Tribunal administratif de Paris, 16 juin 2014, n° 1207675

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

N°1207675/5-3

___________

Mme A X

___________

Mme Z

Rapporteur

___________

M. Simonnot

Rapporteur public

___________

Audience du 21 mai 2014

Lecture du 16 juin 2014

___________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Paris

(5e Section – 3e Chambre)

36-02-05-02

C

Vu la requête, enregistrée le 27 avril 2012, présentée pour Mme A X, demeurant XXX à XXX, par le cabinet Y, Pinet (scp) ; Mme X demande au tribunal :

— d’annuler la décision implicite en date du 28 février 2012 par laquelle le directeur de l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris a refusé de faire droit à sa réclamation préalable en date du 26 décembre 2011 tendant à être indemnisée du préjudice résultant du harcèlement moral dont elle a fait l’objet et la décision en du 4 avril 2002 par laquelle le directeur de l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris lui a attribué de nouveaux locaux au sein du bâtiment A ;

— de condamner l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris au versement d’une somme totale de 108 194,56 euros augmentée des intérêts de droit à compter du 28 décembre 2011 et des intérêts capitalisés, à titre de dommages et intérêts, à la suite du harcèlement moral dont elle a fait l’objet de la part de la direction de l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris ;

— de mettre à la charge de l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Mme X, professeur à l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris, était en charge du laboratoire de physique thermique ; elle soutient qu’à partir de l’année 2005, la direction a décidé de faire disparaître ce laboratoire et que ses conditions de travail se sont singulièrement dégradées ; qu’elle a fait l’objet de harcèlement moral et de comportements vexatoires ; qu’elle a été tenue à l’écart de ses collègues ; qu’elle n’était plus informée des réunions organisées par la direction avec les responsables des différents services ; que le mobilier et le matériel de travail des locaux qui lui étaient assignés ont été saccagés de sorte qu’il ne lui était plus possible d’encadrer sérieusement et dans de bonnes conditions les travaux pratiques de ses étudiants ; que les locaux ne lui permettaient plus de recevoir des professeurs étrangers, ce qui est indispensable pour mener à bien des projets de recherche ; qu’après le départ de ses deux collègues, elle assurait seule le charge du laboratoire sans que la direction consente aux recrutements nécessaires qu’elle avait demandés à plusieurs reprises ; que l’électricité a été coupée ; qu’elle a été expulsée des locaux qui lui étaient affectés pour être installée dans des locaux plus petits, insalubres et encombrés de sorte que ses étudiants et les professeurs étrangers ne pouvaient plus être accueillis dans des conditions décentes ; que l’intitulé de son laboratoire a été changé à son insu et que le terme de laboratoire a été supprimé et remplacé par le terme « équipe » de thermodynamique, alors que les publications qu’elle produisait l’étaient au nom du laboratoire ; que ce changement a eu des conséquences néfastes sur sa propre renommée scientifique et sur les contrats industriels dont elle a la charge et sur l’accueil des doctorants, des stagiaires et visiteurs extérieurs ; qu’en novembre 2008, elle n’a pas été invitée à présenter les activités d’enseignement de son service devant la commission internationale créée par la direction ; qu’elle n’a pas été invitée aux journées scientifiques organisées par l’école avec la société Total ni aux journées franco-chinoises qui se sont déroulées du 4 au 6 octobre 2010 ; que ces absences d’invitations manifestent clairement la volonté de la direction de l’évincer, de jeter le discrédit sur son enseignement et d’entraver le développement et l’évolution de ses activités au sein de l’école ; qu’elle n’a plus été conviée aux repas annuels réservés aux responsables de services ; que des attitudes vexatoires constituent une entrave à ses activités et atteignent son honneur et sa réputation ; qu’elle a été victime de harcèlement moral au sens de l’article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 31 juillet 1983 ; que, par courrier du 26 décembre 2011, reçu le 28 suivant, elle a saisi le président du conseil d’administration de l’école d’une demande tendant à être indemnisée des préjudices que lui faisait subir ce harcèlement moral, demande restée sans réponse ; que la direction de l’école a ainsi commis une faute et qu’elle demande réparation de ses préjudices à hauteur de

108 194,56 euros, des intérêts avec capitalisation des intérêts ;

Vu la lettre, enregistrée le 11 juin 2012, pour l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris ;

Vu le mémoire, enregistré le 30 juillet 2012, présenté pour Mme X tendant aux mêmes fins que la requête, par les mêmes moyens ;

Vu la mise en demeure adressée le 26 septembre 2013 à la ville de Paris, en application de l’article R. 612-3 du code de justice administrative, et l’avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2014, présenté par la ville de Paris qui conclut au rejet de la requête et fait valoir qu’elle n’est pas compétente, l’école supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris étant une régie dotée de 'autonomie financière et de la personnalité morale ;

Vu la demande préalable du 26 décembre 2011 et l’avis de réception du

28 décembre 2011;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 21 mai 2014 ;

— le rapport de Mme Z ;

— et les conclusions de M. Simonnot, rapporteur public ;

1- Considérant que Mme X est employée par l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris depuis le 1er décembre 1972 ; qu’elle y a alors occupé le poste d’assistante au laboratoire de physique thermique ; qu’elle a été promue professeur en 1993 ; qu’elle assurait les cours de rhéologie en 3e année et les travaux pratiques de première année en physique thermique ; que la qualité de ses enseignements et de ses travaux de recherche lui ont permis de bénéficier d’une importante notoriété et d’une reconnaissance internationale dans son domaine de recherche ; qu’à partir de 2005, les conditions d’exercice de son activité professionnelle se sont dégradées ; que les locaux qui lui étaient affectés étaient encombrés et mal entretenus ; qu’elle a subi un gel de carrière, restant bloquée au grade de professeur de première classe, n’ayant pas été promue au grade de professeur de classe exceptionnelle ; qu’elle n’a plus bénéficié des primes cependant allouées à ses autres collègues ; qu’il lui a été enjoint de déplacer le laboratoire qu’elle dirigeait dans d’autres locaux mal adaptés à ses enseignements ; qu’après le départ de deux professeurs, elle est restée seule professeur titulaire à la tête du laboratoire, ce qui a alourdi sa charge de travail ; que la direction n’a pas fait droit à ses demandes de recrutement d’un maître de conférences ; qu’elle n’a plus été informée des réunions organisées par la direction avec les responsables de différents services ni des journées avec des scientifiques étrangers ;

2- Considérant qu’aux termes de l’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité , d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. » ;

3- Considérant qu’il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d’agissements proscrits par les dispositions précitées, de soumettre au juge des éléments susceptibles de faire présumer leur existence ; qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ou à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement ou de discrimination sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ;

4- Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et n’est pas sérieusement contesté par l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris que la direction souhaitait voir disparaître le laboratoire de physique thermique et que Mme X intègre une nouvelle équipe de recherche afin notamment d’obtenir la libération des locaux occupés par son laboratoire ; que Mme X a refusé cette proposition, préférant préserver la possibilité de faire perdurer ce laboratoire dont elle assurait la direction selon ses propres axes de recherche ; qu’il n’est pas davantage contesté que l’intéressée n’a jamais été promue au grade de professeur de classe exceptionnelle ni que ses primes ont été réduites ; que ses notes ont stagné à hauteur de 18/20 malgré ses compétences et ses aptitudes qualifiées d’excellentes par sa hiérarchie ; que le laboratoire où elle exerçait a été déménagé malgré elle pour des locaux plus petits, mal entretenus et inadaptés à son activité ; que ses demandes d’affectation de maîtres de conférences n’ont pas été satisfaites, accroissant ainsi sa charge de travail ; que l’intitulé du laboratoire a été remplacé par celui d’équipe de physique thermique, sans justification ; qu’elle a été écartée des manifestations scientifiques organisées par l’école et des manifestations internationales, notamment de journées franco-chinoises qui ont eu lieu du 4 au

6 octobre 2010 ; que ces mesures ont constitué une entrave aux activités de

Mme X et atteint son image et sa réputation au sein de la communauté scientifique nationale et internationale ; qu’il y a donc lieu d’annuler la décision du 4 avril lui attribuant de nouveaux locaux ;

5- Considérant qu’eu égard aux éléments susrelatés, la décision de rejet de son recours gracieux en vue d’indemnisation des faits de harcèlement moral dont la requérante a été victime depuis 2005 est ainsi entachée d’erreur de droit ; que Mme X est fondée à en demander l’annulation ;

Sur les conclusions indemnitaires :

6- Considérant que Mme X présente des conclusions tendant à la condamnation de l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris à lui payer la somme de 108 194,56 euros en réparation des préjudices qu’elle estime avoir subis à raison de l’attitude de la direction de l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris ; qu’elle a formé une demande préalable d’indemnisation en date du 26 décembre 2011, reçue le 28 décembre suivant à laquelle la direction de l’école n’a pas répondu, faisant ainsi naître une décision implicite de rejet ; que le contentieux étant lié, ses conclusions indemnitaires sont recevables ;

7- Considérant que Mme X a été exclue de la possibilité de promotion au titre de professeur de classe exceptionnelle qu’elle a demandée à partir de l’année 2007 et a subi un préjudice de carrière dont il sera fait une juste évaluation en le fixant à

2 000 euros ;

8- Considérant que Mme X a également subi un préjudice au titre de l’atteinte à sa réputation, eu égard à sa carrière et à sa renommée au sein de la communauté scientifique internationale, dont il sera fait une juste évaluation en le fixant à 2 000 euros ;

9- Considérant que les primes auxquelles Mme X pouvait prétendre ont été diminuées ; qu’il sera fait une juste évaluation de ce chef de préjudice en le fixant à la somme de 2 000 euros

10- Considérant qu’il sera ainsi fait une juste évaluation de l’ensemble des préjudices subis par Mme X en les fixant à la somme de 6 000 euros ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

11- Considérant que Mme X a droit aux intérêts calculés au taux l égal sur la somme de 5 000 euros à compter du 28 décembre 2011, date de réception de sa demande préalable par l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris ;

12- Considérant qu’aux termes de l’article 1154 du code civil : « Les intérêts échus des capitaux peuvent produire des intérêts (…) pourvu qu’il s’agisse d’intérêts dus au moins d’une année entière » ; qu’à la date d’enregistrement de la requête, le 27 avril 2012, il n’était pas du une année entière d’intérêts qui ont été demandés à l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris le 28 décembre 2011 ; qu’il suit de là que ces conclusions doivent être rejetées ; que la capitalisation doit donc être effectuée à compter du 28 décembre 2012 et à chaque date anniversaire ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L ; 761-1 du code de justice administrative :

13- Considérant qu’il y a lieu de condamner l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris à verser à Mme X qui n’est pas la partie perdante dans cette instance une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision implicite du directeur de l’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris, ensemble la décision du 4 avril 2012 attribuant de nouveaux locaux à Mme X sont annulées.

Article 2 : L’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris versera à Mme X la somme de 6 000 euros assortie des intérêts de droit à compter du

28 décembre 2011 ; les intérêts échus le 28 décembre 2012 seront eux-mêmes capitalisés à cette date et à chaque date anniversaire, en réparation des préjudices subis.

Article 3 : L’école supérieure de physique et chimie industrielles de la ville de Paris versera à Mme X une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A X, à la ville de Paris et à l’école supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris.

Délibéré après l’audience du 21 mai 2014, à laquelle siégeaient :

M. Duboz, président,

Mme Z, premier conseiller,

Mme Jimenez, premier conseiller,

Lu en audience publique le 16 juin 2014.

Le rapporteur, Le président,

F. Z C. DUBOZ

Le greffier,

R. LALLEMAND

La République mande et ordonne au préfet de Paris, préfet de la région Ile de France, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Tribunal administratif de Paris, 16 juin 2014, n° 1207675