Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 5 janvier 2022, n° 19/22293

  • Sociétés·
  • Ententes·
  • Distributeur·
  • Consommateur·
  • Fournisseur·
  • Revente à perte·
  • Grande distribution·
  • Échange·
  • Manque à gagner·
  • Prix

Chronologie de l’affaire

Commentaires2

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

www.picart-law.com · 15 avril 2022

Retour aux articles du blogL'on se souvient de l'amende record de près d'un milliard d'euros prononcée contre les principaux fabricants de produits d'hygiène et d'entretien au titre de deux ententes anticoncurrentielles dans leurs relations commerciales avec la grande distribution (Décision ADLC n°14-D-19 du 18 décembre 2014) [1]. Ces entreprises, dont VANIA, ont ainsi coordonné leur politique commerciale entre 2003 et 2006 auprès de la grande distribution et leurs hausses de prix. A la suite de cette décision, Carrefour a assigné Vania pour réparation de ses préjudices du fait selon elle …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 4, 5 janv. 2022, n° 19/22293
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 19/22293
Décision précédente : Tribunal de commerce de Paris, 3 novembre 2019, N° 2017013952
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRET DU 05 JANVIER 2022

(n° , 18 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/22293 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CBDSY


Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 Novembre 2019 -Tribunal de Commerce de PARIS 04 – RG n° 2017013952

APPELANTE

SASU Z A prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social

[…]

[…]


N° SIRET : 333 29 7 7 60


R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N – G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477


Ayant pour avocat plaidant Me Inaki SAINT ESTEBEN de VIGUIE SCHMIDT & ASSOCIES AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : R145

INTIMEES

SAS B FRANCE prise en la personne de son représentant légal domcilié en cette qualité au siège social

[…]

[…]


N° SIRET : 672 05 00 85

SAS B C prise en la personne de son représentant légal domcilié en cette qualité au siège social

1 rue Jean Mermoz ZAE Saint-Guénault

[…]


N° SIRET : 451 32 1 3 35 SAS C.S.F prise en la personne de son représentant légal domcilié en cette qualité au siège social

[…]

[…]


N° SIRET : 440 28 3 7 52


Représentées par Me Emmanuel JARRY de la SELARL RAVET & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209


Ayant pour avocat plaidant Me Marie DE DROUAS de NIDDAM-DROUAS AVOCATS AARPI, avocat au barreau de PARIS, toque : A0162

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 22 Septembre 2021, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente

Mme Sophie DEPELLEY, Conseillère

Mme Camille LIGNIERES, Conseillère

qui en ont délibéré,

un rapport a été présenté à l’audience par Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Saoussen HAKIRI

ARRET :


- contradictoire


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Mme Marie-Laure DALLERY, Présidente, et par Mme Meggy RIBEIRO, Greffière placée présente lors du prononcé.

***


La société Z A (ci-après « la société Z ») a pour activité le commerce de produits d’hygiène féminine.


La SAS B France est la société holding pour la France du groupe B qui opère dans la grande distribution en France et à l’étranger, tandis que les SAS B C et CSF achètent les produits de la société Z distribués dans les magasins de l’enseigne (ci-après « les sociétés du groupe B »).


Par décision n° 14-D-19 du 18 décembre 2014 (ci-après « la Décision »), l’Autorité de la concurrence a sanctionné la société Z pour sa participation à une entente anticoncurrentielle dans le secteur des produits pour l’hygiène corporelle entre le 22 janvier 2003 et le 3 février 2006 dans la seule mesure indiquée aux points 982 et suivants et l’a condamnée à une sanction précunaire de 43,96 millions d’euros après réduction au titre de la non-contestation des griefs pour avoir enfreint les dispositions de l’article 81, paragraphe 1, du traité CE, devenu l’article 101, paragraphe 1, du TFUE, et de l’article L. 420-1 du code de commerce. La cour d’appel de Paris a confirmé la Décision à l’égard de la société Z par un arrêt définitif du 27 octobre 2016.


L’entente, qui visait pour les fournisseurs en cause à maintenir leurs marges par une concertation sur les prix des produits d’hygiène pratiqués à l’égard de la grande distribution, a été qualifiée d’unique, complexe et continue sur le marché français de l’approvisionnement en produits d’hygiène.


Par acte d’huissier en date du 23 janvier 2017, les sociétés B ont assigné la société Z aux visas des articles 114, 117, 119, 122 et 648 du code de procédure civile, de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), des articles L.420-1, L.462-7 et L.481-7 du code de commerce et de l’article 1240 du code civil, à l’effet d’obtenir réparation des préjudices subis du fait de la participation de la société Z à cette entente.

Par jugement du 4 novembre 2019, le tribunal de commerce de Paris a statué en ces termes :


-'dit que l’action des sociétés B FRANCE, B C et CSF est recevable, car non prescrite,


-dit que Z A SAS a commis une faute civile,


-dit le lien de causalité entre la faute de Z A SAS et le préjudice des sociétés B FRANCE, B C et CSF établi,


-condamne Z A SAS à payer aux sociétés B FRANCE, B C et CSF la somme de 2 millions d’euros à titre de dommages et intérêts, outre les intérêts au taux légal à compter du 4 février 2006 jusqu’à parfait paiement, et déboute pour le surplus,


-condamne Z A SAS à payer à des sociétés B FRANCE, B C et CSF la somme de 60 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,


-déboute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,


-ordonne l’exécution provisoire de la décision,


-condamne Z A SAS aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 182,12 € dont 30,14 € de TVA.'


Par déclaration du 3 décembre 2019, la société Z a interjeté appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de la société Z déposées et notifiées le 19 juillet 2021, par lesquelles il est demandé à la cour de :

Vu les articles 1240 et 2224 du Code civil,

1. A titre principal :


-Infirmer le jugement en ce qu’il de’boute la socie’te’ Z de son exception d’irrecevabilite ;


-Infirmer le jugement en ce qu’il condamne la société Z a’ payer aux socie’te’s B la somme de 60 000 € au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile et aux de’pens;


Statuant a’ nouveau,


De’clarer irrecevable comme prescrite l’action des sociétés B ;
2. A titre subsidiaire :


Infirmer le jugement en ce qu’il a :

« dit que l’action des socie’te’s B FRANCE, B C et CSF est recevable, car non prescrite » ;

dit que Z A SAS a commis une faute civile ;

dit le lien de causalite’ entre la faute de Z A SAS et le pre’judice des socie’te’s B FRANCE, B C et CSF e’tabli ;

condamne Z A SAS a’ payer aux socie’te’s B FRANCE, B C et CSF la somme de 2 millions € a’ titre de dommages et inte’rêts, outre les inte’rêts au taux le’gal a’ compter du 4 fe’vrier 2006 jusqu’a' parfait paiement ;

condamne Z A SAS a’ payer a’ des socie’te’s B FRANCE, B C et CSF la somme de 60 000 € au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile ;

de’boute les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires », mais uniquement lorsqu’il de’boute la socie’te’ Z A SAS de ses demandes ;

ordonne l’exe’cution provisoire de la de’cision

condamne Z A SAS aux de’pens, dont ceux a’ recouvrer par le greffe, liquide’s a’ la somme de 182,12 € dont 30,14 € de TVA. »


Statuant à nouveau,


Dire et juger que les sociétés B ne rapportent pas la preuve d’une faute commise par la société Z, d’un pre’judice direct et certain et d’un lien de causalite’ direct et certain entre les deux ;


De’bouter les sociétés B de l’ensemble de ses demandes

3. En tout e’tat de cause,


Dire et juger que l’appel incident des sociétés B devra être intégralement rejete', les en de’bouter ;


Dire et juger que les sociétés B seront de’bouté’es de leur demande de renvoi d’une question pre’judicielle à’ la Cour de Justice de l’Union européenne (désignée ci-après par CJUE) ;


Condamner les sociétés B a’ verser a’ la société Z la somme de 110.000 euros au titre de l’article 700 du code de proce’dure civile ;


Condamner les sociétés B aux entiers de’pens dont distraction au profit de la société Lexavoué Paris-Versailles.

Vu les dernières conclusions des sociétés B déposées et notifiées le 3 juin 2021, par lesquelles il est demandé à la cour d’appel de Paris de :

Vu l’article 1240 du Code civil, Vu l’article L.420-1 du Code de commerce, Vu les article 101 et 267 du Traite’ sur le Fonctionnement de l’Union Europe’enne,


De’clarer la société Z mal fonde’e en son appel ;


De’clarer la société Z mal fonde’e en toutes ses demandes, fins et conclusions et l’en de’bouter purement et simplement ;


Confirmer le jugement en ce qu’il a :
- de’boute’ la société Z de son exception d’irrecevabilite’ ;


- retenu l’existence d’une faute ;


- dit que le lien de causalite’ direct entre la faute et le pre’judice est e’tabli ;


-condamne’ la société Z a’ verser aux sociétés B la somme de 60.000 euros au titre de l’article 700 du Code de proce’dure civile;


- condamne’ la société Z aux de’pens, dont ceux a’ recouvrer par le greffe, liquide’s a’ la somme de 182,12 euros dont 30,14 euros de TVA.


L’infirmer pour le surplus et, statuant a’ nouveau :


- condamner la société Z a’ verser aux sociétés B la somme nominale de 10 millions d’euros assortie de l’inte’rêt le’gal a’ compter du 1er janvier 2005 a’ hauteur de 4,8 millions d’euros, a’ compter du 1er janvier 2006 a’ hauteur de 4 millions d’euros et a’ compter du 1er janvier 2007 a’ hauteur de 1,2 million d’euros jusqu’a' parfait paiement ;


- a’ titre subsidiaire, condamner la société Z a’ verser aux sociétés B la somme nominale de 7,2 millions d’euros assortie de l’inte’rêt le’gal a’ compter du 1er janvier 2005 a’ hauteur de 3 millions d’euros, a’ compter du 1er janvier 2006 a’ hauteur de 3,8 millions d’euros et a’ compter du 1er janvier 2007 a’ hauteur de 0,4 million d’euros jusqu’a' parfait paiement ;


- a’ titre tre’s subsidiaire, condamner la société Z a’ verser aux sociétés B la somme nominale de 2,1 millions d’euros assortie de l’inte’rêt le’gal a’ compter du 1er janvier 2007 jusqu’a' parfait paiement ;


- a’ titre infiniment subsidiaire, poser a’ la CJUE la question pre’judicielle suivante : « Le fait d’exiger que la victime d’une entente ne puisse obtenir re’paration du pre’judice qui en de’coule que si elle rapporte la preuve comptable qu’elle n’a pas re’percute’ le manque a’ gagner sur le consommateur, alors que la victime n’est pas en mesure de fournir une telle preuve, est-il contraire a’ l’article 101 TFUE et a’ son principe d’effectivite’ ' »


Y ajoutant,


- condamner la société Z a’ verser aux sociétés B la somme de 100.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de proce’dure civile ;


- condamner la société Z a’ verser aux sociétés B les entiers de’pens de l’instance.

SUR CE, LA COUR

Sur la prescription


La société Z se prévaut des dispositions de l’article 2224 du code civil et des termes du jugement du 1er octobre 2019 du tribunal de commerce de Paris pour en déduire que la de’termination du point de de’part du de’lai de prescription repose sur une appréciation in concreto par le juge des faits de l’espèce.


Elle fait état à cet égard :


- de nombreux articles de presse relatant dès le mois de fe’vrier 2008, l’existence d’une enquête de l’Autorité de la concurrence dans les secteurs des produits d’entretien et d’hygie’ne,


- d’un arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2011 qui a confirme’ son implication dans les pratiques,


-.du fait que, dans le cadre de l’instruction de l’affaire, les rapporteurs de l’Autorite’ ont auditionné les responsables des achats du secteur Droguerie, Parfum, Hygiène des sociétés B.
Ainsi, selon la société Z, au plus tard à la date du proce’s-verbal d’audition des sociétés B par les rapporteurs de l’Autorité, soit le 21 novembre 2011, les sociétés B savaient que la société Z avait pris part a’ des pratiques qui, ayant e’te’ de’nonce’es dans le cadre de proce’dures de cle’mence, allaient ne’cessairement donner lieu a’ une de’cision de sanction de l’Autorite'.


Elle ajoute que ce délai n’a pas été interrompu par l’ouverture d’une procédure devant l’Autorité de la concurrence, l’article L. 462-7 aline’a 4 du code de commerce qui prévoit l’interruption de la prescription n’étant applicable qu’aux saisines de l’Autorité de la concurrence postérieures a’ son entre’e en vigueur le 19 mars 2014.


Les sociétés B rétorquent, en se fondant également sur les dispositions de l’article 2224 du code civil mais aussi sur un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 27 janvier 2021 (pourvoi n°18-16.279), qu’en matie’re d’entente anticoncurrentielle entre concurrents, le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation est la date de condamnation de l’Autorité. Selon elles, ni des articles de presse ni des informations communique’es par les services d’instruction ne peuvent révéler l’existence d’un préjudice réparable. Elles font observer, en outre, que les articles communique’s par la société Z ne la citent à aucun moment parmi les sociétés soupçonnées d’être impliquées dans une entente anticoncurrentielle. En outre, l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mai 2011 cité par la société Z ne contient aucun élément permettant d’établir que Z était coupable de pratiques anticoncurrentielles. Par ailleurs, les sociétés B ajoutent que, saisis exactement de la même question et se prononçant à l’aune du même procès-verbal d’audition du 27 juin 2011, deux autres jugements concernant deux autres fournisseurs de produits d’hygie’ne ont retenu pour point de de’part la date de la De’cision.


Elles ajoutent, s’agissant de l’interruption de la prescription, que, conformément à l’article 2222 du code civil, la prescription de l’action en responsabilité n’étant pas encore acquise à la date du 19 mars 2014, elle aurait été automatiquement interrompue du fait de l’existence d’une procédure devant l’Autorité puis devant la cour d’appel de Paris, de sorte que le de’lai de prescription n’aurait commencé à courir qu’à la date à laquelle la De’cision est devenue de’finitive, soit à la date de l’arrêt du 27 octobre 2016.

Sur ce,


L’article 2224 du code civil modifié par la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, dispose que : «Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer».


En l’espèce, si les sociétés intimées pouvaient soupçonner avoir été victimes d’une entente anticoncurrentielle par le biais d’articles de presse et, plus précisément, lors de leur audition par les services de l’Autorité de la concurrence le 27 juin 2011, non seulement la matérialité des faits, mais encore l’identification des entreprises ayant pris part à l’entente n’étaient alors pas précisées, si bien qu’elles n’étaient pas dans la situation de pouvoir exercer une action en justice contre la société Z.


Ce n’est que lorsque l’Autorité de la concurrence a rendu sa décision, le 18 décembre 2014, constatant et établissant dans ses éléments factuels et juridiques la pratique incriminée, que les sociétés du groupe B ont pu connaître les faits leur permettant d’exercer une action indemnitaire.


La Cour retient comme le font justement valoir les sociétés B, que le délai de prescription de l’action court à compter de la date de la décision de l’Autorité de la concurrence, soit en l’espèce le 18 décembre 2014, date à laquelle l’Autorité a sanctionné la société Z pour sa participation à une entente anticoncurrentielle entre 2003 et 2006.
En conséquence, la prescription quinquennale n’était pas acquise lorsque les sociétés B ont assigné la société Z par acte du 23 janvier 2017 devant le tribunal de commerce en réparation du préjudice causé par les pratiques anticoncurrentielles reprochées à l’intéressée.


Le jugement est confirmé de ce chef.

Sur le bien fondé de la demande en dommages-intérêts des sociétés B


Ainsi que l’a justement indiqué le tribunal, il appartient aux sociétés B qui se prétendent victimes d’un dommage causé par les pratiques anticoncurrentrielles de la société Z de démontrer l’existence d’une faute civile, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice invoqué.


Il sera observé à cet égard que la disposition de la directive 2014/104/UE du 26 novembre 2014 (article 17 paragraphe 2 ) selon laquelle il est présumé que les infractions commises dans le cadre d’une entente causent un préjudice (transposé en droit français par l’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 introduisant dans le code du commerce les dispositions de l’article L481-4 ) est de nature substantielle car elle affecte directement la situation juridique de l’auteur de l’infraction concernée.


En effet, en attribuant la charge de la preuve à l’auteur de l’infraction et en dispensant la victime de l’obligation de prouver l’existence d’un préjudice subi en raison de la pratique anticoncurrentielle ou d’un lien de causalité entre ce préjudice et cette pratique, cette présomption, n’a pas une finalité purement probatoire, mais est directement liée à l’attribution de la responsabilité civile extracontractuelle à l’auteur de l’infraction concernée et, en conséquence, affecte directement sa situation juridique. Aussi, en considération de sa nature substantielle, l’article 22 paragraphe 1 de la directive s’oppose à ce que cette présomption établie par l’article 17 paragraphe 2 s’applique rétroactivement, aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la norme nationale de transposition.


Toutefois, les juges nationaux doivent vérifier la compatibilité de la norme nationale applicable avec le principe d’effectivité du droit européen. Or, l’article 101 TFUE a un effet direct et les principes de la responsabilité extra-contractuelle en droit français permettent à la personne lésée de demander réparation intégrale du préjudice subi et laisse aux juges nationaux une appréciation souveraine du préjudice. Il en résulte que l’exercice du droit à réparation garanti par le traité [FUE] selon les principes de la responsabilité civile de droit commun n’est pas excessivement difficile ou pratiquement impossible.


Les pratiques illicites en cause ayant été commises entre 2003 et 2006, soit antérieurement à la date de transposition de la directive 2014/104/UE, le 9 mars 2017, il ne peut être fait application dans le cadre du présent litige des présomptions légales insérées depuis 2017 à l’article L481-4 du code de commerce et les dispositions de l’article 1240 du code civil sont applicables.

Sur la faute civile


La société Z soutient qu’une condamnation par l’Autorité ne suffit pas à démontrer l’existence d’une faute civile. Elle estime que son implication dans des échanges d’informations qui auraient pu avoir une incidence sur la négociation commerciale avec les sociétés B n’a pas été établie par la Décision. Elle dit que son recours à la procédure de non-contestation des griefs n’emporte aucune reconnaissance par elle des pratiques reprochées et cite, pour appuyer ses prétentions, l’étude thématique pour le rapport annuel de 2005 du Conseil de la concurrence. Selon elle, les sociétés B doivent démontrer les raisons pour lesquelles sa participation individuelle aux pratiques sanctionnées par l’Autorité est constitutive d’une faute civile à son encontre spécifiquement, et serait de nature à causer un préjudice, ce qu’elles ne font pas.
Mais, aux motifs justes et pertinents des premiers juges adoptés, la Cour ajoute que les nombreux indices relevés par l’Autorité et la Cour d’appel mettent en évidence la réalité de la faute civile imputable à la société Z. Tel est le cas des preuves d’échanges d’informations nombreuses et substantiellles entre fournisseurs auxquels a pris part la société Z ayant eu une incidence sur la négociation commerciale avec les sociétés B.


A cet égard, il sera relevé que :


- l’entente avait pour objet, par la concertation, de maintenir les ristournes de fin d’année, exprimées en pourcentage du prix initial, ou marges arrière des produits d’hygiène obtenues par les distributeurs auprès des fournisseurs à son niveau le plus bas et la cour a retenu que l’information sur la dérive (évolution annuelle des marges arrière) présentait en elle-même un caractère stratégique et sensible puisqu’elle constituait le principal élément de la marge des distributeurs et permettait de dicter aux fournisseurs leurs comportements individuels en matière de prix,


- la société Z a participé à 20 réunions (sur les 24) du cercle Team PCP entre le 7 juillet 2003 et le mois de janvier 2006, à 7 échanges de correspondance et à un contact trilatéral le 22 janvier 2003 ( notamment point 399 de l’arrêt), dont 9 réunions portant sur la dérive à accorder,


-le directeur commercial de la société Z a précisément reconnu les avantages que lui procuraient les pratiques anticoncurrentielles dans ses négociations avec les distributeurs (points 510, 691, 694 et 695 de la Décision), indiquant notamment concernant la réunion Team PCP du 9 novembre 2014 que 'les échanges ont pu générer une homogénéité des hausses. Le fait de se cotoyer crée une certaine convergence entre nous, dans nos conditions commerciales (tarifs notamment) même s’il peut y avoir une part de bluff', ou encore concernant les échanges d’informations sur les hausses tarifaires passées et futures, que 'lors de mes négociations, je pouvais me servir de cette information pour être plus strict(…)'.


- la Cour dans sa décision définitive (point 227) a retenu que ces échanges ont porté sur les hausses de tarifs à venir ainsi que sur les dérives et ont permis aux fournisseurs de prendre des positions communes par rapport aux distributeurs.


Ainsi, il est établi à suffisance que l’infraction constitutive d’une entente dont l’existence a été constatée par l’Autorité de la concurrence ainsi que la Cour dans son arrêt confirmatif et qui a été imputée à la société Z a bien été commise par cette dernière et qu’elle a eu un effet anticoncurrentiel.


La violation par la société Z des articles 101 du TFUE et L420-1 du code de commerce constitue une faute civile délictuelle au sens de l’article 1240 du code civil.

Sur l’existence d’un dommage certain lié à l’entente


Il convient de rechercher en premier lieu l’existence d’un préjudice de diminution des marges arrière due à l’entente, et en second lieu l’absence de répercussion de la diminution des marges arrière sur la marge avant.


- Sur le préjudice de diminution des marges arrière due à l’entente


La société Z dénie toute présomption d’un lien de causalité dans le cadre d’une entente entre concurrents.


Elle soutient ensuite que les éventuelles victimes des pratiques d’entente ayant porté sur les hausses de tarifs n’ont pu être que les consommateurs et non les distributeurs.
Elle fait valoir que s’agissant des échanges impliquant la société Z et visant les sociétés B, ceux-ci concernent un contact trilatéral et neuf réunions sur les quatre années concernées par les pratiques :


- que lors de l’échange trilatéral du 22 janvier 2003, elle n’a pas obtenu d’informations sur la dérive des deux autres sociétés présentes pendant l’échange et le jugement a retenu que la marge arrière des sociétés B n’a pas pu être impactée pour l’année 2003,

. que les réunions des 7 juillet et 18 septembre 2003 sont postérieures à la fin des négociations pour l’année 2003 et antérieures aux négociations pour l’anne’e 2004,


- que lors des réunions des 5 octobre et 9 novembre 2004, les distributeurs ont ouvert les négociations en imposant aux fournisseurs un point de départ de négociation sur la dérive et ont porté sur les modalités de mise en 'uvre de l’Engagement Sarkozy, ajoutant que ces informations réduites, générales et imprécises, ne lui ont pas permis d’en déduire la dérive négociée par les fournisseurs avec les sociétés B,


- que pendant les réunions des 9 mars, 11 juillet et 7 de’cembre 2005, elle n’a pas obtenu d’informations sur le niveau de la dérive négocié par les autres participants avec les sociétés B, que ces réunions sont intervenues poste’rieurement au terme des négociations commerciales pour l’année 2005 et bien avant le début des négociations pour 2006.


- qu’au cours de la réunion du 11 avril 2005, elle n’a obtenu que des informations imprécises et non chiffrées, selon lesquelles les fournisseurs concernés avaient négocié avec les sociétés B une dérive faible.


Elle fait grief au jugement entrepris d’établir un lien de causalité entre ses pratiques et le préjudice invoqué par les sociétés B en se fondant sur le fait que toutes les entreprises de la grande distribution ont subi les effets de l’entente alors que la mission de l’Autorité est de démontrer que ces pratiques ont eu, soit un objet anticoncurrentiel, soit un effet anticoncurrentiel potentiel et que le dommage à l’économie ne se confond pas avec les préjudices individuels. Elle ajoute que l’Autorité n’a pas quantifié un surprix ou une baisse des marges arrière des distributeurs.


Elle soutient aussi que le pouvoir de négociation des sociétés B remet en cause l’existence d’un lien de causalite’ entre les informations échangées et le préjudice allégué puisque les sociétés B pouvaient abréger les négociations en déréférençant des produits, citant à cet égard un déférencement datant d’octobre 2006 qui montre que les sociétés B considèrent le déréférencement comme un levier normal de la négociation.


Enfin, la société Z fait valoir que dans un arrêt du 10 mai 2017, cette Cour a expliqué que si le pre’judice est susceptible de trouver son origine dans d’autres faits que les pratiques anticoncurrentielles, il n’existe pas de lien de causalite’ suffisamment direct et certain. Or, les tentatives de réformes de la loi Galland qui sont intervenues pendant la pe’riode des pratiques peuvent expliquer une éventuelle moindre hausse des marges arrie’re tandis que l’engagement Sarkozy est susceptible d’expliquer, au moins pour partie, les raisons pour lesquelles la dérive a pu être contenue sur certains produits en 2004 et 2005 et que la loi Dutreuil II a permis aux distributeurs de réinte’grer dans le calcul du seuil de revente à perte une partie de la marge arrie’re.


Mais, s’il appartient aux sociétés victimes de démontrer l’existence d’un lien de causalité entre la pratique anticoncurrentielle en cause et le dommage allégué, il résulte à suffisance de la Décision et de l’arrêt confirmatif de la Cour, un faisceau d’indices permettant d’établir un lien direct entre la perte de marge-arrière et l’entente sanctionnée.


Ainsi, l’arrêt retient que ces échanges ont porté sur les politiques commerciales des fournisseurs et le déroulement des négociations avec les enseignes de la grande distribution, que ceux-ci visaient à diminuer l’incertitude inhérente à toute négociatioon commerciale et à améliorer la position des fournisseurs dans leurs discussions avec les distributeurs, que ces échanges d’information renforçaient l’assurance des industriels dans leur négocation avec les distributeurs et favorisaient l’acceptation par les acheteurs de la grande distribution des propositions de tarifs et de dérive de coopération commerciale de leurs fournisseurs. Il en résulte que les entreprises concernées parvenaient à modifier significativement à leur profit le résultat de la négociation.


A cet égard, il sera observé au titre de la participation de la société Z à des réunions portant sur la dérive de marges arrière :


- le contact trilatéral du 22 janvier 2003 qui a constitué selon l’Autorité le premier échange sur les demandes de dérive ;


- les réunions des 7 juillet et 18 septembre 2003, au cours desquelles les sociétés se sont mises d’accord sur le fait que chacune d’elles n’accorderait pas ou peu de dérive en 2004, étant observé que les échanges d’informations sur la dérive au stade préliminaire des négociations a eu pour effet de diminuer l’incertitude inhérente à toute négociation commerciale et à améliorer la position des fournisseurs dans leurs discussions avec les enseignes de la grande distribution et donc avec les sociétés du groupe B ;


- les réunions des 5 octobre et 9 novembre 2004, au cours desquelles la société Z a communiqué son niveau de dérive pour l’année 2005 et a obtenu de ses concurrents des informations précises et utiles qui lui ont permis de limiter sa dérive vis-à-vis de ses distributeurs, de sorte que sans ces échanges les sociétés B auraient obtenu un niveau de dérive supérieur à ce qu’elles ont effectivement obtenu ;


- les réunions du 1er juillet 2004 et du 5 octobre 2004, au cours desquelles la société Z et ses concurrents se sont entendus sur la mise en 'uvre et la sortie de l’Engagement Sarkozy ;


- les réunions intervenues en 2005 et début 2006, à une périodicité élevée, étant observé que même en l’absence d’échanges sur un niveau précis de dérive, les participants ont adopte’ un comportement homogène en décidant de limiter la dérive accordée, faussant ainsi les négociations.


Il sera ajouté que la Décision qui retient les effets anticoncurrentiels de l’entente, ne fait aucune distinction entre les entreprises sanctionnées et considère que toutes les entreprises de la grande distribution ont subi à des degrés divers les effets de l’entente.


Par ailleurs, les sociétés du groupe B font justement valoir s’agissant du pouvoir de négociation de la société Z notamment que celle-ci détient des marques incontournables et à forte notoriété telles que Z, Net, Demak-up, X, étant observé qu’il n’est pas justifié d’un déréférencement avant la fin de l’année 2006.


Enfin, il n’est pas démontré que les réformes de la loi Galland a eu une incidence sur le niveau des marges arrie’re des distributeurs de nature à expliquer l’évolution anormale de leurs marges arrie’re.


- Sur l’absence de répercussion de la diminution des marges arrière sur la marge avant


La société Z rappelle que le demandeur à une action indemnitaire doit rapporter la preuve d’un pre’judice direct, actuel et certain.


Elle soutient que :


- pèse sur les sociétés Carrafour, la charge de la preuve de l’absence de répercussion du surcoût.
Faisant valoir que la directive du 26 novembre 2014 prévoit qu’il n’existe aucune contradiction entre le principe d’effectivité et le fait de mettre à la charge du demandeur la preuve de la non répercussion du surcoût et que la jurisprudence en matière de répercussion des surcoûts ne rend pas impossible l’exercice du droit à réparation, citant à cet égard l’arrêt de la Cour du 27 fe’vrier 2014 retenant que les demandeurs ont rapporté la preuve de l’absence de répercussion de leur surcoût ;


- le tribunal qui a écarté la méthode de calcul des sociétés B fondée sur le chiffre d’affaires global, aurait dû conclure à l’absence de preuve rapportée de l’existence d’un préjudice, invoquant à cet égard le jugement du 20 fe’vrier 2020 du tribunal de commerce de Paris ainsi que les arrêts de la Cour Plasti Temple c/ Carpenter du 8 juillet 2020 et Johnson & Johnson Santé Beauté France /les sociétés B du 14 avril 2021 ;


- la question préjudicielle des sociétés B ne doit pas être transmise à la CJUE au visa de l’article 267 du TFUE et de l’arrêt de la Cour du 21 janvier 2021, citant en outre un arrêt de la Cour du 27 février 2014 ayant rejeté une demande de question préjudicielle similaire au motif que la preuve incombant au demandeur n’étant ni impossible, ni excessivement difficile.


Les sociétés B rétorquent :


- avoir évalué leur préjudice en fournissant devant le tribunal une analyse économique solide et estiment, en se fondant sur deux arrêts de la Cour des 6 février 2019 et 27 mai 2015, que même si elles n’étaient pas parvenu à le calculer, cela ne conduirait pas au rejet de leur demande indemnitaire, citant également la directive du 26 novembre 2014 et la fiche méthodologique n°10 b de la Cour ;


- que le tribunal a rappelé que le contexte législatif en vigueur à l’époque des pratiques empêchait les distributeurs de réaliser une marge avant en ce que la fixation du seuil de revente à perte via le prix net permettait au fournisseur de fixer un prix plancher au-dessous duquel aucun distributeur ne pouvait vendre, que le fournisseur avait intérêt à fixer un seuil de revente à perte anormalement élevé afin que tous les distributeurs fixent leur prix de vente au consommateur exactement au niveau du seuil de revente à perte, de sorte que la marge avant des distributeurs était en pratique nulle, ce dont elles déduisent que la the’orie de la répercussion du surcoût ne peut pas s’appliquer, ajoutant à cet égard que c’est la société Z et non les sociétés B qui contrôlait directement les prix de vente aux consommateurs ;


- que les arrêts de la CJCE du 9 novembre 1983 et du 2 octobre 2003 prévoient, en application du principe d’effectivité, que toutes modalités de preuve d’une répercussion fixées par les ordres juridiques nationaux en vertu de l’autonomie procédurale ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’obtention du remboursement de taxes déclarées contraires au droit de l’Union ;


- que la théorie du passing-on en matière de réparation de pratiques anticoncurrentielles a été pour la première fois envisagée par la Commission dans son Livre vert de 2005, comme un moyen de défense pesant sur l’auteur des pratiques et jamais sur le demandeur, de sorte que la directive du 26 novembre 2014 n’a fait que consacrer des principes déjà existants en droit européen et que la consécration de ces principes explique le revirement de jurisprudence opéré par les juridictions françaises par deux arrêts de la Cour du 6 février 2019 et du 20 septembre 2017, faisant peser sur le défendeur la charge de la preuve de la répercussion du surcoût pour des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la directive du 26 novembre 2014, citant à cet égard les fiches pratiques 10 a et 10 b de la Cour, de sorte que selon elles, si la directive du 26 novembre 2014 n’est pas applicable rationae temporis, les principes d’équivalence et d’effectivité doivent conduire la Cour à appliquer les principes dégagés par cette directive relatifs à la répercussion du surcoût, citant à cet égard l’arrêt Cogeco de la CJUE du 28 mars 2019 ;


- afin de respecter le principe d’effectivité de l’article 101 du TFUE, les juridictions nationales doivent veiller à ce que ni la charge ni le niveau de la preuve requis pour la quantification du préjudice ne rendent l’exercice du droit à des dommages et intérêts pratiquement impossible , de sorte qu’en exigeant des sociétés B la production d’une preuve comptable, la Cour dans son arrêt Laboratoire Vendôme a rendu l’exercice de leur droit à réparation impossible s’agissant de comparer les prix de vente aux consommateurs aux prix de vente net produit par produit sur des milliers de ligne de 2004 à 2006, outre qu’elles ne disposent plus de ces donne’es qu’elles conservent dix ans ;


- que même sous l’ancien standard de preuve, la charge de la preuve ne pesait sur le demandeur que si la répercussion des coûts était la pratique commerciale habituelle et normale, se fondant à cet égard sur l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 15 mai 2012, et qu’en l’espèce, il a été précisément démontré que la répercussion de leur manque à gagner résultant de marges arrière moindres du fait de l’entente ne peut en aucun cas être une pratique habituelle et normale puisque le cadre législatif de l’époque ne permettait pas de réaliser de marge avant ;


- que le lien causal entre le surcoût et sa répercussion doit être évident, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisqu’il n’existe pas de lien causal entre une baisse des marges arrière et une augmentation de la marge avant ;


- que toute personne ayant subi un préjudice causé par une infraction à l’article 101 ou 102 du TFUE a le droit d’obtenir réparation de ce pre’judice, de sorte que l’impossibilite’ de produire les documents demandés ne doit pas conduire à rejeter leurs demandes ;

Sur ce,


Ainsi que le fait à bon droit valoir la société Z, la charge de la preuve d’un préjudice direct, certain et actuel pèse sur le demandeur à l’action indemnitaire.


En l’espèce, les sociétés B soutiennent que la faute commise par la société Z du fait de sa participation à l’entente anticoncurrentielle sur les produits d’hygiène a eu pour effet de limiter les marges arrière qu’elles auraient obtenu si les négociations n’avaient pas été biaisées produisant à cet égard une étude de la société Oxera combattue par la société Z laquelle verse aux débats un rapport du cabinet Leconomics selon lequel aucun préjudice ne résulterait d’une telle pratique.


La société Z fait notamment valoir que selon le cabinet Lecconomics et l’Autorité de la concurrence, les taux de marge arrière n’ont jamais diminué sous le régime de la loi Galland, ajoutant que le taux de marge arrière qu’elle a réellement versé aux sociétés B a augmenté pendant les pratiques.


Il appartient à la Cour de vérifier si le distributeur a, en tout ou partie, répercuté sur les consommateurs les manques à gagner résultant de l’entente prohibée sur les marges-arrière commise par la société Z, afin de ne pas consacrer un enrichissement sans cause du fait de l’allocation de dommages-intérêts.


La Cour rappelle qu’il était acquis dès avant l’entrée en vigueur de la directive que la répercussion des coûts est la pratique commerciale habituelle et normale.


Ainsi qu’il a été indiqué, l’ordonnance du 9 mars 2017 transposant la directive du 26 novembre 2014 qui présume notamment que la victime n’a pas répercuté le surcoût, n’est pas applicable à la cause, les faits générateurs de responsabilité invoqués étant survenus antérieurement au 11 mars 2017.


Les sociétés B, demanderesses à l’indemnisation doivent prouver, au titre de la démonstration de leur préjudice, qu’elles n’ont pas répercuté sur le consommateur le manque à gagner résultant des marges arrière minorées du fait de l’entente sanctionnée.
En effet, la loi Galland du 1er juillet 1996 dans le cadre de laquelle les pratiques en cause se sont déroulées, si elle a fixé le seuil de revente à perte au niveau du prix net facturé par le fournisseur, conduisant à faire de ce prix net un prix de revente minimum pour le distributeur; n’interdisait pas au distributeur de revendre ses produits au-dessus du seuil de revente à perte et ainsi de dégager une marge avant.


Le prix minimal auquel le distributeur pouvait revendre ses produits aux consommateurs a eu pour conséquence un alignement à la hausse des tarifs bruts appliqués par les fournisseurs aux distributeurs.


Et il est constant que ni la circulaire Dutreil du 16 mai 2003 visant à inciter les opérateurs à réduire les taux de marge au profit de la marge avant, ni les accords dits 'Sarkozy’ du 17 juin 2004 visant à une baisse des prix de vente aux consommateurs, n’ont eu le plein effet escompté.


Enfin, la loi Dutreuil II du 2 août 2005 qui a modifié la loi Galland en réintroduisant une partie des marges arrière dans le seuil de revente à perte, n’a eu d’effet sur l’équilibre des négociations qu’à partir de l’année 2006.


Il ne peut ainsi se déduire de ce contexte législatif et réglemantaire ni que la société Z contrôlait directement les prix de vente des distributeurs aux consommateurs, ni que toute répercussion du manque à gagner sur les prix de vente aux consommateurs était impossible.


A cet égard, le rapport sur 'la négociabilité des tarifs et des conditions générales de vente’ du 12 février 2008 de Mme Y (pièce 17) , s’il relève que la mise en oeuvre de la loi Galland a conduit à un déplacement des négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs sur la marge arrière, ne permet pas d’en déduire que les prix de vente auraient été fixés par les distributeurs sans aucune marge avant.


Il appartient aux sociétés B d’établir que le seuil de revente à perte était tellement élevé qu’il ne leur permettait pas de fixer un prix de vente aux consommateurs au dessus de ce seuil, de sorte que la seule marge commerciale qui leur restait acquise était celle correspondant aux marges arrière négociées.


La société Z fait valoir que les sociétés B prétendent ne plus disposer des données de marge arrie’re de l’époque des pratiques alors que leur rapport économique indique le contraire.


A cet égard, la Cour observe que le rapport Oxera retient comme approche une comparaison de la valeur des marges-arrière pendant l’entente (2004-2006) et après (2007) et indique ' Afin de mettre en oeuvre notre approche, nous disposons de données annuelles portant sur les achats de gros de B entre 2003 et 2007 pour les produits concernés. Plus précisément, B nous a fourni les valeurs annuelles nettes des achats de produits Z ainsi que les taux de marge-arrière et leurs valeurs absolues’ (p. 7) .


Mais, même à admettre l’impossibilité de démontrer l’absence de répercussion sur le consommateur de leur manque-à-gagner résultant du fait qu’elles ne disposent plus des données conservées plus de 10 ans leur permettant de comparer les prix de vente aux consommateurs aux prix de vente net produit par produit sur des milliers de ligne de 2004 à 2006, les sociétés B ne produisent aucun autre élément permettant de vérifier qu’elles n’ont pas répercuté le manque à gagner des marges arrière sur leurs marges avant en revendant aux consommateurs les produits de la société Z.


L’étude économique du cabinet conseil Oxera produite par les sociétés B se borne à comparer le volume des marges arrière réalisé sur les produits Z au cours de la période (situation réelle) avec le volume des marges arrière qu’elles auraient réalisé sur ces produits au cours de la même période en l’absence d’entente, retenant comme période de référence pour l’analyse contrefactuelle, la seule année 2007 et l’existence d’une corrélation parfaite entre la valeur des marges arrière qu’auraient réalisée les sociétés B avec les produits Z et le chiffre d’affaires total de B tous produits confondus.


Outre que n’est pas démontré l’existence d’une telle corrélation sur une période exempte de pratiques anticoncurrentielles, ce rapport ne produit aucun autre élément (comptable ou non) permettant d’exclure une répercussion du manque à gagner sur la marge avant.


Il en est de même de la méthode subsidiaire d’évaluation du préjudice proposée par le cabinet Oxera qui ne repose que sur une corrélation parfaite entre la valeur des marges arrière qu’auraient réalisée les sociétés B avec les produits Z et l’évolution des taux moyens de marges arrière constaté par la DGCCRF.


Ainsi les sociétés B n’établissent pas que faire peser sur elle la charge de la preuve de l’absence de répercussion du manque à gagner sur la marge avant heurterait le principe d’effectivité en vertu duquel l’autonomie procédurale des ordres juridiques nationaux ne doit pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice du droit à des dommages et intérêts.


S’agissant de la demande subsidiaire de question préjudicielle à la CJUE suivante:

« Le fait d’exiger que la victime d’une entente ne puisse obtenir réparation du préjudice qui en découle que si elle rapporte la preuve comptable qu’elle n’a pas répercuté le manque à gagner sur le consommateur, alors que la victime n’est pas en mesure de fournir une telle preuve, est-il contraire à l’article 101 TFUE et a’ son principe d’effectivité ' »,

la Cour rappelle que conformément à l’article 267 TFUE , la juridiction de l’Etat membre saisie d’une question préjudicielle peut demander à la Cour de statuer sur cette question si elle estime qu’une décision est sur ce point nécessaire.


Or, en l’espèce, la question ne soulève pas une difficulté sérieuse dont la réponse serait nécessaire à la solution du litige dans la mesure où la preuve de la non répercussion du manque à gagner sur le consommateur, qu’il n’y a pas lieu de restreindre à la seule comptabilité, n’est ni impossible ni excessivement difficile.


Il ne sera donc pas fait droit à la demande tendant à voir poser une question préjudicielle à la CJUE.


En conséquence, l’existence d’un dommage certain lié à l’entente n’est pas démontré, et le jugement sera infirmé en ce qu’il a retenu l’existence d’un préjudice en lien de causalité avec la faute commise par la société Z et condamné cette dernière à le réparer.

Sur les autres demandes


Les sociétés B qui succombent seront condamnées aux dépens de première instance et d’appel.


Elles seront déboutées de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile, le jugement étant infirmé en ce qu’il leur a alloué la somme de 60 000 euros sur ce fondement.


En revanche, elles seront condamnées à payer à la société Z la somme de 60 000 euros en application de cet article.

PAR CES MOTIFS INFIRME le jugement sauf en ce qu’il a dit que l’action des sociétés B FRANCE, B C et CSF est recevable, car non prescrite,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

DÉBOUTE les sociétés B FRANCE, B C et CSF de leur demande de question préjudicielle,

DIT que l’existence d’un dommage certain lié à l’entente n’est pas démontré,

DÉBOUTE les sociétés B FRANCE, B C et CSF de leurs demandes en dommages-intérêts,

Les condamne in solidum aux entiers dépens de première instance et d’appel qui pourront être recouvrés conformément à l’article 699 du code de procédure civile ainsi qu’à payer à la société Z A la somme de 60 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande.


LE GREFFIER LE PRESIDENT
Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 5 janvier 2022, n° 19/22293