Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale section b, 1er février 2024, n° 21/02004

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Grenoble, ch. soc. sect. b, 1er févr. 2024, n° 21/02004
Juridiction : Cour d'appel de Grenoble
Numéro(s) : 21/02004
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Grenoble, 31 mars 2021, N° 19/00311
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 19 février 2024
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Sur les parties

Texte intégral

C 9

N° RG 21/02004

N° Portalis DBVM-V-B7F-K3JN

N° Minute :

Copie exécutoire délivrée le :

la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET

la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE GRENOBLE

Ch. Sociale -Section B

ARRÊT DU JEUDI 01 FEVRIER 2024

Appel d’une décision (N° RG 19/00311)

rendue par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de GRENOBLE

en date du 01 avril 2021

suivant déclaration d’appel du 29 avril 2021

APPELANT :

Monsieur [T] [L]

né le 29 Décembre 1973 à [Localité 6]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

représenté par Me Laure GERMAIN-PHION de la SCP GERMAIN-PHION JACQUEMET, avocat au barreau de GRENOBLE

INTIMEE :

Société SNCF VOYAGEURS venant aux droits de L’EPIC SNCF MOBILITES représenté par son représentant légal demeurant en cette qualité audit siège

[Adresse 3]

[Localité 4]

représentée par Me Marie GIRARD-MADOUX de la SCP GIRARD-MADOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de CHAMBERY

COMPOSITION DE LA COUR :

LORS DU DÉLIBÉRÉ :

M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président,

M. Jean-Yves POURRET, Conseiller,

Mme Hélène BLONDEAU-PATISSIER, Conseillère,

DÉBATS :

A l’audience publique du 13 décembre 2023,

Frédéric BLANC, conseiller faisant fonction de président chargé du rapport et Jean-Yves POURRET, conseiller, ont entendu les parties en leurs conclusions et plaidoiries, assistés de Mme Carole COLAS, Greffière, conformément aux dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, les parties ne s’y étant pas opposées ;

Puis l’affaire a été mise en délibéré au 01 février 2024, délibéré au cours duquel il a été rendu compte des débats à la Cour.

L’arrêt a été rendu le 01 février 2024.

EXPOSE DU LITIGE':

Le 11 juin 2001, M. [T] [L] a été embauché par l’établissement public à caractère industriel ou commercial (EPIC) SNCF Mobilités, aux droits duquel est venue la société anonyme (SA) SNCF Voyageurs, dans le cadre d’un «'contrat d’embauche cadre permanent'» en qualité d’attaché opérateur affecté au service des trains de [Localité 5] comme agent commercial trains.

Ce contrat de travail à durée indéterminée est soumis aux règles fixées par le statut de la SNCF référentiel RH 00001.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [T] [L] exerçait les fonctions d’agent de service commercial des trains, qualification B, niveau 02, position 11, échelon 06 de la convention collective nationale de la branche ferroviaire avec une rémunération brute de base de 1'675,64 euros hors prime.

Du 6 janvier 2017 au 29 juin 2018, M. [T] [L] a bénéficié d’un congé individuel de formation en vue de préparer le Brevet Professionnel de la Jeunesse, de l’Education Populaire et du sport (BPJEPS).

Dans le cadre de cette formation M. [T] [L] envisageait d’effectuer un premier stage du 9 juillet au 3 août 2018 dans le cadre d’un contrat d’engagement éducatif, lequel devait être suivi d’un second stage en août 2018.

Par courrier en date du 19 juin 2018, M. [T] [L] a été convoqué à deux visites médicales’fixées le 2 juillet 2018 au centre d’aptitude à la sécurité et le 5 juillet 2018 avec le médecin du travail.

Le 28 juin 2018, M. [T] [L] a remis une demande de prolongation de congé de disponibilité pour une période de trois mois du 29 juin au 1er octobre 2018 pour convenance personnelle avec le motif suivant': «'finir mon stage de direction de centre de loisirs pour valider mon diplôme commencé lors de mon AGECIF'».

A l’issue de la visite médicale d’aptitude sécurité du 2 juillet 2018, le médecin a conclu à une inaptitude de M. [T] [L] aux fonctions de contrôleur jusqu’au 2 octobre 2018, le salarié ayant refusé de se soumettre à une prise de sang.

Lors de la visite médicale en date du 5 juillet 2018, M. [T] [L] a été déclaré apte à son travail.

Au cours d’un entretien du 6 juillet 2018, M. [X], directeur des ressources humaines a refusé la demande de congé de disponibilité de M. [T] [L].

M. [T] [L] a été absent de son poste de travail du 9 juillet au 9 août 2018.

Par courrier en date du 17 juillet 2018, l’EPIC SNF Mobilités a sollicité de M.'[T]'[L] des explications sur son absence. Le salarié a exposé par note du'23'juillet 2018 que son absence était justifiée par le congé sans solde que l’entreprise s’était engagée à lui accorder.

Par courrier en date du 19 juillet 2018, M. [T] [L] a été convoqué par l’EPIC SNCF Mobilités à un entretien préalable à une éventuelle sanction fixé le 26 juillet 2018.

Par courrier en date du 31 juillet 2018, l’EPIC SNCF Mobilités a notifié à M.'[T]'[L] une mise à pied avec sursis pour avoir «'refusé de [se] soumettre aux examens demandés, ne permettant pas au médecin de se prononcer sur votre aptitude physique et induisant de fait une inaptitude jusqu’au 02/10/2018'».

M. [T] [L] a contesté cette sanction par courrier du 6 août 2018.

Par une lettre de confirmation en date du 31 août 2018, M. [T] [L] s’est vu notifier la sanction de « mise à pied de 1 jour ouvré avec sursis ».

En date du 16 août 2018, M. [T] [L] a bénéficié d’une nouvelle visite médicale de reprise d’aptitude à la sécurité, au terme de laquelle le médecin l’a déclaré à nouveau inapte. M. [T] [L] a formé un recours contre cet avis par courrier en date du'28'septembre'2018 et a demandé le bénéfice d’une nouvelle visite médicale. Cette demande a été acceptée en date du 10 décembre 2018 par la Commission ferroviaire. M.'[T]'[L] ne s’y est pas rendu, la relation de travail ayant été rompue avant.

En parallèle, par courrier en date du 31 juillet 2018, M. [T] [L] a été convoqué par l’EPIC SNCF Mobilités à un entretien préalable en vue d’une éventuelle radiation des cadres fixé au 10 août 2018.

Par courrier en date du 5 septembre 2018, M. [T] [L] a été convoqué devant le Conseil de discipline pour une audience fixée le 25 septembre 2018.

Par courrier en date du 15 octobre 2018, il s’est vu notifier sa radiation des cadres pour avoir manqué de se présenter à son poste du 9 juillet au 9 août 2018.

Par courrier en date du 23 octobre 2018, M. [T] [L] a sollicité du directeur régional le réexamen de sa situation, ce qui n’aboutira pas à un abaissement de la sanction disciplinaire.

M. [T] [L] a ensuite porté sa demande auprès du Président Directeur Général de SNCF Mobilités, lequel a rejeté la demande d’abaissement de la sanction par courrier du 3 janvier 2019.

Le 30 octobre 2018, l’EPIC SNCF Mobilités a remis à M. [T] [L] ses documents de fin de contrat.

Par requête en date du 15 avril 2019, M. [T] [L] a saisi le conseil de prud’hommes de Grenoble afin de contester la rupture de son contrat de travail et d’obtenir paiement de sommes salariales et indemnitaires au titre d’une rupture abusive.

La société SNCF Voyageurs s’est opposée aux prétentions adverses.

Par jugement en date du 1er avril 2021, le conseil de prud’hommes de Grenoble a':

— dit que la sanction de mise à pied d’un jour ouvré avec sursis est abusive,

— condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilité, à verser à M.'[T] [L] la somme de':

—  1'500,00 € (mille cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,

—  1'000,00 € (mille euros) au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Lesdites sommes avec intérêts de droit à la date du jugement,

— débouté M. [T] [L] de ses autres demandes,

— condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités aux entiers dépens.

La décision a été notifiée par le greffe par lettres recommandées avec accusés de réception signés le 2 avril 2021 pour M. [T] [L], sans date pour la société SNCF Voyageurs SA.

Par déclaration en date du 29 avril 2021, M. [T] [L] a interjeté appel à l’encontre dudit jugement.

Par arrêt en date du 16 mars 2023, la cour d’appel de Grenoble a':

— confirmé le jugement entrepris en ce qu’il a':

— dit que la sanction de mise à pied d’un jour ouvré avec sursis est abusive,

— condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilité, à verser à M.'[T] [L] la somme de':

—  1'500 € (mille cinq cents euros) à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,

Ladite somme avec intérêts de droit à la date du jugement,

L’a infirmé pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

— déclaré injustifiée la radiation des cadres notifiée par l’EPIC SNCF Mobilités aux droits duquel vient la société SNCF Voyageurs à M. [L] le 15 octobre 2018, la rupture s’analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse

— condamné la société SNCF Voyageurs, venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à payer à M. [L] les sommes suivantes':

— trois mille trois cent quatre-vingt-sept euros et vingt-six centimes (3387,26 euros) bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis

— trois cent trente-huit euros et soixante-treize centimes (338,73 euros) bruts à titre de congés payés afférents

— dix mille quatre cent trente-cinq euros et trente-quatre centimes (10435,34 euros) à titre d’indemnité de licenciement

— rappelé que les intérêts légaux sur ces sommes courent à compter du 16 avril 2019

— deux mille cinq cents euros (2500 euros) nets à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral

— rappelé que les intérêts au taux légal sur cette somme court à compter du prononcé de l’arrêt

— débouté M. [L] du surplus de sa demande au titre du préjudice moral

— ordonné le rabat de l’ordonnance de clôture et la réouverture des débats

— renvoyé l’examen de l’affaire à l’audience de mise en état du 15 juin 2023

— invité les parties à fournir à la cour des explications utiles sur le fait de savoir si l’ancien employeur de M. [L], l’EPIC SNCF Mobilités assurait ou non la gestion d’un service public et/ou mettait ou non en 'uvre des prérogatives de puissance publique et selon la réponse apportée, si M. [L] peut ou non invoquer l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT qui exclut de son champ d’application certains salariés du secteur public ainsi que l’article 24 de la charte sociale européenne, jugée d’application directe dans un litige entre une entité juridique exerçant un service public et/ou titulaire de prérogatives de puissance publique et l’un de ses agents par la juridiction administrative

— réservé l’ensemble du surplus des prétentions des parties au principal et accessoires.

M. [T] [L] s’en est remis à des conclusions transmises le 09 octobre 2023 et entend voir':

REFORMER le jugement entrepris en ce qu’il a débouté M. [L] de sa demande de dommages et intérêts au titre du caractère abusif de la rupture de son contrat de travail,

CONDAMNER la SNCF Voyageurs à verser à M. [L] la somme de 45 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

CONDAMNER la SNCF Voyageurs à payer à M. [L] la somme de 3 000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

DEBOUTER la SNCF Voyageurs de l’intégralité de ses demandes

La SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités s’en est rapportée à des conclusions transmises le 25 septembre 2023 et demande à la cour d’appel de':

Vu le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 1er avril 2021,

— Infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Grenoble le 1er avril 2021 en ce qu’il a :

— « Dit que la sanction de mise à pied d’un jour ouvré avec sursis est abusive,

— Condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à verser à M. [T] [L] la somme de :

—  1 500 € à titre de dommages et intérêts pour sanction abusive,

—  1 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Outre intérêts au taux légal à la date du jugement.

— Condamné la SA SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités aux entiers dépens»

— Le confirmer pour le surplus,

En conséquence et statuant à nouveau,

— Débouter M. [T] [L] de l’ensemble de ses demandes,

— Condamner M. [T] [L] aux dépens.

Pour un exposé complet des moyens et prétentions des parties, il convient au visa de l’article 455 du code de procédure civile de se reporter à leurs écritures.

L’ordonnance de clôture a été rendu le 12 octobre 2023.

EXPOSE DES MOTIFS':

A titre liminaire, l’arrêt du 16 mars 2023 a d’ores et déjà statué sur la mise à pied d’un jour ouvré avec sursis et sur le caractère injustifié de la radiation des cadres de sorte qu’il ne reste en débat, nonobstant le dispositif des conclusions de l’intimée que la question de l’indemnisation de la rupture injustifiée du contrat de travail de M. [L] ainsi que celle des demandes accessoires.

Sur les prétentions afférentes à la rupture du contrat de travail':

L’article L. 1235-3 du code du travail dispose que si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous.

M. [L] disposait d’une ancienneté, au service du même employeur, de plus de dix-sept ans et peut donc prétendre, par application des dispositions précitées, à une indemnisation du préjudice né de la perte injustifiée de son emploi comprise entre l’équivalent de trois et quatorze mois de salaire.

Il revendique une indemnité de 45000 euros correspondant à une perte de rémunération pendant plus de 25 mois (salaire de 1771 euros brut en moyenne sur un an eu égard aux éléments variables de rémunération et non de 2104 euros brut comme revendiqué par le salarié), au motif que le plafond instauré par l’article L. 1235-3 du code du travail est contraire à l’article 10 de la convention OIT n°158 ainsi qu’à l’article 24 de la Charte sociale européenne, et n’est pas de nature à indemniser le préjudice qu’il a subi à raison de la perte injustifiée de son emploi.

Par arrêt en date du 11 mai 2022, pourvoi n°21-14490, publié au bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation a jugé s’agissant de la conventionalité des barèmes au regard de l’article 10 de la convention n°158 ratifiée par la France dans le cadre de l’organisation internationale du travail (OIT) :

«  en application de l’article L. 1235-3 du code du travail, si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés par ce texte. Pour déterminer le montant de l’indemnité, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l’occasion de la rupture, à l’exception de l’indemnité de licenciement mentionnée à l’article L. 1234-9. Cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités prévues aux articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15, dans la limite des montants maximaux prévus au même article.

Aux termes de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail (l’OIT), si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Les stipulations de cet article 10 qui créent des droits dont les particuliers peuvent se prévaloir à l’encontre d’autres particuliers et qui, eu égard à l’intention exprimée des parties et à l’économie générale de la convention, ainsi qu’à son contenu et à ses termes, n’ont pas pour objet exclusif de régir les relations entre Etats et ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire, sont d’effet direct en droit interne (voir également : Assemblée plénière, avis de la Cour de cassation, 17 juillet 2019, n° 19-70.010 et n° 19-70.011). En effet, la Convention n° 158 de l’OIT précise dans son article 1er : « Pour autant que l’application de la présente convention n’est pas assurée par voie de conventions collectives, de sentences arbitrales ou de décisions judiciaires, ou de toute autre manière conforme à la pratique nationale, elle devra l’être par voie de législation nationale. ».

Selon la décision du Conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail, ayant adopté en 1997 le rapport du Comité désigné pour examiner une réclamation présentée en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT par plusieurs organisations syndicales alléguant l’inexécution par le Venezuela de la Convention n° 158, le terme « adéquat » visé à l’article 10 de la Convention signifie que l’indemnité pour licenciement injustifié doit, d’une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d’autre part raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

A cet égard, il convient de relever qu’aux termes de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, l’article L. 1235-3 de ce code n’est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d’une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l’exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l’employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d’une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l’article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d’un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l’exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d’un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

Selon une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la qualification de liberté fondamentale est reconnue à la liberté syndicale, en vertu de l’alinéa 6 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (Soc., 2 juin 2010, pourvoi n° 08-43.277 ; Soc., 9 juillet 2014, pourvois n° 13-16.434, 13-16.805, Bull. 2014, V, n° 186), au droit de grève protégé par l’alinéa 7 du même Préambule (Soc., 25 novembre 2015, pourvoi n° 14-20.527, Bull. 2015, V, n° 236), au droit à la protection de la santé visé par l’alinéa 11 du même Préambule (Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-15.905, Bull. 2012, V, n° 218 ; Soc., 29 mai 2013, pourvoi n° 11-28.734, Bull. 2013, V, n° 136), au principe d’égalité des droits entre l’homme et la femme institué à l’alinéa 3 du même Préambule (Soc., 29 janvier 2020, pourvoi n° 18-21.862, publié), au droit à un recours juridictionnel en vertu de l’article 16 de la Déclaration de 1789 (Soc., 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11.122, publié), à la liberté d’expression, protégée par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Soc., 30 juin 2016, pourvoi n° 15-10.557, Bull. 2016, V, n° 140 ; Soc., 19 janvier 2022, pourvoi n° 20-10.057, publié).

En application de l’article L. 1132-1 du code du travail, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une discrimination en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d’un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s’exprimer dans une langue autre que le français.

Les protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13 du code du travail concernent la protection de la grossesse et de la maternité, la prise d’un congé d’adoption, d’un congé de paternité, d’un congé parental, d’un congé pour maladie d’un enfant et la protection des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles.

Par ailleurs, selon l’article L. 1235-4 du code du travail, dans le cas prévu à l’article L. 1235-3 du même code, le juge ordonne le remboursement par l’employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d’indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d’office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l’instance ou n’ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

Il en résulte, d’une part, que les dispositions des articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls dans les situations ci-dessus énumérées, le barème ainsi institué n’est pas applicable, permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

Il en résulte, d’autre part, que le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l’employeur est également assuré par l’application, d’office par le juge, des dispositions précitées de l’article L. 1235-4 du code du travail.

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail sont ainsi de nature à permettre le versement d’une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’OIT.

Il en résulte que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention précitée ".

Pour autant, lors de la 344ème sessions de son conseil d’administration, le conseil d’administration de l’OIT a adopté le rapport du comité d’experts chargé d’examiner la réclamation alléguant l’inexécution par la France de la convention n°158 sur le licenciement de 1982, qui a abouti aux conclusions suivantes :

«  le comité observe que la réparation intégrale peut être distinguée de la réparation adéquate ou appropriée et en tout cas s’imposer dans les cas mettant en cause un droit fondamental, et que le droit français s’inscrit dans ce cadre, l’article L. 1235-3-1 du code du travail écartant l’application du barème pour tous les cas de nullité du licenciement au rang desquels figure la violation d’une liberté fondamentale.

73. Cela étant, le comité estime que la question qui se pose est celle de savoir si le juge reste en mesure de prendre en compte la situation individuelle et personnelle du salarié, comme celle de l’entreprise, afin de garantir au travailleur licencié une réparation adéquate de son préjudice, au sens de l’article 10 de la convention. L’existence du barème empêche-t-elle le juge de prendre en compte d’autres éléments déterminant le préjudice subi par le salarié injustement licencié '

74. À cet égard, le comité note que l’indemnité versée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est, selon le dernier alinéa de l’article L. 1235-3, cumulable, le cas échéant, avec plusieurs autres catégories d’indemnités pouvant être accordées par le juge, à savoir :

' l’indemnité accordée au salarié compris dans un licenciement pour motif économique, en cas de non-respect par l’employeur des procédures de consultation des instances de représentation du personnel ou d’information de l’autorité administrative (article L. 1235-12);

' l’indemnité accordée au salarié en cas de non-respect par l’employeur de la priorité de réembauche (article L. 1235-13);

' l’indemnité accordée au salarié en cas de procédure de licenciement pour motif économique dans une entreprise où le comité social et économique n’a pas été mis en place, alors que l’entreprise est assujettie à cette obligation, et qu’aucun procès-verbal de carence n’a été établi (article L. 1235-15).

75. Le comité note cependant que, selon les termes du dernier alinéa de l’article L. 1235-3, ce cumul ne peut intervenir que dans la limite des montants maximaux indiqués.

76. Le comité note également, d’après les informations fournies par le gouvernement et le rapport commun aux demandes d’avis de la Cour de cassation, que la chambre sociale de la Cour de cassation admet, dans certaines circonstances, que le salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse peut prétendre à des dommages-intérêts distincts de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en cas de comportement fautif de l’employeur dans les circonstances ou les conséquences de la rupture (par exemple licenciement prononcé par l’employeur dans des conditions vexatoires, atteinte à la dignité du salarié, préjudice moral), indépendamment de la justification du licenciement. Dans ce cas, les indemnités pour préjudice distinct n’ont pas à être prises en considération dans les limites maximales d’indemnisation de l’article L. 1235-3 du code du travail, à la différence des indemnités des articles L. 1235-12, L. 1235-13 et L. 1235-15 du code du travail.

77. Le comité observe néanmoins que la prise en compte de tels éléments susceptibles de donner lieu à une réparation déplafonnée n’est guère pertinente dans le cadre de la question posée de la conformité du dispositif d’indemnisation à l’article 10 de la convention, puisqu’ils concernent non pas la réparation pour licenciement injustifié, mais celle d’un préjudice distinct résultant d’une faute de l’employeur distincte du caractère injustifié du licenciement.

78. Le comité note que, si la « barémisation » entraîne de fait une désindividualisation de la réparation du préjudice, le juge a toutefois la possibilité de déterminer le montant de l’indemnité en tenant compte d’autres critères que celui de l’ancienneté prévu par le barème. Ainsi, le Conseil constitutionnel français a relevé qu’il appartenait au juge de tenir compte de la situation personnelle du salarié: « il appartient au juge, dans les bornes de ce barème, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il fixe l’indemnité due par l’employeur » (Cons. const., 21 mars 2018, n°2018-761 DC, cons. 89).

79. Cela étant, le comité note que, si la marge d’appréciation des juges du fond reste possible de façon à pouvoir tenir compte de situations individuelles et personnelles, le pouvoir d’appréciation du juge en la matière apparaît ipso facto contraint, puisqu’il s’exerce dans les limites de la fourchette du barème établie par la loi. Tout en notant que le gouvernement indique que les montants correspondent aux « moyennes constatées » des indemnités accordées par les juridictions avant la réforme, le comité considère qu’il n’est pas a priori exclu que, dans certains cas, le préjudice subi soit tel qu’il puisse ne pas être réparé à la hauteur de ce qu’il serait « juste » d’accorder, pour des motifs divers, comme par exemple l’ancienneté du salarié, la possibilité de retrouver un emploi, sa situation de famille, etc. Le caractère « ramassé » de la fourchette plafonnée à vingt mois limite aussi la possibilité pour le juge de tenir compte de ces situations individuelles et personnelles.

80. Au vu de ce qui précède, le comité considère – en dehors des cas de licenciement mettant en cause un droit fondamental pour lesquels le principe de la réparation intégrale est acquis et indépendamment de la réparation pour préjudice distinct – que la conformité d’un barème, et donc d’un plafonnement, avec l’article 10 de la convention, dépend du fait que soit assurée une protection suffisante des personnes injustement licenciées et que soit versée, dans tous les cas, une indemnité adéquate.

81. Dans ces conditions, le comité invite le gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L. 1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement abusif. ".

Si cette décision du comité d’experts n’est certes pas une décision émanant d’une juridiction supra-nationale s’imposant au juge français, elle a toutefois une autorité significative et le juge français peut, voire, doit y recourir afin d’interpréter une convention ratifiée par la France dans le cadre de l’Organisation internationale du travail dont il a comme en l’espèce été reconnu un effet direct dans un litige entre deux particuliers. (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 novembre 2018, 17-18.259, Publié au bulletin).

Surtout, lors de sa session, le Conseil d’administration de l’OIT n’a pas seulement adopté le rapport du Comité d’expert mais a également décidé :

«  b) de demander au gouvernement de tenir compte, dans le cadre de l’application de la convention n°158, des observations formulées aux paragraphes 54, 58, 80 et 81 des conclusions du comité ;

c) d’inviter le gouvernement à fournir des informations à ce sujet, pour examen et suivi ultérieur, le cas échéant, par la Commission d’experts pour l’application des conventions et recommandations ;

d) de rendre public le rapport et déclarer close la procédure de réclamation. ".

Il est dès lors mis à la charge du Gouvernement français une obligation particulière dans le cadre de l’application de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT par le Conseil d’administration de l’OIT.

Or, dans le cadre d’une observation adoptée en 2022 et publiée en 2023 à l’occasion de la 111ème session du CIT, la commission d’expert pour l’application des conventions et recommandations a indiqué :

«  La commission prend note des observations de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), reçues le 6 septembre 2021, et de la réponse du gouvernement, reçue le 7 octobre 2021. Il prend également note des observations de la Confédération française des cadres – Confédération générale des cadres et cadres (CFE-CGC) fournies avec le rapport du Gouvernement. Le Comité note que les observations portent en particulier sur l’application de l’article 10 de la Convention.

Suivi des recommandations de la commission tripartite (réclamation faite en vertu de l’article 24 de la Constitution de l’OIT)

Article 10. Versement d’une indemnisation adéquate ou de toute autre réparation jugée appropriée.

La commission note que, dans ses observations, la CFDT se réfère au barème fixant des limites pour l’indemnisation des salariés licenciés sans justification réelle et sérieuse et se réfère à l’incompatibilité des limites fixées avec le principe d’indemnisation adéquate, tel qu’énoncé à l’article 10 de la convention. En effet, la CFDT indique que la réparation du préjudice telle que prévue par ce barème ne permet pas toujours d’indemniser adéquatement le salarié pour la cessation injustifiée de son emploi, notamment lorsque le préjudice est très important et que l’ancienneté du salarié dans l’entreprise est courte.

Dans ses observations, le CFE-CGC déclare qu’il considère que ce barème est contraire aux articles 8 et 10 de la Convention. Le gouvernement rappelle que le mécanisme de barème prévu par l’ordonnance no 2017-1387 et ratifié par la loi no 2018-217 a été soumis au Conseil constitutionnel qui a déclaré conforme à la Constitution l’article L. 1235-3 du Code du travail fixant le barème des indemnités.

Le gouvernement précise que le barème est un cadre obligatoire d’indemnisation que le juge doit utiliser lorsqu’il déclare que le licenciement d’un salarié est sans justification réelle et sérieuse. En aucun cas, le système de barème ne permet à l’employeur de mettre fin à son emploi sans justification, le montant fixé par le barème et proposé par le juge étant l’indemnité des préjudices subis par le salarié. Actuellement, lorsque le congédiement du salarié n’a pas de justification réelle et sérieuse, le juge peut ordonner la réintégration du salarié si aucune des parties ne s’y oppose. Si l’employeur ou l’employé refuse la réintégration, le juge accorde une indemnité. Le juge peut tenir compte d’éléments liés à la situation particulière du salarié (âge, état de santé, situation familiale, etc.) lors de la fixation du montant de l’indemnité dans le respect des limites minimales et maximales du barème.

Dans son rapport, la commission tripartite a considéré – hormis les cas de licenciement concernant un droit fondamental, auquel s’applique le principe de la réparation intégrale, et indépendamment de la réparation d’un préjudice distinct – que la compatibilité d’un barème et du plafond correspondant avec l’article 10 de la Convention dépend de la question de savoir si une protection suffisante est assurée aux personnes dont l’emploi a été licencié abusivement et, dans tous les cas, si une indemnisation adéquate est versée (par. 80 du rapport). Dans ces conditions, la commission tripartite a invité le Gouvernement à examiner à intervalles réguliers, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités d’indemnisation prévues à l’article L. 1235-3, afin de s’assurer que, dans tous les cas, les paramètres d’indemnisation prévus dans le barème assurent une indemnisation adéquate du préjudice subi du fait du licenciement abusif (paragraphe 81 du rapport).

Le Comité prend note des arrêts de la Cour de cassation du 11 mai 2022 (pourvoi no 21-15.247 (arrêt no 1) et pourvoi no 21-14.490 (arrêt no 2)). La Cour estime que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail sont compatibles avec les dispositions de l’article 10 de la Convention. Il note que le barème tient compte de la gravité de l’inconduite de l’employeur en excluant lesm son champ d’application les licenciements qui sont annulés pour l’un des motifs énumérés à l’article L. 1235-3-1 du Code du travail. La Cour a noté que le terme « adéquat » à l’article 10 de la Convention signifie que l’indemnisation en cas de licenciement injustifié doit être suffisamment dissuasive pour éviter un licenciement injustifié et doit raisonnablement permettre une indemnisation pour la perte injustifiée d’emploi. Elle a affirmé que les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui prévoient une indemnisation allant de montants minimaux et maximaux, variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l’ancienneté du salarié, permettent raisonnablement d’indemniser la perte injustifiée d’un emploi.

Le comité note également que, selon le Comité européen des Droits sociaux (CEDS) (réclamations nos 160/2018 et 171/2018, décision publiée le 26 septembre 2022), les plafonds fixés par l’article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour assurer une réparation adéquate du préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. Le CEDS relève également que le plafond du barème des indemnités ne permet pas d’accorder une indemnité plus élevée en fonction de la situation personnelle et individuelle du travailleur, les tribunaux ne pouvant ordonner l’indemnisation d’un licenciement injustifié que dans les limites inférieure et supérieure du barème, sauf si l’application de l’article L. 1235-3 du code du travail est exclue. Le CEDS est d’avis que les tribunaux disposent d’une marge de man’uvre étroite pour statuer sur le fond de l’affaire en tenant compte des circonstances individuelles de licenciements injustifiés.

Pour cette raison, le préjudice réel subi par le travailleur en question lié aux caractéristiques individuelles du cas peut être négligé et, par conséquent, le travailleur peut ne pas être entièrement indemnisé. Le Comité prend note du rapport de décembre 2021 du Comité d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017, qui mentionne que dans l’échantillon de décisions de cours d’appel étudiées par le Comité, le montant de l’indemnité versée se situe entre les limites supérieure et inférieure du barème dans 90 % des cas de licenciement après application du barème, alors que c’était le cas pour 44 % avant la réforme.

La commission demande au gouvernement de fournir des informations sur la révision, en concertation avec les partenaires sociaux, des procédures d’indemnisation prévues à l’article L. 1235-3, afin de s’assurer que les paramètres d’indemnisation prévus dans le barème permettent, dans tous les cas, une indemnisation adéquate des préjudices subis du fait d’un licenciement abusif. "

Il s’ensuit que si le juge national n’a pas le pouvoir de vérifier que le barème institué par l’article L 1235-3 du code du travail garantit au salarié ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse jugé compatible avec l’article 10 de la convention OIT n°158 une indemnisation adéquate de son préjudice dans le cadre de cet accord international, un salarié est fondé à solliciter que le barème soit écarté au regard du préjudice dont il justifie, dans un litige l’opposant à son employeur, à raison de l’absence d’examen à intervalles réguliers par le Gouvernement, en concertation avec les partenaires sociaux, des modalités du dispositif d’indemnisation prévu à l’article L 1235-3, de façon à assurer que les paramètres d’indemnisation prévus par le barème permettent, dans tous les cas, une réparation adéquate du préjudice subi pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il est d’ailleurs important de souligner que dans l’arrêt précité, la Cour de cassation a jugé les barèmes compatibles avec l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT mais ne les a pas jugés conformes ; ce qui implique que ceux-ci sont susceptibles de devoir faire l’objet d’adaptation.

Lesdits barèmes sont entrés en vigueur le 24 septembre 2017 et aucune évaluation n’a été faite de ceux-ci dans les conditions sus-mentionnées de sorte qu’il manque une condition déterminante pour que les barèmes de l’article L 1235-3 du code du travail puissent trouver application dans le litige soumis à la juridiction si bien qu’il y a lieu de les écarter purement et simplement.

Il appartient en conséquence souverainement au juge d’apprécier l’étendue du préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi en motivant l’indemnité allouée conformément à l’article L 1235-1 du code du travail devant lui assurer une réparation adéquate au sens de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT.

S’agissant de la situation des salariés de l’EPIC SNCF Mobilités aux droits duquel vient la société SNCF Voyageurs, en vertu de l’article 2 paragraphe 4 de la convention n°158 de l’OIT, la France a usé de la faculté offerte par le traité pour exclure du champ d’application «'les employés du secteur public n’entrant pas dans le champ d’application du code du travail mais ayant un statut particulier relevant d’une certaine législation ou réglementation.'».

Le personnel des établissements publics à caractère industriel et commercial relève du droit privé, avec pour conséquence directe que les litiges les intéressant doivent être portés, dès lors, devant les juridictions de l’ordre judiciaire, quels que soient, le cas échéant, l’objet et les clauses de leur engagement. (CE 26 janvier 1923 de [D] [N] : Lebon p. 67 et CE 8 mars 1957 Jalenques de Labeau : Lebon p. 157).

Les agents affectés à un service public industriel et commercial, gérés dans les conditions du droit privé, relèvent ainsi exclusivement des conseils de prud’hommes, sauf s’ils exercent les fonctions de directeur ou de chef de la comptabilité ayant la qualité de comptable public (T. confl. 22-2-1960 n° 1709 ; 15-11-2004 n° 3425 : RJS 3/05 n° 316).

L’article L 1211-1 du code du travail dispose que':

Les dispositions du présent livre sont applicables aux employeurs de droit privé ainsi qu’à leurs salariés.

Elles sont également applicables au personnel des personnes publiques employé dans les conditions du droit privé, sous réserve des dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.

Par un arrêt du 15 janvier 1968, le Tribunal des conflits confère aux statuts des personnels des EPIC une nature d’acte administratif. Comme le relève le Tribunal, le statut du personnel est approuvé par décision interministérielle et comporte « des dispositions qui apparaissent comme des éléments de l’organisation du service public exploité », celles-ci « confèrent audit acte dans son intégralité un caractère administratif et rendent compétentes les juridictions administratives pour apprécier sa légalité ».

La nature réglementaire du statut conduit à confier le contrôle de sa légalité à l’ordre administratif, tandis que le caractère privé des contrats de travail conduit à confier à l’ordre judiciaire le contrôle de son application. (Tribunal des conflits, du 15 janvier 1968, 01908, publié au recueil Lebon).

Les statuts des relations collectives entre la SNCF et son personnel et notamment les chapitres 7 et 9 ne prévoient aucune disposition particulière s’agissant de l’indemnisation d’un licenciement injustifié.

Il s’ensuit que sous la réserve des directeurs et comptables, le personnel de l’EPIC SNCF Mobilités aux droits duquel vient la société SNCF Voyageurs est soumis aux dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail et n’est pas inclus dans la réserve d’interprétation de la France relative à la convention n°158 de l’OIT et est dès lors recevable à se prévaloir de l’inconventionnalité de l’article L 1235-3 au regard de ce texte.

Par ailleurs, l’article 24 de la charte sociale européenne énonce que :

En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :

a) le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service;

b) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial.

Ces dispositions sont d’application directe dans le système juridique français s’agissant des modalités qu’elles prévoient pour réparer le licenciement injustifié d’un travailleur et peuvent dès lors être invoquées dans un litige entre deux particuliers en ce que :

— elles n’ont pas pour objet exclusif de régir uniquement les relations entre les Etats parties mais concernent les rapports entre un employeur et un travailleur,

— elles garantissent un droit précis, clair et inconditionnel pour le travailleur en cas de licenciement injustifié : obtenir le versement d’une indemnité adéquate ou d’une autre réparation appropriée,

— cet article ne prévoit aucune marge de manoeuvre aux Etats parties « s’engage à reconnaître le droit (…) ».

Aussi, la partie III de la charte précise que les Etats parties sont tenus, au-delà de la déclaration d’objectifs à atteindre, de s’engager à être liés sur un nombre minimum d’articles, tout en pouvant faire des réserves :

«'Partie III

Article A

' Engagements

1

Sous réserve des dispositions de l’article B ci-dessous, chacune des Parties s’engage:

A à considérer la partie I de la présente Charte comme une déclaration déterminant les objectifs dont elle poursuivra par tous les moyens utiles la réalisation, conformément aux dispositions du paragraphe introductif de ladite partie;

B à se considérer comme liée par six au moins des neuf articles suivants de la partie II de la Charte: articles 1, 5, 6, 7, 12, 13, 16, 19 et 20;

C à se considérer comme liée par un nombre supplémentaire d’articles ou de paragraphes numérotés de la partie II de la Charte, qu’elle choisira, pourvu que le nombre total des articles et des paragraphes numérotés qui la lient ne soit pas inférieur à seize articles ou à soixante-trois paragraphes numérotés.

2

Les articles ou paragraphes choisis conformément aux dispositions des alinéas b et c du paragraphe 1 du présent article seront notifiés au Secrétaire Général du Conseil de l’Europe lors du dépôt de l’instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation.

3

Chacune des Parties pourra, à tout moment ultérieur, déclarer par notification adressée au Secrétaire Général qu’elle se considère comme liée par tout autre article ou paragraphe numéroté figurant dans la partie II de la Charte et qu’elle n’avait pas encore accepté conformément aux dispositions du paragraphe 1 du présent article.

Ces engagements ultérieurs seront réputés partie intégrante de la ratification, de l’acceptation ou de l’approbation et porteront les mêmes effets dès le premier jour du mois suivant l’expiration d’une période d’un mois après la date de la notification.

4. Chaque Partie disposera d’un système d’inspection du travail approprié à ses conditions nationales»

L’article H ' Relations entre la Charte et le droit interne ou les accords internationaux de cette même charte permet clairement d’en déduire qu’il ne s’agit pas uniquement d’objectifs à atteindre mais bien d’engagements contraignants pour les Etats parties s’agissant des articles pour lesquels ils se sont estimés liés :

«'Les dispositions de la présente Charte ne portent pas atteinte aux dispositions de droit interne et des traités, conventions ou accords bilatéraux ou multilatéraux qui sont ou entreront en vigueur et qui seraient plus favorables aux personnes protégées.

Article I ' Mise en 'uvre des engagements souscrits

1 Sans préjudice des moyens de mise en 'uvre énoncés par ces articles, les dispositions pertinentes des articles 1 à 31 de la partie II de la présente Charte sont mises en 'uvre par:

a la législation ou la réglementation;

b des conventions conclues entre employeurs ou organisations d’employeurs et organisations de travailleurs;

c une combinaison de ces deux méthodes ;

d d’autres moyens appropriés.

(')'»

— l’Etat français n’a formulé aucune réserve, et notamment au titre de la partie III. Article A, ENGAGEMENTS, à la Charte sociale européenne dont il a accepté l’application de l’ensemble des articles. Si d’autres pays comme l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, l’Espagne, la Finlande et la Suisse connaissent également des dispositifs voisins ou similaires de barèmes et/ou de plafonds d’indemnisation d’un licenciement injustifié, force est de constater que l’Allemagne a fait une déclaration le 29 mars 2021 pour dire qu’elle n’était pas liée par l’article 24, la Belgique ne s’est pas déclarée liée par ce même article, le Danemark a fait des réserves notamment sur l’article 24 dans une déclaration du 3 mai 1996 et la Suisse n’a pas signé et ratifié la charte révisée. Le royaume d’Espagne est certes lié par l’article 24 de la Charte sociale européenne mais il sera justement vu ensuite que certaines de ses juridictions l’appliquent et ont jugé le système national d’indemnisation des licenciements injustifiés comme non conforme.

— aucun acte complémentaire des Etats n’est nécessaire pour que ces stipulations produisent des effets à l’égard des particuliers dès lors que l’Etat a instauré un organe pour connaître des litiges relatifs à un licenciement allégué comme injustifié ; ce qui est le cas en vertu de l’article L 1411-1 du code du travail confiant au conseil de prud’hommes, compétence pour régler les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient,

— la Charte sociale européenne à tout le moins dans sa version initiale du 18 octobre 1961 est directement visée par l’article 151 du traité de l’Union européenne,

— la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne prévoit en son article 30 Protection en cas de licenciement injustifié :

« Tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales. ».

Par ailleurs, le socle européen des droits sociaux, proclamé le 17 novembre 2017 par le Conseil de l’UE, le Parlement européen et la Commission européenne durant le Sommet social de Göteborg dispose en son principe 7 :

(')

« Avant tout licenciement, les travailleurs ont le droit d’être informés des motifs du licenciement et de bénéficier d’un délai raisonnable de préavis. Ils doivent avoir accès à des mécanismes de résolution de litiges efficaces et impartiaux et, en cas de licenciement injustifié, bénéficier d’un droit de recours ainsi que d’une indemnisation adéquate. ».

— dans une décision Syndicat CFDT de la métallurgie de la Meuse v. France, réclamation n°175/2019 cc-175-2019 du 05 juillet 2022 rendue publique le 30 novembre 2022, le comité européen des droits sociaux, chargé de veiller à la bonne application de la Charte sociale européenne, a ainsi conclu :

« Dans ses arguments, la CFDT de la métallurgie de la Meuse indique que les réformes introduites par l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 à l’article L.1235-3 du code du travail, ainsi que sa mise en 'uvre, violent l’article 24 de la Charte.

Le Comité rappelle qu’en vertu de l’article 24.b de la Charte, les États parties doivent reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

Un système d’indemnisation est jugé conforme à la Charte s’il prévoit :

— l’indemnisation de la perte financière encourue entre la date du licenciement et celle de la décision de l’organe de recours ;

— la possibilité de réintégration du salarié ; et/ou

— une indemnité d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et réparer le préjudice subi par la victime (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit., par. 45 ; Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) c, Italie, réclamation no 158/2017, op.cit., par. 87). Les indemnités en cas de licenciement abusif doivent être à la fois proportionnelles au préjudice subi par la victime et suffisamment dissuasives pour l’employeur. (Conclusions 2016, Macédoine du Nord, article 24). Tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est contraire à l’article 24 de la Charte (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit.). En cas de plafonnement des indemnités accordées en compensation du préjudice matériel, la victime doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d’autres voies juridiques, et les juridictions compétentes pour accorder une indemnisation pour le préjudice matériel et moral subi doivent se prononcer dans un délai raisonnable (Conclusions 2012, Slovénie; Conclusions 2012, Finlande).

Aux fins de l’appréciation de la présente réclamation, le Comité entend se concentrer sur la question de savoir si l’article L.1235-3 du code du travail respecte les conditions de réintégration et d’une indemnisation adéquate énoncées aux point (b) et (c) ci-dessus.

Réintégration

S’agissant de la question de la réintégration, le Comité constate qu’en droit français, la réintégration est facultative pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse. Selon l’article L.1235-3 du code du travail, si un salarié est licencié pour une cause non réelle et sérieuse, le tribunal peut proposer qu’il soit réintégré, avec maintien de tous ses avantages acquis, et si l’une des parties s’oppose à cette réintégration, le tribunal accorde à la place au salarié une indemnité. En ce qui concerne la réintégration dans les cas de licenciements abusifs les plus graves, qui sont nuls et non avenus, l’article L.1235-3-1 du code du travail prévoit que, dans ces cas, lorsque le salarié ne demande pas la réintégration ou que sa réintégration est impossible, le juge lui accorde une indemnité.

À cet égard, le Comité renvoie à sa décision relative à l’affaire Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit., par. 55 : « 'bien que l’article 24 de la Charte ne fasse pas expressément référence à la réintégration, il se réfère à une indemnisation ou à une autre réparation appropriée. Le Comité considère qu’une autre réparation appropriée doit inclure la réintégration comme l’un des modes de réparation dont les juridictions internes peuvent disposer ('). Il appartient aux juridictions internes de décider si la réintégration est appropriée dans le cas d’espèce ».

Le Comité a également souligné « avoir considéré de manière constante que la réintégration doit être prévue comme mode de réparation en vertu de nombreuses autres dispositions de la Charte telle qu’interprétée par le Comité, par exemple en vertu des articles 8§2 et 27§3 » (Finnish Society of Social Rights c. Finlande, réclamation no 106/2014, op.cit., par. 55). En l’espèce, le Comité observe que la réintégration est l’un des recours possibles prévus par la loi française. Le Comité considère que tant qu’existe la possibilité pour les travailleurs licenciés sans cause réelle et sérieuse d’être réintégrés au même poste ou à un poste similaire, la situation est conforme à l’article 24.b de la Charte à cet égard.

Indemnisation adéquate

En ce qui concerne la question de l’indemnisation, le Comité renvoie à Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, réclamation n° 160/2018, et Confédération générale du travail (CGT ) c. France, réclamation n° 171/2018, décision sur le bien-fondé du 23 mars 2022, dans laquelle il a conclu à la violation de l’article 24.b de la Charte au motif que le droit à une indemnisation adéquate ou à toute autre réparation appropriée au sens de l’article 24.b de la Charte n’était pas garanti.

Le Comité a considéré que des plafonds d’indemnisation fixés par l’article L.1235-3 du code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre, le juge ne dispose que d’une marge de man’uvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le travailleur en question, lié aux circonstances individuelles de l’affaire peuvent être prises en compte de manière inadéquate et, par conséquent, ne pas être corrigées.

A cet égard, le Comité a pris connaissance de la récente décision de la Cour de cassation (Chambre Sociale, arrêt du 11 mai 2022, pourvois n° 21-14.490 et 21-15.247) qui, en rejetant la demande du requérant relative aux plafonds fixés par le code du travail, a considéré que la Charte s’inscrit dans une « logique programmatique » et que son article 24 n’a pas d’effet direct en droit français. En outre, la Cour a estimé que les décisions du Comité ne sont pas de nature juridictionnelle et ne sont donc pas contraignantes pour les Etats parties. Tout cela a conduit la Cour de cassation à conclure que l’article 24 de la Charte ne peut pas être invoqué par les travailleurs ou les employeurs dans les litiges portés devant les tribunaux.

Le Comité prend note de l’approche adoptée par la Cour de cassation. Il rappelle que la Charte énonce des obligations de droit international qui sont juridiquement contraignantes pour les États parties et que le Comité, en tant qu’organe conventionnel, est investi de la responsabilité d’évaluer juridiquement si les dispositions de la Charte ont été appliquées de manière satisfaisante. Le Comité considère qu’il appartient aux juridictions nationales de statuer sur la question en cause (in casu, une indemnisation adéquate) à la lumière des principes qu’il a énoncés à cet égard ou, selon le cas, qu’il appartient au législateur français de donner aux juridictions nationales les moyens de tirer les conséquences appropriées quant à la conformité à la Charte des dispositions internes en cause (voir mutatis mutandis, Confédération des entreprises suédoises c. Suède, réclamation n° 12/2002, décision sur le bien-fondé du 22 mai 2003, par. 43).

Le Comité considère à la lumière de l’ensemble des éléments ci-dessus que, du fait que dans l’ordre juridique interne français, l’article 24 ne peut être directement appliqué par les juridictions nationales pour garantir une indemnisation adéquate aux travailleurs licenciés sans motif valable, le droit à une indemnité au sens de l’article 24.b de la Charte n’est pas garantie en raison des plafonds fixés par l’article L.1235-3 du code du travail.

Le Comité dit qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte à cet égard. ».

Il s’évince de cette décision du comité chargé par l’accord international de vérifier la bonne application par les Etats parties de la Charte sociale européenne et notamment de son article 24 que celle-ci énonce des obligations juridiquement contraignantes et non uniquement des principes et des objectifs et qu’il appartient « aux juridictions nationales de statuer sur la question en cause (in casu, une indemnisation adéquate) à la lumière des principes qu’il a énoncés à cet égard ou, selon le cas, qu’il appartient au législateur français de donner aux juridictions nationales les moyens de tirer les conséquences appropriées quant à la conformité à la Charte des dispositions internes en cause ».

— il y a lieu de relever que dans un arrêt en date du 10 février 2014, le Conseil d’Etat français (recours n° 358992) a jugé que :

« 4. Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des stipulations de l’article 2 de la convention internationale du travail n° 158 de l’Organisation internationale du travail que les Etats signataires disposent de la faculté d’exclure du champ d’application de la convention certaines catégories de travailleurs soumis à un régime spécial ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment des documents produits par le ministère des affaires étrangères, que la France a fait usage de cette faculté, à l’occasion de la remise de son premier rapport d’application de la convention en octobre 1991, en excluant du champ d’application de la convention les salariés du secteur public relevant « d’un statut spécifique d’origine réglementaire ou législative » ; que, dès lors, les agents des chambres de métiers étant soumis à un tel statut spécifique arrêté par les textes d’application de la loi du 10 décembre 1952, M. B… ne peut utilement contester la légalité des dispositions des articles 7 et 15 de la décision attaquée en ce qu’elles autorisent le licenciement d’un secrétaire général pour perte de confiance, en invoquant la méconnaissance des stipulations de cette convention ;

5. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 24 de la charte sociale européenne : " En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître : / a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ; / b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée. / A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial » ; que ces stipulations, dont l’objet n’est pas de régir exclusivement les relations entre les Etats et qui ne requièrent l’intervention d’aucun acte complémentaire pour produire des effets à l’égard des particuliers, peuvent être invoquées utilement par M. B… pour contester la légalité des articles 7 et 15 de la décision contestée en ce qu’ils permettent le licenciement d’un secrétaire général d’une chambre de métiers pour « perte de confiance mettant en cause le bon fonctionnement de l’établissement » ; qu’eu égard aux responsabilités exercées par le secrétaire général d’une chambre de métiers, aux relations de confiance qu’il doit nécessairement entretenir avec les élus de la chambre et leur président, afin que le bon fonctionnement de l’établissement public puisse être assuré, le motif de licenciement pour perte de confiance prévu par les dispositions contestées constitue, sous le contrôle du juge, un « motif valable » au sens des stipulations précitées de l’article 24 de la charte sociale européenne ; ».

Aucune justification objective ne permet de traiter différemment le licenciement d’un salarié du secteur privé de celui d’un agent public qui peut invoquer l’applicabilité de l’article 24 de la Charte sociale européenne dans un conflit individuel avec son employeur.

Ce traitement différencié se justifie d’autant moins s’agissant du personnel de l’EPIC SNCF Mobilités aux droits duquel vient la société SNCF Voyageurs.

Il y a lieu en effet de rappeler que l’article L 1211-1 du code du travail ne prévoit l’application du livre II du code du travail au personnel des personnes publiques employé dans les conditions de droit privé que sous la réserve de dispositions particulières ayant le même objet résultant du statut qui régit ce personnel.

Or l’article L 2101-2 du code des transports applicable au litige énonce que la SNCF, SNCF Réseau et SNCF Mobilités emploient des salariés régis par un statut particulier élaboré dans des conditions fixées par décret en Conseil d’Etat.

Le décret n° 2015-141 du 10 février 2015 relatif à la commission du statut particulier mentionné à l’article L. 2101-2 du code des transports prévoit les modalités d’élaboration et de modification des statuts notamment de l’EPIC SNCF Mobilités.

Il s’ensuit que l’Etat français était susceptible de devoir prévoir dans le statut spécifique du personnel de l’EPIC SNCF Mobilités des dispositions relatives au licenciement respectant l’article 24 de la Charte sociale européenne que le directeur et le chef de la comptabilité sont en droit d’invoquer directement, étant observé que cette question juridique relève de la compétence des juridictions de l’ordre administratif, qui font application directe des stipulations de cet engagement international.

Pour autant, la question préjudicielle au juge administratif n’apparaît pas nécessaire dès lors que l’article 24 de la Charte sociale européenne peut être invoqué par tout salarié dans un litige avec son employeur régi par le livre II du code du travail et plus spécifiquement par l’article L 1235-3 du code du travail.

— la Cour constitutionnelle italienne a considéré que l’Italie était liée de manière contraignante par l’article 24 de la Charte sociale européenne qu’elle avait signée et ratifiée lorsqu’elle a déclaré non conforme une loi ayant instauré un plafonnement des indemnités de licenciements injustifiés par référence à l’article 24 de la Charte sociale européenne et à son interprétation donnée par le Comité des droits sociaux dans la réclamation concernant la législation finlandaise (Cour Constitutionnelle Italienne décision 25 septembre 2018).

En outre, dans une décision du 29 mars 2022 (270/2022), le Tribunal Suprême espagnol, dans un litige ne concernant certes pas l’indemnisation d’un licenciement injustifié, a directement fait référence à l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée. (septièmement, point 4).

Encore, dans une décision en date du 30 janvier 2023, le tribunal supérieur de justice de Catalogne (n°6219/2022 SJS, Barcelona, núm. 6, 02-11-2021 (proc. 359/2020).STSJ CAT 2/2023) a directement fait application notamment de l’article 24 de la Charte sociale européenne pour allouer une indemnisation supérieure au plafond prévu par la loi espagnole, considérant l’indemnisation clairement insuffisante et faisant référence à un nombre chaque fois plus important de décisions qui admettent la possibilité d’une indemnisation supérieure à celle fixée par la loi nationale (SSTSJ Cataluña 23.04.2021 (núm. Rec. 5233/2020) et 6762/2021, 14.07.2021)).

Une réclamation a d’ailleurs été enregistrée par le comité des droits sociaux s’agissant de la législation espagnole d’indemnisation des licenciements. (Unión General de Trabajadores (UGT) c. Espagne Réclamation n° 207/2022). La réclamation a été enregistrée le 24 mars 2022. Elle porte sur l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée. L’UGT allègue que la législation espagnole relative aux licenciements individuels sans cause (article 56 du décret royal législatif n° 2/2015 du 23 octobre 2015 approuvant le texte révisé de la loi sur le Statut des travailleurs et l’article 110 de la loi n° 36/2011 du 10 octobre 2011 réglementant la juridiction sociale) ainsi que la législation subséquente sont contraires à l’article 24 de la Charte en ce qu’elles prévoient un système de calcul légalement prédéterminé ne permettant ni de moduler l’indemnisation légalement prévue ou évaluée pour qu’elle corresponde à la totalité du préjudice subi, ni de garantir son effet dissuasif.

Une autre réclamation a été enregistrée le 18 novembre 2022 avec le même objet. (n° 218/2022 Confederación Sindical de Comisiones Obreras (CCOO) c. Espagne).

Il n’existe aucune justification objective au fait qu’une même norme internationale ayant fait l’objet d’une signature et d’une ratification par différents Etats comme la Charte sociale européenne puisse être invocable directement par une plaignant dans un litige entre particuliers dans certains Etats et pas dans un autre et ce d’autant plus que cette invocabilité a été reconnue en France par l’ordre juridictionnel administratif dans un litige entre un agent public et son employeur et que le comité européen des droits sociaux a rappelé dans sa décision précitée que l’article 24 de la Charte sociale européenne n’énonçait pas de simples objectifs à atteindre mais constituait une disposition contraignante pour les Etats Parties qu’il appartenait aux juridictions de mettre en 'uvre.

Le comité a certes avancé l’alternative selon laquelle « il appartient au législateur français de donner aux juridictions nationales les moyens de tirer les conséquences appropriées quant à la conformité à la Charte des dispositions internes en cause ».

Il s’agit toutefois du contrôle de conventionalité des lois prévu par l’article 55 de la Constitution du 4 novembre 1958 dont la compétence revient au juge et qui l’autorise à laisser inappliquée une loi contraire à un engagement international signé et ratifié par la France. (Cass.24 mai 1975, 73-13.556, Publié au bulletin).

Or, les barèmes énoncés à l’article L 1235-3 du code du travail sont manifestement contraires à l’article 24 de la Charte sociale européenne en ce qu’ils ne permettent pas ainsi que l’a indiqué à plusieurs reprises le comité des droits sociaux une indemnisation adéquate du salarié ayant fait l’objet d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse dans toutes les situations eu égard aux plafonds instaurés en fonction de l’ancienneté et du salaire, particulièrement faibles pour les anciennetés les moins élevées.

Tout au plus, la législation française met en 'uvre un mécanisme dissuasif des licenciements injustifiés en permettant en application de l’article L 1235-4 du code du travail à la juridiction de condamner l’employeur à rembourser à l’organisme social les indemnités chômage dans la limite de 6 mois d’indemnités perçues mais ne respecte pas la seconde condition cumulative tenant à la prise en compte de l’ensemble des circonstances particulières de l’espèce pour la détermination d’une indemnité adéquate puisque les seuls critères sont le salaire et l’ancienneté avec une fourchette particulièrement resserrée pour les petites et moyennes anciennetés. Il est ainsi observé qu’alors que la législation prévoyait antérieurement un minimum d’indemnisation équivalent à 6 mois de salaire pour les salariés de plus de 2 ans d’ancienneté et employés dans une entreprise comptant plus de 11 salariés, le juge étant, dans les autres cas, souverain dans l’appréciation du préjudice subi, l’indemnité maximale est de 3,5 mois d’équivalent de salaire entre 2 et 3 ans d’ancienneté, de 4 pour 3 ans d’ancienneté et il est instauré un plafond de 6 mois d’équivalent de salaire à 5 ans d’ancienneté.

D’ailleurs dans son dernier rapport de décembre 2021, le comité d’évaluation des ordonnances du 22 septembre 2017 relatives au dialogue social et aux relations de travail sous l’égide de France Stratégie a relevé :

« 2.3.

Un effet de resserrement des montants des indemnités, qui concerne plus particulièrement les salariés avec des anciennetés assez faibles

Dans le cadre d’un appel à projets de recherche (APR 1) financé par la Dares sur l’impact des ordonnances sur les relations individuelles de travail et sur la gestion de l’emploi, une équipe coordonnée par R. [S] et C. [W] (voir annexe 3 sur présentation de la recherche et de la méthodologie) s’intéresse notamment à cette question. Les auteurs ont présenté au comité le 30 septembre 2021 des premiers résultats de leur recherche, qui repose sur l’analyse d’un échantillon d’arrêts de cours d’appel concernant des affaires antérieures (pour 240 arrêts datant d’octobre 2019 et octobre 2020) ou postérieures à l’instauration du barème (pour 106 arrêts datant de février et mars 2021). Pour constituer ces échantillons, les décisions de cours d’appel ont été sélectionnées à partir de mots clés (les articles du code du travail relatifs à l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse). Ce qui donnait pour chaque mois, en moyenne, un corpus d’environ 400 arrêts de cours d’appel. Pour la période ante-barème, le choix a ensuite été fait de retenir les deux mois les plus « neutres » quant à l’activité de cour d’appel (les mois d’octobre) et de sélectionner les premiers arrêts par ordre de numérotation de JURICA pour garantir le caractère aléatoire de l’échantillon. Pour la période post-barème, il a fallu sélectionner des arrêts suffisamment tardifs (février, mars 2021) pour qu’ils portent sur des licenciements prononcés après le 23 septembre 2017 (date de mise en 'uvre du barème). L’analyse et la comparaison des arrêts font ressortir différents constats relatifs au montant des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse fixées par les cours d’appel. Tout d’abord, pour les arrêts postérieurs à la mise en place du barème, le barème est globalement appliqué par les juges (même s’il y a encore des incertitudes juridiques sur la conventionalité du barème).

Pour ces affaires, seuls 9 arrêts ont accordé des indemnités supérieures au plafond (environ 10 %) et 3 arrêts un montant inférieur au plancher. En conséquence, on constate logiquement un resserrement des montants des indemnités versées entre ces plancher et plafond.

Avant application du barème, en moyenne les salariés gagnant en appel reçoivent une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse de 7,9 mois de salaire brut et en médiane de 6,5 mois. La taille de l’entreprise, l’ancienneté, l’âge et le sexe du salarié influent sur ces montants. Si l’on compare les montants décidés alors avec les planchers et plafonds fixés ensuite par l’ordonnance, 44 % de l’échantillon se situent dans cette fourchette et 55 % de ces indemnités étaient supérieures au plafond. Ces indemnités supérieures au plafond concernaient pour 63 % des salariés ayant moins de 5 ans d’ancienneté et quasiment tous les salariés ayant entre 2 ans et 5 ans d’ancienneté, dans les entreprises d’au moins 11 salariés, qui étaient à l’époque concernés par le plancher de 6 mois de salaires minimum. Ce sont donc les salariés ayant une ancienneté inférieure à 5 ans qui sont les plus susceptibles d’être concernés par la mise en place du plafond.

Après mise en 'uvre du barème, si on compare en mois de salaires avec la période ante-ordonnances, l’indemnité moyenne de licenciement sans cause réelle et sérieuse apparaît légèrement plus faible (6,6 mois de salaires) ainsi que la médiane (6 mois). Le minimum est plus élevé en 2021, le maximum moins élevé et l’écart-type est réduit. Les écarts de niveau d’indemnisation les plus importants entre les deux périodes le sont pour les deux tranches d’ancienneté inférieure à 5 ans, confirmant que ce sont ces salariés les plus affectés par le barème.

Si on prend en compte l’ensemble des indemnités versées, on constate également que pour ces arrêts les indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse représentent en moyenne 50 % du montant total des indemnités versées (le reste pouvant être constitué d’indemnités légales de licenciement, d’indemnités de congés payés ou de préavis, ou de rappels de salaires), alors que le pourcentage était de 64 % pour la période ante-ordonnances. Selon les auteurs, « ce changement dans la structure des indemnités globales en cour d’appel pourrait être expliqué par deux effets : le plafonnement des indemnités de licenciement sans cause réelle et sérieuse (ILSCRS) dû au barème et la hausse des indemnités légales, tous deux introduits par l’ordonnance de 2017 ». Si cette évolution se confirmait, elle pourrait traduire un « intérêt financier à agir » se déportant sur l’indemnité légale de licenciement, notamment dans le cas de contestation du caractère « grave » de la faute, et les demandes de rappel de salaires. Cette remarque est à rapprocher d’une autre partie de la recherche en cours qui est une analyse statistique des licenciements sur la période 2015-2019. Cette analyse fait apparaître, à ce stade, qu’au sein des licenciements pour motifs personnels, la part des licenciements pour « faute grave et lourde » pourrait être en augmentation depuis 2017, peut-être sous le double effet de l’augmentation de l’indemnité légale prévue par les ordonnances qui n’est pas versée dans ce type de licenciement et du moindre coût attendu d’un contentieux de ces licenciements, en lien avec le barème. À ce stade, ces premiers résultats sont encore très provisoires et nécessiteront des travaux complémentaires pour les confirmer ou les infirmer.

(')

2.4. Enseignements et perspectives pour la suite de l’évaluation

Les premiers éléments de conclusion de ces travaux montrent donc que le barème est majoritairement appliqué par les juges et qu’il a un effet maximal à la baisse sur le montant des indemnités pour les salariés ayant entre 2 ans et 5 ans d’ancienneté dans les entreprises de 11 salariés ou plus. Ce sont pour ces salariés que l’intérêt (financier) à agir s’affaiblirait d’abord. L’effet est moindre pour les salariés ayant une ancienneté au-delà de 5 ans.

Cette étude relève aussi qu’il y a relativement peu d’écarts entre les décisions des CPH et les cours d’appel (où siègent des juges professionnels), y compris avant l’instauration du barème. Sur le panel d’arrêts concernant des affaires antérieures à 2017, et pour les 107 arrêts pour lesquels le montant de l’indemnité initial est mentionné, la moitié des indemnités versées en cour d’appel sont d’un montant équivalent à celles décidées en première instance dans les conseils des prud’hommes, l’autre moitié se partageant également entre montants inférieurs (25 %) et montants supérieurs (26 %) ».

Les premières études de l’application concrète des barèmes confirment en conséquence qu’ils ne permettent pas une indemnisation adéquate des licenciements sans cause réelle et sérieuse en particulier, mais pas exclusivement, pour les salariés ayant une ancienneté comprise entre 2 et 5 ans et ayant été employés dans des entreprises de moins de 11 salariés.

Enfin, par une Recommandation CM/RecChS(2023)3 adoptée le 6 septembre 2023, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe constate que :

'[…] dans ses décisions sur le bien-fondé, le CEDS a jugé la situation de la France en violation de l’article 24.b de la Charte sociale européenne révisée.

[…]

Le CEDS a noté que, dans la législation française, le plafond maximal ne dépasse pas 20 mois et ne s’applique qu’à partir de 29 ans d’ancienneté. Le barème est moins élevé pour les salariés ayant peu d’ancienneté et pour ceux qui travaillent dans des entreprises de moins de 11 salariés. Pour ces derniers, les montants minimums et maximums d’indemnisation auxquels ils peuvent prétendre sont faibles et parfois quasi identiques, de sorte que la fourchette d’indemnisation n’est pas assez large. Le CEDS a considéré que la « prévisibilité » résultant du barème pourrait plutôt constituer une incitation pour l’employeur à licencier abusivement des salariés. En effet, les plafonds d’indemnisation ainsi définis pourraient amener les employeurs à faire une estimation réaliste de la charge financière que représenterait pour eux un licenciement injustifié sur la base d’une analyse coûts-avantages. Dans certaines situations, cela pourrait encourager les licenciements illégaux.

Le CEDS a noté en outre que le plafond du barème d’indemnisation ne permet pas de prévoir une indemnité plus élevée en fonction de la situation personnelle et individuelle du salarié, le juge ne pouvant ordonner une indemnisation pour licenciement injustifié que dans les limites inférieure et supérieure du barème. Pour autant, le CEDS a également noté que le barème n’est pas applicable dans un certain nombre d’hypothèses qui correspondent aux situations les plus graves dans lesquelles la sanction est la nullité du licenciement : présence de violations de libertés fondamentales, de situations de harcèlement ou de discrimination, de méconnaissance des protections dues à certaines catégories de salariés, exceptions pour lesquelles la nullité du licenciement est encourue et maintenue, avec un droit à réintégration du salarié et une indemnisation non plafonnée.

Enfin, en ce qui concerne la possibilité de demander la réparation du préjudice moral subi par d’autres voies de recours, le CEDS a noté que l’article L.1235-3 du Code du travail relatif à l’indemnisation des licenciements sans cause réelle et sérieuse constitue une lex specialis qui s’applique en lieu et place du droit commun de la responsabilité civile. Le droit commun de la responsabilité civile ne s’applique donc que pour obtenir une indemnisation complémentaire pour un préjudice distinct de celui lié à la perte d’emploi injustifiée.

Le CEDS a considéré que, dans la mesure où l’indemnisation du préjudice moral causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse est déjà incluse dans l’indemnité plafonnée, la possibilité pour les salariés injustement licenciés de réclamer, en plus de l’indemnité plafonnée, des allocations chômage ou une indemnité pour les dommages liés, par exemple, à des violations de procédure en cas de licenciement économique, ne représente pas une voie de droit alternative à part entière.

Le CEDS a considéré par conséquent que les plafonds prévus par l’article L.1235-3 du Code du travail ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime et être dissuasifs pour l’employeur. En outre, le juge ne dispose que d’une marge de man’uvre étroite dans l’examen des circonstances individuelles des licenciements injustifiés. Pour cette raison, le préjudice réel subi par le salarié en question lié aux circonstances individuelles de l’affaire peut être négligé et, par conséquent, ne pas être réparé. En outre, les autres voies de droit sont limitées à certains cas. Le CEDS a donc dit, à la lumière de tous les éléments ci-dessus, que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de la Charte n’est pas garanti et qu’il y a violation de l’article 24.b de la Charte.'.

Finalement le Comité des Ministres 'Recommande à la France :

— de poursuivre ses efforts visant à garantir que le montant des dommages et intérêts pécuniaires et non pécuniaires accordés aux victimes de licenciement injustifié sans motif valable soit dissuasif pour l’employeur, afin d’assurer la protection des travailleurs contre ces licenciements injustifiés ;

— de réexaminer et modifier, le cas échéant, la législation et les pratiques pertinentes afin de garantir que les indemnités accordées dans les cas de licenciement abusif, et tout barème utilisé pour les calculer, tiennent compte du préjudice réel subi par les victimes et des circonstances individuelles de leur situation ;

— de rendre compte des décisions et mesures prises pour se conformer à la présente recommandation dans le rapport sur le suivi des décisions relatives aux réclamations collectives, à fournir dans deux ans.'.

En conséquence, eu égard à l’applicabilité directe de l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT et de l’article 24 la Charte sociale européenne et au fait que les barèmes d’indemnisation prévus par l’article L 1235-3 du code du travail ne garantissent pas au salarié licencié de manière injustifiée, hors les cas de nullités, une indemnité adéquate, il y a lieu de les écarter purement et simplement in abstracto et d’apprécier souverainement les éléments de préjudice suivants pour déterminer une indemnité adéquate réparant, en l’absence de réintégration, le préjudice subi à raison du licenciement sans cause réelle et sérieuse.

M. [L] avait plus de 17 ans d’ancienneté et un salaire de l’ordre1771 euros bruts.

Il apporte la démonstration d’un préjudice particulièrement significatif résultant de son licenciement sans cause réelle et sérieuse en ce que':

— âgé de 49 ans, il n’a pas pu valider le diplôme BJEPS à raison du refus de l’EPIC SNCF Mobilités d’accepter le renouvellement de son congé de disponibilité

— il justifie de son inscription à Pôle emploi le 15 janvier 2019 et avoir perçu au 31 mai 2021 658 allocations journalières. Il a exercé de décembre 2019 à février 2021 en qualité de stagiaire contrôle stationnement SVP à la ville de [Localité 5]. Il a de nouveau perçu l’ARE du 31 décembre 2021 au 31 décembre 2023

— il n’a pas retrouvé de situation stable au regard de l’emploi puisqu’il a été recruté selon un contrat à durée déterminée en qualité d’accompagnant des élèves en situation de handicap pour la période du 03 janvier 2022 a 02 janvier 2025, lui procurant un revenu de 1061,47 euros brut, très nettement inférieur à son salaire moyen lorsqu’il travaillait pour l’EPIC SNCF Mobilités. Il a également bénéficié d’un contrat à durée déterminée pour accroissement temporaire d’activité du 18 juillet 2022 au 02 septembre 2022 à hauteur de 80 % d’un temps complet en qualité d’agent contractuel de niveau ADJ technique de recherche et formation

— il établit qu’il a perdu avec son emploi, les facilités de circulation pour lui et sa famille de la SNCF ainsi que le bénéfice de la couverture santé spécifique du personnel de l’EPIC SNCF Mobilités, outre pour l’avenir du régime spécial de retraite

— sa situation financière est manifestement critique au point d’avoir sollicité et obtenu selon ordonnance du tribunal judiciaire de Valence du 24 août 2021 la suspension des échéances d’un crédit habitat primo pendant 24 mois

— il justifie d’un suivi par une assistante sociale de l’académie de [Localité 5] depuis septembre 2022 lui ayant permis d’obtenir un don de 1000 euros de la commission départementale d’action sociale de l’académie de [Localité 5] et un prêt à taux 0 de 2000 euros sur 24 mois.

Dans ces conditions, au vu des éléments de préjudice établis par M. [L], le jugement entrepris ayant déjà été infirmé de ce chef par arrêt du 16 mars 2023, il y a lieu de condamner la société SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à payer à M. [L] la somme de 28400 euros brut au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de rejeter le surplus de la demande.

Au visa de l’article 1231-7 du code civil, dès lors que les sommes allouées en principal sont d’un montant laissé à l’appréciation du juge, les intérêts au taux légal ne courent qu’à compter de la décision qui les prononce.

Sur les demandes accessoires':

Confirmant le jugement entrepris, il convient de condamner la société SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à payer à M. [L] la somme de 1000 euros, outre celle complémentaire de 2000 euros à hauteur d’appel.

Le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile est rejeté.

Au visa de l’article 696 du code de procédure civile, confirmant le jugement entrepris et y ajoutant, il convient de condamner la société SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités, partie perdante, aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS';

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi';

Vu l’arrêt du 16 mars 2023 de la présente cour d’appel';

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu’il a condamné la société SNCF Voyageurs à payer à M. [L] la somme de 1000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance

Y ajoutant,

CONDAMNE la société SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à payer à M. [L] la somme de vingt-huit mille quatre cents euros (28400 euros) brut à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Outre intérêts au taux légal sur cette somme à compter du prononcé de l’arrêt

DÉBOUTE M. [L] du surplus de sa demande au titre de la rupture du contrat de travail

CONDAMNE la société SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités à payer à M. [L] une indemnité complémentaire de procédure de 2000 euros

REJETTE le surplus des prétentions des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE la société SNCF Voyageurs venant aux droits de l’EPIC SNCF Mobilités aux dépens d’appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par M. Frédéric BLANC, Conseiller faisant fonction de Président de section, et par Mme Carole COLAS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière Le Président

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Cour d'appel de Grenoble, Chambre sociale section b, 1er février 2024, n° 21/02004