Cour d'appel de Montpellier, 4° chambre sociale, 22 février 2012, n° 10/08557

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  • Transport·
  • Fins

Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

XXX

4° chambre sociale

ARRÊT DU 22 Février 2012

Numéro d’inscription au répertoire général : 10/08557

ARRÊT n°

Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 OCTOBRE 2010 CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE BEZIERS

N° RG08/00851

APPELANTE :

SA DES AUTOCARS GRV

prise en la personne de son représentant légal

XXX

XXX

Comparant en la personne de son représentant légal et représenté par Me Cyril CAMBON (avocat au barreau de NARBONNE)

INTIME :

Monsieur F X

XXX

34360 Q-R

Comparant et représenté par la SCP JANOT (avocats au barreau de GRENOBLE)

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 02 JANVIER 2012, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre

Monsieur Robert BELLETTI, Conseiller

Madame I J, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier, lors des débats : Mme Brigitte ROGER

ARRÊT :

— Contradictoire.

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de de la Cour, délibéré initialement prévu le 8 février 2012 et prorogé au 15 février 2012 puis au 22 février 2012, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du nouveau Code de Procédure civile ;

— signé par Monsieur Yves ROLLAND, Président de chambre, et par Mme Brigitte ROGER, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*

* *

FAITS ET PROCEDURE

Le 02 novembre 2000, F X a été embauché par la SA DES AUTOCARS GRV par contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité de conducteur receveur de car, niveau 9, coefficient 140 V de la Convention Collective Nationale des Transports Routiers et Activités Auxiliaires du Transport.

Le 20 octobre 2006 il a reçu un avertissement en ces termes: 'Le jeudi 5 octobre 2006.. vous avez 10 passagers debout alors que le doublage avait de nombreuses places disponibles, et comme si ce n’était pas suffisant, les deux conducteurs reculent et … prennent la sortie en sens interdit'.

Le 12 février 2007 un nouvel avertissement lui a été notifié en ces termes: 'Vous semblez ne pas tenir compte des divers avertissements que nous vous avons donnés concernant votre comportement professionnel d’une part et d’autre part nous vous rappelons notre règlement intérieur, article 9 (utilisation des installations, matériel par le personnel) ainsi que l’article 1ç (infractions au règlement).. En aucun cas vous devez utiliser l’autocar de notre société pour rejoindre Q R (articles 9 et 19 de notre règlement intérieur)'.

Un constat a été dressé les 29 et 30 septembre 2008 établissant que M. X était à nouveau rentré à son domicile avec le car au lieu de prendre les transports en commun pendant sa pose du midi.

Par lettre du 3 octobre 2008, la SA DES AUTOCARS GRV a convoqué M. X à un entretien préalable à son licenciement fixé au 13 octobre 2008.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 15 octobre 2008, M. X a été licencié le 15/10/2008 pour faute grave en ces termes : « les 29 et 30/09/2008, l’autocar C, qui vous était affecté ces jours là se trouvait en stationnement au Hameau de TUDERI 34360 ST R, alors qu’il aurait dû se trouver en stationnement à PUISSERGUIER ou à BEZIERS. Vous utilisez donc à des fins personnelles notre autocar et ce, malgré divers avertissements et notamment notre lettre recommandée avec accusé réception du 12/2/2007, et notre règlement intérieur article 9 (utilisation des installations, matériel par le personnel) et article 19 (infractions au règlement). Ces agissements causent un préjudice très important à notre société et les explications recueillies auprès de vous au cours de notre entretien du 13/10/2008, ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation à ce sujet.

Votre licenciement, sans indemnité de préavis ni de licenciement prend donc effet à compter de la date de la première présentation de cette lettre à votre domicile».

Contestant ce licenciement, F X a fait citer son employeur, la SA DES AUTOCARS GRV, devant le Conseil des Prud’hommes de BEZIERS et aux fins d’obtenir des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et des rappels de salaires et indemnités.

Par le jugement entrepris en date du 14 octobre 2010, le conseil de prud’hommes de BEZIERS, section encadrement, a condamné la société des AUTOCARS GRV à payer à F X les sommes de :

—  701,83 € à titre de prime de fin d’année et 70,18 € au titre des congés payés afférents,

—  3.124 € à titre d’indemnité de préavis et 312,48 € au titre des congés payés afférents,

—  2.499,52 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

—  18.746,40 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

—  1.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par lettre recommandée avec avis de réception du 25 octobre 2010 reçue par le greffe le 29 octobre 2010, la société AUTOCARS GRV a régulièrement interjeté appel à l’encontre de cette décision.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La Société des AUTOCARS G.R.V. conclut en demandant à la cour de : à titre principal dire le licenciement pour faute grave justifié, débouter M. X de l’ensemble de ses demandes, le condamner au paiement de la somme de 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ; à titre subsidiaire, limiter le montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 1.538,74€.

L’appelante fait essentiellement valoir que M. X avait déjà reçu des avertissements sanctionnant son utilisation du car à des fins personnelles mais il n’en n’a pas tenu compte : les 29 et 30 septembre 2008 il a utilisé une nouvelle fois le véhicule pour se rendre à son domicile alors même que cela est formellement interdit par l’article 9 du règlement intérieur ;

il ne justifie pas d’une raison légitime pour avoir violé la règle ; elle fait par ailleurs valoir qu’il y a une erreur dans le calcul de l’indemnité de licenciement.

M. F X conclut en demandant à la cour de confirmer le jugement entrepris sauf à parfaire sur le montant des dommages-intérêts, en conséquence de condamner la société des AUTOCARS G.R.V. à lui payer les sommes suivantes:

rappel de prime : 701,83 €

congés payés afférents : 70,18 €

indemnité de préavis : 3.124 €

congés payés afférents : 312,48 €

indemnité conventionnelle de licenciement : 2.499,52 €

indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 30.000 €

outre 1.500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens comprenant notamment les frais de constats d’huissier qu’il a dû engager dans le cadre de la présente procédure.

Pour un plus ample exposé des moyens et arguments des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites auxquelles elles se sont rapportées à l’audience.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le licenciement pour faute grave

La faute grave, dont la preuve incombe à l’employeur, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputable au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.

Si le dernier manquement professionnel constaté par l’employeur ayant donné lieu à un avertissement permet de retenir l’ensemble des précédents, même déjà sanctionnés, pour apprécier la gravité des faits reprochés au salarié, il appartient à l’employeur de rapporter la preuve de la faute grave qu’il impute au salarié dans la lettre de licenciement laquelle fixe les limites du litige.

En l’espèce, F X a été embauché en qualité de chauffeur à compter du 2 novembre 2000 et a plus particulièrement été affecté à la ligne L 203 SP2 sur laquelle intervenait également M. D, et en l’absence de l’un ou de l’autre MM. Z et A.

Le 12 février 2007, M. X s’est vu notifier un avertissement du fait qu’il s’était rendu chez lui à la fin de son service du matin avant de reprendre celui de l’après-midi par méconnaissance du règlement intérieur de l’entreprise que l’employeur a dit lui rappeler à cette occasion dans les termes suivants :

'En aucun cas vous devez utiliser l’autocar de notre société pour rejoindre Q R (articles 9 et 19 de notre règlement intérieur)'.

Le 29 septembre 2008 à 11 H 30, il a à nouveau utilisé le véhicule pour se rendre à son domicile à Q R pendant sa pause, comme l’a fait constater l’employeur par Maître B, huissier de justice à Q R.

C’est ainsi que l’employeur lui a notifié son licenciement pour faute grave pour des faits d’utilisation de l’autocar à des fins personnelles dans les termes précités en visant les articles 9 et 19 du règlement intérieur applicable dans l’entreprise.

Cependant, selon l’article 9 du règlement intérieur de l’entreprise intitulé 'Utilisation des installations, matériel par le personnel''le personnel doit utiliser les installations, le matériel roulant … qui sont mis à sa disposition et dont il est responsable, conformément aux instructions qu’il reçoit, avec autant de soin que s’ils étaient sa propriété. Il est interdit d’utiliser à des fins personnelles aucun document,… ni aucun véhicule de l’entreprise.

En cas de flagrant délit ou de suspicion grave, un droit de contrôle pourra être exercé, … tant sur la personne du salarié que sur le véhicule lui appartenant ou mis à sa disposition, par un officier de police judiciaire'.

Aux termes de l’article 19 du même règlement sont interdites toutes infractions au présent règlement et aux notes de services assimilées… Constituent notamment des infractions au présent règlement, sans que cette liste soit limitative, les faits suivants : .. .- transport de personnes démunies du titre de transport à bord des véhicules ou usage de ceux-ci à des fins personnelles à défaut d’y avoir été dûment autorisé par la Direction…'

L’expression 'à des fins personnelles’utilisée dans ces deux articles, et reprise comme motif de licenciement par l’employeur, ne fait pas l’objet d’une définition précise, elle est ambigüe et ne recouvre en tout cas pas avec certitude la situation d’un déplacement professionnel après le service du matin jusqu’à son domicile, avec un départ du domicile vers le lieu de travail dans l’après-midi, lequel s’analyse plutôt en un trajet travail-domicile et domicile-travail.

D’autres salariés, y compris ceux cités par l’employeur pour justifier du respect de la règle et aussi de l’application d’une sanction dans le cas contraire, ont eux aussi fait un usage de l’autocar confié pour leur service, pour se rendre à leur domicile pendant leur pause ou après leur travail avant la reprise le lendemain, ainsi :

— M. D qui faisait le même trajet que M. X a certes été sanctionné pour les mêmes faits le 12 février 2007, mais malgré son engagement de respecter la règle par courrier du 17 février 2007 et la réception de la note de service rappelant la règle interdisant d’utiliser le véhicule le 15 octobre 2009, il s’est vu reprocher cette utilisation à des fins personnelles ainsi que l’employeur l’a fait constater par voie d’huissier avant de le licencier pour faute grave ;

— M. Z a certes déclaré avoir utilisé le bus comme le souhaitait l’employeur en rentrant chez lui avec les transports en commun ; mais son témoignage est contredit à la fois par un constat d’huissier dressé par Maître B établissant le stationnement du bus devant son domicile à Q R le 20 octobre 2008 à 11 H 45 et par le témoignage de M. A, qui l’a remplacé comme il a remplacé également MM. X et D sur la ligne L 203 SP2 et qui confirme avoir utilisé le bus pour rentrer chez lui à Q R et repartir au travail ensuite en ces termes : 'Je soussigné A Serge employé à la GRV comme chauffeur receveur, témoigne ce jour en la faveur de mon collègue de travail M. X F. Je certifie quand faisant la ligne 203 SP2 en remplacement de M. X F et M. D L, comme M. Z N, je rentrais à mon domicile à Q R, après la fin de service à CAPESTANG à 8 H20. On faisait ce service en remplacement de congé ou maladie de M. D et de M. X. Lorsque je remplaçais M. Z sur la ligne 203 dont la ligne se terminait à Y, je rentrais à vide à Q R, je faisais de même pour la prise de service, car le bus était stationné devant le domicile de M. Z N, qui lui effectuait ce trajet toute l’année (Y-ST R et retour à VICH soit au total 36 KM). Apparemment pour M. Z le déplacement ne portait pas préjudice à l’entreprise. En tant que remplaçant, il se faisait de même sur toute les lignes, ce qui était courant dans tous les services.'

— La note de service du 15 octobre 2009, inopposable à M. X comme étant postérieure à son licenciement, rappelle l’article 12 du règlement intérieur sur l’interdiction formelle de se servir des véhicules de l’entreprise à des fins 'strictement’ personnelles ; elle n’a pas clarifié l’interdiction faite aux salariés puisqu’il y est noté à titre d’exemple d’un usage interdit le fait de faire 10 kms pour boire un café avec les copains qui coûte très cher à la société… : cette situation qui est qualifiable sans difficulté d’usage personnel se distingue clairement de celle dont la cour est saisie au regard des éléments ci-dessus rapportés mettant en évidence que M. X revenait ou se rendait à son travail.

— D’autres constats d’huissier produits par l’intimé, confirment d’ailleurs le stationnement d’un autocar de l’entreprise à Q R devant le domicile de salariés : c’est ainsi que Maître B a pu constater le 26 novembre 2010 à 9 H 30 le stationnement de l’autocar AM 698 NW à Q R quai de Villeneuve et le XXX à XXX et XXX le stationnement de l’autocar XXX à Q R rue de la Fabrique.

Ainsi, si l’utilisation des autocars 'à des fins strictement personnelles’ était interdite, la pratique en vigueur dans l’entreprise met en évidence l’existence d’une tolérance permettant aux chauffeurs d’utiliser leur autocar, pendant la pause de la mi-journée, pour effectuer les trajets travail-domicile et domicile-travail dans des conditions plus favorables que les transports en commun, tolérance que ne contredit pas le règlement intérieur trop imprécis sur ce point.

Dans de telles circonstances, il est sans intérêt de savoir qu’il était possible pour les chauffeurs de se rendre à Q R avec les transports en commun en laissant l’autocar à PUISSERGUIER ou à BEZIERS pour l’y reprendre après la pause ou que la rémunération de M. X était déterminée sur une base journalière de 7 heures alors qu’il était à la disposition de l’employeur entre 3 heures et 3 heures 30 minutes.

En conséquence, l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d’éléments objectifs et imputable au salarié de nature à fonder son licenciement pour faute grave ; dès lors, le doute profitant au salarié, le jugement entrepris est confirmé en ce qu’il a jugé que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Compte tenu de l’ancienneté du salarié (8 ans), de son âge (41 ans) , de son salaire au moment du licenciement, et en l’absence de pièces complémentaires sur sa situation professionnelle et personnelle après la rupture de son contrat de travail, il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu’il lui a alloué la somme de 18.746,40 € à titre de dommages-intérêts, juste réparation du préjudice qu’il a subi du fait du licenciement, outre celle de 3.124 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis et 312,48 € au titre des congés payés afférents ;

S’agissant de l’indemnité de licenciement, elle est discutée en appel par l’employeur qui sollicite la rectification du jugement déféré sur ce point: il demande à la cour de prendre en compte les 8 années d’ancienneté du salarié du 2 novembre 2000 au 17 octobre 2008, et compte tenu du salaire moyen perçu les trois derniers mois de (841,61 + 481,32 + 1.562,2/3 = 961,71 €), de retenir le droit à 2/10e de cette somme par an, soit un total de 1.538,74 €; cependant, cette application de l’article 14 de la convention collective applicable dans l’entreprise est moins favorable au salarié que la règle générale des douze derniers mois de l’article R. 1234-4 du Code du travail qu’il convient de retenir, de telle sorte que la demande de M. X à ce titre s’établit à 2.259,31 € par réformation du jugement déféré sur ce point.

Sur le rappel de prime de fin d’année

Le jugement déféré n’est pas critiqué en ce qu’il condamne la Société AUTOCARS G.R.V à payer à M. X la somme restant à percevoir, après paiement d’une quote part de 600 € en mai 2008, sur la prime de 1.301,83 € qui lui était due au titre de la prime de fin d’année de l’année 2008.

Il est en conséquence confirmé sur l’allocation de la somme de 701,83 € outre les congés payés y afférents de 79,83 € à ce titre.

Sur les autres demandes

Il y a lieu de faire supporter à l’appelante la charge des dépens d’appel, sans qu’il y ait lieu de faire droit à la demande de M. X tendant à voir compris dans ces dépens les frais des constats d’huissier qu’il a fait dresser au soutien de sa demande ; en revanche, ces coûts sont pris en compte dans l’indemnisation des frais irrépétibles tels qu’alloués en première instance et complétés en appel par application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile dans les termes du dispositif ci-après.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Réforme le jugement de la section Commerce du conseil de prud’hommes de BEZIERS en date du 14 octobre 2010 uniquement sur le quantum de l’indemnité de licenciement,

Statuant à nouveau dans cette limite,

Condamne la Société AUTOCARS G.R.V. à payer à F X la somme de 2.259,31 € au titre de l’indemnité de licenciement,

Confirme pour le surplus le jugement entrepris,

Condamne la Société AUTOCARS G.R.V. à payer à F X la somme supplémentaire de 1.200 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile en cause d’appel,

Déboute F X du surplus de ses demandes,

Condamne la Société AUTOCARS G.R.V. aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LE PRESIDENT

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