Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 2e sec, 21 janvier 2022

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Sur la décision

Référence :
TJ Paris, 3e ch. 2e sec, 21 janv. 2022

Sur les parties

Texte intégral

M. X. est le compositeur de la chanson « C’est la ouate » interprétée par Mme Y., qui en est également, avec M. Z., la co-auteure. Par contrat du 4 novembre 1986, ils ont cédé leurs droits sur cette chanson à la société PUBLISHING, aux droits de laquelle vient la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING, qui est une société d’édition musicale.

La société MAAF ASSURANCES est une société d’assurance mutuelle française.

La société AUBERT STORCH ASSOCIES PARTENAIRES (ci-après ASAP) est une agence de publicité en charge de la conception des campagnes de communication de la société MAAF ASSURANCES.

Par contrat du 23 mars 2004, la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING a consenti à l’ancien agent publicitaire de la MAAF, la société POSSIBLE, l’autorisation sous conditions, de réenregistrer en l’adaptant, la chanson « C’est la ouate » à des fins publicitaires.

Après deux renouvellements, ce contrat a pris fin le 11 mars 2019.

Considérant que la MAAF a continué d’exploiter la chanson litigieuse sans l’autorisation des ayants droit dans le cadre de sa nouvelle campagne de publicité conçue par la société ASAP, dans laquelle les personnages déclament « Rien à faire, c’est la MAAF qu’il préfère ! » et « C’est la MAAF que je préfère! », M. X., Mme Y. et M. Z. lui ont fait adresser une mise en demeure, le 4 juin 2019, d’avoir à cesser leurs agissements.

La MAAF, dans son courrier du 3 juillet 2019, leur a répondu que sa nouvelle campagne de publicité ne pouvait être considérée comme constituant une adaptation de la chanson « C’est la ouate ».

C’est dans ces conditions que, par acte des 4 et 24 décembre 2019, M. X., Mme Y. et M. Z. ont fait assigner la société MAAF et la société ASAP devant ce tribunal, en contrefaçon de droit d’auteur et subsidiairement, parasitisme.

La société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING a pour sa part fait assigner la société MAAF par acte délivré le 31 décembre 2019.

Les deux procédures ont fait l’objet d’une jonction le 12 novembre 2020.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 21 juin 2021, M. X., Mme Y. et M. Z. sollicitent du tribunal qu’il :

Vu les articles L. 112-1, L. 113-3, L. 121-1, L. 122-4 et L. 331-1-3, L. 333-5 du code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles 1240 et 1241 du code civil

Vu les articles 515 et 700 du code de procédure civile

A titre principal :

– DISE que Madame Y. et Monsieur Z. ont la qualité d’auteurs du texte de l’œuvre musicale « C’est la Ouate »

– DISE que Monsieur X. a la qualité de compositeur de l’œuvre musicale « C’est la Ouate »

– DISE que l’œuvre musicale « C’est la Ouate » est une œuvre de collaboration

– DISE que l’Œuvre musicale « C’est la Ouate » coécrite par Madame Y. et Monsieur Z. et composée par Monsieur X. est originale, et que par conséquent le refrain « De toutes les matières ; C’est la Ouate qu’elle préfère » est également original et protégé au titre du droit d’auteur ;

– JUGE que l’usage par les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH des répliques suivantes :

« Rien à faire, c’est la Maaf qu’il préfère »

« Rien à faire, c’est la Maaf qu’elle préfère »

« Rien à faire, c’est la Maaf qu’ils préfèrent »

au sein des spots publicitaires intitulés « QUI PEUT CONCURRENCER LA MAAF ? » constitue une adaptation contrefaisante par reproduction et représentation de l’œuvre musicale « C’est la Ouate »

– JUGE que les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH ont causé à Madame Y. et Messieurs Z. et X. des préjudices patrimoniaux et moraux

En conséquence,

– CONDAMNE conjointement et solidairement les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH à payer à :

• Monsieur X., la somme provisionnelle de 30.000 euros, sauf à parfaire, au titre de la perte de chance de percevoir des droits SACEM depuis le 1er janvier 2018 ;

• Madame Y. la somme provisionnelle de 15.000 euros, sauf à parfaire, au titre de la perte de chance de percevoir des droits SACEM depuis le 1er janvier 2018 ;

• Monsieur Z. la somme provisionnelle de 15.000 euros, sauf à parfaire, au titre de la perte de chance de percevoir des droits SACEM depuis le 1er janvier 2018.

– CONDAMNE conjointement et solidairement les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH à verser à :

• Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. la somme de 20.000 euros, chacun, en réparation de l’atteinte causée par la mutilation du texte de l’œuvre musicale « C’est la Ouate » ;

• Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. la somme de 20.000 euros, chacun, en réparation de l’atteinte causée par la dissociation du texte et de la composition musicale de l’œuvre musicale « C’est la Ouate », laquelle a été abusivement retirée ;

• Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. la somme de 20.000 euros, chacun, en réparation

de l’atteinte causée par la fragmentation du texte de l’œuvre musicale ;

• Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. la somme de 20.000 euros, chacun, au titre de

l’atteinte portée à leur droit à la paternité sur l’Œuvre musicale « C’est la Ouate » ;

– ORDONNE la publication du dispositif du jugement à intervenir sur la page d’accueil du site www.maaf.fr en haut de page, entre la bande blanche qui contient le loge MAAF, et la barre de recherches et la barre de couleur verte qui contient l’accès aux onglets VÉHICULES, HABITATION, SANTÉ, PRÉVOYANCE, ÉPARGNE, INFOS ET CONSEILS.

Cette publicité devra prendre la forme d’un rectangle de la largeur de la page internet et de la longueur nécessaire pour que soit parfaitement visible en gros caractères, de couleur noire, le texte du dispositif du jugement. Cet encart devra contenir tout en haut, centré, en gras et en plus grosse taille que le reste du texte, la phrase suivante : « CONDAMNATION POUR CONTREFACON DE DROITS D’AUTEUR » ;

– JUGE que cette mesure de publicité devra rester 1 mois à compter de sa publication sur ledit site et devra être mise en place par la MAAF dans un délai de 8 (HUIT) jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous peine d’astreinte de 5.000 euros par jour de retard ;

– ORDONNE la publication du dispositif du jugement à venir sur la page d’accueil du site https://aubert-storch.com/ en-dessous de l’illustration qui contient le bouton « nous contacter » ;

Cette publicité devra prendre la forme d’un rectangle de la largeur de la page internet et de la longueur nécessaire pour que soit parfaitement visible en gros caractères, de couleur noire, le texte du dispositif du jugement.

Cet encart devra contenir tout en haut, centré, en gras et en plus grosse taille que le reste du texte, la phrase suivante : « CONDAMNATION POUR CONTREFACON DE DROITS D’AUTEUR ». Cette mesure de publicité devra rester 1 mois à compter de sa publication sur ledit site et devra être mise en place par la MAAF dans un délai de 8 (HUIT) jours à compter de la signification du jugement à intervenir, sous peine d’astreinte de 5.000 euros par jour de retard ;

– ORDONNE la publication du dispositif du jugement à venir dans trois journaux au choix des demandeurs, quotidiens ou hebdomadaires, à portée nationale, pour un coût total de 50.000 euros HT, dans un délai de 1 (un) mois à compter de la signification du jugement à intervenir, sous peine d’astreinte de 5.000 euros par jour de retard, aux frais conjoints et solidaires des défenderesses.

A titre subsidiaire :

– JUGE que les sociétés MAAF ASSURANCES ET AUBERT ET STORCH ont commis une faute de nature à engager leur responsabilité délictuelle ;

En conséquence,

– CONDAMNE conjointement et solidairement la société MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH à verser à Madame Y., Monsieur X. et Monsieur Z., chacun, la somme de 30.000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice subi ;

En tout état de cause :

– CONDAMNE conjointement et solidairement les sociétés MAAF et AUBERT ET STORCH à verser à Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X., chacun, la somme de 15.000 euros, chacun, au titre du préjudice moral subi ;

– ORDONNE pour l’avenir qu’il soit fait défense aux sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH de poursuivre toute reproduction, représentation ou diffusion par quelque moyen que ce soit et à quelque titre que ce soit de tous films ou spots publicitaires faisant usage des mentions identiques ou similaires :

« c’est la Maaf que je préfère »

« c’est la Maaf que tu préfères »

« c’est la Maaf qu’il préfère »

« c’est la Maaf qu’elle préfère »

« c’est la Maaf qu’ils préfèrent »

Et ce, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

– ORDONNE conjointement et solidairement aux sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH de prendre toutes les mesures utiles auprès des prestataires techniques afin que soient supprimés sur Internet l’accès en ligne aux films publicitaires litigieux et sa bande sonore, et d’en justifier auprès des demanderesses sous 8 jours à compter de la signification de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 5.000 euros par jour de retard ;

– DEBOUTE les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions à l’encontre de Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. et les DISE mal fondées ;

– CONDAMNE conjointement et solidairement les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH à payer à Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X., chacun, la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– CONDAMNE conjointement et solidairement les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT ET STORCH aux entiers dépens au titre de l’article 699 du code de procédure civile dont distraction sera faite au profit de Maître Jean-Marie GUILLOUX ;

– ORDONNE l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

*

La société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING présente, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 30 avril 2021, les demandes suivantes :

– DIRE ET JUGER que la société MAAF ASSURANCES a commis des actes de contrefaçon d’une œuvre de l’esprit aux dépens de la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING en utilisant sans son autorisation à compter du 1er mai 2019 une adaptation de la phrase « De toutes les matières, c’est la ouate qu’elle préfère » de la chanson intitulée « C’est la ouate » dont la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING est l’éditeur.

Subsidiairement

– DIRE ET JUGER que la société MAAF ASSURANCES a commis des actes de parasitisme aux dépens de la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING et a en conséquence engagé sa responsabilité délictuelle envers la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING.

– CONDAMNER la société MAAF ASSURANCES à payer à la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING une somme de 208 274 euros HT à titre de dommages-intérêts.

– CONDAMNER la société MAAF ASSURANCES à payer à la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING une indemnité de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

– CONDAMNER la société MAAF ASSURANCES aux dépens.

– ORDONNER l’exécution provisoire de la décision à intervenir.

*

La société MAAF présente, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 juin 2021, les demandes suivantes :

Vu l’article 783 du code de procédure civile,

Vu les articles L. 111-1, L. 112-1 et L. 122-4 du code de propriété intellectuelle,

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu la jurisprudence précitée,

– JUGER que la phrase « rien à faire, c’est la MAAF qu’ils préfèrent » ne constitue pas une contrefaçon de la chanson « c’est la ouate » ;

– JUGER que les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT STORCH ASSOCIES PARTENAIRES n’ont commis aucun acte de contrefaçon ;

– JUGER que les sociétés MAAF ASSURANCES et AUBERT STORCH ASSOCIES PARTENAIRES n’ont pas commis d’actes parasitaires ;

Par conséquent :

– DEBOUTER la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING, Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;

En toute hypothèse :

-CONDAMNER la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING, Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. à verser à la société MAAF ASSURANCES la somme de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

-CONDAMNER la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING, Madame Y., Monsieur Z. et Monsieur X. aux entiers dépens de la présente instance.

*

La société ASAP présente, aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 16 juin 2021, les demandes suivantes :

Vu les articles L. 111-1, L. 122-4, L. 335-3 et suiv. du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 1240 du code civil,

A titre principal,

– DEBOUTER Mme Y., M. Z. et M. X. de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre d’ASAP, en ce qu’ils ne démontrent pas l’originalité et l’empreinte de leur personnalité sur la phrase litigieuse « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère… C’est la Ouate », et ne peuvent, par conséquent, prétendre à une protection par le droit d’auteur sur cette dernière.

A titre subsidiaire,

– DEBOUTER Mme Y., M. Z. et M. X. de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre d’ASAP, en ce qu’ils ne rapportent pas la preuve qu’ASAP aurait commis des actes de contrefaçon de la phrase « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère… C’est la Ouate ».

A titre infiniment subsidiaire,

– DEBOUTER Mme Y., M. Z. et M. X. de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre d’ASAP, en ce qu’ils ne rapportent pas la preuve qu’ASAP aurait engagé sa responsabilité délictuelle à leur égard.

A titre très infiniment subsidiaire,

– DEBOUTER Mme Y., M. Z. et M. X. de l’intégralité de leurs demandes à l’encontre d’ASAP, en ce qu’ils ne justifient ni du principe, ni du quantum de leur réclamation.

En toute hypothèse,

– CONDAMNER Mme Y., M. Z. et M. X. à payer à ASAP une somme de 15 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

– CONDAMNER Mme Y., M. Z. et M. X. aux entiers dépens d’instance.

***

L’ordonnance de clôture a été rendue le 25 juin 2021 et l’affaire a été plaidée le 25 novembre 2021.

Pour un exposé complet de l’argumentation des parties il est, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoyé à leurs dernières conclusions précitées.

DISCUSSION

1- Actes de contrefaçon de droits d’auteur

1.1- Originalité

M. X., Mme Y. et M. Z. font en premier lieu valoir que les défenderesses ont admis l’originalité de leur chanson dans le cadre des contrats d’exploitation signés précédemment et en second lieu, que la chanson « C’est la ouate » bénéficie de la présomption d’originalité systématiquement reconnue à ce type d’œuvre tant pour sa musique (mélodie, rythme et harmonie) que pour ses paroles. Ils ajoutent que les très nombreuses répétitions du refrain démontrent que celui-ci constitue l’élément essentiel de l’œuvre musicale, raison pour laquelle il a été repris dans le titre. Ils soutiennent que l’expression « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère » ayant été parodiée à de nombreuses reprises, on ne peut qu’en déduire son originalité, laquelle résulte du rythme apporté par cette expression dans la chanson et de la structure de la phrase. Elle fait enfin valoir que son succès en a fait une phrase culte.

La société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING fait pour sa part valoir que la contestation de l’originalité par les défenderesses se heurte à la bonne foi qui doit présider à la négociation, la formation et l’exécution des contrats. Elle ajoute que la MAAF ne saurait tirer argument du fait que les contrats en cause lui interdisaient de modifier la composition musicale de la chanson « C’est la ouate », dès lors que cette stipulation avait pour unique objet de préserver le droit moral des auteurs. Elle s’associe par ailleurs à l’argumentation des auteurs quant à la caractérisation de l’originalité de l’œuvre.

La société ASAP réplique que Mme Y., M. Z. et M. X. ne justifient pas de l’originalité et de l’empreinte de leur personnalité sur le seul slogan « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère… C’est la Ouate » et qu’en conséquence leurs arguments tenant au fait que le texte de l’œuvre musicale, pris dans sa globalité, a pour objet de « conter une histoire » ou la répétition de la phrase litigieuse, ne sont pas opérants. Elle ajoute qu’à supposer que cette dernière contienne un jeu de mots, leurs auteurs n’en précisent pas le sens et qu’en tout état de cause, l’expression « C’est quelque chose ou quelqu’un que je préfère » est utilisée dans de très nombreuses chansons, souvent antérieures à « C’est la ouate ».

La MAAF pour sa part, fait valoir que l’originalité est un concept d’ordre public indépendant de la qualification contractuelle retenue par les parties et qu’il appartient à l’auteur de l’œuvre d’expliciter les contours de l’originalité qu’il allègue, la détermination de l’originalité de l’œuvre relevant exclusivement de l’appréciation souveraine des juridictions. Elle concentre ensuite l’essentiel de son argumentation sur l’absence de contrefaçon.

Sur ce,

L’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création et dès lors qu’elle est originale, d’un droit de propriété incorporelle exclusif comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral, ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. L’originalité de l’œuvre, qu’il appartient à celui invoquant la protection de caractériser, suppose qu’elle soit issue d’un travail libre et créatif et résulte de choix arbitraires révélant la personnalité de son auteur.

L’article L. 112-2 du même code, dispose que sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit au sens du présent code :

(…) 5° Les compositions musicales avec ou sans paroles ; (…) »

Lorsque la protection est contestée en défense, l’originalité doit être explicitée et démontrée par celui s’en prétendant auteur, qui doit permettre l’identification des éléments au moyen desquels cette preuve est rapportée, ce pour chacune des œuvres au titre desquelles le droit est revendiqué.

En l’espèce, il sera à titre liminaire observé que dans le cadre du présent litige doit seule être appréciée l’originalité de la phrase chantée suivante : « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère », sur laquelle se fonde l’action en contrefaçon. Les arguments tenant à l’originalité de la chanson dans son entièreté ne sont donc pas pertinents.

Les demandeurs exposent que l’originalité de l’expression litigieuse résulte en premier lieu du rythme apporté par cette expression dans la chanson « C’est la Ouate », mais également de la structure de la phrase qui résulte de la construction suivante :

« – Une rime en début de vers : « ières » reprise en fin de vers « ère » ;

– La forme du milieu « c’est la … » ;

– La forme de fin de vers « qu’il/elle préfère » ».

La société ASAP ne peut donc utilement soutenir que les caractéristiques de la seule phrase « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère » ne sont pas protégeables dès lors qu’est revendiquée la combinaison du rythme de la mélodie et de la succession de rimes qui, de par les choix qu’elle suppose, traduit nécessairement la personnalité de leurs auteurs.

Et, si la reconnaissance de la protection par le droit d’auteur ne repose pas sur un examen de l’œuvre invoquée par référence aux antériorités produites, celles-ci peuvent contribuer à l’appréciation de la recherche créative or, force est de constater que les défenderesses ne produisent aucune pièce permettant de juger que la phrase « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère » associée à la mélodie composée par M. X. serait d’une telle banalité que cette combinaison est fréquemment utilisée.

En effet, les exemples cités et reproduits ci-dessous :

• « C’est toi que je préfère », Annie Cordy, 1954

• « Moi, je préfère Mozart », Dalida, 1959

• « Moi je préfère », Jeanne Moreau, 1963

• « C’est toi que je préfère », Lucky Blondo, 1965

• « Je préfère naturellement », Dalida, 1966

• « C’est toi que je préfère », Ange Linaud Djendo, 1966

• « Je préfère les fleurs », Jacques Rebotier, 1992

• « La couleur que je préfère », David Olaizola, 2005

• « C’est toi qu’elle préfère », Alice et Moi, 2017

permettent seulement de considérer que le verbe « préférer » est couramment utilisé par les auteurs de chansons.

Dès lors, et sans qu’il soit nécessaire de rechercher s’il appartient au juge du fond de se prononcer sur l’illégitimité pour les défenderesses à contester aujourd’hui l’originalité d’un apport personnel conventionnellement tenu pour constant par les parties, il convient de dire que la combinaison de la phrase « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère » avec la mélodie de la chanson dont elle est extraite, est protégeable au titre du droit d’auteur.

1.2- Matérialité des actes de contrefaçon

M. X., Mme Y. et M. Z. indiquent que le 26 décembre 2017, la MAAF a mis en ligne sur sa chaîne Youtube une vidéo présentant au public sa nouvelle saga publicitaire intitulée « Qui peut concurrencer la Maaf ? », ses nouveaux personnages et ses nouvelles saynètes, lesquelles se concluent toujours par la réplique suivante : « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il (elle) préfère ! » et que depuis lors, la MAAF diffuse de nombreux spots publicitaires sur plusieurs canaux de communication faisant usage de cette réplique. Ils considèrent que par ses caractéristiques, celle-ci constitue une adaptation non autorisée du refrain de leur œuvre et ce, malgré l’absence de reprise de la musique.

La société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING réplique à la MAAF que celle-ci ne peut utilement faire valoir qu’il est usuel d’utiliser une rime en « ère » avec le verbe « préférer » alors qu’il ne s’agit que d’une des ressemblances existant entre les phrases « De toutes les matières, c’est la ouate qu’elle préfère » et « Rien à faire, c’est la MAAF qu’il/elle préfère » dont seule la combinaison – non antériorisée – doit être considérée pour apprécier la contrefaçon.

La MAAF, bien que ne remettant pas en cause explicitement l’originalité de la phrase « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère… C’est la Ouate », à la faveur de ses développements relatifs à la matérialité de la contrefaçon, fait valoir qu’une phrase totalement banale, prononcée dans une incise parlée et non chantée, ne peut caractériser la contrefaçon ni de la chanson « C’est la ouate » dans son ensemble, ni de l’une de ses phrases. Elle considère que l’originalité de la chanson repose sur la présentation d’un personnage, dont la paresse et le spleen s’incarnent dans la matière cotonneuse qu’est la ouate, laquelle n’est pas reprise dans sa campagne publicitaire et ajoute que la tonalité de l’expression « rien à faire, c’est la MAAF qu’ils préfèrent » diffère totalement de la chanson « c’est la ouate », puisqu’elle est prononcée dans le cadre d’une satire humoristique de films d’espionnage, avec des personnages hauts en couleur.

L’ASAP pour sa part, fait valoir que le slogan « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il préfère » ne reprend pas les caractéristiques de la phrase « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère… C’est la Ouate » dès lors que les seuls éléments communs sont les termes « C’est la » et « qu’il/elle préfère », qui sont d’une grande banalité puisque issus du langage courant.

Sur ce,

En application des dispositions des articles L. 122-1 et L. 122-4 du code de la propriété intellectuelle, le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction, et toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite.

Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou un procédé quelconque. La contrefaçon d’une œuvre protégée par le droit d’auteur, qui n’implique pas l’existence d’un risque de confusion, consiste dans la reprise de ses caractéristiques reconnues comme étant constitutives de son originalité.

La contrefaçon s’apprécie selon les ressemblances et non d’après les différences. Elle ne peut toutefois être retenue lorsque les ressemblances relèvent de la reprise d’un genre et non de la

reproduction de caractéristiques spécifiques de l’œuvre première.

En l’espèce, il convient donc de rechercher si les phrases alternativement déclamées dans le spot publicitaire de la MAAF « Rien à faire, c’est la Maaf qu’il préfère » et « Rien à faire, c’est la Maaf que je préfère » constituent la contrefaçon de l’œuvre ici revendiquée, c’est- à-dire la combinaison de la phrase « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère » avec la mélodie de la chanson dont elle est extraite.

Or, en premier lieu, force est de constater que n’a pas été reprise la mélodie qui accompagnait précédemment la phrase dont l’utilisation avait été autorisée par les demandeurs, « Efficace et pas chère c’est la MAAF que je préfère …. c’est la MAAF ».

En second lieu n’a été conservée que la chute de la phrase, c’est-à-dire le verbe « préférer » conjugué à la première ou à la troisième personne. Cette seule reprise ne peut être considérée comme la contrefaçon de l’expression litigieuse dans sa combinaison originale, dès lors qu’aucune autre des caractéristiques revendiquées n’a été utilisée.

La contrefaçon étant insuffisamment établie, les demandes formulées à ce titre doivent être rejetées.

2- Subsidiairement, sur les actes de parasitisme :

M. X., Mme Y. et M. Z. font valoir que la chanson « C’est la ouate » est le fruit de l’important travail des trois coauteurs et qu’elle connaît encore à ce jour un succès conséquent

auprès du public puisqu’elle est très souvent reprise dans les compilations des années 80, diffusées quotidiennement à la radio et a même été reprise par des artistes contemporains tel que Philippe KATERINE. Ils ajoutent qu’à cette fin, des investissements ont été réalisés pour son exploitation et sa promotion et qu’il ne saurait être pertinemment soutenu que la réplique « Rien à faire c’est la MAAF qu’il préfère » n’est pas une reprise de la phrase « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’il/elle préfère », alors que la première adaptation était « Efficace et pas chère, c’est la Maaf que je préfère, c’est la Maaf ! ». Ils considèrent que ce comportement constitue un agissement parasitaire visant à entretenir un risque de confusion dans l’esprit du public, lequel est maintenu dans l’idée que la MAAF continue d’exploiter la chanson litigieuse.

La société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING fait valoir que l’utilisation de la phrase « Rien à faire, c’est la MAAF qu’il/elle préfère » par la MAAF est à tout le moins parasitaire dès lors qu’elle s’inscrit dans la continuité de la phrase « Efficace et pas chère, c’est la MAAF que je préfère » que la défenderesse a massivement utilisée pendant une quinzaine d’années au point d’y être associée par le public et que ce faisant, elle s’inscrit par voie de conséquence dans le sillage de la phrase « De toutes les matières, c’est la ouate qu’elle préfère ».

La société ASAP réplique que le principe de la liberté du commerce exclut que la reprise d’éléments non protégeables par un droit privatif soit sanctionnée sur le terrain de la concurrence déloyale ou du parasitisme et relève qu’au cas d’espèce, les demandes au titre de la contrefaçon et du parasitisme allégués, se fondent sur des faits identiques. Elle ajoute que la preuve d’investissements n’est pas rapportée.

La société MAAF pour sa part, réplique que la désuétude de la chanson « C’est la ouate » au moment des faits reprochés exclut tout parasitisme, lequel suppose une atteinte à une valeur économique et une usurpation de notoriété. Elle expose par ailleurs que l’utilisation de la chanson « C’est la ouate » s’est inscrite dans le cadre de la saga publicitaire « Palace » qui reposait sur une identité visuelle spécifique, reprenant les éléments de la série éponyme de M. W. avec un écho aux comédies musicales où les textes sont chantés et cadencés, et relève que tous ces éléments ont été abandonnés après l’adoption d’une nouvelle communication qui s’est traduite par un changement de campagne publicitaire et donc d’identité, visuelle, textuelle et mélodique de ses publicités ce, afin de capter une nouvelle clientèle. La société MAAF soutient ne plus reprendre ni l’air, ni le rythme particulier du refrain de la chanson « C’est la ouate » et rappelle que l’expression « c’est quelque chose/quelqu’un qu’ils préfèrent » est une expression banale, qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle et peut donc être librement reproduite. Elle fait enfin valoir que la preuve n’est pas rapportée de ce qu’elle aurait tiré profit des investissements allégués, le souvenir de la chanson « C’est la ouate » dans l’esprit du public, s’étant progressivement estompé.

Sur ce,

Le principe est celui de la liberté du commerce et sont sanctionnés au titre des actes parasitaires, sur le fondement de l’article 1240 du code civil, uniquement des comportements fautifs tels que ceux qui visent à tirer profit sans bourse délier d’une valeur économique d’autrui lui procurant un avantage concurrentiel injustifié, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

Il sera à titre liminaire rappelé que l’existence d’acte distincts de ceux qui fondent l’action en contrefaçon n’est pas requise en matière de parasitisme et qu’ils ne nécessitent pas, comme en matière de concurrence déloyale, que soit établi un risque de confusion auprès du public concerné.

Par ailleurs, il ne peut être pertinemment contesté que la phrase chantée « De toutes les matières, c’est la Ouate qu’elle préfère » ne constitue pas une valeur économique alors qu’elle a fait l’objet d’une autorisation d’utilisation entre 2004 et 2020 contre le paiement d’une somme forfaitaire, initialement fixée à 140 000 euros hors taxes et qui atteignait, en fin de contrat, la somme de 186 340 euros hors taxes.

Il est par ailleurs indéniable que la conclusion des spots publicitaires de la MAAF par la phrase « Y’a rien à faire c’est la MAAF qu’il/elle préfère » traduit la volonté de maintenir le lien avec la campagne précédente, dont il n’est pas contesté qu’elle a grandement participé au succès des services proposés par la MAAF. Ce seul slogan toutefois ne peut, en l’absence d’association avec la mélodie, être considéré comme une valeur économique attribuable aux auteurs de la chanson « C’est la Ouate » dont il ne reprend que les seuls mots « c’est la () qu’elle préfère » sur lesquels Mme Y. et M. Z. ne peuvent exiger de se voir reconnaître un monopole.

Ensuite, la notoriété de ce slogan, qui justifie sa reprise au sein de la nouvelle campagne publicitaire de la MAAF, est le fruit de ses propres investissements et non de ceux des auteurs, ce qui ne peut être contesté au vu des campagnes publicitaires massives de la demanderesse.

Enfin, loin de traduire la volonté de la MAAF de se mettre dans le sillage de la chanson « C’est la ouate », le changement d’univers de sa campagne publicitaire au profit d’une parodie de films d’espionnage traduit au contraire la recherche d’un nouveau positionnement visant à s’en écarter.

Les demandes fondées sur le parasitisme doivent dès lors être rejetées.

3- Demandes relatives aux frais du litige et aux conditions d’exécution de la décision :

Les demandeurs, parties perdantes, supporteront la charge des dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Ils doivent en outre être condamnés à verser à la MAAF et à la société AUBERT STORCH ASSOCIES PARTENAIRES la somme de 4000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de la solution du litige il n’y a pas lieu d’assortir la décision de l’exécution provisoire.

DECISION

Le tribunal, statuant publiquement par jugement mis à disposition au greffe, contradictoire et en premier ressort,

DIT que la combinaison de la phrase « de toutes les matières c’est la ouate qu’elle préfère » avec la mélodie de la chanson dont elle est extraite est protégeable au titre du droit d’auteur ;

REJETTE les demandes formées au titre des actes de contrefaçon ;

DEBOUTE M. X., Mme Y., M. Z. et la société UNIVERSAL MUSIC PUBLISHING de leurs demandes fondées sur le parasitisme ;

CONDAMNE M. X., Mme Y., M. Z. et la société UNIVERSAL MUSIC à payer à la société MAAF ASSURANCES et à la société AUBERT STORCH ASSOCIES PARTENAIRES ensemble une somme totale de 4000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. X., Mme Y., M. Z. et la société UNIVERSAL MUSIC aux dépens.

DIT n’y avoir lieu d’assortir la présente décision de l’exécution provisoire.

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Tribunal Judiciaire de Paris, 3e chambre 2e sec, 21 janvier 2022