanente et suivie de ses oeuvres éditées par la SAS Wati B Editions :« TPCMP », « Aime-moi demain », « Alter ego », « Mes épaules », « Normal », « Précieuse », « Je n’en peux plus », « J’ai du mal », « Ma jolie », « Où aller », « Du berceau au linceul », « Dévergondé », « Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur », « Nous sommes demain / Oublie-moi », « Rien à foutre / Soum soum », « Mens moi dans les yeux », « Rappelle-toi », « Je reviendrai », « Ne me le dis pas », « Moi d’abord », « La peur », « Si j’étais », « Tout ce que je sais »
- condamner la SAS Wati B Editions sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil, à lui verser 50 000 euros à titre de dommages et intérêts,
en tout état de cause :
- débouter la SAS Wati B Editions de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
- condamner la société Wati B Editions à lui verser 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SAS Wati B Editions aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Laurence Goldgrab en application de l’article 699 du code de procédure civile ;
- prononcer l’exécution provisoire.

20. Par ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 27 juin 2022, la SAS Black Palladium Music a demandé au tribunal de :
- débouter la SAS Wati B Editions de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la SAS Wati B Editions à lui payer :
> 5000 euros à titre de dommages intérêts pour procédure abusive ;
> 8000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la SAS Wati B Editions aux entiers dépens, lesquels seront recouvrés par Maître Christine Aubert-Maguero dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

21. Par ses conclusions notifiées par voie électronique le 8 mars 2021, la SACEM a demandé au tribunal de :
- constater qu’en l’état des dispositifs des écritures de la SAS Wati B Editions, de M. [F] et de la SAS Black Palladium Music, aucune demande n’est plus formée contre elle ;
- lui donner acte de ce qu’elle s’en rapporte à justice aussi bien concernant les demandes de la SAS Wati B Editions formées à l’encontre de M. [F] et de la SAS Black Palladium Music qu’au sujet des demandes reconventionnelles de ces derniers ;
- condamner la (ou les) partie(s) qui succombera(ront) aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me Anne Boissard, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS DU JUGEMENT

I – Sur la prescription de la demande reconventionnelle en résiliation des contrats de cession et d’édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013

Moyens des parties

22. La SAS Wati B Editions fait valoir que la demande reconventionnelle de M. [F] en résiliation des contrats de cession et d’édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 est prescrite pour les contrats antérieurs au 24 août 2015, compte tenu qu’il a nécessairement eu connaissance des manquements qu’il invoque au cours de l’exécution du contrat du 1er juin 2013.

23. M. [J] [F] oppose qu’ayant demandé la résiliation des contrats le 28 août 2020, soit trois ans après les prétendus envois de décomptes de redevances et concomitamment à son premier règlement de droits d’auteur, cette demande n’est pas prescrite.

Appréciation du tribunal

24. Conformément à l’article 2224 du code civil, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

25. Aux termes de l’article 2233 du même code, "la prescription ne court pas :
1o A l’égard d’une créance qui dépend d’une condition, jusqu’à ce que la condition arrive ;
2o A l’égard d’une action en garantie, jusqu’à ce que l’éviction ait lieu ;
3o A l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé".

26. La prescription quinquennale ne court pas lorsque la créance, même périodique, dépend d’éléments qui ne sont pas connus du créancier et doivent résulter de déclarations que le débiteur est tenu de faire.

27. L’article L.132-13 du code de la propriété intellectuelle impose à l’éditeur une reddition de compte au moins une fois par an.

28. Au cas présent, M. [F] verse aux débats vingt-trois contrats de cession de droits patrimoniaux d’auteur conclus avec la SAS Wati B Editions entre le 26 avril 2013 et le 23 septembre 2016 (ses pièces 3.1 et 3.1bis à 3.22).

29. Or, la SAS Wati B Editions indique qu’elle a adressé le premier décompte des redevances dues à M. [F] en exécution de ces contrats le 14 octobre 2016 (ses conclusions page 23 et sa pièce no9). Ce dernier n’était, de ce fait, pas en mesure de connaître les informations relatives à sa rémunération proportionnelle avant cette date.

30. Il en résulte que les demandes de résiliation de ces contrats formulées par M. [F] dans ses premières conclusions en réponse notifiées par voie électronique le 28 août 2020 ne sont pas prescrites.

31. La fin de non-recevoir soulevée par la SAS Wati B Editions tirée de la prescription des demandes de M. [F] en résiliation des contrats de cession et d’édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 sera, en conséquence, écartée.

II – Sur l’exécution du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013

Moyens des parties

32. La SAS Wati B Editions soutient que M. [F] ne lui a soumis aucune oeuvre achevée par lettre recommandée avec accusé de réception dès leur achèvement et avant leur divulgation conformément à la lettre du contrat de préférence éditoriale conclu le 1er juin 2013, lui interdisant d’exercer son droit de préférence, tandis qu’il a enregistré et divulgué à tout le moins cinq oeuvres musicales entre décembre 2016 et septembre 2017 en violation de ce contrat et potentiellement cinquante-quatre oeuvres musicales jusqu’au 26 février 2019, terme du contrat, pour lesquelles elle réclame des informations en vue de l’exécution forcée du contrat.

Elle considère que la résiliation annoncée par courrier du 14 mai 2018 de M. [F] est intervenue de manière abusive, celui-ci prétextant des violations inexistantes des obligations pesant sur elle d’exploitation des oeuvres, de gestion et d’administration de ses droits d’auteur, notamment de reddition des comptes, et de promotion de ses oeuvres. En particulier, elle assure avoir communiqué le 14 octobre 2016 les décomptes des redevances dues pour les années 2014 à 2016, puis avoir assuré le paiement en octobre 2016 des redevances dues pour les éditions à l’étranger, celui des éditions française étant assuré par la SACEM, et lui avoir remis le 6 octobre 2017 le décompte pour le premier semestre 2017 en réponse à sa mise en demeure du 3 octobre précédent, alors que, selon elle, le défendeur s’est abstenu de lui remettre les factures qu’elle lui réclamait pour le paiement de ses droits. Elle fait observer que si M. [F] conteste avoir reçu ces informations qui lui ont été communiquées par courriel, il n’invoque pas que l’adresse à laquelle elles lui ont été adressées soit erronée, cette adresse étant celle qu’il a lui-même utilisé pour s’adresser à elle à la même période. Elle ajoute n’avoir pas plus manqué à son obligation de promotion et d’exploitation des oeuvres de M. [F], arguant avoir investi 269 616,73 euros de dépenses à cette fin, directement ou par l’intermédiaire de la société Wati B Prod qui y participait également, avoir organisé des partenariats avec des artistes mondialement connus, tandis que l’absence d’exploitation graphique des oeuvres musicales est accessoire et qu’elle en était dispensée compte tenu de l’exploitation et de la diffusion conforme aux usages qu’elle a opérées.

En réponse aux moyens et arguments du défendeur, elle conteste avoir été mise en mesure d’exercer son droit de préférence en l’absence de toute communication des oeuvres achevées par l’auteur, celui-ci ayant soutenu devant le conseil de prud’hommes de Paris que les titres produits par la société Wati B Prod correspondaient à des oeuvres non définitives, alors qu’il soutient désormais, au mépris de l’estoppel, que les oeuvres produites par cette société étaient connues d’elle, ce dont il tire qu’elle était en mesure d’exercer son droit de préférence, outre qu’elle a sollicité des précisions de M. [F] et de son manager concernant certaines des oeuvres dont elle a eu connaissance afin de procéder à leur dépôt à la SACEM, et n’a obtenu aucune réponse.

Elle réfute que la divulgation des oeuvres du défendeur lui permettait d’exercer son droit de préférence, dans la mesure où l’obligation de l’auteur était de lui communiquer ses oeuvres musicales avant leur divulgation et que ces divulgations ont eu lieu postérieurement à la mise en demeure du 24 novembre 2017 qui tendait à la résiliation du pacte de préférence, outre qu’elle ne disposait pas des informations relatives aux répartitions des crédits d’auteur des oeuvres et de la signature de M. [F] nécessaires à leur dépôt à la SACEM.

33. M. [J] [F] objecte d’abord que le pacte de préférence litigieux a pris fin cinq ans après sa signature soit le 30 mai 2018, non le 26 février 2019, le point de départ du contrat ne pouvant être reporté du seul fait de la carence de la demanderesse à établir le premier contrat subséquent de cession et d’édition d’une oeuvre musicale, signé en février 2014, et alors qu’en exécution de ce contrat elle devait éditer, au plus tard au jour de la signature, toutes les oeuvres antérieures non éditées à cette date. Selon lui, la demanderesse est, de ce fait, irrecevable à demander l’exécution forcée de ce contrat qui a pris fin sans qu’elle ait exercé son droit d’option et ne l’est, en tout état de cause, pas pour les contrats déposés à la SACEM postérieurement à cette date.

Il fait, ensuite, valoir que la demanderesse a levé son option sur certaines des oeuvres qu’il a créés entre 2013 et 2018 sans qu’il soit besoin de les lui communiquer par courrier recommandé, n’ayant jamais exigé d’aucun des auteurs ce formalisme dans la remise des oeuvres achevées et alors qu’une simple écoute par l’éditeur satisfait à l’obligation de transmission. Il assure que la SAS Wati B Editions n’a exercé son droit de préférence que sur ses oeuvres de collaboration pour le groupe The Shin Sekaï ou avec d’autres artistes, après leur divulgation, mais ne l’a exercé à aucun moment pour ses oeuvres divulguées en solo alors qu’elles lui étaient connues du fait de leur divulgation et du fait que ces oeuvres ont été produites par la société Wati B Prod dirigée par la même personne qu’elle et dont elle verse aux débats les factures correspondant aux enregistrement sur lesquels elle revendique des droits. Il en conclut que la demanderesse était parfaitement informée de l’existence de ces titres divulgués le 24 novembre 2017 sur lesquels elle pouvait exercer son droit de préférence, mais qu’elle a sciemment choisi de ne pas le faire, les courriels de demande d’information adressé à son manager en octobre 2017 ne portant que sur les deux titres « Reine » et « J’ai dit non » ne pouvant remplacer une levée d’option auprès de lui, ou, subsidiairement, ne pouvant porter que sur les deux titres visés.

Il allègue, enfin, que les fautes de la SAS Wati B Editions justifiaient la résiliation du contrat qu’il a opérée le 14 mai 2018, ces fautes consistant dans le défaut de reddition des comptes, le défaut de paiement de ses droits, l’absence d’exploitation permanente et suivie de ses oeuvres et le défaut d’édition graphique des oeuvres. Il précise n’avoir jamais reçu les courriels que la demanderesse prétend lui avoir adressés, alors qu’il aurait répondu si elle les avait envoyés, comme il a répondu le 14 novembre 2016 à celui de la société Wati B Prod relativement à sa facture de redevances d’artiste-interprète, outre qu’aucune pièce jointe n’apparaît attachée à ces envois et que les prétendues pièces produites par la demanderesse ne concernent que le second trimestre 2016, non les relevés des années 2014 à 2016, et seulement pour les exploitations à l’étranger. S’agissant de l’absence de paiement des redevances, il expose n’avoir été réglé qu’en 2020 pour les exploitations de ses oeuvres à l’étranger, la circonstance qu’il n’ait pas transmis de factures en raison de l’absence de réception des redditions de compte ne permettant pas à la demanderesse d’échapper à son obligation de paiement. Il conteste s’être rendu dans les locaux de la SAS Wati B Editions le 27 novembre 2017 pour se voir remettre une facture de paiement de ses droits, la pièce produite ne concernant que des contrats en lien avec les titres « Tant pis » et « Tout se passe après minuit » produits par la société Wati B Prod. S’agissant de l’absence d’exploitation permanente et suivie de ses oeuvres, il argue que les sommes invoquées en demande sont celles investies par la société Wati B Prod pour les enregistrements phonographiques du groupe The Shin Sekaï, que le contrat qui la lie à la société Because Editions ne porte que sur la gestion commerciale et administrative de son catalogue éditorial et sur la diffusion des oeuvres à l’étranger, laquelle est insignifiante alors que les rappeurs français sont très convoités à l’étranger, et que la demanderesse n’a opéré aucune action de promotion. S’agissant de l’absence d’édition graphique de ses oeuvres musicales, il la tient pour une obligation de résultat à laquelle la demanderesse a manqué.

Appréciation du tribunal

34. Selon l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, "les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées de bonne foi".

35. Aux termes de l’article L.132-4 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, "est licite la stipulation par laquelle l’auteur s’engage à accorder un droit de préférence à un éditeur pour l’édition de ses oeuvres futures de genres nettement déterminés.
Ce droit est limité pour chaque genre à cinq ouvrages nouveaux à compter du jour de la signature du contrat d’édition conclu pour la première oeuvre ou à la production de l’auteur réalisée dans un délai de cinq années à compter du même jour.
L’éditeur doit exercer le droit qui lui est reconnu en faisant connaître par écrit sa décision à l’auteur, dans le délai de trois mois à dater du jour de la remise par celui-ci de chaque manuscrit définitif.
Lorsque l’éditeur bénéficiant du droit de préférence aura refusé successivement deux ouvrages nouveaux présentés par l’auteur dans le genre déterminé au contrat, l’auteur pourra reprendre immédiatement et de plein droit sa liberté quant aux oeuvres futures qu’il produira dans ce genre. Il devra toutefois, au cas où il aurait reçu ses oeuvres futures des avances du premier éditeur, effectuer préalablement le remboursement de celles-ci".

36. Le contrat du 1er juin 2013 entre la SAS Wati B Editions et M. [F] stipule :
- en son article 1, intitulé « objet du contrat » que « 1.1 l’auteur confère à l’éditeur qui l’accepte dans le cadre des dispositions de l’article L.132-4 du code de la propriété intellectuelle, un droit de préférence exclusif sur l’édition et l’exploitation de ses oeuvres futures (textes et/ou musiques) et de celles déjà écrites et/ou composées par l’auteur et non éditées à ce jour et ce dans les genres déterminés suivants : chansons avec ou sans paroles, oeuvre de variété (comprenant seulement la musique, comprenant seulement les paroles, comprenant paroles et musiques), musique de film ou de cinéma ou de télévision ou pour des oeuvres multimédia, musique de film publicitaire ou de messages radiophoniques publicitaires, spectacles musicaux (…) »
- en son article 2, intitulé « durée du contrat », que « le droit de préférence est consenti à l’éditeur pour une durée de 5 (cinq) années consécutives à compter du jour de la signature du premier contrat de cession et d’édition d’oeuvre musicale signé en vertu des présentes. A toutes fins utiles, il est précisé que c’est la date de création de l’oeuvre achevée et non celle de sa divulgation qui est prise en compte pour déterminer si ladite oeuvre entre dans le champ du présent contrat de préférence »
- en son article 3, intitulé « exercice du droit de préférence », sous le paragraphe 3.1 libellé « sur la transmission de l’oeuvre à l’éditeur » que « l’auteur s’engage à soumettre à l’éditeur dès leur achèvement et avant même leur divulgation, par courrier recommandé avec accusé de réception, toutes les oeuvres musicales reproduites sur un manuscrit ou sur tout support sonore, dans les genres déterminés au contrat soit sous son nom soit sous son pseudonyme (…) L’éditeur fera connaître par écrit à l’auteur dans un délai de trois (3) mois à compter de la remise du manuscrit ou de tout autre support s’il lève ou non l’option. A défaut de manifester de volonté dans le délai de trois mois précité, l’éditeur sera réputé avoir refusé l’oeuvre et l’auteur pourra disposer librement des droits éditoriaux (…) »
- en son article 10 intitulé « résiliation anticipée » que « dans l’hypothèse où l’une quelconque des parties n’exécuterait pas les obligations mises à sa charge aux termes du présent accord, l’autre partie aura la faculté de mettre fin de plein droit au présent pacte, sous réserve de dénoncer par lettre recommandée avec accusé de réception à son cocontractant les inexécutions qu’il lui reproche et que l’autre partie n’ait pas remédié à ces inexécutions dans un délai de 30 (trente) jours après la date de réception de cette lettre recommandée avec accusé de réception et ce, sans préjudice de tous les éventuels dommages et intérêts supplémentaires qui pourraient être dus ».

37. En premier lieu, la stipulation de l’article 2 de ce contrat, en tant qu’elle en reporte le point de départ à « la signature du premier contrat de cession et d’édition d’oeuvre musicale », n’est qu’une application des dispositions précitées du code de la propriété intellectuelle.

38. Si M. [F] prétend que la SAS Wati B Editions a tardé à établir le premier contrat de cession et d’édition de ses oeuvres musicales, les pièces qu’il produit démontrent, au contraire, que six des dix titres composant le premier album du groupe The Shin Sekaï dont il était membre, divulgué le 21 janvier 2013 (pièce M. [F] no9), ont donné lieu à des contrats signés le 26 avril 2013 (pièces M. [F] no3.17 à 3.22), aucun contrat n’étant produit pour les titres « Eiffel », « Erreur du passé » et « Peu importe ».

39. La circonstance que l’oeuvre musicale « Rappelle toi » (pièce M. [F] no3.16), faisant partie du même album et divulguée à la même date, n’ait fait l’objet que d’un contrat de cession et d’édition signé le 25 février 2014 n’établit pas, à elle seule, une manoeuvre de la demanderesse visant à retarder sciemment le point de départ du contrat litigieux signé le 1er juin 2013.

40. En second lieu, s’agissant de l’exercice par la SAS Wati B Editions de son droit de préférence, celle-ci ne conteste pas que la clause du contrat litigieux imposant à M. [F] de lui soumettre ses oeuvres achevées par courrier recommandé n’a jamais été mise en oeuvre, tandis qu’elle a pu exercer ce droit sur les titres du deuxième et du troisième album du groupe The Shin Sekaï entre le 25 février 2014 et le 23 septembre 2016 (pièces M. [F] no3.1 à 3.16).

41. Néanmoins, le fait que M. [F] ait enregistré ses oeuvres musicales en solo avec les moyens de la société Wati B Prod, ce que les factures de studio établissent (pièces SAS Wati B Editions no6), et le fait que cette société, personne morale distincte, et la SAS Wati B Editions ait le même dirigeant, M. [G] [R] (pièces SAS Wati B Editions no1, 3 et 5) ne suffisent pas à démontrer que M. [F] a satisfait à son obligation de remise des oeuvres à l’éditeur.

42. À l’inverse, dès lors que la SAS Wati B Editions a pu exercer son droit de préférence sur les oeuvres musicales du groupe The Shin Sekaï après leur divulgation et sans que les auteurs les lui aient remises par courrier recommandé, il lui était loisible d’exercer ce même droit à l’égard des oeuvres musicales en solo que M. [F] a divulgué au cours de la période d’exécution du contrat litigieux, notamment entre le 2 septembre 2016 et le 6 août 2018 (sa pièce no19).

43. Les échanges de courriel qu’elle verse aux débats (ses pièces no42 et 43) ne démontrent pas qu’elle ait tenté d’exercer ce droit de préférence, aucun de ces courriels n’étant adressé à M. [F], alors qu’elle disposait de son adresse courriel et fait état, au titre des redditions de comptes, des courriels qu’elle lui aurait adressé à la même période (ses pièces no8 et 9).

44. De même, la SAS Wati B Editions a signé le 2 février 2018 avec la SAS Black Palladium un contrat de co-édition de l’oeuvre musicale « Maffuzzy style », dont M. [F] est coauteur avec M. [D] [I] (pièce SAS Wati B Editions no18). Or, de même que pour les autres oeuvres musicales de collaboration entre M. [F] et M. [D] [I], alias Seysey, dont la SAS Black Palladium est l’éditeur (pièce SAS Wati B Editions no17), la demanderesse a pu exercer son droit de préférence éditoriale sans que l’auteur ait respecté le formalisme contractuel de la remise de l’oeuvre à l’éditeur.

45. Par ailleurs, la circonstance que M. [F] ait pu adopter des positions contraires ou incompatibles entre elles dans des conditions qui auraient pu l’induire en erreur sur ses intentions ne peut avoir de conséquence qu’au cours d’une même instance (en ce sens Cour de cassation, 2ème chambre civile, 15 mars 2018, no17-21.991). Les conclusions qu’il a soutenues devant le conseil de prud’hommes de Paris dans un litige l’opposant à la société Wati B Prod, si elles affaiblissent la crédibilité de ses affirmations, sont, néanmoins, sans conséquence juridique.

46. En troisième lieu, s’agissant de la validité de la résiliation opérée par M. [F] par courrier du 14 mai 2018, il n’est pas contesté et il résulte de l’article 4 du contrat du 1er juin 2013 (pièce SAS Wati B Editions no4) que la SAS Wati B Editions était tenue des obligations de l’éditeur résultant des contrats de cession et d’édition musicale « pour les oeuvres concernées ».

47. Au titre de son obligation de reddition des comptes, elle s’appuie sur des courriels des 14 octobre 2016 et 13 juin 2017 (ses pièces no8 et 9), ainsi qu’une remise en main propre du 6 octobre 2017 (sa pièce no10).

48. Les deux courriels sont adressés à M. [F] à une adresse courriel depuis laquelle il a répondu par courriel du 4 novembre 2016 (pièce SAS Wati B Editions no32). Toutefois, la ou les pièces jointes que la SAS Wati B Editions soutient y être jointes n’apparaissent pas dans l’impression de la pièce produite, à la différence du courriel envoyé le 4 novembre 2016 qui comporte la mention « 6 pièces jointes » ainsi que le symbole les figurant (pièce SAS Wati B Editions no32), faisant ainsi douter de leur transmission.

49. De plus, les pièces jointes versées aux débats ne concernent que les relevés du second semestre 2016 et du premier semestre 2017 pour les seules exploitations à l’étranger (pièces Wati B Editions no8 et 9), en sorte que les redditions de compte pour les années 2014 à 2019 en France n’ont jamais été produites et celles pour l’étranger pour les années 2014, 2015 et premier semestre 2016 n’ont été produites qu’après l’introduction de l’instance (pièce Wati B Editions no26 à 28).

50. En outre, la circonstance que la SAS Wati B Editions ait pu transmettre le 13 juin 2017 un courriel mentionnant « tu trouveras ci-joint le décompte de tes royalties d’éditions pour le 2ème semestre 2016 » dont la pièce jointe mentionne « Half-Yearly for period 01/01/2017 to 30/06/2017 », se traduisant par période semi-annuelle du 01/01/2017 au 30/06/2017, ne suffit pas à remplir ses obligations de redditions de comptes.

51. Enfin, la pièce de remise contre décharge invoquée par la SAS Wati B Editions, datée du 27 novembre 2017 (sa pièce no10) mentionne : "Monsieur [J] [F] reconnaît avoir reçu ce jour de la part de la société Wati B Prod ses lettres d’engagement et contrats d’enregistrements (…)" ne démontre en rien que la SAS Wati B Editions lui ait remis ce même jour les comptes d’exploitation de ses oeuvres musicales pour les années 2014 à 2019.

52. Au titre de son obligation de paiement des droits, la SAS Wati B Editions relève que ceux issus des exploitations en France sont versés par la SACEM directement à l’auteur. S’agissant de ceux issus des exploitations à l’étranger, aucune des pièces qu’elle produit ne prouve que le paiement en ait eu lieu antérieurement au virement qu’elle a opérée le 14 septembre 2020 (sa pièce no34), soit postérieurement à l’introduction de l’instance, la circonstance que M. [F] n’ait pas établi les factures correspondantes étant inopérante à cet égard.

53. Au titre de l’obligation d’exploitation permanente et suivie de ses oeuvres par l’éditeur, M. [F] fait observer à bon droit que les factures produites par la SAS Wati B Editions concernent, en réalité, des sommes investies par la société Wati B Prod, personne morale distincte (ses pièces no6 et 36), dont elle ne peut pas valablement se prévaloir pour justifier du respect de sa propre obligation d’exploitation permanente et suivie.

54. À l’inverse, la demanderesse produit plusieurs échanges de courriels de février 2016 à janvier 2018 (ses pièces no37 à 41) montrant qu’elle a su nouer des partenariats ayant permis la mise en valeur du groupe The Shin Sekaï et a, ainsi, participé à sa notoriété.

55. Au titre de son obligation d’édition graphique des oeuvres, du fait que M. [F] est un artiste de rap et RnB et que l’exploitation des oeuvres musicales de ce genre a lieu principalement par téléchargement et via les réseaux sociaux, la SAS Wati B Editions oppose à bon droit son caractère secondaire.

56. Il résulte de l’ensemble que, compte tenu des manquements avérés de la SAS Wati B Editions à ses obligations de reddition de comptes et de paiement sans retard des droits dus à M. [F] pour les exploitations de ses oeuvres à l’étranger, la résiliation qu’il a annoncée le 14 mai 2018 du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 n’était pas abusive.

57. En conséquence, les demandes de la SAS Wati B Editions relatives à l’exécution forcée de ce contrat et en indemnisation des préjudices qu’elle invoque à ce titre seront rejetées, ainsi que sa demande subsidiaire d’expertise.

58. En l’absence de faute dans la divulgation par M. [F] de ses oeuvres musicales composées en solo ou en collaboration avec M. [D] [I], les demandes de la SAS Wati B Editions dirigées contre la SAS Black Palladium Music, fondées sur la complicité de ces mêmes fautes, seront également rejetées.

59. Compte tenu de l’absence de reddition de compte de chacun des contrats relatifs aux oeuvres « TPCMP », « Aime-moi demain », « Alter ego », « Mes épaules », « Normal », « Précieuse », « Je n’en peux plus », « J’ai du mal », « Ma jolie », « Où aller », « Du berceau au linceul », « Dévergondé », « Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur », « Nous sommes demain / Oublie-moi », « Rien à foutre / Soum soum », « Mens moi dans les yeux », « Rappelle-toi », « Je reviendrai », « Ne me le dis pas », « Moi d’abord », « La peur », « Si j’étais », « Tout ce que je sais », la demande reconventionnelle de M. [F] de résiliation de ces contrats sera accueillie.

III – Sur les mesures réparatrices

Moyens des parties

60. M. [J] [F] réclame l’indemnisation du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de l’inexécution par la demanderesse de ses obligations contractuelles, faisant état de la perte d’opportunités professionnelles.

61. La SAS Wati B Editions conclut que le défendeur n’a manqué aucune opportunité professionnelle, ayant divulgué plusieurs oeuvres musicales à son détriment.

Appréciation du tribunal

62. Selon l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

63. Par application de l’article 1149 du même code, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé.

64. L’article 1153 du même code, dans sa rédaction applicable au contrat du 1er juin 2013, prévoit que « dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement ».

65. Au cas présent, M. [F] ne fait qu’alléguer de pertes d’opportunités professionnelles sans les identifier et les démontrer, d’autant qu’il a produit les oeuvres musicales pour lesquelles la SAS Wati B Editions n’a pas exercé son droit de préférence et en a recueilli les fruits.

66. Le retard de la demanderesse dans l’exécution de son obligation de payer les droits dont elle était redevable à M. [F] au titre des exploitations de ses oeuvres musicales à l’étranger n’est réparable que par la condamnation aux intérêts au taux légal et ce paiement, pour lequel elle n’a pas été mise en demeure, a eu lieu en cours d’instance.

67. Le manquement de la SAS Wati B Editions à son obligation de reddition de compte, encore effectif au jour de la décision s’agissant de l’exploitation des oeuvres de M. [F] en France, lui cause un préjudice qui sera réparé par l’allocation de 1000 euros à titre de dommages et intérêts.

68. Le surplus des demandes de M. [F] sera, en conséquence, rejeté.

IV – Sur le caractère abusif de la procédure

Moyens des parties

69. La SAS Black Palladium Music estime qu’elle n’a été assignée par la demanderesse qu’afin de faire pression sur elle dans la mesure où elle fait partie de l’entourage professionnel de M. [F] et dans la pleine conscience qu’elle avait de ce qu’elle n’était en rien concernée par le litige et en l’absence de toute démarche amiable préalable. Elle fait valoir un préjudice moral résultant du traumatisme de son assignation alors qu’elle n’était que récemment créée et un préjudice professionnel tiré de la dégradation de son image dans le petit milieu de la musique par un des plus gros labels indépendants français de musique urbaine.

70. La SAS Wati B Editions réplique qu’en l’absence de toute faute commise par elle dans l’exercice de son droit d’agir compte tenu du bien fondé de ses demandes, la SAS Black Palladium Music devra être déboutée.

Appréciation du tribunal

71. L’article 1240 du code civil prévoit que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

72. En application de l’article 32-1 du code de procédure civile, "celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 € sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés".

73. Le droit d’agir en justice participe des libertés fondamentales de toute personne. Il dégénère en abus constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil lorsqu’il est exercé en connaissance de l’absence totale de mérite de l’action engagée, ou par une légèreté inexcusable, obligeant l’autre partie à se défendre contre une action que rien ne justifie sinon la volonté d’obtenir ce que l’on sait indu, une intention de nuire, ou une indifférence totale aux conséquences de sa légèreté (en ce sens Cour de cassation, 3ème chambre civile, 10 octobre 2012, no11-15.473).

74. Au cas présent, la SAS Wati B Editions a pu croire fondées ses demandes dirigées contre la SAS Black Palladium Music, leur seul rejet excluant de faire dégénérer en abus l’action qu’elle a introduite.

75. Au surplus, la SAS Black Palladium Music ne produit aucune pièce établissant le préjudice qu’elle invoque, lequel ne consiste que dans les frais engagés pour sa défense, indemnisés au titre des frais non compris dans les dépens.

76. La demande à ce titre de la SAS Black Palladium Music sera, en conséquence, rejetée.

V – Sur les dispositions finales

V.1 – S’agissant des dépens

77. Aux termes de l’article 696 du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge de l’autre partie.

78. En vertu de l’article 699 du même code, "les avocats peuvent, dans les matières où leur ministère est obligatoire, demander que la condamnation aux dépens soit assortie à leur profit du droit de recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont ils ont fait l’avance sans avoir reçu provision.
La partie contre laquelle le recouvrement est poursuivi peut toutefois déduire, par compensation légale, le montant de sa créance de dépens".

79. La SAS Wati B Edition étant partie perdante, elle sera condamnée aux dépens, avec distraction au profit des avocats de M. [F], de la SAS Black Palladium Music et de la SACEM.

V.2 – S’agissant de l’article 700 du code de procédure civile

80. L’article 700 du code de procédure civile dispose que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à condamnation.

81. La SAS Wati B Editions, partie condamnée aux dépens, sera condamnée à payer 10 000 euros à M. [F] et 5000 euros à la SAS Black Palladium Music à ce titre.

82. La demande de la SAS Wati B Editions à ce titre sera rejetée.

V.3 – S’agissant de l’exécution provisoire

83. Aux termes de l’article 515 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable à la date de l’assignation, "hors les cas où elle est de droit, l’exécution provisoire peut être ordonnée, à la demande des parties ou d’office, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, à condition qu’elle ne soit pas interdite par la loi.
Elle peut être ordonnée pour tout ou partie de la condamnation".

84. Eu égard aux termes du jugement, l’exécution provisoire, nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire, sera ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal :

Ecarte la fin de non-recevoir soulevée par la SAS Wati B Editions tirée de la prescription des demandes de M. [J] [F] en résiliation des contrats de cession et d’édition subséquents au contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 ;

Déboute la SAS Wati B Editions de sa demande en exécution forcée du contrat de préférence éditoriale du 1er juin 2013 conclu avec M. [J] [F] ;

Déboute la SAS Wati B Editions de ses demandes de dommages et intérêts à l’encontre de M. [J] [F] et de sa demande subsidiaire d’expertise ;

Déboute la SAS Wati B Editions de sa demande en paiement à l’égard de la SAS Black Palladium Music ;

Résilie les contrats de cession et d’édition conclus entre la SAS Wati B Editions et M. [J] [F] pour les oeuvres « TPCMP », « Aime-moi demain », « Alter ego », « Mes épaules », « Normal », « Précieuse », « Je n’en peux plus », « J’ai du mal », « Ma jolie », « Où aller », « Du berceau au linceul », « Dévergondé », « Rêver / Nouvelle ère / Mes torts / Dis leur », « Nous sommes demain / Oublie-moi », « Rien à foutre / Soum soum », « Mens moi dans les yeux », « Rappelle-toi », « Je reviendrai », « Ne me le dis pas », « Moi d’abord », « La peur », « Si j’étais », « Tout ce que je sais » ;

Condamne la SAS Wati B Editions à payer 1000 euros à M. [J] [F] à titre de dommages et intérêts ;

Déboute M. [J] [F] du surplus de ses demandes en dommages et intérêts ;

Déboute la SAS Black Palladium Music de sa demande en procédure abusive ;

Condamne la SAS Wati B Editions aux dépens avec droit pour Maîtres Laurence Goldgrab, Christine Aubert-Maguero et Anne Boissard, avocates au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont elles ont fait l’avance sans recevoir provision ;

Condamne la SAS Wati B Editions à payer 10 000 euros à M. [F] et 5000 euros à la SAS Black Palladium Music en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute la SAS Wati B Editions de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Ordonne l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 27 septembre 2023

La greffière Le président

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Tribunal judiciaire de Paris, 27 septembre 2023, 19/11466