Tribunal Judiciaire de Paris, 18 décembre 2020, n° 19/04136

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 18 déc. 2020, n° 19/04136
Numéro(s) : 19/04136

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS 1

3ème chambre 2ème JUGEMENT section rendu le 18 décembre 2020

N° RG 19/04136 N° Portalis 352J-W-B7D-CPRNS

N° MINUTE :

Assignation du : 19 mars 2019

DEMANDERESSE

S.A.S. DLD […]

représentée par Maître Jérémie ASSOUS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #K0021

DÉFENDERESSE

S.A.S. X Y […]

représentée par Maître Vanessa BOUCHARA de la SELARL CABINET BOUCHARA – Avocats, avocats au barreau de PARIS, vestiaire #C0594

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Florence BUTIN, Vice-Présidente Catherine OSTENGO, Vice-présidente Emilie CHAMPS, Vice-Présidente

assistées de Géraldine CARRION, greffier

Expéditions exécutoires délivrées le :

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Décision du 18 décembre 2020 3ème chambre 2ème section N° RG 19/04136 N° Portalis 352J-W-B7D-CPRNS

DÉBATS

A l’audience du 12 novembre 2020 tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société DLD immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 16 février 2015 a pour activité déclarée le développement des activités de divertissement à destination des particuliers.

Elle expose avoir créé le jeu « Limite-Limite » sur lequel elle revendique des droits d’auteur, qu’elle affirme avoir mis en vente à compter du 23 avril 2015 et qu’elle décrit comme un jeu de société consistant à opérer des combinaisons de cartes dans le but de composer la phrase la plus absurde, drôle, provocatrice ou choquante appelée « combo ».

La société X Y, éditeur de jeux de société, expose pour sa part avoir créé en 2018 le jeu « Juduku » qui consiste en un jeu de cartes dont elle qualifie certaines de « provocantes » et de « politiquement incorrectes » invitant les joueurs à citer trois réponses à une question donnée en huit secondes.

La société DLD, considérant que le jeu Juduku reprend les caractéristiques du sien, a fait assigner la société X Y par acte signifié le 19 mars 2019 en contrefaçon de droit d’auteur et concurrence déloyale et parasitaire.

Elle présente, aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 septembre 2020, les demandes suivantes :

Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil ;

Vu les articles L. 111-1, L. 112-2, L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle ;

Vu l’article 700 du Code de procédure civile ;

Vu la jurisprudence en la matière ;

Vu les pièces versées au débat ;

SUR LA CONTREFACON DE DROITS D’AUTEUR :

• DIRE ET JUGER que la société X Y a contrevenu aux droits d’auteur de la société DLD ;

• CONDAMNER la société X Y à verser à la société DLD la somme forfaitaire de 100.000 euros de dommages et intérêts au titre des actes de contrefaçon ;

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• SUBSIDIAIREMENT, CONDAMNER la société X Y à verser à la société DLD la somme correspondant à la moitié des bénéfices réalisés en 2019, correspondant aux conséquences négatives de l’atteinte à ses droits, et pour ce faire, d’enjoindre à la société X Y de produire ses comptes annuels.

• CONDAMNER la société X Y à verser à la société DLD la somme de 20.000 euros de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

• CONDAMNER la société X Y à stopper la production du jeu « Juduku » et à détruire les exemplaires restants ;

SUR L’ACTION EN RESPONSABILITÉ FONDÉE SUR LA CONCURRENCE DELOYALE PAR CONFUSION ET PARASISTIME :

• DIRE ET JUGER que la société X Y a commis des actes de concurrence déloyale par confusion au préjudice de la société DLD et des agissements parasitaires engageant ainsi sa responsabilité extracontractuelle ;

• CONDAMNER la société X Y à verser à la société DLD la somme de 100.000 euros de dommages et intérêts au titre des actes de concurrence déloyale commis à son encontre,

• CONDAMNER la société X Y à verser à la société DLD la somme de 20.000 € de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE :

• ORDONNER la publication de la décision à intervenir, aux frais de la société X Y, sous la forme d’un document au format PDF reproduisant l’intégralité de la décision et accessible à partir d’un lien hypertexte apparent situé sur les sites internet www.Juduku.com, www.amazon.fr et le moteur de recherche Google associé aux mots clés « Limite-Limite » et « Juduku », l’intitulé de ce lien étant « La société X Y, créatrice du jeu « Juduku » a été condamnée judiciairement pour contrefaçon de droits d’auteur appartenant à la société DLD, créatrice du jeu « Limite-Limite » et en concurrence déloyale », dans une police Arial de 16 points, en caractères noirs sur fond blanc, et en dehors de tout encart publicitaire, pendant une durée de trois mois à compter de la première mise en ligne, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de 8 jours après signification de l’arrêt.

• ORDONNER à la société X Y de produire les chiffres des dépenses et du chiffre d’affaires généré par l’achat des mots-clés Limite-Limite ou d’encarts sur ses pages Amazon,

• ORDONNER la société X Y de produire ses comptes annuels de l’exercice 2019,

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• DEBOUTER la société X Y de l’intégralité de ses demandes ;

• CONDAMNER la société X Y à verser à la société DLD la somme de 10.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens ;

• ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

La société X Y présente, aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 9 septembre 2020, les demandes suivantes :

Vu les articles L 111-1 et L335-3 du Code de propriété intellectuelle Vu les articles 1240 et 1241 du Code Civil Vu les articles 32-1 et 700 du Code de procédure civile

- Recevoir X Y en ses conclusions et les dire bien fondées,

A titre principal :

-Constater que la société DLD n’apporte pas la preuve des droits qu’elle invoque ni de la titularité de ses droits et des agissements reprochés à la société X Y et en conséquence, Déclarer irrecevable l’action initiée par DLD ;

-Rejeter la pièce adverse n°26 invoquée par la société DLD à l’appui de ses conclusions n°4 signifiées le 9 septembre 2020 et non communiquée à la société X Y avant la clôture.

A titre subsidiaire

-Déclarer que la société X Y n’a pas commis d’acte de concurrence déloyale ou parasitaire à l’égard de la société DLD

-Déclarer que la société X Y n’a pas commis d’acte de contrefaçon de droits d’auteur

Et en conséquence,

-Déclarer la société DLD irrecevable ou à tout le moins mal fondée en toutes ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire,

-Constater que la société DLD ne justifie pas des préjudices allégués ;

-Débouter en conséquence, la société DLD de ses demandes indemnitaires ou, à tout le moins, ramener leurs montants à de plus justes proportions ;

A titre reconventionnel,

-Constater le dénigrement opéré par la société DLD à l’encontre de la société X Y ;

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-Constater la publicité trompeuse opérée par la société DLD en se présentant comme n°1 des jeux d’ambiance ;

-Constater que ces actes de concurrence déloyale causent un préjudice à la société X Y ;

-Constater que l’action engagée par la société DLD est abusive et cause un préjudice à la société X Y ;

En conséquence,

-Condamner la société DLD à payer à la société X Y la somme de 50.000 (cinquante mille) euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale ;

-Condamner DLD à payer à X Y la somme de 50.000 (cinquante mille) euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;

En tout état de cause

-Condamner la société DLD à payer à la société X Y la somme de 15.000 (quinze mille) euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;

-Condamner la société DLD aux entiers dépens ;

-Ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir en toutes ses dispositions nonobstant appel et sans constitution de garantie.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 septembre 2020 et l’affaire plaidée le 12 novembre 2020.

Pour un exposé complet de l’argumentation des parties il est, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

MOTIFS

1- Sur la demande d’exclusion de pièces

La défenderesse demande que la pièce n°26 produite par la société DLD à l’appui de ses dernières conclusions soit écartée des débats au motif qu’elle ne lui a pas été communiquée.

La demanderesse fait valoir que bien qu’ayant été transmise à la défenderesse postérieurement à la clôture, cette pièce a bien été notifiée.

Sur ce,

L’article 445 du code de procédure civile dispose qu’après la clôture des débats, les parties ne peuvent déposer aucune note à l’appui de leurs observations, si ce n’est en vue de répondre aux arguments développés par le ministère public, ou à la demande du président dans les cas prévus aux articles 442 et 444.

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L’article 16 du même code dispose que le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.

En l’espèce, outre le fait que la société DLD ne rapporte pas la preuve de la communication à la société X Y de la pièce litigieuse, il n’est pas contesté que celle-ci a été produite après la date de l’ordonnance de clôture.

Il s’ensuit que la pièce n°26 de la société DLD, sera écartée des débats.

2- Sur la demande aux fins de voir déclarer la demanderesse irrecevable en ses demandes

La société X Y, conclut au visa des articles 9 et 56 du code de procédure civile, à l’irrecevabilité des demandes en faisant valoir qu’aucun élément de preuve tangible ne permet de dater précisément la création et la divulgation des cartes revendiquées par la société DLD et de déterminer avec précision l’objet du litige et les droits qu’elle revendique.

Sur ce,

Il sera rappelé que selon l’article 122 du code de procédure civile dispose que « constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée » de sorte que la défenderesse ne peut pertinemment soutenir que l’action de la société DLD doit être déclarée irrecevable sur le fondement de l’article 56 susvisé relatif à la validité de l’assignation, laquelle ne constitue pas une fin de non-recevoir.

Quant aux arguments tenant à l’absence alléguée de preuve de la date de la divulgation du jeu Limite Limite, ils doivent être examinés dans le cadre de la recevabilité des demandes fondées sur le droit d’auteur.

Enfin, le moyen tenant plus généralement au défaut de justification des faits invoqués par la société DLD, peut tout au plus, conduire au rejet des demandes.

Dans ces conditions la demande aux fins de voir déclarer la demanderesse irrecevable en ses demandes ne peut qu’être écartée.

3- Sur la protection au titre du droit d’auteur

3.1- Titularité des droits

La société DLD soutient que n’ayant été immatriculée qu’en février 2015, elle bénéficie de la présomption de titularité des droits en faisant valoir que si l’impression du jeu Limite-Limite a été confiée le 8 janvier 2015 à l’imprimeur non par ses soins mais par l’EURL MIRACLE CAPITAL, alors détenue par Z A, ce dernier est ensuite

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devenu associé de la société DLD, ce qui permet de considérer qu’elle est bien à l’origine de la divulgation du jeu litigieux.

La société X Y réplique que la demanderesse ne justifie pas être titulaire des droits qu’elle invoque sur le jeu Limite Limite dès lors que sa divulgation a été effectuée par une société tierce.

Sur ce,

En application de l’article L. 113-1 du code de la propriété intellectuelle, la qualité d’auteur appartient sauf preuve contraire à celui ou à ceux sous le nom de qui l’œuvre est divulguée, et en l’absence de revendication d’une personne physique qui s’en prétendrait l’auteur, l’exploitation non équivoque de l’œuvre par une personne morale sous son nom fait présumer à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon que celle-ci est titulaire des droits patrimoniaux invoqués.

Pour bénéficier de cette présomption, il appartient à la personne morale d’identifier avec précision l’œuvre qu’elle revendique, de justifier de sa première commercialisation et d’établir que les caractéristiques de l’œuvre revendiquée sont identiques à celle dont la preuve de la commercialisation sous son nom est rapportée. A défaut, elle doit justifier du processus de création et des conditions dans lesquelles elle est investie des droits d’auteur.

En l’espèce, la demanderesse étant une personne morale, pour bénéficier de la présomption de la titularité des droits d’auteur, elle doit établir qu’elle exploite le jeu « Limite Limite » sous son nom. Le fait que son impression ait été pour la première fois confiée à un imprimeur par une société tierce est inopérant à cet égard étant relevé que de surcroît, cette opération ne constitue pas un acte de divulgation.

Or, la société X Y ne conteste pas que le jeu « Limite Limite » est commercialisé par la société DLD depuis 2015 comme cela ressort tant de ses écritures que des pièces versées aux débats. (pièces DEF n°3 et n° 16 et DEM n°11)

Dans ces conditions, la société DLD sera déclarée recevable en son action.

3.2- Originalité

La société DLD soutient que l’originalité du jeu « Limite Limite » tient non à sa règle mais aux expressions imaginées par ses concepteurs qui sont drôles et incongrues, voire « inimaginables » quand bien même les thèmes auxquelles elles se rapportent sont courants et ne sont pas particulièrement comiques. Selon elle, c’est le cheminement intellectuel des auteurs -consistant à opérer des associations improbables pour conduire au rire- qui doit être protégé car il manifeste l’empreinte de leur personnalité.

La société X Y réplique en premier lieu que la demanderesse ne démontre pas l’antériorité des éléments revendiqués du jeu « Limite Limite » par rapport au jeu « Juduku », commercialisé à compter du mois d’octobre 2018 ce, parce que les trois versions de

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son jeu produites aux débats, portent chacune la date de 2019. En second lieu, elle soutient que ce jeu n’est qu’une reprise de jeux précédemment édités aux Etats-Unis et du jeu « BLANC MANGER COCO » déjà connu sur le territoire national. Elle fait par ailleurs valoir que les phrases sur lesquelles la demanderesse revendique des droits d’auteur ne constituent pas des jeux de mots, mais seulement des énoncés de sujets d’une grande banalité qui alimentent habituellement les conversations des jeunes et se retrouvent d’ailleurs sur le forum du site internet jeuxvideo.com. Elle relève enfin que les cinq cartes sélectionnées par la société DLD permettent d’établir qu’elle s’est contentée de compiler des expressions et des blagues déjà largement éprouvées.

Sur ce,

L’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu’elle est originale, d’un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. L’originalité de l’œuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur. La reconnaissance de la protection par le droit d’auteur ne repose donc pas sur un examen de l’œuvre invoquée par référence aux antériorités produites, même si celles-ci peuvent contribuer à l’appréciation de la recherche créative. L’originalité de l’œuvre peut résulter du choix des couleurs, des dessins, des formes, des matières ou des ornements mais également, de la combinaison originale d’éléments connus.

Lorsque la protection est contestée en défense, l’originalité doit être explicitée et démontrée par celui s’en prétendant auteur qui doit permettre l’identification des éléments au moyen desquels cette preuve est rapportée, ce pour chacune des œuvres au titre desquelles le droit est revendiqué.

En l’espèce, il résulte des pièces produites aux débats que le jeu « Limite Limite » constitue manifestement une déclinaison du jeu « BLANC MANGER COCO » paru fin 2014, qui est décrit dans le mensuel VALEURS ACTUELLES paru le 29 mai 2019 en ces termes : « Le but : trouver les combinaisons les plus transgressives et inattendues. Sexe, religion, racisme, histoire, politique, argent… Tout y passe, s’y mêle et s’entrechoque. Comme des silex, les mots y font des étincelles. Le rire emporte tout. » (pièce 3 bis DEF) et sur le site Amazon, comme suit « Parce qu’on ne rit jamais assez, parce qu’on a le droit de rire de tout, Blanc-Manger Coco est le jeu parfait pour l’apéro. Un joueur lit une carte bleue avec une phrase à trou et les autres complètent la phrase en proposant, face cachée, une carte blanche. Le joueur qui a lu la question choisit la réponse qu’il préfère. Toute la magie du jeu réside dans le décalage total entre questions et réponses. A la question « La fin justifie ___ », vous avez peu de chance de gagner en mettant, « Les moyens » Comme réponse. En revanche si vous avez la réponse « Le trafic organes…. » (pièce n°14 DEM)

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Dans ces conditions, il est d’autant plus nécessaire que la société DLD démontre que les phrases issues de son jeu et sur lesquelles elle revendique des droits d’auteur, portent l’empreinte de leur(s) auteur(s).

Or, bien que sa demande de protection vise la totalité des cartes de son jeu -qui pour chacune des trois versions, en comportent 300- elle se contente de soumettre au tribunal les cinq intitulés suivants :

- « Faire une gorge profonde à un cactus »,

- « Passer ses vacances en Syrie »,

- « S’asseoir sur un tabouret à l’envers »,

- « Un défilé de mode en Arabie Saoudite »

- « rencontrer telle personne dans une partouze masquée » en affirmant qu’elles sont originales car il s’agit selon elle, d’expressions imagées « incongrues » voire « inimaginables ».

Il résulte toutefois des pièces produites par la défenderesse, que ces phrases étaient accessibles sur internet antérieurement à la diffusion du jeu « Limite Limite » intervenue à compter de 2015.

Ainsi sur le site « www.jeuxvideo.com » (pièce DEM n°18) à un internaute qui postait le sujet « 4 gays, un tabouret pour s’asseoir » il était répondu le 4 juillet 2011, de la façon suivante :

De même, sur le compte Twitter de l’artiste DJ SNAKE en octobre 2014, il est ainsi suggéré à un utilisateur « Va faire une gorge profonde à un cactus » (pièce DEF 18 et 18-1).

Un article édité en janvier 2012 à l’adresse « https://www.revue- internationale.com » intitulé « destinations insolites pour passer ses vacances » suggère une visite d’Homs en Syrie en ces termes « Certes, les importantes manifestations, fréquemment meurtrières, peuvent en refroidir certains, mais les fameux monuments de Homs peuvent motiver les plus téméraires ».

Dès 2010, Bill MAHER humoriste américain organisait sur scène « un défilé de mode musulman » mettant en scène des femmes revêtues de burkas. (pièce DEF 18-11 et […]

Enfin, comme le fait valoir la société X Y, la dernière des cinq phrases « consiste dans l’énoncé d’une mise en situation sexuelle, à l’occasion de laquelle on rencontre quelqu’un qu’on aurait préféré ne pas rencontrer, générant ainsi une situation particulièrement malaisante » et ne présente donc aucune originalité particulière.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, force est de constater que la société DLD n’a pas fait la démonstration d’un quelconque effort créatif.

Ses prétentions sur le fondement du droit d’auteur ne peuvent donc être accueillies.

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4- Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire

La demanderesse soutient que la société X Y n’a cessé de faire référence à « Limite-Limite » pour promouvoir son propre jeu « Juduku » créant ainsi une confusion aux yeux des consommateurs, laquelle est renforcée par la similarité des deux jeux. S’agissant du parasitisme, la société DLD fait valoir que la défenderesse, bien que justifiant de ses investissements notamment publicitaires, s’est volontairement placée dans son sillage et celui du jeu « Limite-Limite » pour exploiter son savoir-faire et capter ses efforts et investissements, et ainsi lui permettre de réaliser de substantielles économies. Elle soutient à cet égard que la société X Y n’a pas hésité à investir massivement pour évincer « Limite-Limite » des bases de données du site de vente en ligne Amazon et détourner sa clientèle à son profit et enfin, qu’elle s’est appropriée sa foire aux questions.

La société X Y réplique d’une part qu’il n’est pas justifié de faits distincts de la contrefaçon et que d’autre part, la société DLD échoue à établir que « Juduku » constitue une réplique de « Limite Limite » en relevant que les deux s’inscrivent dans un courant commun partagé avec d’autres jeux du même type. Concernant le parasitisme allégué, elle relève que la notoriété du jeu de la demanderesse n’est pas établie et qu’elle ne démontre ni l’achat de mots-clé ou la souscription sur le site Amazon à l’offre Sponsored Products dénoncée ni une reprise de sa « foire aux questions ».

Sur ce,

Sont sanctionnés au titre de la concurrence déloyale, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, les comportements distincts de ceux invoqués au titre de la contrefaçon et fautifs car contraires aux usages dans la vie des affaires tels que ceux visant à créer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit ou ceux, parasitaires, qui tirent indûment profit d’une valeur économique d’autrui et procurent à leur auteur un avantage concurrentiel injustifié issu d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité, la notoriété de la prestation copiée.

En l’espèce, alors que l’action en contrefaçon vise exclusivement la reproduction par la défenderesse, des intitulés et phrases inscrites sur les cartes du jeu, dans le cadre le l’action en concurrence déloyale, la société DLD reproche essentiellement à la société X Y son comportement sur les plateformes de vente en ligne qui, associé à des similarités entre les deux jeux en concurrence, génère auprès du public visé -qui peut ici être défini comme des adolescents et jeunes adultes adeptes des jeux d’ambiance provocants- un risque de confusion sur l’origine respective des produits. Ces faits constituent donc des actes distincts de la contrefaçon.

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Il s’avère cependant que « Limite Limite » et « Juduku » présentent un packaging différent (forme, taille et couleur de la boite, nombre et couleurs des cartes) et surtout qu’ils n’ont pas la même règle du jeu puisque le second demande aux joueurs des réponses personnelles tandis que dans le premier celles-ci sont dictées par les cartes tirées par les joueurs. Il n’est pas davantage établi que la foire aux question de « Juduku » serait une reprise de celle de « Limite Limite ». Leur unique point commun réside donc dans les thèmes abordés qui sont dans les deux cas volontairement provocants mais, comme le souligne justement la société X Y, s’inscrivent dans une tendance actuelle largement répandue dans le domaine des jeux d’ambiance à destination d’un public d’adolescents et de jeunes majeurs.

Il s’ensuit que le seul fait que les clients d’Amazon postent des commentaires faisant le lien entre les deux jeux ne peut suffire à caractériser chez la société défenderesse des actes de concurrence déloyale étant à cet égard relevé qu’il est pareillement fait référence au jeu « BLANC MANGER COCO ». Au contraire, si les consommateurs comparent les produits en cause c’est à l’évidence qu’ils ne les confondent pas. (pièces DEM n°15 et 19)

Quant au comportement parasitaire imputé à la société X Y, il repose essentiellement sur le fait que celle-ci a souscrit à l’offre Sponsored Products d’Amazon, ce qui est établi par la présence sur le site, à côté de l’offre du jeu « Juduku », de la mention « sponsorisé » (pièce DEM n°8). Or, cette pratique, parfaitement légale et répandue dans la vie des affaires ne peut suffire à caractériser un acte parasitaire.

Dans ces conditions, les demandes formées à ce titre par la société DLD ne peuvent qu’être rejetées.

5- Sur la demande reconventionnelle en concurrence déloyale (dénigrement et publicité trompeuse)

La société X Y reproche en premier lieu à la société DLD d’avoir adressé une copie de l’assignation à son fournisseur ce qui constitue selon elle, un acte de dénigrement et en second lieu, elle soutient qu’à la suite d’un référencement publicitaire et de l’achat de mots clés, « Limite Limite » est systématiquement affiché par le moteur de recherche Google avant « Juduku ». Enfin, elle fait valoir qu’en se prétendant n°1 sans qu’aucune étude fiable ou analyse quelconque ne viennent corroborer sa position de leader sur le marché des jeux d’ambiance, la défenderesse se rend coupable de publicité trompeuse.

La société DLD réplique avoir communiqué l’assignation à la société BLACK ROCK parce que celle-ci est également son distributeur et conteste avoir eu recours aux Google adwords. Elle considère enfin ne pas avoir fait preuve de déloyauté en se présentant N°1 sur le marché des jeux d’ambiance et fait enfin valoir que la défenderesse elle-même adopte des pratiques anticoncurrentielles en offrant un cadeau aux internautes contre l’attribution à son jeu, d’une bonne évaluation.

Sur ce,

Selon l’article L 120-1 du code de la consommation, une pratique

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commerciale est déloyale lorsqu’elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qu’elle altère, ou est susceptible d’altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l’égard d’un bien ou d’un service et selon l’article L 120-2, une pratique commerciale est trompeuse notamment lorsqu’elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d’un concurrent et lorsqu’elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant notamment sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service.

Le dénigrement consiste à jeter publiquement le discrédit sur une personne, un produit ou un service identifié et se distingue de la critique dans la mesure où il émane d’un acteur économique qui cherche à bénéficier d’un avantage concurrentiel en jetant le discrédit sur son concurrent ou sur les produits de ce dernier. Cette définition limite la qualification de dénigrement aux pratiques d’opérateurs liés par des relations de concurrence, aux propos ou écrits publics et dont le contenu vise à jeter le discrédit sur des produits ou services.

En l’espèce, la société DLD ne conteste pas avoir le 26 mars 2019, communiqué la copie de l’assignation au distributeur du jeu « Juduku », la société BLACK ROCK. Cette unique transmission, qui n’est accompagnée d’aucun commentaire particulier et s’analyse comme un avertissement objectif adressé à un opérateur directement concerné dans des conditions n’impliquant pas une plus large diffusion, ne saurait suffire à caractériser un dénigrement ayant jeté le discrédit sur la défenderesse.

Ensuite, si le fait pour une société d’utiliser, sous la forme de mots-clés employés dans le cadre d’un service de référencement, la dénomination sociale et le nom de domaine d’un concurrent peut générer un risque de confusion fautif, celui-ci doit être établi. Or, outre que la société X Y ne rapporte à cet égard aucun élément de preuve, il résulte de ses propres écritures qu’elle-même a recouru à l’utilisation des AdWords de Google de telle sorte que son jeu est affiché en première place de la liste des résultats de recherche (cf page 59 des conclusions de la défenderesse). Elle ne peut, dans ces conditions, pertinemment soutenir que sa concurrente, en utilisant le service de référencement de Google, détourne une partie de sa clientèle.

Enfin, ne constitue pas une publicité trompeuse susceptible de caractériser un acte de concurrence déloyale le fait d’avoir fait ajouter à côté de l’intitulé du jeu « Limite Limite » dans le référencement de Google, la mention « # 1 des jeux d’ambiance-plus d’un million de joueurs » alors qu’il est justifié par la société DLD d’autant de téléchargements de l’application correspondante et d’un nombre de « like » sur sa page Facebook largement supérieur à celui de ses concurrents (à la date du 4 juin 2020 : 187 537 pour « Limite Limite » contre 11 972 pour « Juduku » et 36 723 pour « BLANC MANGER COCO » – pièce n° 16 DEM).

Il n’est en tout état de cause pas démontré que cette présentation comme leader du marché des jeux d’ambiance a altéré de manière substantielle,

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Décision du 18 décembre 2020 3ème chambre 2ème section N° RG 19/04136 N° Portalis 352J-W-B7D-CPRNS

le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé et ainsi engendré un trouble commercial au détriment de la société X Y.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la demande reconventionnelle fondée sur la concurrence déloyale et le dénigrement sera rejetée.

6- Sur la demande reconventionnelle en procédure abusive

La société X Y expose avoir été assignée sans avoir été préalablement destinataire d’une lettre de mise en demeure et sans qu’aucune tentative de résolution amiable n’ait été tentée par la société DLD. Elle ajoute que celle-ci a introduit une procédure sans fondement manifeste en faisant preuve de légèreté blâmable, n’ayant pour but que de l’entraver et de lui faire supporter les frais investis dans le cadre de la promotion de ses produits dans un secteur devenu hautement concurrentiel.

La société DLD qui soutient avoir préalablement à la délivrance de l’assignation, pris attache avec la défenderesse, réplique en imputant à celle-ci une particulière mauvaise foi dans la présentation des faits de la procédure.

Sur ce,

La faculté d’agir en justice est un droit ne pouvant être limité que s’il s’avère avoir uniquement été exercé dans une intention de nuire, ou sur la base d’une erreur grossière d’appréciation du demandeur dont il est manifeste qu’il ne pouvait se méprendre sur le bien-fondé de ses prétentions.

En l’espèce, le rejet des demandes ne permet pas de caractériser une faute ayant fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice dans la mesure où la société DLD a pu se méprendre sur la nature et l’étendue des droits qu’elle détient sur son jeu « Limite Limite » et sur l’appréciation du principe de loyauté dans ses relations avec ses concurrents.

La demande formée à ce titre ne peut donc qu’être rejetée.

7-demandes relatives aux frais du litige et aux conditions d’exécution de la décision:

La société DLD, partie perdante, supportera la charge des dépens.

Elle doit en outre être condamnée à verser à la société X Y, qui a dû exposer des frais irrépétibles pour faire valoir ses droits, une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 5000 euros.

L’exécution provisoire étant justifiée au cas d’espèce et compatible avec la nature du litige, elle sera ordonnée.

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Décision du 18 décembre 2020 3ème chambre 2ème section N° RG 19/04136 N° Portalis 352J-W-B7D-CPRNS

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

ECARTE des débats la pièce de la société DLD numérotée 26 ;

DECLARE la société DLD recevable en ses demandes ;

DIT que le jeu “Limite Limite” édité par la société DLD ne bénéficie pas de la protection au titre du droit d’auteur ;

REJETTE les demandes fondées sur le droit d’auteur ;

REJETTE les demandes fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire ;

DEBOUTE la société X Y de ses demandes reconventionnelles ;

CONDAMNE la société DLD à payer à la société X Y, une indemnité de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société DLD aux dépens ;

ORDONNE l’exécution provisoire.

Fait et jugé à Paris le 18 décembre 2020.

Le Greffier Le Président

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Tribunal Judiciaire de Paris, 18 décembre 2020, n° 19/04136