Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 8 avril 2022, n° 18/00716

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Aix-en-Provence, ch. 4-1, 8 avr. 2022, n° 18/00716
Juridiction : Cour d'appel d'Aix-en-Provence
Numéro(s) : 18/00716
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Digne, 10 décembre 2017, N° F17/00007
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 4-1

ARRÊT AU FOND

DU 08 AVRIL 2022

N° 2022/140

Rôle N° RG 18/00716 – N° Portalis DBVB-V-B7C-BBYWZ

X-G Z liquidateur de la SARL SEE DURANCE AUTO


C/

B Y

C A

Association CENTRE DE GESTION ET D’ETUDES AGS-CGEA


Copie exécutoire délivrée

le :

08 AVRIL 2022

à :


Me Stéphane MÖLLER, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE


Me Dounia AZERINE, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE


Me Michel BRUNET, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE


Me Loreleï CHEVREL, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE

Décision déférée à la Cour :


Jugement du conseil de prud’hommes de DIGNE-LES-BAINS en date du 11 Décembre 2017 enregistré(e) au répertoire général sous le n° F 17/00007.

APPELANT

Maître X-G Z, membre de la SCP JP. Z & A. I, Société Civile Professionnelle de Mandataires Judiciaires, ès qualités de liquidateur de la SARL SEE DURANCE AUTO, demeurant […]

représenté par Me Stéphane MÖLLER, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE

INTIMES Monsieur B Y, demeurant Le Peyroun-Bâtiment A1 – 04130 VOLX

représenté par Me Dounia AZERINE, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE

Monsieur C A

(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2018/002394 du 23/02/2018 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE), demeurant […]

représenté par Me Michel BRUNET, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE

Association CENTRE DE GESTION ET D’ETUDES AGS-CGEA 13 demeurant […]

représentée par Me Loreleï CHEVREL, avocat au barreau d’ALPES DE HAUTE-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR


En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 10 Janvier 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller, chargé du rapport, qui a fait un rapport oral à l’audience, avant les plaidoiries.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame E F, Conseiller faisant fonction de Président

Madame Stéphanie BOUZIGE, Conseiller

Madame Emmanuelle CASINI, Conseiller

Greffier lors des débats : Monsieur Kamel BENKHIRA


Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 18 Mars 2022 et prorogé au 08 Avril 2022.

ARRÊT


Contradictoire,


Prononcé par mise à disposition au greffe le 08 Avril 2022


Signé par Madame E F, Conseiller faisant fonction de Président et Monsieur Kamel BENKHIRA, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***


Par acte du 3 juillet 1992, Monsieur D Y a donné en location gérance son fonds de commerce artisanal de mécanique auto et vente, carrosserie à la SARL SEE DURANCE AUTO dont il était le gérant. Suite au décès de Monsieur D Y, survenu le 29 août 2007, son fils, Monsieur C A, est devenu gérant de la société SEE DURANCE AUTO et également propriétaire du fonds de commerce donné en location gérance à la SARL SEE DURANCE AUTO.

Monsieur B Y a été engagé par la SARL SEE DURANCE AUTO suivant un contrat initiative emploi à durée indéterminée du 13 avril 2004 en qualité de cadre responsable magasinier.


Par avenant du 22 juin 2010, Monsieur Y s’est vu confier les fonctions de chef de service achats/ventes.


Par jugement du 22 décembre 2015, le tribunal de commerce de MANOSQUE a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la SARL SEE DURANCE AUTO et a désigné Maître Z en qualité de liquidateur.


Par courrier du 29 décembre 2015, Maître Z a résilié le contrat de location-gérance liant la SARL SEE DURANCE AUTO et Monsieur C A, propriétaire du fonds de commerce, et a informé Monsieur A du retour du fonds de commerce en tous ses éléments, y compris les contrats de travail, en application des articles L1224-1 et suivants du code du travail, sauf à justifier de la ruine du fonds.


Par courrier du 10 février 2016, Monsieur A a entendu se prévaloir de la ruine du fonds de commerce pour s’opposer au transfert des contrats de travail.


C’est dans ces conditions que Monsieur Y a saisi le conseil de prud’hommes de DIGNE-LES-BAINS pour qu’il soit statuer sur le sort de son contrat de travail et sur les conséquences financières qui en découlent.


Par jugement rendu le 11 décembre 2017 le conseil de prud’hommes a :


- constaté la ruine du fonds de commerce qui ne permet aucune exploitation,


- dit et jugé en conséquence qu’il ne peut y avoir retour du fonds entre les mains du propriétaire du fonds, Monsieur A, qui devra être mis hors de cause,


- dit que c’est à Maître Z ès qualités de liquidateur de la société SEE DURANCE AUTO de procéder au licenciement des salariés de cette société dont fait partie Monsieur Y,


- condamné la SCP J.P. Z & I aux entiers dépens,


- condamné la SCP J.P. Z & I au paiement de la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile à Monsieur A,


- débouté Monsieur Y de ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de Monsieur A,


- dit et jugé que l’association A.G.S./C.G.E.A (13) ne devra procéder à aucune avance des créances visées aux articles L.3253-8 du code du travail.


Par déclaration du 12 janvier 2018, Maître Z, en sa qualité de liquidateur de la SARL SEE DURANCE AUTO, a interjeté appel du dit jugement.


Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 29 octobre 2019, il demande à la cour de :


- déclarer irrecevables les demandes présentées par Monsieur Y dans ses conclusions signifiées le 15 mars 2019 constituant un appel incident non régularisé dans le délai de 3 mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile,
- déclarer irrecevables les demandes présentées par Monsieur Y à l’encontre de Me Z ès qualités en application de l’article 524 du code de procédure civile prohibant les demandes nouvelles en appel,


- réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de DIGNE- LES- BAINS le 11 décembre 2017 en ce qu’il a constaté la ruine du fonds de commerce et qu’il a jugé qu’il ne peut y avoir eu retour du fonds entre les mains du propriétaire du fonds Monsieur A et l’a mis hors de cause,


- dire et juger que la résiliation du contrat de location gérance par Maître Z, mandataire judiciaire, le 29 décembre 2015, a entraîné le retour du fonds de commerce au bailleur Monsieur A,


- dire et juger qu’il appartenait à Monsieur A de procéder à la rupture du contrat de travail de Monsieur Y qui lui a été transféré dès la résiliation du contrat de location gérance du fonds de commerce,


- dire et juger qu’aucune action n’a été introduite par Monsieur A devant le tribunal de commerce aux fins de statuer sur la question de la ruine du fonds de commerce,


- dire et juger que le conseil de prud’hommes est incompétent pour statuer sur la ruine du fonds de commerce,

A titre subsidiaire, si la Cour s’estimait compétente sur cette question, dire et juger que Monsieur A n’apporte aucunement la preuve de la ruine du fonds ni n’établit qu’au moment de la restitution du fonds de commerce son exploitation ne pouvait plus être poursuivie, pour considérer que le contrat de travail de Monsieur Y, et les autres contrats de travail, ne lui ont pas été transférés,


- relever l’incompétence du conseil de prud’hommes et de la Cour d’appel sur appel du jugement du conseil de prud’hommes pour statuer sur la responsabilité d’un mandataire judiciaire,


- dire et juger qu’il appartient à Monsieur A de procéder au licenciement des salariés de la SARL SEE DURANCE AUTO et notamment de celui de Monsieur Y,


- condamner Monsieur A à répondre seul des demandes financières de Monsieur Y,

A titre subsidiaire, s’agissant de la demande de rappel de salaires, si la Cour devait juger recevable cette demande, dire et juger que la demande de rappel de salaire depuis le 29 décembre 2015 est partiellement prescrite, en application de l’article L.3245-1 du code du travail,


- débouter Monsieur A et Monsieur Y de toutes leurs demandes, fins et conclusions à l’encontre de la SCP JP Z & A I et Me Z ès qualités,


- réformer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a condamné Me Z à une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,


- condamner Monsieur A aux entiers dépens.


Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 29 mai 2018, Monsieur Y demande à la cour de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions, de débouter les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, y ajoutant, de condamner tout succombant à payer à Monsieur Y la somme de 2.500 € par application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.


Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 15 mars 2019 et le 16 décembre 2021, Monsieur Y demande à la cour de constater que son contrat de travail a été transféré à Monsieur A à compter du 29 décembre 2015, que Monsieur A n’a pas procédé au licenciement de Monsieur Y bien qu’il se prévale de la ruine du fonds, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail, de condamner Monsieur A à lui payer un rappel de salaire, des indemnités de rupture et des dommages-intérêts pour préjudice moral.


Si la ruine du fonds de commerce était prononcée, de constater que Maître Z, ès qualités de liquidateur judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO, n’a pas procédé à son licenciement dans les 15 jours de la liquidation, de fixer, en conséquence, sa créance au passif de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO au titre d’un rappel de salaire, d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts pour préjudice moral et, si la ruine du fonds de commerce était retenue et le CGEA-AGS était mis hors de cause, de constater que Maître Z a commis une faute engageant sa responsabilité sur le fondement des articles 1240 et 1241 du code civil, de condamner Maître Z à l’indemniser de son entier préjudice à hauteur des sommes équivalentes au rappel de salaire, aux indemnités de rupture et aux dommages-intérêts pour préjudice moral.


Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 17 juillet 2019, Monsieur A demande à la cour de :


- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l’appel de Maître Z,


- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et en conséquence :


- débouter Monsieur Y de ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de Monsieur A,


- constater :

* la ruine du fonds de commerce qui ne permet aucune exploitation

* l’absence des éléments corporels et incorporels constitutifs du fonds de commerce

* l’absence d’un bail commercial entre la personne morale propriétaire des lieux et Monsieur A, le droit au bail des lieux étant un élément essentiel d’un fonds de commerce faute de quoi il ne peut y avoir d’exploitation commerciale et de droit au statut des baux commerciaux


- dire et juger que le fonds de commerce était inexploitable avec la perte de toute substance et en conséquence en ruine à la date de la mise en liquidation judiciaire,


- dire et juger en conséquence :

* qu’il ne peut y avoir retour du fonds entre les mains du propriétaire du fonds Monsieur A qui devra être mis hors de cause

* que c’est à Maître Z ès qualités de liquidateur de la société SEE DURANCE AUTO de procéder au licenciement des salariés de cette société dont fait partie Monsieur Y

* que la société locataire-gérante est restée l’employeur du salarié qui y était engagé, sans pouvoir être repris par le loueur

* et que l’AGS CGEA devra garantir les sommes dues aux salariés en conséquence de ces licenciements

A titre subsidiaire, dans l’hypothèse où, si par impossible, il ne serait pas fait droit à l’argumentation précédemment développée concernant la ruine du fonds, dire et juger que toutes les sommes dues au salarié au titre de la période antérieure à la notification de la résiliation du contrat de location-gérance le 29 décembre 2015 restent à la charge de la SARL SEE DURANCE AUTO, représentée par son liquidateur, et doivent prises en charge par les AGS CGEA,


- débouter Maître Z de ses demandes, fins et conclusions infondées et injustifiées,


- condamner Maître Z ès qualités de liquidateur de la SARL SEE DURANCE AUTO au paiement de la somme de 3.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,


- condamner Maître Z ès qualités de liquidateur de la SARL SEE DURANCE AUTO aux entiers dépens de première instance et d’appel dont distraction au profit de Maître Michel BRUNET, avocat aux offres de droit.


Suivant conclusions notifiées par voie électronique le 17 septembre 2021, l’Unedic Délégation AGS-CGEA de Marseille demande à la cour de :


- juger irrecevables les demandes présentées par Monsieur Y dans le cadre de ses conclusions en date du 15 mars 2019 et toutes autres demandes postérieures, à titre de rappels de salaires, paiement d’indemnité de licenciement, d’indemnité de préavis, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts au titre du préjudice moral,


- réformer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Digne-les-Bains le 11 décembre 2017 en ce qu’il a constaté la ruine du fonds de commerce,


- confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a dit et jugé que le CGEA- AGS ne devait procéder à aucune avance des créances,


Statuant à nouveau,

A titre principal,


- constater que le contrat de travail de Monsieur Y a été transféré de plein droit à Monsieur A le 29 décembre 2015 suite à la résiliation du contrat de location gérance,


- mettre hors de cause le CGEA- AGS,

En tout état de cause,


- constater que Monsieur Y ne formule aucune demande pour la période antérieure au 29 décembre 2015,


- juger que les créances résultant de la rupture du contrat ne sont pas garanties par le CGEA- AGS, le délai de 15 jours suivant la liquidation judiciaire pour licencier étant dépassé,


- juger que l’AGS ne garantit pas les indemnités résultant de l 'article 700 du code de procédure civile,


- juger que l’AGS ne devra procéder à l 'avance des créances visées aux articles L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-17, L.3253-19 et L.3253-20 du code du travail et que la garantie de l’ AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l 'article D.3253-5 du code du travail,


- dire et juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé de créances par le mandataire liquidateur et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

MOTIFS DE LA DÉCISION


Sur la recevabilité des demandes présentées par Monsieur Y dans ses conclusions du 15 mars 2019


Maître Z fait valoir que Monsieur Y a régularisé des conclusions le 29 mai 2018 aux termes desquelles il concluait à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions, au débouté des parties et à la condamnation de tout succombant à lui payer une somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile et ne formulait aucune autre demande ; que par conclusions du 15 mars 2019, il a présenté d’autres demandes dans le dispositif de ses conclusions ; que ces conclusions contenant un appel incident doivent être déclarées irrecevables comme n’ayant pas été signifiées dans le délai de trois mois à compter de la signification des conclusions de l’appelant, en application de l’article 909 du code de procédure civile.


Le CGEA conclut également que Monsieur Y ne pouvait plus former appel incident après le 8 juin 2018 dès lors que Maître Z avait régularisé ses conclusions d’appelant le 8 mars 2018 ; que dans ses conclusions du 29 mai 2018, Monsieur Y a uniquement sollicité la confirmation du jugement entrepris. Il sollicitait donc que son licenciement soit prononcé par Maître Z ès qualités de liquidateur de la SARL SEE DURANCE AUTO et les demandes formulées ultérieurement, soit par conclusions du 15 mars 2019, doivent s’analyser en un appel incident qui n’a pas été formé dans les délais.

Monsieur Y conclut que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail ne constitue pas un appel incident soumis au délai de l’article 909 du code de procédure civile mais répond à l’article 566 du code de procédure civile qui permet aux parties d’ajouter en appel toutes les demandes qui sont l’accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire des demandes et défenses qui ont été soumises aux premiers juges. La demande visant à voir prononcer la résiliation du contrat de travail de Monsieur Y, qui est la conséquence ou le complément nécessaire à la demande visant à voir « statuer sur le sort de son contrat de travail et ses conséquences » au regard de la question de la ruine du fonds et du transfert du contrat de travail, n’est pas une prétention nouvelle et peut donc être présentée pour la première fois en appel avant la clôture. Les premiers juges ont statué sur la rupture du contrat de travail puisqu’il a été jugé que c’est à Maître Z de procéder au licenciement du salarié après avoir constaté la ruine du fonds de commerce.

* * *


Aux termes de l’article 909 du code de procédure civile, l’intimé dispose, à peine d’irrecevabilité relevée d’office, d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant prévues à l’article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.


En l’espèce, il ressort de la requête déposée devant le conseil de prud’hommes que Monsieur Y demandait qu’il soit statué sur la rupture de son contrat de travail et sur les conséquences financières qui en découlent. Les parties défenderesses ne se sont d’ailleurs pas trompées sur cette demande puisque, par écritures du 2 octobre 2017, l’AGS-CGEA et Maître Z ont conclu qu’il fallait 'en déduire que le salarié sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, lequel n’aurait pas poursuivi l’exécution de son contrat de travail et ne l’aurait jamais licencié'. Enfin, il ressort des notes d’audience du 27 novembre 2017 que Monsieur Y a bien présenté au conseil de prud’hommes la demande tendant à voir statuer sur le responsable de son licenciement.


Le conseil de prud’hommes a répondu à cette demande et a jugé que le contrat de travail était toujours en cours et qu’il appartenait à Maître Z de procéder au licenciement de Monsieur Y.


Ainsi, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail présentée par Monsieur Y dans ses conclusions du 15 mars 2019 s’analyse bien en un appel incident, et non en une demande nouvelle qui serait recevable sur le fondement de l’article 566 du code de procédure civile. Monsieur Y disposait donc d’un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant du 8 mars 2018, soit jusqu’au 8 juin 2018, pour former un appel incident.


En conséquence, les conclusions du 15 mars 2019 contenant un appel incident de Monsieur Y, formé hors délai, sont irrecevables.

* * *


Maître Z conclut que le contrat de location gérance a été résilié à effet du 29 décembre 2015 et, de ce fait, le contrat de travail de Monsieur Y a, de plein droit, été immédiatement transféré à Monsieur A en application de l’article L.1224-1 du code du travail ; qu’il appartenait à Monsieur A, propriétaire du fonds de commerce, d’engager une action en justice devant le tribunal de commerce pour contester la décision du mandataire liquidateur et pour faire constater la ruine du fonds ; que le tribunal de commerce a une compétence exclusive pour statuer sur la ruine d’un fonds de commerce et Monsieur A ne peut demander au conseil de prud’hommes et à la cour de statuer sur ce point; qu’il appartenait également à Monsieur A, à titre conservatoire, d’engager une procédure de licenciement de Monsieur Y.


A titre subsidiaire, Maître Z conclut que Monsieur A ne produit aucun élément permettant de constater et d’établir la ruine du fonds de commerce au jour de la résiliation du contrat de location gérance ; qu’il n’existe aucune démonstration d’une cause extérieure justifiant la ruine du fonds de commerce ; qu’au contraire, il est produit la déclaration de cessation de paiement déposée par Monsieur A, ès qualités de dirigeant de la société locataire gérante, la SARL SEE DURANCE AUTO, et la copie de la proposition de rectification de la DGFP, qui démontrent qu’une activité a été exercée jusqu’à la date de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO ; que Monsieur A confond les difficultés économiques auxquelles a été confrontée la SARL SEE DURANCE AUTO et la défaillance de cette dernière, avec la ruine du fonds de commerce qui implique que l’exploitation du fonds n’était plus possible, alors même que les pièces produites indiquent la présence d’éléments d’actifs (matériels, outillages, immobilisation corporelles d’un montant significatif, marchandises, clientèle, créances clients, augmentation du chiffre d’affaires) ; que la décision d’arrêter l’activité résulte uniquement d’une décision de gestion de Monsieur A, gérant de la SARL SEE DURANCE AUTO, locataire-gérante du fonds de commerce ; que par sa gestion défaillante, Monsieur A a précipité la SARL SEE DURANCE AUTO dans une situation économique inextricable ayant conduit à la déclaration de cessation des paiements ; que l’absence de bail commercial révèle également la volonté du propriétaire des murs, qui est également le propriétaire du fonds de commerce, de 'ruiner’ et de démunir volontairement le fonds de commerce d’un attribut essentiel.

Monsieur Y fait valoir que, compte tenu du conflit opposant le mandataire liquidateur et Monsieur A, il a été contraint d’agir en justice pour voir statuer sur le sort de son contrat de travail ; qu’il appartiendra à la juridiction de céans d’apprécier souverainement si la ruine du fonds de commerce est constatée au jour de la résiliation de la location gérance et considère que les éléments soumis à l’appréciation de la cour militent en faveur de la ruine du fonds de commerce dès lors que le caractère exploitable du fonds fait défaut.

Monsieur A conclut qu’il appartenait à Monsieur Y de faire diligence pour saisir le conseil de prud’hommes sans attendre des mois comme il l’a fait, d’autant qu’il connaissait la situation de l’entreprise puisqu’il n’y avait plus d’activité depuis plusieurs mois et qu’il appartenait également à Maître Z, désigné comme liquidateur par le tribunal de commerce, de faire les formalités de licenciement à l’égard de Monsieur Y, la résiliation du contrat de location-gérance n’entraînant pas de transfert du contrat de travail au bailleur si le fonds est en ruine et, tel était bien le cas en l’espèce. Il soutient que Maître Z a préféré ignorer la réalité économique de l’entreprise en se contentant de prononcer la résiliation du contrat de location-gérance et la responsabilité du mandataire liquidateur est entièrement engagée, le manquement à ses obligations étant à l’origine du présent contentieux.

Monsieur A conclut à la compétence du conseil de prud’hommes pour constater la ruine du fonds de commerce. Il rappelle que par courrier de son conseil du 10 février 2016, il s’était opposé au transfert du contrat de travail considérant que le fonds de commerce n’existait plus. Il invoque la cessation des paiements du 16 décembre 2015, la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO prononcée par le tribunal de commerce le 22 décembre 2015, le fait que le fonds de commerce était devenu inexploitable, n’avait plus de clientèle, de matériel, de stock pour fonctionner et a vu son chiffre d’affaires s’effondrer. Il prétend que le mandataire liquidateur ne justifie pas que les éléments corporels et incorporels constituant le fonds donné en location gérance, existaient encore et auraient été retournés au propriétaire du fonds dans leur totalité et d’ailleurs, Maître Z ne produit pas l’inventaire dressé par l’huissier de justice désigné à cet effet par le tribunal de commerce. Il produit l’attestation de l’expert comptable de la SARL SEE DURANCE AUTO qui établit que les principaux éléments du fonds de commerce avaient disparu. Surtout, Monsieur A fait valoir qu’il manque un élément essentiel, à savoir le droit à exploiter, puisque lors de la conclusion du contrat de location-gérance en 1992, Monsieur D A père, bailleur, étant propriétaire des locaux, la SARL SEE DURANCE AUTO, locataire-gérant, n’a bénéficié que d’un droit à leur occupation par l’effet du contrat de location-gérance. Par la suite en 2003, les locaux où était exploité le fonds sont devenus la propriété de la SCI CHRISERI sans qu’il soit établi un bail commercial au profit du propriétaire du fonds ou de la SARL SEE DURANCE AUTO. Ainsi, faute de bail commercial, le fonds commercial et artisanal est dépourvu d’un de ses éléments constitutifs essentiels et en conséquence le dit fonds n’est pas exploitable en l’état et ne peut donc pas être restitué par le liquidateur.


L’UNEDIC AGS-CGEA conclut que le contrat de travail de Monsieur Y a bien été transféré au propriétaire du fonds de commerce; qu’il appartenait à Monsieur A d’engager une action pour faire constater la ruine du fonds de commerce; que Monsieur A n’a rien fait et n’a pas licencié Monsieur Y ; que si le contrat de travail a été rompu, cette rupture est nécessairement postérieure au 29 décembre 2015 de sorte que Monsieur A est seul concerné et l’AGS n’a pas vocation à garantir les sommes sollicitées par Monsieur Y, Monsieur A n’étant pas sous le coup d’une procédure collective.


L’UNEDIC AGS-CGEA conclut également que la mise en liquidation judiciaire du locataire gérant n’est pas, en elle-même, de nature à entraîner la disparition ou la ruine du fonds de commerce ; qu’il appartient à Monsieur A de démontrer que le fonds de commerce est inexploitable, ce qu’il ne fait pas d’autant qu’il était gérant de la SARL SEE DURANCE AUTO, exploitant le fonds de commerce et propriétaire du dit fonds ; que les éléments produits démontrent au contraire une hausse du chiffre d’affaires et qu’un bail commercial, au moins oral, était en cours.

*


Il entre dans la compétence du conseil de prud’hommes de statuer sur le litige relatif au transfert d’un contrat de travail à l’occasion de la cessation d’un contrat de location-gérance.


Au visa de l’article L. 641-12 du code de commerce, le liquidateur a l’obligation de procéder à la résiliation du contrat de location-gérance dès lors que, à la suite de la liquidation judiciaire du preneur, il n’est plus en mesure de fournir la contreprestation.


Le retour du fonds de commerce entre les mains du bailleur s’accompagne, en vertu de l’article L.1224-1 du code du travail, du transfert des contrats de travail sauf si, au jour de la résiliation du contrat de location gérance, le retour du fonds est impossible en ce qu’il est inexploitable et est donc en état de ruine.


S’il appartient à Monsieur A, propriétaire du fonds de commerce de justifier de la ruine du fonds de commerce qu’il invoque, la cour constate que Maître Z ne produit pas l’inventaire que le tribunal de commerce a ordonné de dresser dans son jugement du 22 décembre 2015 et qui aurait justifié la composition du fonds de commerce en ses éléments corporels et incorporels.


Par contre, il ressort de l’attestation de l’expert-comptable de la SARL SEE DURANCE AUTO, produite par Monsieur A, que : 'l’activité du fonds de commerce exploitée par la SEE DURANCE AUTO :

Principalement

[…]

Les épaves sont dépouillées des pièces non métalliques, les pièces en bon état sont triées et stockées.

Ventes au détail de pièces détachées d’occasion auprès des garages, carrossiers et particuliers.

Les pièces métalliques en mauvais état sont vendues en tant que ferraille.

Vente en gros de ferraille auprès de sociétés spécialisées.

Ventes ponctuelles 4 à 10 ventes par an en fonction des cours (mondiaux) de la ferraille.

Accessoirement

2- Achat de véhicules d’occasion

Remise en état et vendus en tant que véhicules d’occasion.

Cette activité ne représente que 10 à 12 % du CA

Tous ces achats étaient fait auprès de la Société INDRA, leader français du recyclage automobile.

Suite à la cessation des livraisons de la SAS INDRA fin juin 2015 en raison d’un important retard dans le paiement de ses factures, la SEE DURANCE AUTO n’a plus eu l’approvisionnement nécessaire à son activité.

La clientèle liée à la vente de pièces d’occasion ne trouvant plus les pièces d’occasion de son choix s’est approvisionnée auprès d’autres fournisseurs.

A compter de juillet la SEE DURANCE AUTO n’a plus eu d’activité d’achat.

Elle ne pouvait que vendre, avec difficulté, les marchandises qu’elle avait en stock. La société a pour activité principale la récupération et la vente de pièces détachées. Cette activité suppose la récupération de pièces détachées sur les véhicules achetés.

Les achats de véhicules étant devenus impossibles, en conséquence l’achalandage du fonds de commerce a disparu. L’absence de pièces détachées que recherchait la clientèle a entraîné la disparition de celle-ci. Les principaux éléments du fonds de commerce ayant disparu on peut considérer qu’il y a ruine du fonds de commerce.

Le chiffre d’affaire déclaré en matière de TVA à l’administration fiscale pour la période du 1er juillet 2015 au 22 décembre 2015 correspond à un destockage réalisé entre le 1er juillet 2015 et le 31 octobre 2015 principalement avec des professionnels, la clientèle habituelle ayant disparu.

A noter:

Les retards de paiement sont dus aux pertes dégagées par l’exploitation du fonds

30/06/2013 : 66181,13 €

30/06/2014 : 54927,71 €

Par ailleurs les capitaux propres étant négatifs aucune assurance crédit-client ne prenait en garantie la SEE DURANCE AUTO. Elle se trouvait ainsi dans l’impossibilité d’acheter et donc de vendre.

La clientèle a disparu comme dit ci-dessus.'.

Monsieur A produit également la lettre de mise en demeure de payer adressée par la société INDRA le 25 septembre 2015, le compte comptable du client société INDRA, un état comparatif en détail de l’activité N/N-1 élaboré par l’expert -comptable qui indique une chute des ventes et qui précise que les ventes réalisées sont des ventes faites à des professionnels qui correspondent à du destockage, entre juillet et octobre 2015.


Ainsi, il en résulte une rupture d’approvisionnement ainsi qu’une disparition du stock et de la clientèle. Par ailleurs, même si un bail commercial peut être oral, la cour constate l’existence d’un droit au bail, partie du fonds de commerce, à tout le moins fragile.


Dans ces conditions, il convient de confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a constaté la ruine du fonds de commerce qui ne permet aucune exploitation, a dit qu’il ne peut y avoir de retour du fonds de commerce entre les mains du propriétaire du fonds de commerce, Monsieur A et a dit qu’il appartient à Maître Z, en sa qualité de mandataire liquidateur de la société SEE DURANCE AUTO de procéder au licenciement de Monsieur Y ; ce dernier devra alors saisir la juridiction prud’homale pour solliciter, à défaut de licenciement, la résiliation judiciaire du contrat de travail, et voir fixer sa créance au titre des indemnités de rupture et de dommages-intérêts.


Sur l’article 700 du code de procédure civile et sur les dépens


Les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens seront infirmées.


Il convient de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO la somme de 2.500 € au titre des frais non compris dans les dépens que Monsieur Y a engagés en première instance et en cause d’appel.


Il convient de fixer au passif de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO la somme de 2.500 € au titre des frais non compris dans les dépens que Monsieur A a engagés en première instance et en cause d’appel.


Les dépens de première instance et d’appel seront à la charge de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO, partie succombante, par application de l’article 696 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS


La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et en matière prud’homale,


Dit que l’appel incident de Monsieur B Y formé par conclusions signifiées le 15 mars 2019, est irrecevable et déclare irrecevables les conclusions du 15 mars 2019,


Confirme le jugement déféré sauf en sa disposition ayant dit que l’AGS-CGEA ne devrait procéder à aucune avance des créances visées aux articles L.3253-8 du code du travail et en ses dispositions relatives à l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,


Statuant à nouveau et y ajoutant,


Infirme la disposition du jugement ayant dit que l’AGS/CGEA ne devrait procéder à aucune avance des créances visées aux articles L.3253-8 du code du travail,


Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés par Monsieur B Y en première instance et en cause d’appel,


Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO la somme de 2.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais engagés par Monsieur C A en première instance et en cause d’appel,


Dit que les dépens de première instance et d’appel seront à la charge de la liquidation judiciaire de la SARL SEE DURANCE AUTO.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Cour d'appel d'Aix-en-Provence, Chambre 4-1, 8 avril 2022, n° 18/00716