Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 9 février 2021, n° 19/01470

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 1re ch. 1re sect., 9 févr. 2021, n° 19/01470
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/01470
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Nanterre, 9 janvier 2019, N° 17/05705
Dispositif : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

1re chambre 1re section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 79A

DU09 FÉVRIER 2021

N° RG 19/01470

N° Portalis DBV3-V-B7D-TAHB

AFFAIRE :

D Z veuve X

C/

SAS WARNER MUSIC FRANCE

Société B M N

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Janvier 2019 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 17/05705

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

— Me O-P Q,

— Me I J

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF FÉVRIER DEUX MILLE VINGT ET UN,

La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant qui a été prorogé le 26 janvier 2021, les parties en ayant été avisées dans l’affaire entre :

Madame D Z veuve X

née le […] à […]

de nationalité Française

[…]

[…]

représentée par Me O-P Q, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 – N° du dossier 42534

Me R-H LAGARDE, avocat plaidant – barreau de PARIS, vestiaire : D0127

APPELANTE

****************

SAS WARNER MUSIC FRANCE

représentée par son Président, Monsieur F G domicilié audit siège

[…]

[…]

Société B M N anciennement dénommée EMI M N

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[…]

[…]

[…]

représentées par Me I J, avocat – barreau de PARIS, vestiaire : D1395

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue à l’audience publique du 30 Novembre 2020, Madame O LELIEVRE,

conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Marie-José BOU, Présidente,

Madame O LELIEVRE, Conseiller,

Madame Nathalie LAUER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL

Vu le jugement rendu le 10 janvier 2019 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :

— débouté Mme D Z veuve X de l’intégralité de ses demandes émises sur le fondement de la contrefaçon portant sur le cliché photographique réalisé par H X, référencé au sein de son fonds photographique sous le n° 1228-4,

— débouté Mme D Z de sa demande de paiement de ses frais irrépétibles,

— condamné Mme D Z à payer à chacune des sociétés Warner Music France et B M N la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné Mme D Z à supporter les entiers dépens de l’instance, qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues par l’article 699 du code de procédure civile,

— dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire du jugement ;

Vu l’appel de ce jugement interjeté le 28 février 2019 par Mme D Z veuve X ;

Vu la signification de la déclaration d’appel à la société Warner Music France par acte d’huissier du 10 avril 2019 à une personne présente au siège, qui a accepté de recevoir l’acte ;

Vu l’ordonnance d’incident rendue le 6 mars 2020 par le conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Versailles, 1re chambre 1re section, qui a :

— débouté Mme Z de toutes ses demandes,

— condamné Mme Z aux dépens de l’incident,

— dit n’y avoir lieu d’appliquer les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 19 mars 2020 par lesquelles Mme D Z veuve X demande à la cour de :

— infirmer le jugement rendu en toutes ses dispositions,

— débouter les sociétés Warner Music France et B M N en toutes leurs demandes, fins et prétentions,

— dire Mme D Z recevable et bien fondée en sa demande,

— dire et juger que la Société Warner Music France s’est rendue coupable de contrefaçon et de débit d’ouvrage contrefaisant en important et en distribuant en France un album deluxe comportant un CD, qui comporte, sur sa couverture, la reproduction d’une photographie représentant Yehudi Menuhin, ainsi qu’un livret avec la même photographie sur la page 22 dont A, l’époux défunt de Mme D Z, est l’auteur et référencée sous le numéro 1228-4 dans son fonds photographique, sans la mention du nom de l’auteur, mais avec un nom usurpé « Warner Music Archives ».

— dire et juger que la société B M N s’est rendue coupable de l’usurpation de la qualité de détenteur des droits sur la photographie de M. A et complice de la contrefaçon commise pour l’utilisation dans les coffrets et couvertures du CD litigieux ainsi que pour les utilisations suivantes :

· lancement de l’album deluxe edition sur Internet,

· lien vers le site Warner Classics,

· signature de la photo dans le fonds Warner Music Group,

· utilisation par La Tribune de Genève, 24heures.ch et Franceculture.fr

— condamner en conséquence solidairement Warner Music France et B M N à payer à Mme D Z :

· une somme de 40 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice moral subi par l’atteinte portée aux droits protégés par l’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle,

· une somme de 20 000 euros à titre de dommages intérêts en réparation du préjudice patrimonial subi, par l’atteinte portée aux droits protégés par l’article L. 123-1 du code de la propriété intellectuelle,

— ordonner à titre de réparation complémentaire la publication intégrale du dispositif du jugement à intervenir dans deux périodiques ou quotidiens au choix de Mme D Z et aux frais avancés des sociétés Warner Music France et B M N dans la limite de 8 000 euros hors taxes,

— faire défense à la société Warner Music France et à la société B M N d’utiliser à l’avenir, de quelque façon que ce soit, la photographie dont A est l’auteur et qui représente Yehudi Menuhin, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée, dans le mois qui suivra la signification du 'jugement’ à intervenir,

— dire et juger que les intimées se contredisent elles-mêmes aux dépens de l’appelante en déniant des droits d’auteur qu’elles ont reconnus en offrant de les indemniser,

À titre subsidiaire,

— si la photographie n’est pas jugée protégeable, dire que les sociétés Warner et B se sont contredites au détriment d’autrui,

— condamner en conséquence Warner et B à payer à Mme D Z une somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts, et ordonner la publication du jugement à intervenir dans la limite de 8 000 euros hors taxe (HT),

À titre encore plus subsidiaire,

— dire que Warner et B se sont placées dans le sillage d’A en utilisant sa photographie pour bénéficier de ses efforts, sans réaliser l’investissement correspondant, et ont ainsi commis des agissements parasitaires,

— condamner en conséquence Warner et B à payer à Mme D Z une somme de

60 000 euros à titre de dommages et intérêts, outre les frais de publication du jugement dans la limite de 8 000 euros HT,

Encore plus subsidiairement,

— dire que Warner et B se sont enrichies sans cause et les condamner de ce chef au paiement d’une somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts,

— condamner Warner Music France et B M N à payer à Mme D Z une somme de 15 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’en tous les dépens que Mme O P Q sera autorisée à recouvrer directement dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 11 mars 2020 par lesquelles les sociétés Warner Music France et B M N demandent à la cour de :

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre du 10 janvier 2019,

Vu les articles L. 121-1 et suivants, L. 113-3 et suivants du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 564 du code de procédure civile,

Vu les articles 1303 et suivants du code civil,

— confirmer le jugement déféré en ce qu’il a jugé que Mme D Z a échoué à démontrer l’originalité du cliché photographique réalisé par H X par conséquent l’a déboutée de toutes ses demandes,

En conséquence :

A titre principal,

— débouter Mme D Z de ses demandes, fins et prétentions au titre tant des droits patrimoniaux que des droits moraux,

— débouter Mme D Z de ses demandes au titre de l’estoppel,

— condamner Mme D Z à payer à la société B M N et à la société Warner Music France la somme de 10 000 euros chacune, au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de M. I J, avocat aux offres de droit, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

— déclarer Mme D Z irrecevable en ses demandes au titre des agissements parasitaires et de l’enrichissement sans cause sur le fondement de l’article 564 du code de procédure civile,

— débouter Mme D Z de ses demandes, fins et prétentions au titre tant des agissements parasitaires que de l’enrichissement injustifié,

— débouter Mme D Z de ses demandes, fins et prétentions au titre de l’enrichissement sans cause,

A titre subsidiaire,

— débouter Mme D Z de ses demandes, fins et prétentions au titre des reproductions de la photographie litigieuse par les sociétés B M N et Warner Music France sur le site internet warnerclassic de la société Warner Music Deutschland, des sites internet des sociétés Radio France, la Tribune de Genève et 24 heures,

— débouter Mme D Z de ses demandes non justifiées relatives aux montants de 40 000 euros au titre du droit moral et de 20 000 euros,

— dire et juger que le montant des 300 euros proposé par la société B M N correspond au tarif appliqué par ailleurs dans le cadre de ce coffret pour d’autres photographies et en conformité avec les usages appliqués par les barèmes professionnels ;

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 9 juillet 2020 par le magistrat chargé de la mise en état ;

FAITS ET PROCÉDURE

H X, dit A, a réalisé au cours de sa carrière de photographe professionnel, divers portraits de personnalités du monde artistique et notamment celui du violoniste Yehudi Menuhin le 7 janvier 1960, référencé au sein de son fonds photographique sous le numéro 1228-4.

Le cliché a été utilisé en 1960 afin d’illustrer la pochette d’un album vinyle 33 tours consacré au concerto pour violon de Beethoven interprété par l’artiste et édité sous le label « His Master Voice » (HMV) appartenant à la société Emi Group.

H X est décédé le […] laissant pour lui succéder, son conjoint survivant, Mme D Z veuve X.

Postérieurement au rachat de la société Emi Group en novembre 2011 par la société Universal Music Group, une partie du catalogue de cette dernière a été cédée à la société Warner Music Group en 2013, dont les archives musicales et iconographiques de la société Emi Group et de sa filiale de droit anglais Emi M N devenue la société B M N.

A l’occasion du centenaire de la naissance de Yehudi Menuhin en 2016, la société B M N a édité un coffret anniversaire dédié à l’artiste intitulé « The Menuhin Century/Le siècle de Menuhin » distribué par la société Warner Music France, filiale française de la société Warner Group Music.

Ce coffret comprend notamment 80 CD reproduisant des enregistrements de Yehudi Menuhin et 11 DVD représentant des images de l’artiste en concert.

Mme C a relevé que le cliché réalisé en 1960 par son époux était reproduit à plusieurs reprises au sein du coffret, notamment pour illustrer la pochette du CD n° 5 et la page 22 du livret joint à ce CD, les crédits de celui-ci indiquant en page 35 « Warner Music Archives ». Elle dénonce également l’utilisation du cliché sur divers sites internet.

Après des échanges de courriers entre Mme Z et la société Warner Music France au cours de l’automne 2016 et du printemps 2017, la première dénonçant la reproduction non autorisée d’une photographie dont son mari était l’auteur et le fait que le crédit mentionnant « Warner Music Classics » était inexact, qui se sont avérés infructueux, Mme Z a fait assigner le 5 mai 2017, les sociétés

Warner Music France et B M N devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon de droits d’auteur sur le cliché n°1228-4 réalisé par son époux, dont elle revendique la titularité des droits d’auteur et en indemnisation de ses préjudices moral et patrimonial.

C’est dans ces circonstances qu’a été rendu le jugement déféré, qui a débouté Mme Z de toutes ses demandes en relevant que faute pour celle-ci de démonstration de l’originalité du cliché photographique litigieux, elle n’était pas fondée à se prévaloir de la protection au titre du droit d’auteur attachée aux oeuvres de l’esprit.

SUR CE, LA COUR,

I Sur le droit à protection de la photographie

1) sur la reconnaissance antérieure de droits et sur l’estoppel

A titre liminaire, Mme Z fait valoir qu’elle a immédiatement reconnu dans le coffret mis en vente en 2016 la photographie prise par son mari, dit « A », exploitée en 1960 par HMV (la voix de son maître), en raison de son caractère emblématique. Elle observe que la photographie avait été utilisée sans autorisation en 1986, dans une parution observée dans « diapason » et également en avril 1991, à l’occasion du 75e anniversaire de Yehudi Menuhin, ce qui avait donné lieu à une indemnisation de son auteur par Emi en 1991.

Au soutien de son appel, elle expose que le droit à protection de la photographie résulte de sa reconnaissance antérieure et des échanges précontentieux qu’elle a eus avec Warner Music France et B au terme desquels il lui a été offert un paiement de droits à hauteur de 300 euros. Elle soutient que par cette offre de paiement, Warner et B lui ont reconnu des droits d’auteur, patrimoniaux et moraux, et qu’ils ne peuvent désormais se contredire à son détriment, rappelant que l’estoppel a reçu force obligatoire en droit interne français après un arrêt du 27 février 2009 de l’ assemblée plénière de la Cour de cassation. Elle observe que l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui a été érigée au rang de principe par la Cour de cassation qui en a fait un principe autonome.

Elle fonde son argumentation sur ses pièces n° 24, 27 et 28 constituées des courriels ou courriers en réponse aux siens, que lui ont adressés les sociétés Warner Classics et B. Elle considère que compte tenu des termes de ces courriers, les sociétés intimées ne peuvent pas soutenir, sans se contredire, que l’oeuvre querellée ne serait pas protégeable. Elle ajoute que par le passé, soit en 1960, 1986, 1991 et en 1992, des droits ont été payés à A pour cette photo.

Elle invoque en outre la force obligatoire des contrats et l’article 1103 du code civil dans son ancienne rédaction, pour soutenir qu’Emi devenu B doit respecter le contrat signé 56 ans plus tôt.

Les sociétés Warner Music France et B M N répliquent que la société Warner Music Groupe a acquis le catalogue qui appartenait à la société Emi Group, ce qui ne signifie pas qu’elle a reconnu toutes les pratiques de celle-ci. Elles ajoutent que le fait que la société Emi Group ait indemnisé A après avoir réutilisé sa photographie ne suffit pas à établir l’originalité de l''uvre, seul critère déterminant de sa protection par le droit d’auteur. Les intimées précisent que la proposition d’indemnisation faite à Mme Z antérieurement à la procédure judiciaire s’inscrivait dans le cadre d’une procédure amiable, afin d’éviter une procédure judiciaire, et ne saurait s’analyser en une reconnaissance d’un droit d’auteur protégeable. Les intimées rappellent également, au constat de la jurisprudence, que la contradiction n’est censurée que si elle a lieu au cours d’une même procédure. Elles estiment ne s’être pas contredites et n’avoir pas modifié leur position au cours de la procédure, de sorte que le principe de l’estoppel n’a pas vocation à s’appliquer en l’espèce.

***

Il résulte des courriels visés par Mme Z que le 23 septembre 2016, que le vice président du catalogue international de la société Warner Classics lui a fait part de son regret au sujet du crédit porté sous la photo litigieuse dans le coffret Yehudi Menuhin sur laquelle il est mentionné « Warner Music Archives » et indique qu’il demande d’urgence à leur graphiste de rétablir le crédit manquant. Il est proposé à Mme Z de la dédommager pour l’utilisation de l’image à hauteur de 300 euros.

Les termes de ce courriel sont réitérés quasiment à l’identique, en anglais par Mme K L, directrice juridique de Warner Classics par message électronique du 25 octobre 2016 en même temps qu’il est précisé le nombre de venter de l’album et du CD contenant la photographie prétendue contrefaisante. Un courrier en termes identiques, daté du même jour lui a été adressé par la société « B M Ltd – A Warner Music Group Company ».

Les courriels adressés à Mme Z s’analysent en une reconnaissance de l’utilisation d’une photographie de A et d’une erreur sur le crédit porté. L’offre de dédommagement de 300 euros ne saurait correspondre à la reconnaissance d’un droit d’auteur mais à une simple proposition de transaction.

Mme Z ne produit par ailleurs aucun contrat contemporain de la prise de vue objet du litige, portant sur l’exploitation de la photographie querellée, qui serait de nature à engager les intimées en leur qualité de cessionnaires des droits de Emi.

Enfin, le principe que nul ne peut se contredire au détriment d’autrui ne saurait en l’espèce être appliqué alors que les actes de procédure des intimées ne contiennent aucune contradiction et que les échanges de courriers préalables ne reconnaissent pas expressément le caractère protégeable de la photographie mais se limitent à admettre que la photographie litigieuse est le fruit du travail d’A et que le crédit qui a été porté à Warner sous la photographie dont ils ne contestent pas l’utilisation dans l’album De luxe consacré à Yehudi Menuhin, est erroné.

Au surplus, il est relevé que Mme Z ne tire aucune déduction juridique appropriée du principe qu’elle invoque, qui lorsqu’il est retenu, constitue une fin de non recevoir opposable à ceux qui se contredisent, en l’espèce, les intimées qui ne forment aucune demande.

2) sur l’originalité de la photographie d’A

Moyens de parties

Il résulte de l’article L 111-1 du code de la propriété intellectuelle que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous .

L’article L 112-1 du code de la propriété intellectuelle énonce que les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

L’article L 112-2 9°) vient préciser que sont considérées notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du code ci-dessus mentionné, les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie.

Au soutien de son appel, Mme Z décrit la photographie litigieuse qui représente le visage de Yehudi Menuhin, vu de profil portant son regard au loin avec une intense réflexion, tandis que sa main gauche est posée sur son stradivarius le « Soil » de 1714. Elle précise que Yehudi Menuhin avait accepté d’être photographié et avait donné rendez-vous au photographe dans sa loge. Elle fait valoir

que le lieu est tout à fait accessoire et que l’effort de création et l’empreinte personnelle d’un photographe sont plus forts lorsque lui sont imposées des contraintes comme le lieu. Elle ajoute que Yehudi Menuhin avait tout particulièrement apprécié le portrait réalisé par A comme en témoigne sa lettre du 19 janvier 1962. Elle précise que l’image est composée du recadrage par A autour d’une diagonale, où est en exergue l’instrument sur les cordes duquel les mains de l’artiste sont repliées. Le visage de profil entre lumières d’attaques et débouchage des ombres est sculpté de telle sorte que l’arête du nez par le jeu et l’orchestration de la lumière et de la pose demandée se trouve dans la pénombre, alors que le menton, les lèvres et le pourtour des yeux sont beaucoup plus soulignés par la lumière. Elle affirme que la composition autour d’une diagonale constitue l’une des marques d’A et se vérifie au travers de beaucoup d’autres photographies d’artistes. Elle fait valoir en réponse aux écritures des intimées que le débouchage des ombres peut être obtenus par d’autres moyens que le flash qu’A n’utilisait pas, l’une des façons d’atténuer les ombres consistant à placer le sujet contre une lumière latérale. Elle soutient qu’il résulte de l’une des prises de vue réalisée le même jour, qu’il n’y avait pas qu’une seule lampe dans la loge mais au moins trois. Elle réitère que la ligne diagonale est l’une des marques d’A et conteste l’affirmation des intimées selon laquelle ce résultat est obtenu par tout portrait de profil.

Elle justifie l’absence de décor par la volonté d’A.

Elle analyse la composition de l’image en rappelant qu’A était à la fois photographe de la musique et musicien lui-même. Elle explique qu’A réalisait rarement plus de douze photographies ce qui constitue la preuve supplémentaire du choix du moment qui lui est personnel de la prise de vue.

Elle précise qu’A cherchait à saisir l’expression faciale de son sujet afin de mettre en évidence une personnalité. Elle ajoute que l’effort et l’intention personnels d’A se font également sentir par le choix de l’angle de la prise de vue dans laquelle se trouvent à un niveau égal photographe et sujet.

Elle explique la technique de sélection et de choix sur les douze clichés pris, précisant qu’un travail de recadrage sur la référence 1228-4 a été réalisé. Elle fait valoir que c’est le cadrage serré qui permet de prendre à partie les personnages, à la différence des images produites en défense.

Elle rappelle que la photo choisie par Warner et B en 1960 l’a été à d’autres reprises.

Elle critique les photographies de comparaison des intimées qui sont sous des formats vignettes.

Elle fait valoir que la principale prouesse d’A est de provoquer l’adhésion du spectateur, par les différents moyens techniques employés, tout en laissant au sujet photographié la liberté de ne pas céder à une relation de supériorité et d’injonction .

Elle argumente la critique de la décision entreprise de laquelle il résulte toute interdiction de reconnaître de l’originalité à un portrait de violoniste. Elle fait valoir que la composition et le cadrage sont notamment originaux en ce qu’A a choisi de ne montrer que la tête du violon sur laquelle est posée sa main et que l’image communique une émotion particulière résultant de la combinaison de divers éléments voulus par A.

Elle en conclut que l’image, originale, mérite la protection du droit d’auteur en ce qu’elle révèle l’empreinte personnelle et l’effort de créativité d’A.

Les sociétés Warner et B contestent l’originalité de la photographie litigieuse en invoquant l’absence de choix libres et créatifs de H X. Elles prétendent qu’il n’a fait le choix ni du lieu, ni de l’éclairage imposé par la configuration des lieux. Elles contestent le recours à la technique du débouchage des ombres qui consiste à atténuer les effets d’ombre que la lumière peut provoquer sur le sujet photographié laquelle est opérée par l’utilisation d’un flash.

Elles exposent qu’il est techniquement habituel pour un photographe de soumettre son sujet à une lumière directe et que cela ne relève pas de la personnalité du photographe ou d’une quelconque démarche artistique mais d’une technique banale de prise de vue.

Elles observent qu’il n’est pas établi que H X ait déterminé antérieurement à la session photographique les conditions dans lesquelles il souhaitait photographier l’artiste.

Elles font valoir que H X n’a pas fait le choix du décor et que Mme Z ne peut se prévaloir d’un choix voulu d’absence de décor alors que c’est le lieu, non choisi par le photographe qui s’est imposé à lui. Elles font état de l’absence de toute mise en scène et de la circonstance que la seule mise en scène du violon, pour le portrait d’un violoniste est parfaitement banale.

Elles soutiennent que Yehudi Menuhin a été photographié dans la pose académique de tout violoniste et que le fait que l’instrument soit un Stradivarius ne confère pas un caractère original à la photographie. Elles prétendent que le regard concentré du sujet, évoqué par Mme Z, est la simple description d’un comportement naturel et qu’il n’est pas démontré que ce soit H X qui ait donné des instructions à Yehudi Menuhin. Elles incluent dans leurs écritures onze photographies de violonistes tenant leur violon et douze photographies de Yehudi Menuhin à différents âges de sa vie, tenant son violon.

Elles observent qu’il résulte de la planche contact des douze clichés pris le même jour par H X que l’appelante ne démontre pas les choix faits par H X s’inscrivant dans une démarche artistique préalable de sa part. Elles affirment que le portrait de profil est un choix classique pour photographier un artiste.

Elles réfutent l’affirmation selon laquelle le choix d’une diagonale constituerait l’une des marques d’A, alors que le portrait réalisé applique les règles classiques de la composition d’image et respecte la règle des tiers, très classique en peinture et en photographie, qui impose que la photographie s’établit en positionnant le sujet par rapport aux quatre points d’intersection des quatre lignes de tiers divisant l’image.

Elles affirment que H X s’est contenté de capter une posture naturelle du violoniste, qui ne traduit pas son libre choix mais relève davantage de la démarche de témoignage entreprise concernant les figures de la musique classique notamment.

Elles relèvent que le recueillement et la concentration de l’artiste sont des constantes de son expression et de sa personnalité.

Elles contestent encore que le cadrage et la prise de vue caractérisent l’empreinte personnelle de H X. Elles prétendent que contrairement à ce que soutient Mme Z , il n’y a aucun échange entre le spectateur et le sujet photographié et que si cadrage serré il y a eu, la finalité prétendue, n’est pas atteinte . S’agissant de la prise de vue, elles relèvent que le visage de l’artiste n’est pas centré et n’occupe pas la totalité de la photographie.

Elles en concluent que les choix de H X sont conventionnels et ne lui permettent pas de se démarquer par rapport à d’autres photographies existantes, indépendamment de la question de la notoriété de l’artiste .

Appréciation de la cour

Une photographie est originale lorsqu’elle résulte de choix libres et créatifs de son auteur témoignant de l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Ces choix peuvent être opérés avant la réalisation de la photographie, par le choix de la mise en

scène, de la pose ou de l’éclairage, au moment de la prise , par le choix du cadrage, de l’angle de prise de vue, de l’atmosphère créée, ou au moment du développement.

Le mérite ou la nouveauté de la photographie ne constitue pas des critères . Il en est de même du sujet et de l’utilisation des photographies. L’existence d’une commande n’est pas de nature à exclure l’originalité dès lors qu’aucune directive ou indication précise n’est imposée au photographe.

Les choix du photographe ne doivent pas avoir été simplement dictés par la mise en valeur du sujet à photographier. Les photographies doivent rendre compte de la conception du photographe lui-même et non de celle de son donneur d’ordre.

Les clichés ne doivent pas traduire qu’un savoir-faire technique.

Il n’est pas établi que H X ait répondu à une commande destinée à illustrer la pochette de l’album vinyle 33 tours consacré au concerto pour violon de Beethoven interprété par l’artiste et édité sous le label « His Master Voice », de sorte qu’il était libre de ses choix.

Il ressort des productions de Mme Z que, quelle que soit la notoriété de H X, dit A, ce dernier était photographe et également violoncelliste professionnel, ce qui n’est pas contesté.

Il résulte du catalogue réalisé à l’occasion de l’exposition sur le thème « photographier la musique » qui s’est tenue dans une galerie à Paris, au mois de novembre 1994, où étaient exposées des photographies d’A, que sa double appartenance au monde musical et photographique lui permettait une approche particulière des musiciens . Selon le commentateur du catalogue, R-S T, comportant une trentaine de photographies d’artistes, notamment du monde musical, dont le cliché litigieux, son art consistait à saisir le moment, pour révéler quelque chose de la personnalité du modèle ou de l’unicité de l’instant, afin d’aller au-delà des apparences. Il est encore précisé que le photographe s’arrête souvent sur les mains et que dans ses portraits, le jeu de l’ombre et de la lumière vise à mettre en valeur un trait dominant de la personnalité du sujet en même temps que de sa musique.

Le cliché litigieux, pris au cours d’une courte session dans la loge de l’artiste, quand bien même elle s’inscrirait dans quelques prises supplémentaires par rapport à ce que révèle la planche contact qui témoigne de 12 photographies, est d’une particulière sobriété qui a été voulue par H X pour mettre en valeur le visage et la pose de Yehudi Menuhin. Le positionnement de sa main gauche, en attente, sur le manche de son violon dont seule la partie haute apparaît, va à l’encontre de la plupart des photographies de violonistes célèbres produites par les sociétés intimées.

S’il n’y a effectivement aucun élément de décor, cette circonstance a été voulue par H X pour ne pas distraire le spectateur par un élément qui ne serait ni le sujet, ni l’instrument. Cette déduction s’opère à partir de l’examen des photographies de H X exposées en 1994, recolées dans le catalogue ci-dessus mentionné, qui démontre qu’il organisait souvent des mises en scène très dépouillées s’agissant de ses photographies de portrait. Ici, le profil de Yehudi Menuhin se détache sur un fond pâle totalement neutre.

L’accent est en effet mis sur la concentration et la réflexion de l’artiste, ce qui procède d’un choix du photographe, pour révéler un trait de la personnalité de son modèle.

Il ne peut être retenu que la pose prise par Yehudi Menuhin se résume à une posture académique, dans la mesure où son regard n’est orienté ni vers le spectateur, ni vers son instrument. Il résulte du cliché lui-même que la pose et l’attitude à prendre ont été suggérées par le photographe à son modèle, dans la perspective de conférer à la photographie une certaine solennité et de transmettre au spectateur la vision spirituelle de l’artiste par rapport à son art.

H X a, de plus, délibérément composé une ligne diagonale partageant le cliché en deux, partant du sommet du crâne de l’artiste en haut à gauche et suivant le visage de profil de Yehudi Menuhin pour descendre vers la volute du violon, son manche et aboutissant à la main du violoniste repliée sur celui-ci. Il s’agit donc d’une véritable composition obéissant à un parti pris esthétique peu ou pas employé dans les autres clichés du violoniste versés aux débats. En revanche, l’examen de la pièce n°59 -le catalogue de l’exposition A de 1994- de l’appelante ainsi que de sa pièce n° 89, correspondant à une planche contact de 12 clichés représentant Boris Vian – démontre que le recours par H X à des portraits de profil en gros plan privilégiant le suivi d’une ligne diagonale est une des caractéristiques de son art.

Le cadrage procède ainsi d’un choix calculé au moment de la prise de vue, à laquelle est étrangère la « règle des tiers » invoquée par les sociétés intimées.

Enfin, s’agissant de la lumière, il n’est pas contesté que H X n’utilisait pas de flash. S’il n’est pas permis à la cour de se prononcer sur les sources de lumière employées et sur le point de savoir si H X a mis en oeuvre d’autres éclairages que ceux existant dans la loge de l’artiste, l’absence d’utilisation d’accessoires ou de dispositif lumineux spécialement apportés par H X n’exclut pas l’accomplissement d’un travail créatif de ce point de vue, encore plus remarquable en l’absence de recours au flash, dès lors que le visage de Yehudi Menuhin est éclairé dans sa partie avant, avec un effet de contraste par la présence de parties ombrées sur la partie arrière de sa joue, tandis que la main du violoniste posée sur l’instrument reçoit également un apport de lumière. Le recours à l’éclairage présent a permis au photographe, compte tenu du cadrage adopté, de créer des effets d’ombre et de lumière.

Il importe peu de savoir si ce travail a été accompli avant la prise de vue ou postérieurement lors du développement du cliché, dès lors qu’il témoigne d’un savoir faire technique particulier et d’un choix destiné à attirer le regard du spectateur vers les zones éclairées de la photographie.

Il est relevé que H X avait sélectionné quelques photographies de la planche contact, dont la 1228-4 qu’il a soumises à l’appréciation de Yehudi Menuhin. Ce dernier lui a répondu le 19 janvier 1960 pour lui signifier qu’il était d’accord sur le choix de la 1228-4, comme la meilleure, ajoutant qu’il aimait particulièrement sa main sur le violon.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments la preuve que H X a effectué au travers de la sobriété de la mise en scène, de la pose suggérée au sujet, de l’absence de représentation de l’instrument dans son intégralité, limitant celle-ci à la partie sur laquelle repose la main de l’artiste, de la composition de l’image traversée par une ligne diagonale, de son travail sur le cadrage et l’éclairage, des choix personnels et libres caractérisant une création artistique.

La comparaison avec d’autres photographies de Yehudi Menuhin témoigne de l’absence de banalité de la combinaison des choix effectués et d’une approche propre à H X exprimant sa sensibilité personnelle à la musique et son admiration pour l’artiste.

H X a ainsi par son art, conféré à la photographie litigieuse, une particularité originale qui justifie qu’elle soit protégée par le droit d’auteur.

II Sur les faits de contrefaçon et sur la réparation des préjudices en résultant

Mme Z reproche aux sociétés Warner et B des faits de contrefaçon pour avoir utilisé sans son autorisation la photographie de Yehudi Menuhin prise en 1960 dans l’album de luxe édité par B au 1er trimestre 2016 pour le 100ème anniversaire de la naissance du violoniste et reproche à Warner de s’être attribuée la paternité de cette photographie en omettant de mentionner le nom de son auteur'« A ». Elle expose que sont commercialisés un coffret de 7 CD ainsi qu’un album de 80 CD dont le premier fait partie.

Elle fait également grief à Warner Music France d’avoir mis à la disposition de tiers, sous une fausse signature, la photographie litigieuse et d’avoir contribué à permettre sa reproduction non autorisée sur d’autres supports, tel internet.

Elle reproche à Warner Music France de s’être rendu coupable de débit d’ouvrages contrefaisants puisque Warner Music France importe et vend en France chez les disquaires et directement aux particuliers en France et à l’étranger par le biais d’internet.

Elle fait valoir que la mauvaise foi présumée de l’auteur d’une contrefaçon est renforcée à l’endroit d’un professionnel comme B. Elle souligne que Warner Music et B ont refusé de produire le tirage argentique qui aurait permis de savoir d’où venait la photographie et leur reproche de prétendre qu’elle est issue d’un fichier numérique sans indiquer à partir de quel tirage elle aurait été numérisée.

Elle demande sur le fondement des articles L 331-1-3 et L 123-1 du code de la propriété intellectuelle la réparation de son préjudice moral, consistant en l’atteinte à son droit moral de paternité et au respect de l''uvre de son époux H X, à hauteur de 40 000 euros, et la réparation de son préjudice patrimonial, consistant en l’atteinte à son droit exclusif d’exploiter la photographie litigieuse, à hauteur de 20 000 euros.

Les intimées font en premier lieu valoir que certains des actes qui leur sont reprochés par Mme Z ne sont pas justifiés et doivent être écartés.

Elles contestent l’usurpation du nom de H X par elle-même dans le coffret intitulé ' Live performances and festival recordings’ et plus généralement dans le coffret intitulé « The Menuhin Century » en relevant que la mention « Warner music ou Warner classics » n’apparaît pas sous ou à côté de la photographie de H X qui figure dans le livret édité par B M N et qu’il en va de même de l’album reproduisant les enregistrements des concerti pour violon de Partos et Bach à Tel Aviv et Ascona.

Elles contestent également toute responsabilité relative aux faits de contrefaçon relevés sur des sites internet, tels que celui de la Tribune de Genève, le site de 24 heures ou le site de France Culture, soutenant que conformément à l’article 6-1-1 de la loi sur la confiance dans l’économie numérique, le responsable est la personne physique ou morale dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication au public en ligne.

S’agissant du site accessible via l’url www.warnerclassics.de, destiné aux internautes de langue allemande, elles font valoir que le site renvoie à la responsabilité de la société allemande Warner Music Deutschland et non à Warner Music France. Elles prétendent donc que l’utilisation de la photographie litigieuse par ce site ne leur est pas imputable.

Elles contestent en second lieu l’évaluation du préjudice invoqué par Mme Z. Elles soulignent que la photographie litigieuse n’a pas fait l’objet d’une surexploitation massive, sa reproduction étant limitée à la page 22 d’un livret accompagnant le coffret anniversaire consacré à Yehudi Menuhin et à la pochette cartonnée n°5 dudit coffret. Elles estiment donc que le quantum du préjudice est disproportionné compte tenu de la diffusion de la photographie, limitée aux seuls amateurs passionnés de l''uvre du musicien. Elles rappellent encore que l’évaluation du préjudice doit tenir compte de la notoriété du photographe et des prix couramment pratiqués s’agissant de l’autorisation de reproduction d’une 'uvre présentant des caractéristiques similaires. Elles estiment en conséquence que la demande de Mme Z doit être rejetée et, le cas échéant, que le préjudice doit être apprécié au regard des barèmes établis entre professionnels en considération des exploitations réalisées et des usages professionnels.

Appréciation de la cour

Sur les faits de contrefaçon

Selon l’article L 122-4 du code de la propriété intellectuelle, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.

La photographie litigieuse a été reproduite sans l’autorisation de Mme Z ayant-droit de H X, sur la pochette du CD numéro 5 du coffret « Live Performances and Festival Recording/Concerts et festivals » ainsi que sur la page 22 du livret joint à ce CD, les crédits de celui-ci en page 35 indiquant « Warner Music archives », ce que ne contestait pas la société Warner Music classics dans le courrier officiel adressé le 6 mars 2017 par son conseil au conseil de Mme Z, expliquant que le support numérique reproduisant la pochette de l’album de 1960 produit par le label la Voix de son maître, ne disposait pas de crédit précis sur l’auteur de la photographie et reconnaissait que celle-ci s’était vue attribuer un mauvais crédit, en l’occurrence celui de Warner music archives. Il était également admis que la mauvaise attribution de crédit avait entraîné l’utilisation erronée de la photographie reproduite au sein du coffret « Menuhin Live Performances and Festival Recording ».

Les faits de contrefaçon, de débit d’ouvrages contrefaits et d’usurpation du nom d’A sur la photographie litigieuse sont caractérisés, indépendamment de toute faute ou mauvaise foi par la reproduction irrégulière. Il appartenait en particulier aux intimées, en leur qualité de professionnelles, de vérifier les crédits portés sous la photographie en son temps autorisé, qui sont mentionnés sur la pochette du disque vinyle de 1960.

Les faits de contrefaçon relevés sur les différents sites internet n’ont été rendus possibles qu’en raison de la contrefaçon commise par les sociétés intimées, sur les oeuvres éditées par B et commercialisées par Warner Music France. Il en va de même du site en langue allemande dénommé www.warnerclassics.de.

Les sociétés intimées doivent donc être déclarées responsables de l’ensemble des faits de contrefaçon de délit d’ouvrage contrefaisant et d’usurpation du nom d’A sur la photographie litigieuse.

Sur la réparation

* sur le préjudice moral

En vertu de l’article L 121-1 du code de la propriété intellectuelle, l’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Le fait que la photographie utilisée sans le consentement de Mme Z, comportant qui plus est, une absence de crédit, ont porté atteinte au droit de H X et de ses ayants droits au respect de son nom et de sa qualité d’auteur.

L’absence de demande d’autorisation a empêché Mme Z de faire valoir ses droits sur l’utilisation de l’oeuvre de son mari et sur ses modalités.

Ces faits ont porté atteinte à la notoriété posthume de H X, décédé en 2008, qui disposait d’une certaine reconnaissance dans le monde de la photographie musicale ainsi qu’en témoignent les expositions réalisées il y a encore peu de temps et les attestations de personnalités du milieu artistique et particulièrement musical, ce dont il se déduit une notoriété limitée à un cercle restreint d’amateurs de musique classique.

Il est également relevé que l’utilisation faite de la photographie litigieuse, dans le cadre de la célébration du centenaire de Yehudi Menuhin n’a pas été détournée de sa finalité initiale.

La diffusion de l’album s’est par ailleurs limitée, selon les chiffres non contestés fournis par les sociétés intimées, à la vente de 3122 coffrets dans le monde et 722 en France.

Au vu de l’ensemble de ces circonstances , le préjudice moral de Mme Z sera intégralement réparé par l’allocation d’une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts.

* sur le préjudice patrimonial

Selon l’article L 123-1 du code de la propriété intellectuelle l’auteur ou ses ayants droit disposent du droit exclusif d’exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire.

L’article L 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle permet, à la demande de la partie lésée, ce qui est le cas en l’espèce, d’allouer une somme forfaitaire.

La réparation de ce préjudice doit s’apprécier au regard de la notoriété de l’auteur, laquelle conditionne la valeur de son oeuvre et de la privation résultée pour Mme Z de l’exploitation de celle-ci par ses propres soins.

Mme Z justifie que la régularisation d’exploitation de photographies de H X non liées à l’exploitation d’enregistrements de Yehudi Menuhin a donné lieu en 1991 et 1992 à des factures de 5 000 francs et de 5 752,50 francs ce qui correspond à environ 1 072 euros et 1 262 euros actuels.

Par ailleurs, la société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe défendant les intérêts des photographes a posé les bases de majorations applicables dans l’hypothèse de l’exploitation des oeuvres sans autorisation de leurs auteurs, fixant celle-ci à 100%.

Mme Z ne fournit pas d’autres éléments relatifs à l’actuelle valeur sur le marché des photographies de H X.

Au vu des éléments d’appréciation dont dispose la cour, il y a lieu de fixer à 3 000 euros le préjudice patrimonial subi par Mme Z.

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de réparation complémentaire par une publication intégrale du jugement à intervenir au choix de Mme Z, aux frais avancés de la société Warner Music France et de la société B M N, cette demande n’étant pas justifiée par le préjudice retenu.

Les sociétés Warner Music France et B M N, parties perdantes, seront condamnées aux dépens de première instance ainsi qu’à ceux d’appel, qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

L’équité et la situation économique des parties justifient d’allouer à Mme Z au titre des frais exposés tant en première instance qu’en appel, la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés intimées, parties perdantes et comme telles, tenues aux dépens, sont déboutées de leurs demandes présentées sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt CONTRADICTOIRE et mis à disposition,

INFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,

Dit que la photographie de Yehudi Menuhin prise par H X référencée sous le numéro 1228-4 dans son fonds photographique est protégeable au titre du droit d’auteur,

DIT que la Société Warner Music France s’est rendue coupable de contrefaçon et de débit d’ouvrage contrefaisant en important et en distribuant en France un album deluxe comportant un CD, qui comporte, sur sa couverture, la reproduction d’une photographie représentant Yehudi Menuhin, ainsi qu’un livret avec la même photographie sur la page 22 dont A, l’époux défunt de Mme D Z, est l’auteur et référencée sous le numéro 1228-4 dans son fonds photographique, sans la mention du nom de l’auteur, mais avec un nom usurpé "Warner Music Archives',

DIT que la société B M N s’est rendue coupable de l’usurpation de la qualité de détenteur des droits sur la photographie de H X et complice de la contrefaçon commise pour l’utilisation dans les coffrets et couvertures du CD litigieux ainsi que pour les utilisations suivantes :

· lancement de l’album deluxe edition sur Internet,

· lien vers le site Warner Classics,

· signature de la photo dans le fonds Warner Music Group,

· utilisation par La Tribune de Genève, 24heures.ch et Franceculture.fr

CONDAMNE in solidum la société Warner Music France et la société B M N à payer à Mme Z :

— la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

— la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial,

REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,

CONDAMNE in solidum la société Warner Music France et la société B M N à payer à Mme Z la somme de 8 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE in solidum la société Warner Music France et la société B M N aux dépens de première instance ainsi qu’à ceux d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

— signé par Madame Marie-Josée BOU, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,

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Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 9 février 2021, n° 19/01470