Tribunal administratif de Rennes, 24 mars 2010, n° 10912

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Sur la décision

Référence :
TA Rennes, 24 mars 2010, n° 10912
Juridiction : Tribunal administratif de Rennes
Numéro : 10912

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE RENNES

N° 1000912

___________

SOCIETE R2AE

___________

M. A

Juge des référés

___________

Audience du 19 mars 2010

___________

Ordonnance du 24 mars 2010

__________

pr/pc

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le juge des référés du Tribunal,

Vu la requête, enregistrée le 4 mars 2010, présentée pour la SOCIETE R2AE, dont le siège est XXX à XXX, par Me Marchand ; la société requérante demande au juge des référés précontractuels :

▪ avant-dire droit, d’enjoindre au ministre de la défense, de différer, jusqu’au terme de la présente procédure, la signature du marché qu’elle intitule « Ban Lann-Bihoué – travaux de renouvellement du réseau d’eau », dont l’avis public à la concurrence a fait l’objet d’une publication le 17 juillet 2009, et pour lequel elle a proposé une offre qui a été rejetée par lettre émanant de la direction régionale du service d’infrastructure de la défense de Brest en date du 12 février 2010 ;

▪ d’annuler la procédure de passation de ce marché ;

▪ de condamner l’Etat à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La société requérante expose que, par un avis d’appel public à la concurrence, le ministère de la défense a lancé une procédure d’appel d’offres en vue de la passation d’un marché destiné à la pose, sur le site de la base aéronavale de Lann-Bihoué, de canalisations de distribution d’eau et de gaz de ville, respectivement sur des distances d’environ 14,4 et 5,5 kilomètres ; qu’elle s’est vue rejeter son offre par courrier transmis en télécopie le 10 février 2010 au motif que son offre n’était pas la mieux disante ; qu’elle a sollicité le 15 février 2010, sur le fondement de l’article 83 du code des marchés publics, le détail des motifs de rejet de son offre ; que, par courrier du 19 février 2010, le ministère de la défense lui a fait savoir, contrairement au motif indiqué précédemment, que son offre a été en réalité rejetée « en raison de son prix anormalement bas » ; elle fait valoir :

▪ que la procédure par laquelle son offre a été rejetée est entachée d’irrégularité ; qu’en effet, le pouvoir adjudicateur était tenu, en vertu de l’article 55 du code des marchés publics et s’il estimait son offre anormalement basse, de préalablement la consulter par écrit pour qu’elle puisse faire valoir utilement son point de vue avant de rejeter son offre pour ce motif ; qu’à cet égard, l’administration n’établit pas que son offre présente un tel caractère dès lors que les demandes de précisions d’ordre technique et financier qui ont été sollicitées par courriers des 28 octobre et 11 décembre 2009 ne faisaient pas clairement apparaître la moindre suspicion quant au caractère anormalement bas de son offre, outre que celle-ci, qui a été adaptée, et non surdimensionnée, aux exigences du marché, ne présente pas un tel caractère ;

▪ que l’administration a manifestement manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors qu’elle n’a pas mentionné dans les documents de consultation les éléments objectifs d’appréciation des critères de jugement des offres ; qu’à cet égard, elle n’a pas, s’agissant du critère du prix pondéré à 60%, selon quelle méthode elle envisageait de procéder à la comparaison des offres ; que, surtout, le pouvoir adjudicateur, en se bornant à exiger un respect des prescriptions prévues au cahier des clauses techniques particulières, n’a apporté au stade de la consultation aucune information et précision sur le contenu et les modalités de mise en œuvre du critère « valeur technique », pondéré quant à lui à 40%, et, par conséquent, sur les critères d’appréciation qu’il entendait à ce titre mettre en œuvre pour juger de cette valeur technique ;

Vu le mémoire, enregistré le 11 mars 2010, par lequel le ministre de la défense conclut au rejet de la requête ;

Le ministre soutient :

▪ que le pouvoir adjudicateur, pour estimer que l’offre présentée par la société requérante était anormalement basse au sens de l’article 55 du code des marchés publics, a parfaitement respecté la procédure contradictoire prévue par cet article ; qu’en effet, il a constaté, en premier lieu, que tel semblait être le cas au regard du montant de sa propre estimation et des offres des quatre autres candidats retenus ; qu’en deuxième lieu, il a adressé à cette société deux courriers, le 28 octobre puis le 11 décembre 2009, lui demandant de justifier ses prix et en particulier de préciser de manière détaillée la décomposition des prix de cinquante-six prestations figurant en annexe de son offre ; qu’en troisième lieu, une analyse des éléments de réponse fournis a été effectuée et a permis de déterminer l’origine du caractère anormalement bas de l’offre, en l’espèce une sous-estimation manifeste du prix des tranchées et « sur-largeurs » de tranchées ; qu’enfin, il a pris le 19 février 2010 une décision de rejet motivée qui mettait la société R2AE en mesure de faire valoir ses droits ; que la circonstance que les correspondances des 28 octobre et 11 décembre 2009 ne visent pas explicitement l’article 55 du code des marchés publics n’entache pas la procédure suivie d’irrégularité ; qu’au demeurant, l’article 4.2 du règlement de consultation précisait explicitement que le jugement des offres se ferait dans les conditions prévues, notamment, à l’article 55 du code des marchés publics et la société requérante ne pouvait ignorer que la nature des questions posées ne pouvait, à ce stade de la procédure, que relever de l’application de cet article 55 ; qu’enfin, quand bien même la procédure prévue à cet article n’aurait pas été respectée, la société ne peut sérieusement soutenir avoir été lésée dès lors qu’il est établi que son offre est anormalement basse et qu’elle ne pouvait, en tout état de cause, être retenue ;

▪ que la SOCIETE R2AE, en se bornant à formuler de simples affirmations non étayées, n’apporte aucun élément démontrant que son offre ne serait pas anormalement basse ; qu’en l’espèce, l’offre de cette société était, tout d’abord, nettement inférieure à celle de ses concurrents, de l’ordre de 30% en moins par rapport à l’offre qui lui était immédiatement supérieure et de 36% par rapport à la moyenne des offres ; que, par ailleurs, l’analyse de cette offre a mis en évidence le fait que ladite société ne pouvait assurer une bonne exécution technique des prestations proposées ; qu’ainsi, alors que ses concurrents annoncent, en ce qui concerne la réalisation de tranchées en espaces verts, une cadence comprise entre 57 et 175 mètres par jour avec deux ou trois ouvriers, la société requérante prétend, avec seulement deux ouvriers, pouvoir tenir une cadence de 400 mètres par jour ; qu’il en est de même de la création de tranchées en chaussée souple que les concurrents estiment pouvoir réaliser à raison de 20 à 45 mètres par jour avec deux intervenants, alors que la SOCIETE R2AE propose une cadence de 300 mètres par jour avec deux ouvriers ; que la surestimation des cadences proposées, ramenée en jours supplémentaires qui seraient nécessaires pour réaliser les prestations du marché selon une cadence cohérente, correspond à un manque à gagner de l’ordre de 156 jours, soit un montant d’environ 109 824 euros représentant 15% du montant global de l’offre ;

▪ qu’enfin, le moyen tiré de ce que les documents de consultation n’auraient pas mentionné les éléments objectifs d’appréciation des critères de jugement des offres ne peut être retenu ; qu’à cet égard, ce moyen est invoqué à un stade de la procédure où il ne peut plus l’être dès lors que la société requérante avait connaissance des critères de choix dès la parution, le 21 juillet 2009, de l’avis public à la concurrence et qu’il lui appartenait, en outre, de saisir le juge des référés précontractuels avant la remise de son offre pour contester ce prétendu manquement qu’elle ne peut, de toute façon, invoquer compte tenu du caractère anormalement bas de son offre ; qu’en toute hypothèse, le règlement de consultation et le cahier des clauses techniques particulières mettaient les candidats parfaitement à même d’identifier les attentes de la personne publique et la SOCIETE R2AE n’établit pas que le pouvoir adjudicateur n’aurait pas répondu à une demande de précisions sur la question des critères de choix, qu’il n’aurait pas fait état dans les documents de consultation des attentes de la personne publique ou qu’il aurait utilisé des sous-critères affectés d’une pondération qui auraient été de nature à modifier le classement des offres ;

Vu le mémoire, enregistré le 16 mars 2010 à 19h26, par lequel la SOCIETE R2AE conclut aux mêmes fins que la requête ;

Elle fait valoir, en outre :

▪ que la demande de précisions du 28 octobre 2010 ne portait pas sur le sous-détail des prix des tranchées ;

▪ que le ministre ne conteste pas qu’il ne l’a jamais informée que les demandes de précisions qui lui ont été adressées l’étaient au titre d’une suspicion d’offre anormalement basse, alors que le principe du débat contradictoire imposait que cette information lui soit donnée pour qu’elle puisse faire valoir ses arguments, comme d’ailleurs le précise l’arrêt « Lombardini et Mantovoni » de la Cour de justice des communautés européennes du 27 novembre 2001 ; qu’en l’espèce, tel n’a jamais été le cas, la seule circonstance que le ministre ait indiqué dans ses documents de consultation que les offres seraient jugées dans les conditions prévues, notamment, à l’article 55 du code des marchés publics n’étant pas de nature à justifier le respect dudit principe ;

▪ qu’en outre, en lui demandant d’apporter des précisions le 11 décembre 2009 pour le 15 décembre suivant, le ministre ne lui a laissé aucun délai raisonnable pour répondre ;

▪ que le débat contradictoire doit avoir lieu après ouverture des plis avant le rejet de ces dernières ;

▪ que les motifs pour lesquels le ministre a considéré son offre anormalement basse sont infondés ; qu’en effet, et en premier lieu, le seul différentiel de prix existant entre les offres ne conduit pas nécessairement à considérer l’offre la moins élevée comme étant anormalement basse ; qu’en deuxième lieu, l’allégation selon laquelle les cadences qu’elle a proposées seraient irréalistes et conduiraient à des pertes financières n’est pas fondée ; qu’à cet égard, le ministre tire cette argumentation de la seule comparaison des cadences proposées avec celles des autres concurrents, sans l’interroger sur ce point, sans tenir compte des caractéristiques propres de son offre et sans se poser la question de savoir si les offres des concurrents n’étaient pas, quant à elles, anormalement élevées ; qu’en particulier, la SOCIETE R2AE est une entreprise de taille restreinte qui ne présente pas les mêmes frais généraux que des entreprises de taille plus importante et qui a la capacité de mettre en œuvre une technique de « fonçage » pour passer sous les chaussées aéronautiques sans avoir à creuser, ce qui représente un gain de temps et de moyens ; qu’elle n’a, en réalité, pas surestimé les cadences qu’elle a proposées et qu’elle a d’ailleurs mises en œuvre sur d’autres chantiers, dès lors que le pouvoir adjudicateur a retenu sa candidature, reconnaissant ainsi ses capacités professionnelles et techniques, et qu’elle a bien évalué les contraintes du chantier qui, en l’espèce, ne présente pas de difficultés techniques particulières ;

▪ que le ministre n’apporte aucune précision sur la manière dont il a noté le critère du prix et apprécié la valeur technique des offres ; qu’à cet égard, ce moyen, contrairement à ce qu’il soutient, n’est pas inopérant au motif que l’offre de la SOCIETE R2AE serait anormalement basse dès lors qu’il a été démontré que tel n’était pas le cas ; que le ministre, ainsi que cela ressort de la jurisprudence, ne peut davantage soutenir que le manquement ainsi invoqué l’est à un stade de la procédure où ce manquement n’est plus susceptible de la léser ; qu’enfin, ne ressortent d’aucune pièce du dossier les éléments suffisants d’appréciation des critères invoqués ; qu’en effet, aucune formule de notation n’est produite et aucun élément de démonstration ne permet d’apprécier si l’analyse des prix telle qu’elle a été effectuée ne révèle pas une dénaturation des offres soumises ; qu’il en est également ainsi de l’analyse du critère technique dont les modalités de mise en œuvre ne peuvent relever des définitions des obligations contractuelles telles qu’elles figurent au cahier des clauses techniques particulières ; qu’en ne respectant pas l’obligation d’indiquer les éléments d’appréciation de ces critères, le pouvoir adjudicateur s’est ainsi octroyé une liberté de choix discrétionnaire ;

Après avoir informé les parties présentes à l’audience initialement prévue le 17 mars 2010 du renvoi de cette audience au 19 mars 2010 à 11h pour permettre au ministre de la défense de prendre connaissance et répondre au dernier mémoire de la SOCIETE R2AE, parvenu par fax au tribunal le 16 mars 2010 à 19h26, et assurer ainsi un déroulement normal du débat contradictoire ;

Vu le mémoire, enregistré le 18 mars 2010, par lequel le ministre de la défense conclut aux mêmes fins de rejet de la requête ;

Il fait valoir, en outre :

▪ qu’il a parfaitement respecté la procédure prévue à l’article 55 du code des marchés publics qui se borne à exiger du pouvoir adjudicateur de demander « par écrit des précisions qu’il juge utile » au candidat qu’il soupçonne d’avoir présenté une offre anormalement basse sans qu’y fasse obstacle la circonstance que cet article ne soit pas expressément visé à cette occasion ; que la décision de la Cour de justice des communautés européennes invoquée n’est pas applicable en l’espèce dès lors qu’elle se rapporte à l’interprétation d’une directive désormais abrogée ;

▪ que la société requérante n’a pas été privée de son droit à apporter des justifications sur le contenu de son offre ;

▪ que les précisions demandées dans les courriers des 28 octobre et 11 décembre 2009 ne pouvaient relever des demandes prévues à l’article 59-1 du code des marchés publics qui vise uniquement à préciser le « périmètre » exact des offres des candidats ; qu’à cet égard, la société requérante ne démontre pas qu’elle aurait fourni des justifications différentes si « elle avait su » qu’elle devait répondre dans le cadre de la procédure de l’article 55 ;

▪ que le moyen tiré de ce que le débat dans le cadre de la présente instance ne saurait suffire à établir le caractère contradictoire de l’examen de l’offre ne peut être retenu ; qu’en effet, la SOCIETE R2AE s’est vue à ce titre communiquer toutes les informations expliquant les raisons pour lesquelles son offre a été rejetée et ne justifie donc pas la pertinence du manquement qu’elle invoque ; qu’en tout état de cause, le pouvoir adjudicateur se trouvait en situation de compétence liée pour rejeter l’offre de cette société dès lors que le caractère anormalement bas de son offre était avéré ;

▪ que la société requérante, en soutenant de manière inopérante que la faiblesse de ses frais généraux, les caractéristiques du chantier ou l’entente alléguée entre les autres candidats justifieraient le prix de son offre, n’en explique le niveau anormalement bas ; que les devis estimatifs qu’elle produit au titre de travaux de même nature qu’elle prétend avoir réalisés n’établissent d’ailleurs pas la pertinence des cadences proposées pour le marché en cause et ne comportent d’ailleurs pas d’éléments portant sur les moyens mis en œuvre ;

▪ que le moyen tiré de l’absence d’éléments objectifs d’appréciation des critères de jugement des offres doit être également écarté ; qu’en effet, l’offre de la société requérante a été écartée au seul motif qu’elle a été jugée anormalement basse et n’avait donc pas à se voir appliquer les critères de sélection prévus ; qu’elle ne peut de toute façon s’estimer lésée dès lors qu’elle n’a pas posé au pouvoir adjudicateur de questions susceptibles d’être utile pour améliorer son offre ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision par laquelle le président du Tribunal a désigné M. A, premier conseiller, pour statuer sur les demandes de référé ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir au cours de l’audience publique du 19 mars 2010 présenté son rapport et entendu les observations de :

( Me Ramaut, pour la SOCIETE R2AE, qui souligne que les travaux en cause ne présentent pas de difficultés techniques particulières ;

( M. X, représentant le ministre de la défense, qui confirme l’absence de difficultés particulières de ces travaux et précise que le contexte budgétaire ne permet pas d’envisager un commencement desdits travaux avant la fin de l’année ;

— les explications de M. Z, directeur de la SOCIETE R2AE ;

— les explications de M. Y, technicien auprès du ministre de la défense ;

Sur l’application de l’article L. 551-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 551-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au marché litigieux : « Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu’il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation des marchés publics, des marchés mentionnés au 2° de l’article 24 de l’ordonnance n° 2005-649 du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics, des contrats de partenariat, des contrats visés au premier alinéa de l’article L.6148-5 du code de la santé publique et des conventions de délégation du service public. Les personnes habilitées à agir sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d’être lésées par ce manquement, ainsi que le représentant de l’Etat dans le département dans le cas où le contrat est conclu ou doit être conclu par une collectivité territoriale ou un établissement public local. Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l’auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l’exécution de toute décision qui s’y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu’il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu’au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours (…). Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés. » ; qu’en vertu de ces dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d’être lésées par de tels manquements ; qu’il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l’entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l’avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente ; qu’il vérifie en particulier le bien-fondé des motifs de l’exclusion d’un candidat dans le cadre de la procédure d’attribution d’un marché ;

Considérant que, par un avis d’appel public à la concurrence publié au bulletin officiel des annonces des marchés publics le 21 juillet 2009, le ministère de la défense a lancé une procédure d’appel d’offres en vue de la conclusion d’un marché ayant pour objet la réalisation de travaux de renouvellement du réseau d’eau de la base aéronavale de Lann-Bihoué (Morbihan) ; que la SOCIETE R2AE a présenté une offre ; que le pouvoir adjudicateur, par un premier courrier du 28 octobre 2009, a demandé à cette société, qui y a répondu le 11 novembre 2009, des précisions concernant le prix de prestations qui « n’ont pas donné lieu à un chiffrage spécifique ou qui n’ont pas pu être clairement identifiées dans un autre prix » puis, par un second courrier du 11 décembre 2009, des renseignements complémentaires portant sur « les sous-détails des prix » de divers éléments de l’offre, lesquels ont fait l’objet d’une réponse apportée par ladite société le 15 décembre 2009 ; que, par lettre du 12 février 2010, le ministre de la défense a informé la SOCIETE R2AE que son offre était rejetée motif pris que celle-ci « n’a pas été jugée la mieux disante par le pouvoir adjudicateur au terme de la pondération des critères de jugement des offres » ; qu’en réponse à la demande par laquelle cette société a sollicité le détail des motifs de ce rejet, le ministre, par courrier du 19 février 2010, lui a finalement indiqué qu’en réalité, son offre « a été éliminée conformément aux dispositions de l’article 55 du code des marchés publics en raison de son prix anormalement bas » ; que la société requérante conteste cette décision ;

Considérant qu’aux termes de l’article 55 du code des marchés publics : « Si une offre paraît anormalement basse, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter par décision motivée après avoir demandé par écrit les précisions qu’il juge utiles et vérifié les justifications fournies (…). Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : 1° Les modes de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, les procédés de construction ; 2° Les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le candidat pour exécuter les travaux, pour fournir les produits ou pour réaliser les prestations de services ; 3° L’originalité de l’offre ; 4° Les dispositions relatives aux conditions de travail en vigueur là où la prestation est réalisée ; 5° L’obtention éventuelle d’une aide d’Etat par le candidat. Une offre anormalement basse du fait de l’obtention d’une aide d’Etat ne peut être rejetée que si le candidat n’est pas en mesure d’apporter la preuve que cette aide a été légalement accordée. Le pouvoir adjudicateur qui rejette une offre pour ce motif en informe la Commission européenne. » ; qu’aux termes de l’article 59 du même code : « I.- Il ne peut y avoir de négociation avec les candidats. Il est seulement possible de demander aux candidats de préciser ou de compléter la teneur de leur offre (…) » ; que la procédure contradictoire spécialement instituée par les dispositions de l’article 55 précité implique nécessairement que le soumissionnaire soupçonné par le pouvoir adjudicateur de présenter une offre anormalement basse en soit clairement informé à un stade de la procédure qui lui permette de faire valoir utilement son point de vue et de disposer de la possibilité de fournir, même de sa propre initiative, toutes justifications qu’il juge utile à propos des éléments de son offre qui paraissent litigieux ;

Considérant que si les courriers susmentionnés des 28 octobre et 11 décembre 2009 adressés à la société requérante par le pouvoir adjudicateur portent sur des demandes de précisions relatives au contenu des prix proposés dans l’offre en litige, à aucun moment il n’y est mentionné le motif de ces demandes, le seuil d’anormalité que le pouvoir adjudicateur a estimé applicable au marché, ni même le fait que l’offre de cette société lui est apparue anormalement basse ; que la SOCIETE R2AE, qui soutient avoir répondu dans ces courriers comme d’ailleurs elle l’aurait fait dans le cadre de droit commun prévu, en cas d’appel d’offres ouvert, à l’article 59 du code des marchés publics, a par conséquent été privée, dans les circonstances de l’espèce, du débat contradictoire effectif auquel elle avait droit ; qu’ainsi, en excluant de ce marché la candidature de la SOCIETE R2AE pour le motif invoqué, le ministre de la défense a méconnu les principes d’égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures qui constituent les conditions d’une mise en concurrence régulière ; qu’il ne résulte pas de l’instruction et des débats à l’audience que cette société ne disposait pas de la capacité de démontrer, dans le cadre d’un véritable débat contradictoire, que son offre était techniquement réalisable ; que la SOCIETE R2AE est dès lors fondée à soutenir que le manquement qu’elle invoque l’a lésé ; qu’il y a lieu dans ces conditions, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, d’annuler la procédure de passation dudit marché ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de condamner l’Etat à verser à la SOCIETE R2AE la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

O R D O N N E :

Article 1er : La procédure de passation du marché susvisé ayant pour objet la réalisation de travaux de renouvellement du réseau d’eau de la base aéronavale de Lann-Bihoué (Morbihan) et pour lequel la SOCIETE R2AE s’est vue rejeter son offre par lettre du ministre de la défense du 12 février 2010 est annulée.

Article 2 : L’Etat est condamné à verser à la SOCIETE R2AE la somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SOCIETE R2AE et au ministre de la défense.

Fait à Rennes, le 24 mars 2010.

Le juge des référés, Le greffier,

P. A R. DUVAL

La République mande et ordonne au ministre de la défense, en ce qui le concerne, et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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