Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 3 mars 2022, n° 19/03806

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 21e ch., 3 mars 2022, n° 19/03806
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 19/03806
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Versailles, 8 septembre 2019, N° 17/00152
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRÊT N°


CONTRADICTOIRE


DU 03 MARS 2022


N° RG 19/03806


N° Portalis DBV3-V-B7D-TQKS


AFFAIRE :

E X


C/

C A Es qualité de Mandataire liquidateur de la SAS MORY DUCROS



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Septembre 2019 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Versailles


N° Section : Encadrement


N° RG : 17/00152


Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

- Me Fiodor RILOV

- Me Elisa FREDJ

- Me Marie-Alice JOURDE

- Me Oriane DONTOT

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE TROIS MARS DEUX MILLE VINGT DEUX,


La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Monsieur E X

né le […] à […]


Chez Mme G H

[…]

[…]


Représenté par Me Fiodor RILOV de la SCP RILOV, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0157 substitué par Me Sarah DJABRI, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

Maître C A èsqualités de mandataire liquidateur de la SAS MORY DUCROS

[…]

[…]


Représenté par Me Elisa FREDJ, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 603 et par Me Hubert MARTIN DE FREMONT de la SELARL SIMON ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : 702

Société ARCOLE INDUSTRIES


N° SIRET : 492 546 080

[…]

[…]


Représentée par Me Marie-Alice JOURDE de l’AARPI JASPER AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P82

Association UNEDIC DÉLÉGATION AGS CGEA ILE DE FRANCE EST

[…]

[…]


Représentée par Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et par Me Céline VIEU DEL-BOVE de la SCP AGUERA AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 8

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 04 janvier 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Thomas LE MONNYER, Président, chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Thomas LE MONNYER, Président,

Madame Valérie AMAND, Président,

Madame Odile CRIQ, Conseiller,


Greffier lors des débats : Madame Carine DJELLAL,

FAITS ET PROCEDURE


Engagé à compter du 22 septembre 1986, M. X exerçait au dernier état de la relation contractuelle les fonctions de responsable d’exploitation. Il percevait un salaire mensuel brut de

2 670,57 euros sur 13 mois.


Le 30 juin 2010, la société Caravelle, aux droits de laquelle sont venues successivement deux de ses filiales, les sociétés Arcole Industries puis Ducros-Express, a repris l’activité messagerie de la société


Deutsche Post DHL, au sein de laquelle un plan de sauvegarde de l’emploi était en cours d’exécution.


A la suite d’un jugement rendu le 30 septembre 2011 par le tribunal de commerce de Bobigny, la société Caravelle a racheté la société Mory.


La société Mory Ducros, qui employait plus de dix salariés et relevait de la convention collective des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950, est issue de l’absorption en 2012 de la société Ducros Express par la société Mory, laquelle a constitué la société Mory


Ducros le 31 décembre 2012, avec effet rétroactif au 1er janvier 2012.


Par jugement du 19 septembre 2013, le tribunal de commerce de Pontoise a désigné un mandataire ad hoc au sein de la société Mory Ducros. Puis, par jugement du 26 novembre 2013, ce même tribunal a prononcé l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Mory Ducros et nommé, d’une part, M. Y et M. Z ès qualités d’administrateurs judiciaires et, d’autre part, M. A ès qualités de mandataire judiciaire.


Les 31 janvier et 4 février 2014, un accord collectif, ayant pour objet de déterminer un plan de sauvegarde de l’emploi, a été conclu au sein de l’entreprise. A cette fin, il a notamment défini les catégories professionnelles en fonction des emplois et retenu des critères d’ordre de licenciement au niveau de chaque agence.


Par jugement du 6 février 2014, le tribunal de commerce de Pontoise a arrêté un plan de cession, prononcé la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros, et désigné M. A ès qualités de mandataire liquidateur, les mandats de M. Y et M. Z étant maintenus pour passer tout acte nécessaire à la réalisation de la cession et finaliser le volet social. Le plan prévoyait la cession des activités et des biens de la société Mory Ducros à la société Arcole Industries, avec une faculté de substitution de celle-ci par la société Newco MD, alors en cours de constitution, devenue ensuite


Mory Global. Cette reprise était notamment conditionnée par la signature d’un accord de méthode, déterminant les catégories « socio-professionnelles » de l’entreprise et fixant les critères d’ordre de licenciement par agence. Ce jugement a autorisé le licenciement de 2 882 salariés occupant des postes non repris, ainsi que 252 salariés occupant les postes figurant dans la colonne « effectifs repris sur un nouveau site », au cas où ces salariés refuseraient le transfert proposé.


Considérant que l’un des signataires de l’accord collectif relatif à la détermination du plan de sauvegarde de l’emploi n’avait pas, en réalité, la capacité juridique d’engager le syndicat qu’il prétendait représenter, de sorte que cet accord ne pouvait pas être regardé comme majoritaire au sens de l’article L. 1233-24-1 du code du travail, l’employeur a établi un document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi en application de l’article L. 1233-24-4 du code du travail et l’a soumis à l’autorité administrative aux fins d’homologation. Ce document unilatéral conservait la fixation au niveau de chaque agence du périmètre des critères d’ordre des licenciements.


Le 3 mars 2014, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) d’Île-de-France a homologué ce document unilatéral. Saisi d’un recours contre cette décision, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l’a annulée par jugement du

11 juillet 2014, en relevant que la définition du périmètre de l’ordre des licenciements à un niveau inférieur à celui de l’entreprise n’était envisageable que dans le cadre d’un accord collectif et non dans celui d’un document établi unilatéralement par l’employeur. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de Versailles rendu le 22 octobre 2014. Le Conseil d’État a rejeté le pourvoi formé contre cette décision par arrêt rendu le 7 décembre 2015.


Par courrier du 24 février 2014, la société Mory Ducros a proposé au salarié différents postes dans le cadre du reclassement interne. Aux termes de ce courrier, le délai de réflexion expirait le 28 février

2014 à 18h00.


Par lettre recommandée du 4 mars 2014, les administrateurs judiciaires ont informé le salarié ayant fait l’objet de propositions de reclassement que le délai de réflexion était prolongé jusqu’au 11 mars

2014.


Licencié pour motif économique par lettre du 13 mars 2014, M. X a adhéré au contrat de sécurisation professionnelle.


Le 3 février 2015, il a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles afin de contester la rupture de son contrat de travail, demander la communication de 14 conventions de mise à disposition ou de services ainsi que leurs annexes, et de certains contrats de travail des mandataires sociaux et cadres dirigeants sous astreinte journalière, entendre juger que les sociétés Mory Ducros et Arcole


Industries ont la qualité de co-employeur et solliciter la fixation au passif de la société Mory Ducros et la condamnation de la société Arcole Industries au paiement de diverses indemnités.
Les sociétés se sont opposées aux demandes du requérant, la société Arcole Industries sollicitant sa condamnation au paiement d’une somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.


L’instance, radiée le 5 décembre 2016 a été réinscrite le 24 février 2017.


Par jugement rendu le 9 septembre 2019, le conseil de prud’hommes a débouté M. X et la société Arcole Industries de l’ensemble de leurs demandes, laissant les dépens à ceux qui les avaient engagés.


Le 17 octobre 2019, M. X a relevé appel de cette décision par voie électronique.


Par ordonnance rendue le 8 décembre 2021, le conseiller chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries au 4 janvier 2022.

' Selon ses dernières conclusions du 24 novembre 2021, M. X demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de :

1) Condamner du fait de l’annulation de la décision d’homologation du 3 mars 2014 la société Mory


Ducros sur le fondement de l’article L. 1233-58 du code du travail et lui allouer les indemnités suivantes : 130 183,20 euros (4 années de salaire)


Fixer ces mêmes créances au passif de la société Mory Ducros,


Dire le jugement à intervenir opposable au CGEA d’Ile de France Est ;

2) Condamner in solidum du fait de la situation de co-emploi les sociétés Mory Ducros et Arcole


Industries, à lui verser l’indemnité suivante pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

130 183,20 euros,

3) Condamner la société Mory Ducros du fait de la violation de l’obligation individuelle de reclassement à payer à l’appelant l’indemnité suivante pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

: 130 183,20 euros,


Fixer ces mêmes créances au passif de la société Mory Ducros,


Dire le jugement à intervenir opposable au CGEA d’Ile de France Est,


Condamner la société Mory Ducros et la société Arcole à payer à chacun des salariés une indemnité de 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;


Assortir les condamnations à intervenir d’intérêts au taux légal ;
Condamner les sociétés Mory Ducros et Arcole aux entiers dépens.

' Aux termes de ses dernières conclusions, en date du 22 novembre 2021, M. A, ès qualité de liquidateur de la société Mory Ducros demande à la cour de :


Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. X de ses demandes,


Et en tout hypothèse


Débouter M. X de l’ensemble de ses demandes ;


A titre subsidiaire


Dire et juger que M. X ne peut prétendre à un cumul d’indemnité sur le fondement de

l’annulation de la décision d’homologation et sur le bien fondé du licenciement ;


Fixer cette indemnité à six mois de salaire ;


Débouter M. X de sa demande au titre d’une indemnité pour violation de l’obligation individuelle de reclassement.


En tout état de cause

le débouter de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;


Statuer ce que de droit sur les dépens ;


Déclarer le jugement à intervenir opposable à l’AGS-CGEA.

' Par dernières conclusions en date du 16 juillet 2020, la société Arcole Industries demande à la cour de :


Confirmer le jugement,


En conséquence :


Constater l’absence de co-emploi entre les sociétés Mory Ducros et Arcole Industries,


Constater l’absence de lien contractuel entre M. X et la société Arcole Industries;


En conséquence :


La mettre hors de cause et ne pas lui rendre opposable le jugement qui sera rendu à l’encontre de M. A, mandataire liquidateur.


Débouter M. X de l’ensemble de ses demandes fins et conclusions


En tout état de cause, à titre reconventionnel :


Condamner M. X à lui payer la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

' Selon ses dernières conclusions en date du 16 juillet 2020, l’AGS CGEA d’Ile de France Est demande à la cour de :


A titre principal :


Confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :


- débouté M. X de l’ensemble de ses demandes ;


- jugé que les dépens de l’instance ainsi que les éventuels frais d’exécution seront à la charge de M.


X .


Jugeant à nouveau,


Déclarer l’appelant mal fondé en ses demandes,


Dire et juger que l’article L.1235-16 du code du travail ne s’applique pas en présence d’une procédure collective,


En conséquence,


Débouter l’appelant de ses demandes, fins et conclusions.


Subsidiairement,


Débouter l’appelant de ses autres demandes dans l’hypothèse où la cour considérerait l’article


L.1235-16 applicable à l’espèce


Débouter l’appelant de ses demandes au titre de l’obligation de reclassement, le PSE et le mandataire ayant satisfait à leurs obligations en la matière.


A titre subsidiaire,


Débouter l’appelant de ses demandes de dommages et intérêts au titre du reclassement individuel ;
Sur la demande de co-emploi entre la société Mory Ducros et la société Arcole Industries :


A titre principal :


Constater l’absence de co-emploi entre les sociétés Arcole et Mory Ducros ;


En conséquence


Débouter l’appelant de ses demandes de dommages et intérêts au titre d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.


A titre subsidiaire, en présence d’un co-emploi :


Vu l’article L.622-22 du Code de commerce


Dire et juger qu’une condamnation in solidum à l’égard du passif de la procédure collective est impossible


En conséquence,


Mettre hors de cause de l’AGS en vertu du principe de subsidiarité en présence d’un co-employeur in bonis


Vu l’article L. 1233-3 du code travail,


Vu les articles L. 640-1 et suivants du code de commerce


Dire et juger que le licenciement de l’appelant repose sur un motif économique incontestable concernant la société Mory Ducros


En conséquence,


Débouter l’appelant de ses demandes à l’encontre de la société Mory Ducros,


En tout état de cause, en présence d’un co-emploi,


Vu l’article 1240 du code civil, Vu l’article L.3253-20 du code du travail,


Condamner la société Arcole Industries à verser à l’AGS la somme de 64 781 691,12 euros au titre des avances réalisées par l’AGS dans le cadre de la liquidation de la société Mory Ducros,


Subsidiairement,
Condamner la société Arcole Industries à verser à l’AGS les sommes déjà avancées au salarié dans le cadre du présent contentieux,


Condamner la société Arcole Industries à garantir l’AGS pour les éventuels montants qui seront fixés au passif de la société Mory Ducros,


Dire et juger que, dans les rapports entre l’AGS et la société Arcole Industries, qui est in bonis, la contribution à la dette solidaire incombera le cas échéant entièrement à cette dernière,


Sur la garantie de l’AGS


Dire et juger que s’il y a lieu à fixation, celle-ci ne pourra intervenir que dans les limites de la garantie légale


Dire et juger qu’en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l’article L. 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens du dit article L. 3253-8 du code du travail, les astreintes, dommages et intérêts mettant en 'uvre la responsabilité de droit commun de l’employeur ou article 700 étant ainsi exclus de la garantie.


Dire et juger qu’en tout état de cause, aux termes des dispositions de l’article L. 3253-17 du code du travail, la garantie est nécessairement plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié,

à un des trois plafonds définis à l’article D. 3253-5 du code du travail.


Statuer ce que de droit quant aux frais d’instance sans qu’ils puissent être mis à la charge de l’AGS.


Pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, ainsi que des moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux écritures susvisées.

MOTIFS

I – Sur le co-emploi :


Au soutien de sa demande tendant à voir reconnaître l’existence d’un co-emploi, le salarié, après avoir rappelé l’évolution de la jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation en la matière et invoqué différents arrêts de cour d’appel, ainsi que la doctrine, de la page 13 à 24 de ses conclusions, se borne à soutenir « que la cour ne manquera pas de constater l’immixtion de la société Arcole Industries dans la gestion économique et sociale de Mory Ducros et pour cause, qu’il apparaît de manière patente que M. I B, directeur général et son équipe, à savoir 5 salariés au total assistante comprise ont été amenés à diriger la société Mory Ducros moyennant rémunération, que cette relation dépasse toute relation normale entre une société mère et sa fille et dénote de manière patente que la société Arcole était la seule décisionnaire » et, visant sa pièce référencée n° 40, «  que la société Arcole Industries a également été amené à s’immiscer dans la gestion sociale de la société Mory Ducros, M. B, directeur général de la société Arcole Industries ayant lui-même été le signataire de la lettre de sollicitation de poste de reclassement adressée à toutes les sociétés du groupe, la Cour de céans ne manquera pas de constater que ce courrier a destination des sociétés du groupe est adressé par l’employeur dans le cadre de

l’exécution de son obligation de reclassement, qu’il s’agit bien d’un aveu, par Arcole de sa qualité

d’employeur de l’appelant. »


La société Arcole Industries fait valoir qu’elle n’a jamais pris une décision caractérisant une immixtion anormale dans la société Mory Ducros, que l’existence d’un co-emploi n’est pas démontrée, qu’il n’est pas davantage démontré de lien de subordination entre M. X et la société Arcole, que l’immixtion abusive de la société Arcole Industries dans la société Mory Ducros

n’est pas établie, que l’ensemble des mails produits par le salarié concernent M. B, non comme membres du directoire d’Arcole Industries mais comme directeur général de Mory Ducros.


L’AGS affirme que la situation soumise à la cour ne correspond pas à la qualification juridique du co-emploi. Cependant, en cas de reconnaissance d’une telle situation, l’AGS affirme que le co-employeur défaillant doit être tenu responsable des conséquences de la rupture illégale du fait du co-emploi.


Hors l’existence d’un lien de subordination, qui n’est pas invoqué en l’espèce, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de co-employeur du personnel employé par une autre que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.


A cet égard, le seul fait que le dirigeant de la filiale est issu du groupe et que M. B a exercé des fonctions, tant au sein de la société Arcole Industries qu’auprès de Mory Ducros et qu’il a signé, en sa qualité de directeur-général de la société Mory-Ducros avec Maître Z, administrateur judiciaire, la lettre de recherche de reclassement en date du 6 février 2014 (pièce n°40 de l’appelant), ne suffit pas à caractériser une immixtion permanente de la société dominante dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.


Il s’ensuit que le salarié ne démontre pas l’existence d’un co-emploi impliquant la société Arcole


Industrie.


Le co-emploi étant écarté les demandes de M. X à l’encontre de la société Arcole industries doivent être rejetées. Le jugement sera confirmé de ce chef.


De même, les demandes subsidiaires reposant sur le co-emploi présentées à l’encontre de cette société par l’ AGS sur ce fondement sont privées de portée. Elles seront donc également rejetées.


L’équité ne commande pas d’indemniser la société Arcole Industrie au titre des frais irrépétibles.
II – Sur la demande en paiement de l’indemnité prévue par l’article L. 1233-58 du code du travail :


Au soutien de l’infirmation du jugement du Conseil de Prud’hommes de Versailles qui l’a débouté de sa réclamation à ce titre, M. X expose essentiellement que le Conseil d’Etat a par sa décision de confirmation du 7 décembre 2015 définitivement confirmé la nullité de la décision

d’homologation , de sorte que c’est par des motifs erronés que les premiers juges ont rejeté sa réclamation fondée sur les dispositions des articles L. 1233-16 et L. 1233-58 du code du travail.


L’AGS soutient que si l’article L. 1233-58 II du code du travail prévoit l’allocation d’une indemnité en cas de licenciement intervenu alors que la décision ayant procédé à l’homologation du plan de sauvegarde de l’emploi a été annulée, ce même texte précise que l’article L. 1235-16 du code du travail ne s’applique pas. Or, ce dernier texte prévoit que l’annulation d’une homologation pour « un autre motif » que l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi ouvre droit à la réintégration du salarié, ou, à défaut à l’allocation d’une indemnité égale au moins à six mois de salaire.


L’AGS en déduit qu’en cas d’annulation pour un « autre motif » que l’insuffisance ou l’absence de plan de sauvegarde de l’emploi, l’indemnité égale à au moins six mois de salaire ne s’applique pas à une société en procédure collective, cette indemnité ne pouvant être réclamée à une telle société que dans

l’hypothèse où l’homologation est annulée en cas d’insuffisance ou d’absence du plan de sauvegarde de l’emploi. L’AGS considère en conséquence que les salariés ne peuvent pas prétendre à l’indemnité en application de l’article L. 1233-58 II du code du travail, puisque l’annulation de l’homologation résulte uniquement d’une difficulté quant au périmètre d’application des critères d’ordre des licenciements.


L’AGS relève subsidiairement que le salarié sollicite plusieurs années de salaire sans apporter le moindre commencement de preuve d’un quelconque préjudice.


Le liquidateur estime qu’au sein des entreprises qui ne sont pas soumises à une procédure collective, dans les hypothèses où le juge administratif annule la décision administrative pour un motif autre que

l’absence ou l’insuffisance de PSE, la loi ne prévoit pas de régime de nullité du licenciement ou de la procédure ; et ce quand bien même une réintégration est possible. Il ajoute que la réintégration de

l’article L. 1235-16 du code du travail découle de l’annulation de la décision administrative, et non de la nullité du PSE, en faisant observer que dans le cadre d’une procédure collective, les articles


L. 622-17 et suivants du code du commerce, interdisent juridiquement la réintégration du salarié étant précisé que l’application des dispositions de l’article L. 1235-16 du code du travail est expressément exclue par l’article L. 1233-58 du même code. Il estime en conséquence que la cour ne pourra que déclarer le salarié irrecevable en ses prétentions et souligne que l’indemnisation revendiquée ne saurait se cumuler avec une indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.


Selon l’alinéa 5 de l’article L. 1233-58 , II, du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 1er juillet 2013 au 1er juillet 2014, en cas de licenciements intervenus en l’absence de toute décision relative à la validation ou à l’homologation ou en cas d’annulation d’une décision ayant procédé à la validation de l’accord collectif ou à l’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de

l’employeur qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.


Il s’en déduit que cette indemnité au moins égale aux salaires des six derniers mois est due quel que soit le motif d’annulation de la décision ayant procédé à la validation ou à l’homologation.


Pour échapper au paiement de cette indemnité, l’AGS et le liquidateur invoquent à tort les dispositions de l’article L. 1233-58 II alinéa 5 in fine, qui énoncent que l’article L. 1235-16 du code du travail ne s’applique pas. En effet, ce texte, qui ne concerne que les sociétés in bonis, se borne, en cas d’annulation de la décision d’homologation ou de validation en raison d’un autre motif que

l’absence ou l’insuffisance du plan de sauvegarde de l’emploi, à exclure la nullité du licenciement au profit de la réintégration du salarié ou, à défaut, d’une indemnité égale au moins aux six derniers mois de salaire. Dès lors, ces dispositions de l’article L. 1233-58 II alinéa 5 in fine sont sans emport sur les indemnisations des salariés de sociétés en liquidation judiciaire, dont le sort est réglé de façon uniforme dans les conditions énoncées ci-dessus.


La décision de l’autorité administrative homologuant le document unilatéral de l’employeur fixant le plan de sauvegarde de l’emploi a été annulée le 11 juillet 2014 par jugement du tribunal administratif de Cergy Pontoise. Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour administrative d’appel de


Versailles du 22 octobre 2014. Le pourvoi formé contre cette décision a été rejeté par le Conseil

d’Etat par arrêt du 7 décembre 2015.


En conséquence, le licenciement de M. X, qui est intervenu alors que la décision

d’homologation avait été annulée, entre dans les prévisions de l’article L. 1233-58 II du code du travail et lui ouvre droit à une indemnité au moins égale aux six derniers mois de salaires.


Cette indemnité est due quel que soit le motif d’annulation de la décision administrative ayant procédé à la validation de l’accord collectif ou à l’homologation du document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi établi dans une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire, laquelle ne prive pas les licenciements économiques intervenus à la suite de cette décision de cause réelle et sérieuse.


Cette indemnité, qui répare le préjudice résultant pour les salariés du caractère illicite de leur licenciement, ne se cumule pas avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui répare le même préjudice lié à la perte injustifiée de l’emploi.


Le salarié qui a été privé illégitimement de son emploi subit un préjudice dont il appartient au juge

d’apprécier l’étendue, dans les limites de l’article L. 1233-58 II du code du travail, peu important les diligences accomplies par l’entreprise dans le cadre de la recherche de reclassement ou des mesures

d’accompagnement puisque, finalement, la rupture du contrat de travail est intervenue alors que la décision d’homologation, nécessaire pour une telle rupture, a été annulée.

M. X ne communique aucune précision ni a fortiori le moindre élément d’appréciation quant

à l’évolution de sa situation professionnelle.


En l’état des éléments communiqués, au jour de la rupture, M. X âgé de 46 ans, bénéficiait

d’une ancienneté de 27 ans et 5 mois au sein de la société Mory Ducros. Sa rémunération mensuelle brute s’établissait à 2 886 euros prime de 13ème mois comprise.


En l’état de ces éléments et des circonstances de la rupture, il lui sera allouée en application de

l’article L. 1233-58 II du code du travail une indemnité arrêtée à la somme brute de 55 000 euros.

III – Sur la demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :


Dans la mesure où l’indemnité allouée par la cour au salarié sur le fondement de l’article L. 1233-58,


II du code du travail ne se cumule pas avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, la réclamation formulée par M. X pour manquement de l’employeur à son obligation de reclassement ne saurait prospérer.


Le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté à ce titre.


L’équité commande d’allouer à M. X la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, laquelle n’est pas garantie par l’ AGS.

PAR CES MOTIFS


La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,


Infirme le jugement seulement en ce qu’il a débouté M. X de sa demande d’indemnité présentée au titre de l’article L. 1233-58, II du code du travail,


Statuant à nouveau sur ce chef,


Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Mory Ducros la créance de M. X au titre de l’indemnité résultant du licenciement illicite dont il a fait l’objet à la somme brute de

55 000 euros, outre une somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,


Dit qu’en application des articles L. 622-28 et L. 641-3 du Code de commerce, le jugement

d’ouverture de la procédure collective arrête définitivement à sa date le cours des intérêts au taux légal des créances salariales nées antérieurement,


Dit que le présent arrêt sera opposable au Centre de Gestion et d’Etude AGS (CGEA) d’Île-de-France
Est dans la limite du plafond légal,


Dit et juge qu’en tout état de cause, la garantie prévue aux dispositions de l’article L. 3253-6 du code du travail ne peut concerner que les seules sommes dues en exécution du contrat de travail au sens du dit article L. 3253-8 du code du travail, la somme allouée en application de l’article 700 étant ainsi exclue de la garantie,


Dit que le Centre de Gestion et d’Etude AGS (CGEA) d’Île-de-France Est ne devra faire l’avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d’un relevé du mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder

à son paiement,


Dit que les dépens seront considérés comme frais privilégiés dans le cadre de la procédure collective.


Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


Signé par Monsieur Thomas LE MONNYER, Président, et par Monsieur TAMPREAU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


Le greffier, Le président,
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Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 3 mars 2022, n° 19/03806