Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 16 juin 2021, n° 20/01355

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 4 - ch. 13, 16 juin 2021, n° 20/01355
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 20/01355
Sur renvoi de : Cour de cassation, 25 septembre 2018, N° Q17-16.089
Dispositif : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 4 – Chambre 13

ARRÊT DU 16 JUIN 2021

(n° , 13 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/01355 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBKAD

Décision déférée à la Cour : saisine sur renvoi après cassation (arrêt du 26 septembre 2018 – Cour de Cassation – Pourvoi n° Q17-16.089)

Arrêt cour d’appel de Metz du19 janvier 2017 (RG 14/00396)

Jugement du 21 novembre 2013 du Tribunal de grande instance de Metz (RG 11/03161)

APPELANT

FONDS REGIONAL D’ART CONTEMPORAIN DE LORRAINE, prise en la personne de son représentant légal

[…]

[…]

R e p r é s e n t é e p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477

Ayant pour avocat plaidant Me Clémence LEMARCHAND, avocat au barreau de PARIS, toque : C315

INTIMÉE

L’ASSOCIATION GÉNÉRALE CONTRE LE RACISME ET POUR LE RES PECT DE L’IDENTITÉ FRANÇAISE ET CHRÉTIENNE

[…]

[…]

Représentée et assistée par Me C D, avocat au barreau de PARIS, toque: C0537

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 1037 du code de procédure civile, l’affaire a été appelée le 14 avril 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport,

composée de :

— Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre

— Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre

— Mme Estelle MOREAU, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Séphora LOUIS-FERDINAND

ARRET :

— Contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Mme Nicole COCHET, Première présidente de chambre et par Sarah-Lisa GILBERT, Greffière présente à la mise à disposition.

* * * * *

Du 29 mars au 8 juin 2008, l’association Fonds régional d’art contemporain de Lorraine (ci-après, le FRAC de Lorraine ou le FRAC) a organisé dans ses locaux, situés à Metz, une exposition intitulée 'You are my mirror ; L’infamille', à l’occasion de laquelle était présentée une oeuvre de M. Z Y, constituée de plusieurs lettres rédigées en ces termes :

'Les enfants, nous allons vous enfermer, vous êtes notre chair et notre sang à plus tard X et Maman.

Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous faire bouffer votre merde, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard X et Maman.

Les enfants, nous allons vous sodomiser, et vous crucifier, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous arracher les yeux, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard,X et Maman.

Les enfants, nous allons vous couper la tête, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard,X et Maman.

Les enfants, nous vous observons, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et

Maman.

Les enfants, nous allons vous tuer par surprise, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous empoisonner, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard,X et Maman.

Les enfants, vous crèverez d’étouffement, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons égorger vos chiens, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous découper et vous bouffer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons faire de vous nos putes, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous violer, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous arracher les dents, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous défoncer le crâne à coups de marteau, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous coudre le sexe, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous pisser sur la gueule, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Les enfants, nous allons vous enterrer vivants, vous êtes notre chair et notre sang, à plus tard, X et Maman.

Nous allons baiser vos enfants et les exterminer, nous introduire chez vous, vous séquestrer,vous arracher la langue, vous chier dans la bouche, vous dépouiller, vous brûler vos maisons,tuer toute votre famille, vous égorger, filmer notre mort'.

L’entrée était libre, mais un panneau indiquait que certaines oeuvres pouvaient heurter la sensibilité de certaines personnes.

Estimant que l’exposition de l’oeuvre de M. Y était constitutive du délit de diffusion de message à caractère violent ou pornographique susceptible d’être vu ou perçu par un mineur, prévu et réprimé à l’article 227-24 du code pénal, l’Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne (ci-après, l’AGRIF) a signalé ces faits au procureur de la République, qui a décidé d’un classement sans suite le 29 mars 2010.

Invoquant le préjudice que lui a causé cette exposition, du fait de l’atteinte aux intérêts qu’elle s’est donnée pour objet de défendre, à savoir la lutte contre 'l’étalage public de la pornographie et tout ce qui porte notamment atteinte à la dignité de la femme et au respect de l’enfant', elle a, par ailleurs, saisi le tribunal administratif de Strasbourg d’une requête en indemnisation, lequel, par décision du 5 janvier 2011, s’est déclaré incompétent pour en connaître.

C’est dans ce contexte que, par acte du 8 septembre 2011, l’AGRIF a assigné le FRAC de Lorraine devant le tribunal de grande instance de Metz, au visa des articles 1382 du code civil et 227-4 du code pénal, en réparation du préjudice subi du fait de la faute commise par le FRAC.

Par jugement du 21 novembre 2013, le tribunal de grande instance de Metz a :

— déclaré le FRAC pris en la personne de son président, seul et entièrement responsable en raison de l’exposition des oeuvres de M. Y, du 29 mars au 8 juin 2008, à Metz,

— condamné le FRAC pris en la personne de son président, à régler à l’AGRIF prise en la personne de son président M. A B, un euro symbolique à titre de dommages et intéréts,

— débouté le FRAC pris en la personne de son président, de sa demande reconventionnelle en dommmages et intérêts,

— condamné le FRAC pris la personne de son président, à régler à l’AGRIF prise en la personne de son président M. A B, la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et rejeté la demande de ce chef formée par le FRAC pris en la personne de son président,]

— condamné le FRAC pris en la personne de son président, aux dépens.

Le FRAC a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt du 19 janvier 2017, la cour d’appel de Metz a infirmé le jugement entrepris et, statuant à nouveau, a déclaré irrecevable l’action civile de l’AGRIF relative aux faits délictueux prévus à l’article 227-24 du code pénal et rejeté le surplus de ses demandes.

Cet arrêt a été cassé par un arrêt de la Cour de cassation du 26 septembre 2018 sauf en ce qu’il a déclaré irrecevable l’action civile de l’AGRIF relative aux faits délictueux prévus par l’article 227-24 du code pénal, motifs pris que :

'Vu l’article 16 du code civil, ensemble l’article 12, alinéa 1er, du code de procédure civile ;

Attendu que, pour rejeter la demande indemnitaire de l’AGRlF, après avoir relevé que ladite association soutient qu’indépendamment de toute incrimination pénale, l’organisation de l’exposition au cours de laquelle a été présentée l’oeuvre litigieuse, qui porte atteinte à la dignité de la femme et au respect de l’enfant, est constitutive d’une faute civile, l’arrêt retient que l’argumentation présentée par l’AGRlF ne fait référence utile à aucun texte de loi qu’aurait pu enfreindre le FRAC en exposant les écrits litigieux, dès lors que l’article 16 du code civil n’a pas valeur normative et ne fait que renvoyer au législateur l’application des principes qu’il énonce;

Qu’en statuant ainsi, alors que le principe du respect de la dignité de la personne humaine édicté par l’article 16 du code civil est un principe à valeurconstitutionnelle dont il incombe au juge de faire application pour trancher le litige qui lui est soumis, la cour d’appel a violé les textes susvisés'.

Par déclaration du 8 janvier 2020, le FRAC de Lorraine a saisi la cour, en sa qualité de cour d’appel de renvoi.

Par conclusions déposées et notifiées le 11 mars 2021, le Fonds régional d’art contemporain de Lorraine (FRAC) demande à la cour, au visa des articles 8 et 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et des articles 6, 7 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’article 1240 du code civil (anciennement 1382), de :

— annuler, et, à tout le moins, réformer le jugement du tribunal de grande instance de Metz du 21 novembre 2013, en ce qu’il :

— l’a déclaré, pris en la personne de son président, seul et entièrement responsable en raison de l’exposition des 'uvres de M. Z Y, du 29 mars au 8 juin 2008, à Metz,

— l’a condamné, pris en la personne de son président, à régler à l’AGRIF, prise en la personne de son président Monsieur A B, un euro symbolique à titre de dommages-intérêts,

— l’a débouté, pris en la personne de son président, de sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts,

— l’a condamné, pris en la personne de son président, à régler à l’AGRIF, prise en la personne de son président M. A B, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— a rejeté sa demande, pris en la personne de son président, au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— l’a condamné, pris en la personne de son président, aux dépens,

statuant à nouveau,

— dire et juger qu’en exposant l''uvre de M. Z Y dans le cadre de l’exposition 'Infamille : You are my mirror’ organisée en ses murs entre les 29 mars et 8 juin 2008, il a légitimement usé de sa liberté fondamentale d’expression sans faire preuve d’aucun abus dans l’exercice de celle-ci,

— dire et juger qu’il n’a commis aucune faute civile en organisant l’exposition 'Infamille : You are my mirror’ présentée en ses murs du 29 mars au 8 juin 2008,

— dire et juger qu’il n’a pas porté atteinte aux droits et intérêts de l’AGRIF en organisant l’exposition 'Infamille : You are my mirror’ présentée en ses murs du 29 mars au 8 juin 2008,

— dire et juger mal fondées les demandes de condamnations formulées par l’AGRIF à son encontre,

— rejeter l’intégralité des demandes et prétentions de l’AGRIF,

y ajoutant,

— condamner l’AGRIF à lui verser la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Par conclusions notifiées et déposées le 14 mars 2021, l’Association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne dite AGRIF demande à la cour, au visa des articles 16 et1382 (aujourd’hui 1240) du code civil, de :

— la dire recevable et fondée en son action,

— dire et juger que le FRAC de Lorraine a commis une faute civile sur le fondement de l’article 1240 du code civil par violation de la règle normative et constitutionnelle de l’article 16 du code civil qui interdit toute atteinte à la dignité de la personne humaine et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, en exposant en avril 2008 les 20 lettres calligraphiées d’Z Y,

— confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Metz du 21 novembre 2013 en ce qu’il :

— déclare le FRAC de Lorraine, pris en la personne de son président, seul et entièrement responsable en raison de l’exposition des 'uvres de M. Y, du 29 mars au 8 juin 2008, à Metz,

— déboute le FRAC de Lorraine , pris en la personne de son président, de sa demande reconventionnelle en dommages-intérêts,

— condamne le FRAC de Lorraine, pris en la personne de son président, à lui régler, prise en la personne de son président M. A B, la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

et statuant sur son appel incident,

— la dire recevable en son appel incident contre le jugement du tribunal de grande instance de Metz en ce qu’il condamne le FRAC de Lorraine, pris en la personne de son président, à lui régler, prise en la personne de son président M. A B, un euro symbolique à titre de dommages-intérêts,

et statuant à nouveau,

— condamner le FRAC de Lorraine à lui payer 15.000 euros de dommages-intérêts,

en tout état de cause,

— débouter le FRAC de Lorraine de l’ensemble de ses demandes,

— condamner le FRAC de Lorraine à lui verser une somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles en appel ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître C D qui pourra les récupérer dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

SUR CE

Sur la demande principale :

Le tribunal a jugé que :

— la liberté de création est plus large que la liberté d’expression en ce sens qu’elle nécessite une liberté accrue de l’auteur qui peut s’exprimer tant sur les thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent, déplaisent ou inquiètent,

— par conséquent, quelle que soit l’opinion négative que l’on pourrait se faire des oeuvres présentées par M. Y, elles ne sauraient être censurées dans leur expresssion, quand bien même leurs idées viendraient heurter ou contredire les croyances de l’Etat ou d’une fraction de la population,

— la liberté d’expression qui constitue un principe fondamental n’est pas sans limite et il appartient au législateur de fixer les règles de nature à concilier la poursuite de divers intérêts avec l’exercice de cette liberté,

— l’article 227-24 du code pénal, qui interdit la diffusion de messages à caractère pornographique ou violent ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, pose une restriction à la liberté d’expression,

— le FRAC n’a pris aucune mesure de précaution utile pour filtrer l’accès de mineurs aux oeuvres de M. Y, ni, une fois ceux-ci déjà entrés dans le site, pour leur interdire la vision des textes incriminés,

— certains messages litigieux (' Les enfants, nous allons vous enfermer', 'Les enfants, nous allons vous sodomiser, vous crucifier', 'Les enfants. nous allons vous arracher les yeux’ , 'Les enfants, nous allons vous découper la tête, 'Les enfants, nous allons vous tuer par surprise', 'Les enfants, nous allons vous empoisonner', 'Les enfants, vous crêverez d’étouffement', 'Les enfants, nous allons vous défoncer le crâne à coups de marteau') qui comportent des menaces de mort violente et se

caractérisent par une grande brutalité dans le propos, de nature à créer un sentiment de peur chez le mineur susceptible de les lire, pour sa sécurité physique ou psychique, constituent des messages à caractère violent entrant dans les prévisions de l’article 227-24 du code pénal,

— d’autres messages litigieux ('Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves ; Les enfants, nous allons faire de vous nos putes ; Les enfants, nous allons vous coudre le sexe ; Les enfants, nous allons vous pisser sur la gueule ; Les enfants, nous allons vous enterrer vivants ; Nous allons baiser vos enfants et les exterminer, nous introduire chez vous, vous séquestrer, vous arracher la langue, vous chier dans la bouche, vous dépouiller, vous brûler vos maisons, tuer toute votre famille, vous égorger, filmer notre mort') fournissent des illustrations de sévices et de traitements dégradants et sont de nature à porter, en raison de la force de leurs termes, gravement atteinte à la dignité humaine,

— la preuve d’une faute civile délictuelle résultant de l’application de l’article 227-24 du code pénale est rapportée sans qu’il y ait lieu d’examiner une faute civile distincte,

— le FRAC est donc entièrement responsable en raison de l’exposition des oeuvres litigieuses,

— le préjudice causé à l’AGRIF en raison des intérêts qu’elle défend et protège doit être évalué à un euro symbolique.

Le FRAC fait valoir que :

— l’exposition de l’oeuvre de M. Y s’inscrit dans l’exercice de la liberté d’expression, liberté fondamentale qui englobe la liberté de création artistique et ne peut être sujette à censure,

— les atteintes pouvant être portées à la liberté d’expression doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi, qui est de sauvegarder un droit concurrent en cause,

— les explications du travail d’Z Y présentées lors de l’exposition Infamille replacent l''uvre de l’artiste dans son contexte et lui donnent un sens, qui est de remettre en cause l’appréhension classique de la famille dans sa symbolique sacro-sainte et de dénoncer les effets pervers que recèle le modèle familial traditionnel considéré pendant longtemps comme irréprochable,

— la nature d’oeuvre de l’esprit et l’intérêt artistique des oeuvres de M. Y sont de nature à exclure toute qualification d’atteinte à la dignité humaine,

— la diffusion du travail de l’artiste ne saurait en aucun cas être censurée et doit, au contraire, être protégée sur le fondement de la liberté d’expression,

— l’exposition de l’oeuvre litigieuse ne constitue pas un abus dans l’exercice de la liberté d’expression dès lors que :

— l’action civile fondée sur l’article 227-24 du code civil est irrecevable et il n’est démontré aucune faute civile distincte de la faute pénale et de nature à engager la responsabilité du FRAC,

— la liberté d’expression est un droit dont l’exercice ne revêt un caractère abusif que dans les cas déterminés par la loi en sorte que les limites apportées à la liberté d’expression ne peuvent découler que de textes législatifs précis devant être interprétés de manière stricte et restrictive,

— le principe à valeur constitutionnelle de respect de la dignité humaine consacré par l’article 16 du code civil ne constitue pas un fondement juridique autonome permettant de limiter l’exercice de la liberté d’expression, ainsi que l’a jugé l’assemblée plénière de la Cour de cassation par arrêt du 25 octobre 2019 ayant rappelé que la dignité de la personne humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention européenne de

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ayant jugé que l’article 16 du code civil ne remplit pas les conditions que doit revêtir toute restriction à la liberté d’expression,

— dans l’arrêt de renvoi du 28 septembre 2018 au titre duquel la cour est saisie, la Cour de cassation n’a fait que rappeler que les juges sont tenus de faire application de l’article 16 dans le cadre du contrôle de proportionnalité, en ce sens que la dignité est prise en compte dans la balance des intérêts, mais seulement si d’autres droits (notamment la vie privée) sont atteints,

— l’AGRIF échoue à établir que la mesure de réparation qu’elle demande est nécessaire à l’un des buts cités à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et qu’au regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression,

— au contraire, l’exposition des 'uvres de M. Y selon les dispositifs spécifiques mis en place pour les présenter au public et les encadrer ne dépasse pas les limites admissibles de la liberté d’expression,

— en tout état de cause, l’oeuvre d’Z Y et son exposition ne sont pas attentatoires à la dignité humaine, l’objectif de l’artiste n’étant pas de diffuser un message à caractère violent ou portant atteinte à la dignité humaine mais d’exprimer son point de vue selon ses codes et modes d’expression artistiques et d’inviter les visiteurs à s’interroger sur le modèle familial qui n’est pas sans effets pervers, la nature d’oeuvre de l’esprit et l’intérêt artistique de M. Y excluant toute atteinte à la dignité humaine,

— l’AGRIF n’a subi aucun préjudice, et ne justifie ni de son existence ni de son étendue, en l’absence notamment de désignation d’une personne déterminée dont la dignité aurait été atteinte ou d’une quelconque plainte des visiteurs.

L’AGRIF réplique que :

— elle agit uniquement sur le fondement de l’article 1382 devenu 1240 du code civil, le visa de l’article 227-24 du code pénal ayant pour but de souligner que la faute civile était d’autant plus manifeste que la loi pénale incrimine les faits en cause,

— même si elle avait agi sur le fondement de l’article 227-24 du code pénal, la faute civile est distincte,

— il ressort de l’arrêt de renvoi de la Cour de cassation que le principe du respect de la dignité humaine édicté par l’article 16 du code civil, qui avait été expressément invoqué, est un principe à valeur normative et constitutionnelle qui doit être appliqué sans qu’il soit besoin d’une loi spéciale,

- l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 25 octobre 2019 n’est pas transposable au cas d’espèce puisqu’il s’agissait d’une femme politique qui avait été représentée en excrément et qui poursuivait en injure sur le fondement spécifique de la loi sur la presse du 29 juillet 1881,

— ce même arrêt est en contradition avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme dès lors que :

- il existe un continum entre l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondementales, prohibant les traitements inhumains et dégradants et protégeant la dignité de la personne humaine, et l’article 8 de ladite Convention protégeant la vie privée, qui permet au second de prendre le relais en cas d’atteinte à l’intégrité physique et/ou morale du fait de sa faible gravité,

— le rattachement de la préservation de la dignité de la personne humaine à l’article 8 de la convention a été réalisé dans maintes affaires où des individus étaient victimes d’injures et avaient souffert dans leur dignité,

— la sauvegarde de la dignité est rattachée à la protection de la réputation ou des droits d’autrui au sens de l’article 10 paragraphe 2 de la convention, par le truchement de la vie privée,

— la jurisprudence consistant à limiter la liberté d’expression en cas de méconnaissance de la dignité de la personne humaine a été expressément validée par la Cour européenne des droits de l’homme, constatant dans l’affaire en cause que la décision de condamnation avait été fondée sur les articles 9 et 16 du code civil,

— en tout état de cause, l’arrêt de l’assemblée plénière n’a pas écarté le principe de la dignité humaine du corpus légistatif, jugeant que celui-ci ne peut empêcher par principe d’exercer un contrôle de proportionnalité entre deux droits d’égale valeur et admettant que l’atteinte à la dignité soit prise en considération dans la balance des intérêts en présence,

— c’est au nom de 'l’ordre, de la prévention du crime, de la protection de la morale, et de la protection des droits d’autrui' (article 10§2 CEDH) que l’article 16 du code civil a entendu édicter les limites à la liberté d’expression,

— tant le Conseil d’Etat (affaire dite du 'lancer de naim', notamment) que le Conseil constitutionnel ont érigé le principe de la dignité de la personne humaine en principe à valeur constitutionnelle, le Conseil d’Etat tout comme la première chambre civile de la Cour de cassation admettant que la dignité humaine constitue une limite au droit à la liberté d’expression,

— à supposer, au vu de l’arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation, que la dignité humaine ne constitue pas en tant que telle une restriction prévue par l’article 10 § 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale, elle constitue en tout état de cause une composante nécessaire de la protection de la morale, de la défense de l’ordre et même des droits d’autrui : il s’agit en l’espèce de faire respecter le principe supérieur de protection et de respect de l’enfant auxquels ce dernier et ses parents ont droit,

— la loi, que ce soit l’article 227-24 du code pénal ou l’article 16 du code civil, a posé des limites précises à la liberté d’expression, au nom de la morale, de l’ordre et de la protection des droits d’autrui, conformément à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que le FRAC de Lorraine a transgressées, ce qui aurait pu donner lieu à une condamnation pénale et qui constitue en tout état de cause une faute civile indépendamment de toutes poursuites pénales,

— les propos visant à 'enfermer' des enfants, en faire des 'esclaves', leur faire 'bouffer leur merde', les 'sodomiser et les crucifier', leur 'arracher les yeux', leur 'couper la tête', les 'tuer par surprise', les 'empoisonner', les faire crever 'd’étouffement', les 'découper' et les 'bouffer', en faire les 'putes' de leurs parents, les 'violer', leur 'arracher les dents', leur 'défoncer le crâne à coups de marteau', leur 'coudre le sexe', leur 'pisser sur la gueule', les 'enterrer vivants', 'baiser leurs enfants et les exterminer, (') les séquestrer, leur arracher la langue, leur chier dans la bouche, les dépouiller, brûler leurs maisons, tuer toute leur famille, les égorger, filmer leur mort' sont attentatoires à la dignité humaine de l’enfant et de leurs parents, qui correspond à tout ce qui dégrade, d’une manière ou d’une autre, la personne humaine,

— ce qui est en cause, ce n’est pas la liberté d’expression mais la protection par la société d’enfants innocents qui ont eu ou ont pu avoir accès à de telles expressions abjectes,

— les prétendues mesures invoquées par le FRAC ne retirent rien au fait que la loi a proscrit le fait

que les mineurs puissent avoir accès à de tels messages,

— l’objectif poursuivi par l’auteur, son mode d’expression et la nature d’oeuvre de l’esprit sont indifférents à la caractérisation de la faute civile,

— en transgressant les limites de la liberté d’expression, le FRAC a commis une faute civile, qui est d’autant plus caractérisée que l’exposition était accessible aux mineurs, insuffisammment protégés par les prétendues mesures encadrant la diffusion des oeuvres de M. Y,

— cette faute a porté atteinte à l’objet statutaire de l’AGRIF et lui a causé un préjudice moral de 15000 euros.

La circonstance que l’action civile de l’AGRIF fondée sur les dispositions de l’article 227-24 du code pénal soit irrecevable en application des dispositions de l’article 2-3 du code de procédure pénale ne la prive pas de la possibilité d’agir en responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l’article 1382 du code civil dans sa version applicable aux faits, en réparation d’une faute civile constituant une atteinte à la dignité de la personne humaine.

Selon l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen'tout citoyen peut […] parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi'.

L’article 10 paragraphe 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que :

'Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations'.

La liberté d’expression, consacrée par les articles 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, constitue une liberté fondamentale. L’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés.

Les limites portées à la liberté d’expression sont posées par l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européeenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui dispose que :

'L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire'.

L’exercice de la liberté d’expression doit donc être libre, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi et qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, dont relèvent notamment, ainsi qu’il ressort de l’article 10 §2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la 'défense de l’ordre et la prévention du crime', la 'protection de la santé ou de la morale' et la 'protection des droits d’autrui'.

Les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de la liberté fondamentale que

constitue la liberté d’expression doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi, qui est de sauvegarder un droit concurrent en cause.

Selon l’article 10 de la loi n°2016-925 du 7 juillet 2016, relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine,

'Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Les articles 1 et 2 de cette même loi énoncent que 'La création artistique est libre’ et que 'La diffusion de la création artistique est libre. Elle s’exerce dans le respect des principes encadrant la liberté d’expression et conformément à la première partie du code de la propriété intellectuelle'.

La liberté de création, tout comme la liberté de diffusion de la création artistique, constituent une composante de la liberté d’expression. Si ces libertés fondamentales doivent être librement exercées sans être entravées par la censure, indépendamment du genre et du mérite de l’oeuvre, elles ne constituent pas un droit absolu et doivent être exercées sans abus, en étant conciliées avec d’autres droits concurrents ainsi qu’il ressort des dispositions de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européénne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

L’article 16 du code civil, créé par la loi n 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, énonce que 'La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie'.

La Cour de cassation a jugé dans son arrêt de renvoi du 26 septembre 2018 que le principe du respect de la dignité de la personne humaine édicté par l’article 16 du code civil est un principe à valeur constitutionnelle dont il incombe au juge de faire application pour trancher le litige qui lui est soumis.

L’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé par arrêt du 25 octobre 2019 que :

'6. La liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique.

7. Elle ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard de l’article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

8. La restriction qu’apportent à la liberté d’expression les articles 29, alinéa 2, et 33 de la loi du 29 juillet 1881, qui prévoient et répriment l’injure, peut donc être justifiée si elle poursuit l’un des buts énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de cette Convention.

9. Parmi ces buts, figure la protection de la réputation ou des droits d’autrui.

10. Il résulte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que la réputation d’une personne, même lorsque celle-ci est critiquée au cours d’un débat public, fait partie de son identité personnelle et de son intégrité morale et, dès lors, relève de sa vie privée au sens de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH, arrêt du 15 novembre 2007, Pfeifer c. Autriche, n° 12556/03, § 35).

11. Le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression ayant la même valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher, en cas de conflit, un juste équilibre entre ces deux droits.

12. La dignité de la personne humaine ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10, paragraphe 2, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

13. Si elle est de l’essence de la Convention (CEDH, 22 novembre 1995, S.W. c. Royaume-Uni, n° 20166/92, § 44), elle ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression.

14. Dès lors, pour déterminer si la publication litigieuse peut être incriminée, il suffit de rechercher si elle est constitutive d’un abus dans l’exercice du droit à la liberté d’expression.

15. La première branche du moyen est donc inopérante.

16. L’exigence de proportionnalité implique de rechercher si, au regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression.

17. En l’absence de dépassement de ces limites, et alors même que l’injure est caractérisée en tous ses éléments constitutifs, les faits objet de la poursuite ne peuvent donner lieu à des réparations civiles (…)'.

L’assemblée plénière était alors saisie d’un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 20 septembre 2017 ayant notamment jugé, que 'l’exigence du contrôle de la nécessité, dans une société démocratique, des restrictions à la liberté d’expression prévues à l’alinéa 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme peut conduire à écarter cette qualification [la qualification d’injure] pour des termes, même particulièrement outranciers ou grossiers, s’ils sont diffusés dans une publication revendiquant le genre de l’humour et le droit à la satire et qu’il en est d’autant plus ainsi lorsqu’ils visent, au cours d’une campagne électorale, une personnalité publique, candidate, qui non seulement s’expose ainsi délibérément à la critique mais revendique elle-même le droit à une expression parfois controversée ou polémique', que 'toutefois, les limites admissibles de la liberté d’expression sont dépassées lorsqu’il est porté atteinte à la dignité d’une personne', et qu’en l’espèce, le sens et la portée de l’affiche litigieuse ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d’expression. Cet arrêt résistait à l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation ayant cassé un arrêt du 2 avril 2015 aux visas des articles 33, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, aux motifs que 'le dessin et la phrase poursuivie, qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile en l’associant à un excrément, fût-ce en la visant en sa qualité de personnalité politique lors d’une séquence statirique de l’émission précitée, dépassaient les limites admissibles de la liberté d’expression (…)'.

La Cour de cassation était donc saisie, s’agissant tant de l’arrêt de renvoi que de l’arrêt rendu en assemblée plénière, de la question du conflit entre le droit au respect de la dignité humaine et la liberté d’expression.

Dans les deux cas, elle a retenu que le principe érigé à l’article 16 du code civil constituait un

principe à valeur constitutionnelle, tout en précisant dans son arrêt rendu en assemblée plénière que l’atteinte à la dignité, qui ne figure pas, en tant que telle, au nombre des buts légitimes énumérés à l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne pouvait pas être érigée en fondement autonome de restrictions à la liberté d’expression, en sorte que le contrôle de proportionnalité de la liberté d’expression ne peut s’effectuer au regard du seul droit à la dignité.

L’arrêt de l’assemblée plénière est donc transposable au cas d’espèce portant sur le conflit entre la liberté d’expression et le droit au respect de la dignité humaine, et compatible avec l’arrêt de renvoi ayant rappelé la valeur constitutionnelle de l’article 16 sans se prononcer sur sa portée comme limite à la liberté d’expression.

Si la Cour européenne des droits de l’homme a, à diverses reprises, sanctionné des atteintes à la dignité sur le fondement de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’hommes et des libertés fondamentales prohibant les traitements inhumains et dégradants, seul l’article 10 paragraphe 2 de ladite Convention est applicable au titre des restrictions pouvant être apportées à la liberté d’expression.

Dans un cas d’espèce dans lequel une double atteinte à la dignité et au droit au respect de la vie privée était invoquée pour justifier une restriction à la liberté d’expression, la Cour européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dans son arrêt du 25 février 2016 (arrêt société de conception de presse et d’édition contre France) a retenu que :

'- La requérante allègue devant la Cour une violation de son droit à la liberté d’expression tel que prévu par l’article 10 de la Convention.

- La Cour constate d’emblée l’existence d’une ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit à la liberté d’expression, qui était prévue par la loi, aux articles 9 et 16 du code civil, et poursuivait un but légitime, à savoir la protection des droits d’autrui.

- Sur la nécessité de cette ingérence dans une société démocratique, dernier critère de légitimation d’une atteinte au droit protégé par l’article 10 de la Convention, la Cour est amenée à apprécier si un juste équilibre a été aménagé entre le droit au respect de la vie privée et le droit à la liberté d’expression. Pour ce faire, la Cour doit notamment examiner la contribution de la publication à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée et l’objet du reportage, le mode d’obtention des informations, le contenu, la forme et les répercussions de l’article et enfin la gravité de la sanction,

- la Cour estime que la restriction imposée par les juridictions nationales à l’exercice des droits de la société éditrice a été justifiée par des motifs pertinents et suffisants, qu’elle était proportionnée au but légitime poursuivi et donc nécessaire au bon fonctionnement d’une société démocratique'.

Elle a ainsi jugé qu’ordonner l’occultation de photographies d’un jeune homme sequestré et torturé ne constitue pas une restriction disproportionnée à la liberté d’expression, et conclu à la non violation de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Cour européenne des droits de l’homme a dès lors retenu que la dignité humaine, lorsqu’elle est associée au droit au respect de la vie privée, peut constituer une limite à l’exercice de la liberté d’expression au sens des dispositions de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention, et qu’il peut alors être opéré un contrôle de proportionnalité entre les deux droits concurrents que constituent la liberté d’information et le droit au respect de la vie privée, et non pas la dignité.

Si la dignité humaine, qui ne figure pas aux restrictions expressément prévues à l’article 10 paragraphe 2 de la Convention, a été rattachée à la ' protection de la réputation ou des droits d’autrui' au sens dudit article, par le truchement de la vie privée dans des cas où une atteinte à ce droit était alléguée, aucune décision de la Cour européenne des droits de l’homme ne l’a consacrée comme fondement autonome de restriction de la liberté d’expression en l’absence de conflit avec un droit concurrent tel que le droit au respect de la vie privée ou le droit à l’image.

Il n’est pas justifié par l’AGRIF que la dignité humaine serait en elle-même une composante nécessaire et suffisante de la protection de la morale et de la défense de l’ordre au sens des dispositions de l’article 10 paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme constituant en ce sens une limite autonome de la liberté d’expression.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que lorsque la dignité est appréhendée dans le contexte de la confrontation de la liberté d’expression et d’autres droits en concurrence tels que le droit au respect de la vie privée, le droit au respect de la dignité humaine ne constitue pas en soi une restriction autonome à la liberté d’expression, dont seul l’abus peut être santionné au terme d’un contrôle de proportionnalité avec lesdits droits en concurrence.

Si le principe du droit au respect de la dignité humaine revêt une valeur constitutionnelle, il ne constitue pas à lui seul, en l’absence d’allégations de toute atteinte à des droits concurrents à la liberté d’expression tels que le droit au respect de la vie privée et le droit à l’image, un fondement autonome de restrictions de la liberté d’expression lui conférant la nature de droit concurrent et justifiant que soit effectué un contrôle de proportionnalité à ce titre.

L’AGRIF poursuit l’exposition des oeuvres de M. Y sur le seul fondement de l’atteinte à la dignité au sens de l’article 16 du code civil, à l’exclusion de tout droit concurrent tel que le respect de la vie privée ou le droit à l’image.

Quand bien même l’AGFRIF estimerait l’exposition des oeuvres litigieuses attentatoire à la dignité humaine, cette seule atteinte, à la considérer caractérisée, ne constitue pas une limite admissible à la liberté d’expression justifiant une mesure de réparation.

Elle doit donc être déboutée de sa demande, en infirmation du jugement.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :

L’AGRIF sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer au FRAC de Lorraine une indemnité de procédure de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Déboute l’association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne dite AGRIF de ses demandes,

Condamne l’association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne dite AGRIF à payer à l’association Fonds régional d’art contemporain de Lorraine une indemnité de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne l’association générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne dite AGRIF aux dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

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Cour d'appel de Paris, Pôle 4 - chambre 13, 16 juin 2021, n° 20/01355