CEDH, Cour (quatrième section), MATA ESTEVEZ c. l'ESPAGNE, 10 mai 2001, 56501/00

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CEDH · 6 avril 2017

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 10 mai 2001, n° 56501/00
Numéro(s) : 56501/00
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2001-VI
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 18 janvier 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Smyth et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96, 33986/96, § 104, CEDH 1999-VI - (27.9.99) Comm. Eur. D.H. No 7624/76, déc. 6.7.77, D.R. 19, pp. 100-110
Arrêt Cossey c. Royaume-Uni du 27 septembre 1990, série A n° 184, p. 16, § 40
Arrêt Linguistique belge c. la Belgique du 23 juillet 1968, série A n° 6, p. 34, § 10
Arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, série A n° 31, § 40
Arrêt Smyth et Grady c. Royaume-Uni, nos 33985/96, 33986/96, § 104, CEDH 1999-VI - (27.9.99) Comm. Eur. D.H. No 7624/76, déc. 6.7.77, D.R. 19, pp. 100-110
No 11716/85, déc. 14.5.86, D.R. 47, p. 274
No 34615/97, déc. 4.3.98, D.R. 92, p. 139
No 37784/97, déc. 26.1.99, non publiée
No 9369/81, déc. 3.5.83, D.R. 32, p. 220
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-32408
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2001:0510DEC005650100
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête n° 56501/00
présentée par Antonio MATA ESTEVEZ
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 10 mai 2001 en une chambre composée de

MM.G. Ress, président,
A. Pastor Ridruejo,
L. Caflisch,
J. Makarczyk,
I. Cabral Barreto,
MmeN. Vajić,
M.M. Pellonpää, juges,
et de M.V. Berger, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 18 janvier 2000 et enregistrée le 12 avril 2000,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Antonio Mata Estevez, est un ressortissant espagnol, né en 1953 et résidant à Madrid.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

Durant plus de dix ans, le requérant cohabita avec un autre homme, M. G.C. Pendant cette période, le requérant et M. G.C. gérèrent ensemble leur ménage, utilisant en commun leurs revenus et partageant leurs dépenses. Pour le requérant, cette union reflétait leur droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que, étant homosexuels, ils ne pouvaient officialiser leur relation par le mariage, celui-ci étant réservé, d’après le droit espagnol, aux couples hétérosexuels.

Le 13 juin 1997, M. G.C. décéda à la suite d’un accident de la route. Arguant de sa longue cohabitation avec le de cujus, le requérant sollicita le bénéfice des prestations prévues par la sécurité sociale pour les conjoints survivants. A ce titre, l’Institut National de la Sécurité Sociale (INSS) fit droit à la demande du requérant concernant la prestation d’aide pour frais de décès, le montant de celle-ci s’élevant à 5 000 pesetas. En revanche, il refusa de lui accorder la pension de survivant, par une décision du 24 septembre 1997, au motif qu’en l’absence de mariage avec M. G.C., le requérant ne pouvait être considéré juridiquement comme conjoint survivant, et ce, conformément à l’article 174.1 de la loi générale sur la sécurité sociale. Le recours administratif introduit par le requérant fut rejeté.

Contre ces décisions, le requérant présenta un recours devant le juge social n° 15 de Madrid. Par un jugement contradictoire du 22 avril 1998, ce dernier rejeta le recours en se référant notamment à la jurisprudence établie par plusieurs arrêts du Tribunal constitutionnel rejetant des recours présentés par des requérants hétérosexuels déboutés de leurs demandes de pensions de survivants au motif que, ayant pu contracter mariage, ils avaient librement décidé de ne pas le faire. Le juge social estima que cette jurisprudence pouvait être élargie aux unions de fait entre homosexuels vivant maritalement, dans la mesure où ce type de relation ne pouvait être placé sur le même plan que le concept traditionnel de famille et de mariage protégé par le législateur et par la Constitution. Il déclara également que les articles 8, 12 et 14 de la Convention européenne des Droits de l’Homme ne garantissaient pas l’égalité de traitement entre l’union de fait entre homosexuels et le mariage d’hétérosexuels.

Contre ce jugement, le requérant interjeta appel devant le Tribunal supérieur de justice de Madrid qui, par un arrêt du 26 janvier 1999, rejeta le recours et confirma le jugement entrepris en faisant siens les motifs retenus par le juge du premier degré. Le Tribunal supérieur ajouta cependant qu’il revenait au législateur et non aux tribunaux de prendre une décision sur l’extension de la pension de survivant aux unions de fait stables, qu’elles soient hétérosexuelles ou non. En conséquence, le Tribunal supérieur estima que l’article 174.1 de la loi générale sur la sécurité sociale était conforme aussi bien à la Constitution qu’aux traités internationaux liant l’Espagne.

Invoquant les articles 14 (principe de non-discrimination) et 39 (protection sociale, économique et juridique de la famille) de la Constitution, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Par une décision du 21 octobre 1999, celui-ci, se référant à sa jurisprudence constante, rejeta le recours pour défaut de fondement.

B.  Le droit interne pertinent

1.  Constitution

Les articles pertinents sont libellés comme suit :

Article 14

« Les Espagnols sont égaux devant la loi ; ils ne peuvent faire l’objet d’aucune discrimination pour des raisons de naissance, de race, de sexe, de religion, d’opinion, ou pour n’importe quelle autre condition ou circonstance personnelle ou sociale. »

Article 39

« 1.  Les pouvoirs publics assurent la protection sociale, économique et juridique de la famille.

(...) »

2.  Loi générale sur la sécurité sociale (modifiée)

Aux termes de l’article 174, l’union extramatrimoniale, entre un homme et une femme, même s’ils cohabitent, ne donne pas droit à une pension de survivant. En conséquence, la pension de survivant est subordonnée à l’existence d’un mariage régulier entre le titulaire du droit et l’ayant cause, étant entendu qu’est considéré comme mariage régulier celui célébré selon l’une des formes établies par l’article 149 du code civil.

Par exception, seules les personnes ayant vécu maritalement avec le défunt, et qui se trouvaient dans l’impossibilité de se marier en raison de l’inexistence du divorce avant 1981, peuvent prétendre à la pension de survivant.

GRIEF

Le requérant se plaint de la différence de traitement existant en matière d’ouverture du droit à pension de survivant entre les unions de fait d’homosexuels et les couples mariés, ou même pour les couples non mariés d’hétérosexuels qui, lorsqu’ils ont été dans l’impossibilité légale de se marier avant la légalisation du divorce en 1981, ont droit à la pension de survivant. Il estime que cette différence de traitement constitue une discrimination injustifiée qui porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale, et invoque les articles 8 et 14 de la Convention.

EN DROIT

Le requérant se plaint que le refus de lui accorder la pension de survivant constitue un traitement discriminatoire portant atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Il invoque les articles 8 et 14 de la Convention dont le libellé est le suivant :

Article 8

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

La Cour observe d’emblée que le requérant soutient avoir cohabité avec M. G.C. pendant plus de dix ans, période durant laquelle ils ont utilisé en commun leurs revenus et partagé leurs dépenses. De ce fait, il estime que le rejet de sa demande de pension de survivant constitue une atteinte à sa vie privée et familiale.

S’agissant de déterminer si la décision en question se rapporte au domaine de la « vie familiale » au sens de l’article 8 § 1 de la Convention, la Cour rappelle que, d’après la jurisprudence constante des organes de la Convention, des relations homosexuelles durables entre deux hommes ne relèvent pas du droit au respect de la vie familiale protégé par l’article 8 de la Convention (cf., n° 9369/81, déc. 3.5.1983, DR 32, p. 220 ; n° 11716/85, déc. 14.5.1986, DR 47, p. 274). La Cour estime que malgré l’évolution constatée dans plusieurs Etats européens tendant à la reconnaissance légale et juridique des unions de fait stables entre homosexuels, il s’agit là d’un domaine dans lequel les Etats contractants, en l’absence d’un dénominateur commun amplemant partagé, jouissent encore d’une grande marge d’appréciation (cf., mutatis mutandis, les arrêts Cossey c. Royaume-Uni du 27 septembre 1990, série n° 184, p. 16, § 40 et, a contrario, Smyth et Grady c. Royaume-Uni, n°s 33985/96 et 33986/96, § 104, CEDH 1999-VI). En conséquence, la liaison du requérant avec son partenaire, aujourd’hui décédé, ne relève pas de l’article 8 dans la mesure où cette disposition protège le droit au respect de la vie familiale.

Il s’ensuit que la requête est, sur ce point, incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, au sens de l’article 35 § 3.

S’agissant de la vie privée, la Cour reconnaît que la relation affective et sexuelle maintenue par le requérant relève de sa vie privée au sens de l’article 8 § 1 de la Convention. Concernant la pension de survivant refusée au requérant, elle rappelle, en premier lieu, que la Convention ne garantit pas comme tel le droit à pension (voir n° 5763/72, Recueil 46 p. 76 ; n° 7624/76, déc. 6.7.1977, DR 19, pp. 100-110). Toutefois, la question pourrait se poser de savoir si, dans les circonstances de l’espèce, la décision litigieuse pouvait constituer une ingérence discriminatoire en violation des articles 8 et 14 combinés. A cet égard, la Cour estime que, à supposer même que le refus de reconnaître au requérant le droit à une pension du survivant du fait du décès de son partenaire constitue une ingérence dans le respect de sa vie privée, celle-ci est justifiée au regard du paragraphe 2 de l’article 8.

La Cour admet tout d’abord que le traitement fait au requérant aurait pu être différent si son partenaire avait été de sexe différent. En effet, comme le requérant le fait observer, la législation espagnole a, dans une certaine mesure, pris en compte la situation de couples non mariés en matière de pension de survivants, dès lors qu’aux termes de cette législation, les personnes vivant maritalement et qui étaient dans l’impossibilité de se marier en raison de l’interdiction du divorce avant 1981, ont pu bénéficier d’une pension de survivant. Cela étant, la Cour constate que le lien du mariage constituait une condition essentielle pour l’ouverture du droit à pension de survivant et que, même dans l’hypothèse signalée par le requérant, elle était sous-jacente à la reconnaissance du droit. Or, force est de constater qu’en aucun cas, le cadre juridique en vigueur en Espagne ne permet le mariage entre personnes du même sexe.

La Cour rappelle qu’au regard de l’article 14, une distinction est discriminatoire si elle « manque de justification objective et raisonnable », c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un « but légitime » ou s’il n’y a pas de « rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé » (affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » du 23 juillet 1968, série A n° 6, p. 34, § 10). En l’espèce, elle note que la législation espagnole en matière de droit aux prestations de survivants a un but légitime, à savoir la protection de la famille fondée sur les liens du mariage (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Marckx c. Belgique du 13 juin 1979, série A, n° 31, § 40). La Cour considère que la différence de traitement constatée peut être considérée comme relevant de la marge d’appréciation de l’Etat (cf. n° 34615/97, déc. 4.3.1998, D.R. 92, p. 139 ; n° 37784/97, déc. 26.1.1999, non publiée).

Dans ces conditions, la Cour estime que les décisions litigieuses n’emportent pas ingérence discriminatoire dans la vie privée du requérant, en violation de l’article 8 combiné avec l’article 14 de la Convention. Dès lors, la requête doit être rejetée comme étant manifestement dépourvue de fondement, au sens de l’article 35 § 3 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Vincent BergerGeorg Ress
GreffierPrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Constitution du 4 octobre 1958
  2. Code civil
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CEDH, Cour (quatrième section), MATA ESTEVEZ c. l'ESPAGNE, 10 mai 2001, 56501/00