Cour d'appel de Grenoble, Chambre commerciale, 17 décembre 2020, n° 19/02110

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, ch. com., 17 déc. 2020, n° 19/02110
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 19/02110
Décision précédente : Tribunal de commerce de Grenoble, 18 avril 2019, N° 2018J3
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

N° RG 19/02110 – N° Portalis DBVM-V-B7D-KAH4

PG

Minute :

Copie exécutoire

délivrée le :

Me Christine GOUROUNIAN

la SELARL CDMF AVOCATS

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

CHAMBRE COMMERCIALE

ARRÊT DU JEUDI 17 DÉCEMBRE 2020

Appel d’une décision (N° RG 2018J3)

rendue par le Tribunal de Commerce de GRENOBLE

en date du 19 avril 2019

suivant déclaration d’appel du 15 Mai 2019

APPELANTE :

Mme Z A épouse X

de nationalité Française

[…]

[…]

représentée par Me Christine GOUROUNIAN, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

SAS HEINEKEN ENTREPRISE

SAS au capital social de 130.784.350,00euros, immatriculée au RCS de NANTERRE sous le numéro 414 842 062, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège ;

[…]

[…]

représentée par Me Jean-Luc MEDINA de la SELARL CDMF AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

Mme Patricia GONZALEZ, Président de Chambre,

Mme Marie Pascale BLANCHARD, Conseiller,

M. Lionel BRUNO, Conseiller,

DÉBATS :

A l’audience publique du 05 Novembre 2020, Mme Patricia GONZALEZ, Président, qui a fait rapport assisté de Alice RICHET, Greffier, a entendu les avocats en leurs conclusions, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 910 du Code de Procédure Civile. Il en a été rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.

EXPOSE DU LITIGE :

Le 30 décembre 2015, la Banque CIC Est a consenti à la Sas Fyddo dont l’activité est l’exploitation d’un restaurant et dont la représentante légale est Mme Z A épouse X un prêt d’un montant de 12.550euros au TEG de 0% l’an remboursable en 58 mensualités de 216,38euros.

La société Heineken entreprise s’est portée caution de la société Fyddo aux termes du même acte.

Mme Z X s’est portée caution solidaire de la société Fyddo au profit de la société Heineken entreprise par acte du 6 janvier 2016 pour un montant de 15.060 euros en principal, intérêts de retard et pénalités.

Le 16 mai 2017, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société Fyddo.

Le 20 mai 2017, la société Heineken entreprise a bénéficié d’une créance subrogatoire émise par la Banque CIC Est pour un principal de 9.304,30euros.

Le 17 juillet 2017, la société Heineken entreprise a déclaré une créance de 9.444,20 euros au titre du remboursement du prêt et par courrier du 19 juillet 2017, elle a mis en demeure Mme X de régler cette somme.

A défaut de règlement, la société Heineken entreprise a fait assigner Mme X en paiement devant le juge des référés du tribunal de commerce de Grenoble, lequel a renvoyé les parties à se pourvoir devant le juge du fond par ordonnance du 5 décembre 2017.

Par acte du 20 décembre 2017, la société Heineken a saisi le juge du fond et Mme X a opposé l’absence de validité de l’acte de cautionnement, la disproportion et l’absence de subrogation.

Par jugement du 19 avril 2019, le tribunal de commerce de Grenoble a :

— débouté Mme X de ses prétentions,

— dit que l’engagement de caution n’est pas nul et ne lui est pas inopposable,

— dit que la société Heineken entreprise n’a pas commis de faute pour non respect de vérification de la proportionnalité,

— condamné Mme X à payer à la société Heineken la somme de 9.559,43 euros outre intérêts au taux légal à compter du 28 août 2017, la somme de 1.000 seuros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, les intérêts capitalisés et les dépens,

— rejeté toutes les autres demandes des parties.

Mme X a relevé appel de cette décision par déclaration du 15 mai 2019.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 1er octobre 2020.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 1er juin 2020, Mme X demande à la cour de :

Vu les articles L 331-1 et L 331-2 du code de la consommation et 2292 du code civil,

— réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

— déclarer nul l’acte de caution du 6 janvier 2015,

— déclarer mal fondées les demandes présentées par la société Heineken entreprise,

— débouter la société Heineken entreprise de toutes ses prétentions,

— subsidiairement, retenir la responsabilité de la société Heineken entreprise,

— opérer la compensation entre la créance de la société Heineken entreprise et le préjudice subi par elle,

— condamner en toute hypothèse la société Heineken entreprise à lui payer

—  3.000 euros pour procédure abusive

—  3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Heineken entreprise aux dépens.

* * *

Aux termes de ses dernières conclusions numéro 3 déposées le 17 juin 2020, la société Heineken entreprise demande à la cour de :

Vu les articles 1134 et 1147, 1343-2, 1343-5, 1346, 1353, 2288 et 2292 du code civil,

Vu les articles L 341-2 et L 341-4 du code de la consommation applicables à la cause,

Vu les articles 9, 514, 515, du code de procédure civile,

— rejeter toutes les demandes de Mme X puisque mal fondées,

— confirmer le jugement querellé,

— en tout état de cause :

— condamner Mme X à lui payer 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens avec application de l’article 699 du code de procédure civile.

* * *

Il convient pour un plus ample exposé des prétentions et arguments des parties de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la nullité du contrat

Par contrat du 30 décembre 2015, la société Heineken entreprise s’est engagée à l’encontre de la Banque CIC Est en qualité de caution pour garantie des sommes dues par la société Fyddo au titre d’un prêt de 12.550euros.

Par un 'acte de caution solidaire' portant la date du 6 janvier 2015, Mme X a déclaré se porter caution solidaire de l’emprunteur auprès de la société Heineken entreprise dans la limite de la somme de 15.060 euros couvrant le principal, des intérêts et le cas échéant des pénalités de retard et s’obliger, en renonçant au bénéfice de discussion et de division et au bénéfice des articles 2032 et 3039 du code civil à rembourser à la société Heineken entreprise toutes les sommes en principal, intérêts, frais et accessoires que celle-ci, en qualité de caution, aurait été amenée à régler à la Banque.

Le 20 mai 2017, la Banque CIC Est a établi au bénéfice de la société Heineken entreprise une quittance subrogative à hauteur de 9.304,30 euros au titre du capital restant dû au 20 mai 2017 et de trois échéances impayées de 216,38 euros.

Mme X fait valoir que l’acte de cautionnement qu’elle a signé serait entaché de plusieurs irrégularités soit la date de la caution antérieure d’un an au prêt auquel elle fait référence, le montant de l’engagement plus élevé que le prêt alors que le taux d’intérêts est nul et le fait que seule la banque est prêteur et non la société Heineken entreprise, qui ne substitue que le prêteur. Elle affirme que si elle s’était portée caution de la société Fyddo, elle n’aurait pu le faire qu’au profit de la société CIC, le prêteur, que la société Heineken entreprise a fourni sa garantie comme un autre prêteur.

Le tribunal a écarté ses prétentions au motif que la date de l’acte importait peu, que Mme X avait apposé sa signature et rempli les mentions obligatoires et qu’elle avait eu une connaissance suffisante de l’étendue de ses obligations.

A la date de l’engagement de Mme X, les dispositions applicables au formalisme de l’acte étaient celles de l’article L 341-2 du code de la consommation auxquelles il convient de se référer.

Concernant la date du cautionnement, il n’est pas contestable qu’il s’agit d’une erreur de plume sur l’année (6 janvier 2015 au lieu du 6 janvier 2016), l’erreur s’expliquant aisément par la proximité du changement d’année. Le contrat n’a en effet de sens qu’à la date du 6 janvier 2016 suivant l’acte de prêt et le cautionnement de la société Heineken et n’aurait pas pu être signé l’année précédente alors que Mme X n’était pas encore gérante de la société Fyddo.

En outre, la fiche patrimoniale annexe a été signée le 4 décembre 2015, ce qui confirme ce qui précède et en tout état de cause, la date de l’acte n’est pas une condition de validité du cautionnement

et cet engagement est valable lorsque les mentions révèlent que la caution avait une connaissance suffisante de la portée de son engagement, ce qui est le cas en l’espèce.

Le montant plus élevé du cautionnement par rapport au prêt est également indifférent dès lors que Mme X s’est engagée sur une dette en capital, intérêts et le cas échéant pénalités et intérêts de retard, peu important que le prêt soit à taux zéro et qu’il s’agit d’un montant maximal d’engagement.

Ensuite, il est indifférent qu’il ait été indiqué créancier Heineken entreprise au lieu de prêteur, ce qui n’est pas une cause de nullité, n’affectant ni la portée ni le sens de l’engagement.

Mme X prétend qu’au moment de la rédaction de l’acte, que seule la banque est prêteur et qu’Heineken entreprise ne deviendra créancier que si elle paie à la place du débiteur principal, que si elle devait se porter caution de la société Fyddo, elle aurait dû le faire au profit du seul prêteur, la Banque.

Il est rappelé que dans le cadre d’une opération globale de financement avec une garantie supplémentaire accordée par la société Heineken à l’organisme de crédit, le contrat en cause est parfaitement valide, s’analyse en un sous-cautionnement.

Dans ce cadre, la sous-caution ne garantit pas la créance de l’établissement bancaire qui reste un tiers de cette relation contractuelle.

La société Heineken entreprise est ainsi devenue par subrogation créancière de la société Fyddo mais la banque n’a pu lui transmettre de droits à l’encontre de la sous-caution à défaut d’en détenir elle même. Le recours de la société Heineken entreprise est ainsi un recours personnel.

En conséquence, l’argumentation de Mme X selon lequel l’acte serait nul dans la mesure où la société Heineken entreprise n’est pas le prêteur et où ce dernier n’est pas indiqué est inopérant.

Sur la disproportion

Il n’est pas contesté que Mme X peut se prévaloir de la disproportion à l’encontre de la société Heineken entreprise, brasseur, qui agit en qualité de créancier professionnel.

Aux termes de l’article L 341-4 du code de la consommation (devenu L 331-1) un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

C’est à la caution qu’il incombe de rapporter la preuve de la disproportion qu’elle allègue et au créancier qui entend se prévaloir d’un contrat de cautionnement manifestement disproportionné, d’établir qu’au moment où il appelle la caution, le patrimoine de celle-ci lui permet de faire face à son obligation.

Le caractère manifestement disproportionné du cautionnement s’apprécie au regard de l’ensemble des engagements souscrits par la caution d’une part, de ses biens et revenus d’autre part, sans tenir compte des revenus escomptés de l’opération garantie.

Mme X prétend que le tribunal a inversé la charge de la preuve en indiquant que la banque n’était tenue à aucune vérification préalable.

Or, Mme X a signé une fiche patrimoniale aux termes de laquelle elle déclarait être mariée sous le régime de la communauté universelle, avoir trois enfants mineurs, exercer la profession de

serveuse barman (sans faire état de revenus mensuels) tandis que son époux était sans emploi (sans plus de précisions) et être propriétaire avec son conjoint d’un bien immobilier de 350.000 euros dont un crédit restant de 250.000 euros, soit un actif net de 100.000 euros.

M. C X, son conjoint, a consenti à ce cautionnement.

Mme X justifie de ce que son conjoint percevait en 2015 un montant total de pensions de 1.842,58 euros par mois tandis qu’elle même ne déclarait qu’un montant annuel de revenus de 452 euros, le couple déclarant 4148euros de revenus fonciers nets.

Mme X prétend en appel que le bien immobilier appartiendrait seulement à son époux. Or, elle a déclaré dans la fiche patrimoniale un bien commun et la banque, dès lors que la situation n’apparaissait pas anormale, n’avait pas à se livrer à des investigations supplémentaires.

Mme X, bien qu’elle produise l’acte d’acquisition, est tenue par la déclaration de patrimoine qu’elle a signée, étant souligné qu’elle ne s’explique nullement sur les effets du régime matrimonial qu’elle a déclaré sur la propriété du bien immobilier.

Il découle de ce qui précède que l’engagement n’est pas disproportionné aux biens déclarés par la caution. En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu’il a écarté la disproportion.

Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner la situation actuelle de Mme X.

Sur la responsabilité de la société Heineken entreprise

L’établissement bancaire qui consent un crédit est tenu envers un emprunteur non averti d’une obligation de mise en garde au regard des capacités financières de l’emprunteur et du risque de l’endettement né de l’octroi du prêt. L’obligation de mise en garde est ainsi subordonnée à deux conditions, la qualité d’emprunteur non averti et l’existence d’un risque d’endettement. Ce n’est qu’envers un emprunteur non averti et que s’il existe un risque d’endettement né de l’octroi du prêt qu’un établissement de crédit est tenu d’une obligation de mise en garde.

Mme X qui a la charge de la preuve prétend dans ses conclusions que la société Heineken a manqué à ses obligations en ne s’étant pas assurée de la proportionnalité de ses revenus avec l’engagement.

Il a été vu ci-dessus que le cautionnement n’était pas disproportionné aux revenus et biens de la caution de sorte que Mme X ne rapporte pas la preuve d’un préjudice découlant du comportement fautif de la société Heineken entreprise et équivalent au montant des sommes dues par elle.

Le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté cette demande.

Sur le montant de la créance

Mme X s’est engagée à rembourser son cocontractant sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement la société Fyddo. Elle ne peut exiger qu’il justifie au préalable ne pas avoir été désintéressé.

Mme X fait valoir que la société Heineken entreprise réclame une somme avec intérêts contractuels alors que le prêt est à taux zéro, qu’Heineken ne peut réclamer plus qu’elle n’a payé, qu’elle produit une quittance subrogative dont elle doit démontrer qu’elle est concomitante à son règlement, ce qui n’est pas le cas compte tenu des dates des règlements.

Il a déjà été vu ci-dessus qu’il ne s’agit pas d’un recours subrogatoire de sorte que cet argument est inopérant.

Mme X s’est engagée à rembourser à la société Heineken entreprise toutes les sommes en principal, intérêts, frais, accessoires, que celle-ci, en qualité de caution, a été amenée à régler à la banque.

La société Heineken ne s’explique par sur sa réclamation d’intérêts au taux de 6,8 % dans son décompte en pièce 6 et ne justifie pas concrètement avoir payé au delà de la somme de 9.953,44 euros. Ce montant sera retenu outre intérêts au taux légal à compter du 20 août 2017, date postérieure à la mise en demeure que le créancier ne conteste pas.

Sur les dommages intérêts

Le jugement est confirmé en ce qu’il a rejeté la demande de dommages intérêts pour résistance abusive de Mme X dans la mesure où cette dernière est tenue à paiement envers son cocontractant.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

Mme X qui succombe supportera les dépens d’appel.

Il est équitable de ne pas faire application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision contradictoire, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Confirme le jugement querellé sauf en ce qui concerne le montant de la condamnation en principal.

Statuant à nouveau,

Condamne Mme Z A épouse X à payer à la société Heineken entreprise la somme de 9.953,44 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 août 2017.

Condamne Mme Z A épouse X aux dépens d’appel avec application de l’article 699 du code de procédure civile.

Dit n’y avoir lieu à indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Prononce par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

Signe par Mme GONZALEZ, Président et par Mme RICHET, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier Le Président

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