Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 juillet 2019, 18-14.029, Inédit

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

COMM.

CM

COUR DE CASSATION

______________________

Audience publique du 9 juillet 2019

Rejet

Mme ORSINI, conseiller doyen

faisant fonction de président

Arrêt n° 701 F-D

Pourvoi n° W 18-14.029

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l’arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Eurl Beratti, société à responsabilité limitée, dont le siège est […] ,

contre l’arrêt rendu le 28 novembre 2017 par la cour d’appel de Versailles (12e chambre), dans le litige l’opposant à la société Grandvision France, société par actions simplifiée, dont le siège est […] ,

défenderesse à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l’appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l’audience publique du 2 juillet 2019, où étaient présents : Mme Orsini, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Laporte, conseiller rapporteur, M. Guérin, conseiller, M. Graveline, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Laporte, conseiller, les observations de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Eurl Beratti, de la SCP Spinosi et Sureau, avocat de la société Grandvision France, l’avis de M. Debacq, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en ses première et deuxième branches :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Versailles, 28 novembre 2017), que la société Grandvision France (la société Grandvision) a conclu, le 24 août 2011, un contrat de franchise avec la société Beratti pour une durée de cinq ans ; que le 11 avril 2014, la société Grandvision a résilié le contrat aux torts de la société Beratti en se prévalant du comportement gravement fautif de celle-ci, puis l’a assignée en réparation du préjudice résultant de la résiliation anticipée du contrat ; que la société Beratti a demandé reconventionnellement réparation des préjudices que lui avait causés cette résiliation ;

Attendu que la société Beratti fait grief à l’arrêt de dire bien fondée la résiliation unilatérale du contrat par la société Grandvision, de la condamner à lui payer une indemnité pour préjudice économique et de rejeter ses demandes alors, selon le moyen :

1°/ que sauf urgence, une partie à un contrat ne peut, en raison de la gravité du comportement de l’autre partie, mettre fin de façon unilatérale au contrat à ses risques et périls qu’après avoir mis en demeure cette autre partie de satisfaire à son engagement ou de remédier à l’inexécution de ses obligations dans un délai raisonnable ; qu’en considérant, dès lors, pour dire bien fondée la résiliation unilatérale en date du 11 avril 2014 par la société Grandvision du contrat de franchise qui la liait à la société Beratti aux torts exclusifs de cette dernière, pour condamner la société Beratti à payer à la société Grandvision la somme de 137 163,60 euros à titre d’indemnité pour préjudice économique et pour dire la société Beratti mal fondée en ses demandes reconventionnelles, que la société Beratti avait commis des manquements qui justifiaient que la société Grandvision eût prononcé la résiliation unilatérale du contrat de franchise pour manquement grave du franchisé, sans constater que la société Grandvision avait adressé à la société Beratti, avant de lui notifier, par sa lettre en date du 11 avril 2014, la résiliation unilatérale du contrat de franchise en date du 24 août 2011, une mise en demeure de satisfaire à ses obligations ou de remédier à l’inexécution de celles-ci, ni caractériser une situation d’urgence, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;

2°/ qu’à titre subsidiaire, lorsque le contrat prévoit qu’une partie pourra, en cas d’inexécution par l’autre partie de l’une de ses obligation, résilier unilatéralement le contrat sous réserve de suivre une procédure particulière, cette partie ne peut, en raison de la gravité du comportement de l’autre partie, mettre fin de façon unilatérale au contrat qu’après avoir suivi cette procédure particulière ; qu’en énonçant, par conséquent, pour dire bien fondée la résiliation unilatérale en date du 11 avril 2014 par la société Grandvision du contrat de franchise qui la liait à la société Beratti aux torts exclusifs de cette dernière, pour condamner la société Beratti à payer à la société Grandvision la somme de 137 163,60 euros à titre d’indemnité pour préjudice économique et pour dire la société Beratti mal fondée en ses demandes reconventionnelles, que la société Beratti avait commis des manquements qui justifiaient que la société Grandvision eût prononcé la résiliation unilatérale du contrat de franchise pour manquement grave du franchisé et que la société Grandvision était, dès lors, dispensée de suivre la procédure, régissant la résiliation unilatérale par la société Grandvision du contrat de franchise en cas de manquement de la société Beratti à l’une de ses obligations prévue au contrat dans le seul cas d’un manquement sans gravité particulière, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel a exactement retenu que la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de manière unilatérale à ses risques et périls, sans être tenue de mettre préalablement son cocontractant en demeure de respecter ses obligations ni de caractériser une situation d’urgence ;

Attendu, d’autre part, qu’ayant relevé que la société Grandvision n’avait pas invoqué la clause résolutoire stipulée au contrat, mais s’était prévalue de la faculté de résiliation unilatérale du contrat pour manquement grave telle que définie par la jurisprudence, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que cette société n’était pas tenue de respecter les modalités formelles de résiliation contractuelle ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu qu’il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Eurl Beratti aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Grandvision France la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juillet deux mille dix-neuf. MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Yves et Blaise Capron, avocat aux Conseils, pour la société Eurl Beratti

Il est fait grief à l’arrêt confirmatif attaqué D’AVOIR dit bien fondée la résiliation unilatérale du 11 avril 2014 par la société Grandvision France du contrat de franchise qui la liait à l’Eurl Beratti aux torts exclusifs de cette dernière, D’AVOIR condamné l’Eurl Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 137 163, 60 euros à titre d’indemnité pour préjudice économique, D’AVOIR dit l’Eurl Beratti mal fondée en ses demandes tendant à la condamnation de la société Grandvision France à lui payer la somme de 356 678 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts pour perte de son chiffres d’affaires, la somme de 120 000 euros au titre de travaux de remise en état du magasin et la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte de chance et du préjudice moral qu’elle a subis et à faire publier un communiqué judiciaire reprenant le dispositif de la décision à intervenir dans les quotidiens « Les Échos » et « Le Parisien » et dans les revues « Acuité », « Bien vu » et « L’Essentiel de l’Optique » et pendant une durée de trois mois sur la page d’accueil de ses sites internet sous une astreinte de 2 000 euros par jour de retard passé le délai de trente jour à compter du prononcé de la décision à intervenir ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE « 1 – Sur le bien-fondé de la résiliation du contrat de franchise : 1-1 La procédure de résiliation du contrat de franchise : Il résulte de l’article 1184 du code civil, dans sa version applicable à l’espèce, que la condition résolutoire est toujours sous-entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l’une des parties ne satisfera point à son engagement. Dans ce cas, le contrat n’est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l’engagement n’a point été exécuté peut en demander la résolution avec dommages et intérêts. La gravité du comportement d’une partie à un contrat peut toutefois justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls. / Il résulte en outre de l’article 8-5-2 du contrat de franchise qu’en cas d’inexécution ou de manquement par le franchisé de l’une quelconque de ses obligations – et en dehors de cas limitativement énumérés qui ne sont pas applicables à l’espèce – le franchiseur pourra, après une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au franchisé et non suivie d’effets dans un délai de 30 jours, résilier de plein droit le présent contrat par l’envoi d’une nouvelle lettre recommandée, et ce sans formalité judiciaire. / En l’espèce, la société Beratti fait valoir que la société Grandvision n’a pas respecté les dispositions contractuelles, dès lors qu’elle a prononcé la résiliation par courrier du 11 avril 2014 sans mise en demeure préalable. Elle demande ainsi à la cour de dire que la résiliation est irrégulière et de nul effet. / La société Grandvision fait cependant valoir qu’une partie a toujours la possibilité de résilier unilatéralement un contrat en cas de comportement grave d’une partie, sans être contrainte de recourir à la clause résolutoire prévue au contrat. / Il apparaît ainsi que la société Grandvision n’invoque pas la clause résolutoire prévue au contrat, mais qu’elle se Eurl Beratti c. Société

prévaut de cette possibilité de résiliation unilatérale du contrat pour manquement grave telle que définie par la jurisprudence. / Il convient dès lors de rechercher si les conditions d’une résiliation unilatérale pour manquement grave de la société Beratti à ses obligations sont réunies. / 1-2 Les manquements de la société Beratti pouvant justifier la résiliation unilatérale du contrat de franchise : La société Grandvision reproche à la société Beratti des pratiques « gravement illicites et illégales » mises en place afin d’obtenir des remboursements indus des mutuelles complémentaires, faisant valoir que ces pratiques pouvaient avoir de graves conséquences sur son réseau de franchise (perte d’accords avec les mutuelles, et mise en cause éventuelle pour concurrence déloyale avec des concurrents). Elle rappelle que de grandes enseignes d’optique ont été lourdement condamnées, notamment en 2014 pour des faits de concurrence déloyale, du fait qu’elles pratiquaient ce système de « fraude à la mutuelle ». / La société Beratti soutient qu’aucune anomalie n’a jamais été relevée avant le contrôle effectué dans son magasin le 28 mars 2014, à la suite de la dénonciation malveillante d’un salarié. Elle ajoute que les irrégularités dénoncées sont tout à fait « ténues ». Elle soutient qu’il n’est pas démontré qu’elle ait mis en place les pratiques dénoncées, ajoutant toutefois – de manière ambiguë – qu’il lui est arrivé, de façon exceptionnelle, d’utiliser un programme informatique permettant de modifier les facturations, précisant toutefois que ce programme a été installé par la société Grandvision ellemême, celle-ci recommandant en outre son utilisation. / Les manquements reprochés par la société Grandvision à la société Beratti portent, d’une part, sur les pratiques permettant d’obtenir des remboursements indus des mutuelles (utilisation de deux programmes informatiques distincts permettant la modification, soit de la date de facturation, soit de la nature des produits vendus), d’autre part, sur l’utilisation d’une ordonnance médicale unique pour plusieurs dossiers, enfin sur des « sorties de caisse » non explicitées. / Le premier juge, sans entrer dans le détail des manquements reprochés à la société Beratti, a estimé de manière générale que la société Beratti s’était livrée à des pratiques visant à abuser les assurances complémentaires, notamment par l’utilisation du fichier Excel, ajoutant que les fautes ainsi commises étaient d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation unilatérale. / Il convient de revenir sur les différents manquements reprochés à la société Beratti afin de déterminer si, comme l’a estimé le premier juge, leur gravité est suffisante pour justifier la résiliation unilatérale opérée par la société Grandvision. / [

] Utilisation d’une ordonnance non nominative pour plusieurs dossiers : La société Grandvision reproche à la société Beratti d’avoir utilisé une même ordonnance non nominative pour cinq dossiers (ordonnance du 30 janvier 2014 du docteur Q… U…, médecin généraliste prescrivant uniquement des « lunettes adaptées avec contrôle de la vision » par l’opticien), ce qui a permis à plusieurs clients de la société Beratti d’obtenir un remboursement de leur mutuelle, alors même que ce remboursement aurait été impossible sans production d’une ordonnance. La société Grandvision fait valoir que ce procédé constitue une falsification d’ordonnance médicale dans le but d’obtenir des remboursements indus de la mutuelle, condamnant cette pratique de nature à porter gravement atteinte à son enseigne. / La société Beratti ne conteste pas ce qu’elle qualifie elle-même de « manipulation frauduleuse » des ordonnances, qu’elle impute toutefois exclusivement à son salarié P… B… qui est l’auteur du courrier dénonçant ces agissements à la société Grandvision. / Force est toutefois de constater, comme le fait justement observer la société Grandvision, que les mentions portées par l’opticien sur les différentes copies de cette ordonnance unique (correction à apporter sur chaque verre) ne sont pas de la même main, de sorte que M. P… B… n’est manifestement pas le seul à avoir fait usage de cette unique Eurl Beratti c.

ordonnance qui a servi au montage de 5 dossiers. / Il sera observé que l’attestation de Mme W… – qui soutient qu’elle disposait d’une autre ordonnance – n’est pas pertinente dès lors que son dossier comprend bien l’ordonnance falsifiée. De même, la perte d’une ordonnance par Mme O… ne pouvait légitimer la falsification d’une autre ordonnance. / Il est ainsi établi que plusieurs employés, voire même dirigeants, de la société Beratti ont utilisé le procédé frauduleux de falsification d’ordonnance dans le but de permettre des remboursements de mutuelle qui n’auraient pas dû exister pour cinq dossiers, ce qui caractérise un manquement d’une gravité certaine aux obligations de la société Beratti. / Pratiques visant à obtenir des remboursements indus des mutuelles : La société Grandvision reproche à la société Beratti d’avoir mis en place un système de double facturation – d’une part dans un programme Excel, d’autre part, dans le logiciel Synergie – ce qui permettait de modifier les factures (date ou nature des produits vendus) et d’obtenir des remboursements indus des mutuelles. / La société Beratti fait valoir que l’utilisation du fichier Excel est exceptionnelle (27 factures seulement sur la période d’août 2011 à mars 2014) et que la société Grandvision a elle-même créé la matrice des factures Excel qu’elle lui a remis afin de pallier aux insuffisances du logiciel Synergie. Elle produit aux débats trois attestations de personnes qui déclarent que la société Grandvision incitait ses franchisés à utiliser ce logiciel. Elle explique cette pratique par le fait que le logiciel Synergie ne permet pas d’établir une facture avant livraison du produit, de sorte qu’elle émettait dans un premier temps une facture « Excel » qui était ensuite remplacée par une facture « Synergie », ajoutant qu’il n’est pas démontré l’existence de remboursements indus de mutuelle ni de dissimulation de chiffre d’affaires. / Mme E… F…, opticienne, atteste que : " la Générale d’optique, société de Grandvision France, nous a fourni, début 2006, un fichier Excel par l’intermédiaire de notre responsable de secteur, cadre de Grandvision France. Une formation sur ce fichier Excel nous a été assurée par notre responsable de secteur

Les ordres étaient donnés par les responsables cadre

afin d’utiliser cette matrice Excel pour tous les clients qui exigeaient une modification sur leurs factures, portant sur la date de facture ou sur les montants à répartir sur les factures entre la monture et les verres, afin que le client bénéficie au mieux de son remboursement mutuelle

Depuis mon poste de directrice adjointe du magasin de Créteil en 2006 jusqu’à mon départ en tant que directrice du magasin de Paris Stalingrad en mars 2008, mes responsables de secteur successifs

nous incitaient à utiliser ce fichier afin de ne perdre aucune vente en modifiant les dates de facture Synergie ou en ventilant différemment les sommes pour que le client se fasse rembourser au mieux par sa mutuelle. En effet, le logiciel Synergie étant assez rigide, cette solution avait été mise en place par la direction générale d’otique afin de ne perdre aucune vente

Par la suite, ce système de matrice Excel a été complété par la création dans le logiciel Synergie de quatre options d’un montant différent qui nous permettaient de basculer les options vendues sur la deuxième paire (monture à 1 euro) " directement sur les verres de la paire principale destinée au remboursement de la mutuelle

« . / Cette attestation, très circonstanciée, est corroborée par deux autres attestations de Mme X… et de M. R… aux termes desquelles il existait un logiciel permettant de modifier des dates et des prix, ce tableau Excel étant » fourni par notre direction afin de satisfaire les clients exigeants « . / Ces attestations tendent ainsi à démontrer que, durant une certaine période, et notamment entre 2006 et 2008, la société Grandvision avait elle-même fourni à son réseau une matrice Excel permettant de modifier les factures et qu’elle les incitait à utiliser ce système. / Force est toutefois de constater que la société Grandvision a manifestement modifié sa pratique, puisqu’elle produit des lettres circulaires adressées à ses franchisés, notamment en Eurl Beratti c. septembre 2011, avril 2013 et janvier 2014 (et même janvier 2007), aux termes desquelles elle rappelle le caractère illégal de la pratique consistant à modifier une facture pour que le client obtienne un meilleur remboursement de sa mutuelle santé. Elle leur rappelle également le risque de sanctions pénales et précise qu’elle ne peut tolérer de telles pratiques qui porteraient atteinte à la notoriété et à l’image de marque de l’enseigne. / La société Grandvision justifie également d’un courrier recommandé nominatif adressé à la société Beratti le 24 janvier 2012. Elle précise qu’elle a constaté, lors d’une visite du 13 janvier 2012, plusieurs factures ne correspondant pas au prix de vente des montures et verres et rappelle à la société Beratti que le fait de modifier une facture constitue un délit pénal et qu’elle ne eut tolérer ce genre de pratiques, ajoutant enfin : » je compte sur vous pour que pareil fait ne se reproduise plus dans votre magasin de Melun, et je vous demande instamment de donner des instructions précises à ce sujet à vos collaborateurs

« . / Il apparaît ainsi que, depuis septembre 2011 au moins, la société Grandvision prohibe clairement le système qui vise à modifier les factures, ce que la société Beratti ne pouvait ignorer dès lors qu’elle a été destinataire d’un avertissement en ce sens en janvier 2012. / S’il apparaît – comme l’atteste l’expert-comptable de la société Beratti – que toutes les factures » Excel " ont ensuite été reprises dans le logiciel Synergie de sorte qu’il n’est justifié d’aucune dissimulation de chiffre d’affaires, il apparaît toutefois clairement que les factures créées dans le logiciel Excel avaient bien pour objet de modifier la date ou la nature des produits vendus, de sorte que – hormis les quelques anticipations de facture en fin d’année par rapport à la date de livraison qui étaient conseillées par la société Grandvision et n’avaient aucun caractère illicite, rien n’interdisant de facturer un produit dès sa commande – les autres modifications de facture, et notamment celles concernant les dossiers K…, I…, G…, L…, M…

correspondent bien à des modifications illicites qui avaient pour objet de permettre des remboursements mutuelle qui étaient normalement impossibles (période de carence de la mutuelle, remboursement de certains éléments seulement, application de plafonds de remboursement

). / Même si l’utilisation du fichier Excel par la société Beratti peut être qualifiée d’exceptionnelle (27 factures Excel sur une durée de 2 ans et demi pour un chiffre d’affaires de 6 000 euros environ), cette utilisation – malgré l’avertissement solennel donné par la société Grandvision le 24 janvier 2012 – dans le but de modifier une vingtaine de factures caractérise un manquement grave de la société Beratti à ses obligations contractuelles, en ce sens que son comportement risquait de mettre en difficulté le franchiseur, tant à l’égard des mutuelles concernées qu’à l’égard de ses concurrents qui pouvaient agir à son encontre en concurrence déloyale. / Ce manquement grave, ajouté à la falsification d’ordonnances médicales, justifie que la société Grandvision ait prononcé la résiliation unilatérale du contrat pour manquement grave du franchisé, celle-ci étant dès lors dispensée de suivre la procédure prévue au contrat dans le seul cas d’un manquement sans gravité particulière. Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a constaté la résiliation aux torts du franchisé, et en ce qu’il a débouté la société Beratti de ses demandes reconventionnelles. / 2 – Sur les conséquences de la résiliation du contrat de franchise : – sur le préjudice matériel de la société Grandvision : Faisant partiellement droit aux demandes du franchiseur, le premier juge a fixé le préjudice subi par la société Grandvision du fait de la résiliation anticipée du contrat aux redevances que celle-ci aurait dû percevoir si le contrat s’était poursuivi jusqu’à son terme, soit jusqu’au 23 août 2016, en prenant pour base de calcul le chiffre d’affaires moyen hors taxe des trois premières années du contrat de franchise, auquel il a appliqué le taux de redevance de 10 %. Le tribunal de commerce a donc condamné la société Beratti au paiement de la somme de 137 163, 60 euros. / La société Grandvision sollicite l’infirmation du jugement déféré sur ce point, et reprend sa demande initiale en paiement d’une somme de 150 750, 76 euros, soutenant que le chiffre d’affaires moyen doit s’apprécier sur les années 2007 à 2013, et non pas seulement sur les années 2011 à 2013. / La société Beratti s’oppose à la demande indemnitaire, contestant, d’une part, le caractère fautif de la résiliation, d’autre part, le quantum de la demande, au motif qu’il n’est pas établi que son chiffre d’affaires se serait maintenu sur les deux dernières années du contrat. / La société Beratti ne fournit toutefois aucun élément économique qui permettrait de penser que son chiffre d’affaires aurait diminué si le contrat s’était poursuivi. / C’est donc à bon droit que le premier juge a tenu compte du chiffre d’affaires moyen sur les seules années 2011 à 2013 correspondant au second contrat de franchise. Il convient dès lors de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a condamné la société Beratti au paiement de la somme de 137 163, 60 euros au titre du préjudice subi du fait de la résiliation du contrat uniquement imputable au franchisé » (cf., arrêt attaqué, p. 5 à 9) ;

ET AUX MOTIFS ADOPTÉS QUE « la Sa Grandvision France et l’Eurl Beratti ont signé le 24 août 2006 un contrat de franchise « Générale d’Optique » d’une durée de 5 ans renouvelé à son terme le 24 août 2011 jusqu’à l’échéance du 24 août 2016 ; que le 11 avril 2014 Grandvision France résiliait ledit contrat de franchise aux torts exclusifs de Beratti ; / attendu qu’il ressort des nombreuses pièces versées aux débats quand bien même certaines seraient imparfaites, que Beratti s’est livrée, principalement sur la période 2012 et 2013, à des pratiques visant à abuser les assurances complémentaires de santé ; que les différents systèmes mis en place en particulier l’utilisation d’un fichier Excel pour éditer les factures au lieu et place du logiciel de gestion Synergie mis à la disposition du franchisé, permettait de modifier la date de la prestation de manière à permettre aux clients de bénéficier du remboursement de mutuelle qui appliquent la règle d’un forfait annuel, instaure un délai de carence ou pour des clients en fin de contrat avec leur organisme complémentaire de santé ; que d’autres factures ont été émises sous Excel concernant des prestations différentes de celles prescrites aux seules fins d’en obtenir le remboursement ; qu’une même ordonnance a été utilisée pour valider la prescription de plusieurs clients ; / attendu que les faits révélés par l’audit menée par Grandvision France le 28 mars 2014, n’ont pour l’essentiel pas été contesté par M. H…, gérant de Beratti, dans son courrier du 29 avril 2014 ; que les arguments qu’il a fait valoir par la suite pour justifier des faits qui lui étaient reprochés ne sont pas convaincants ; qu’il importe peu que les clients aient pu solliciter Beratti pour la mise en oeuvre de telles pratiques ; que le franchisé, commerçant indépendant, doit s’assurer que les lois et règlements applicables sont respectés dans son entreprise ; / attendu que Beratti affirme, sans le démontrer, que le franchiseur a prétexté de fautes non avérées pour mettre fin au contrat et récupérer le territoire concédé à Beratti ; [

] attendu que Grandvision France démontre par les courriers transmis à ses franchisés qu’il a initié des actions d’information visant à les alerter des risques et sanctions qu’ils encouraient s’ils mettaient en oeuvre des pratiques fautives ; qu’au surplus, il produit un courrier transmis en recommandé à Beratti daté du 24 janvier 2012 par lequel il l’avisait fermement de l’absolue nécessité de ne pas se livrer à des pratiques consistant à obtenir des remboursements indus des complémentaires santé ; / attendu que Beratti soutient encore que Grandvision France par la gestion des dossiers de remboursement des assurances complémentaires de santé avait une parfaite connaissance de ces pratiques ; mais attendu qu’il ressort de l’analyse du contrat de prestation, gestion du tiers payant et des fonctionnalités du logiciel Synergie que le franchiseur ne pouvait connaître dans le détail les opérations réalisées par les franchisés du réseau Générale d’Optique ; / attendu que les éléments produits sont suffisamment nombreux et concordants pour que l’on puisse retenir le faisceau de preuves établissant que Beratti a mis en place des actes illicites ; qu’il ne s’agit pas de pratiques isolées non intentionnelles relevant de la négligence ou de l’imprudence ; qu’en professionnel de l’optique, il ne pouvait ignorer les lois et règlements en vigueur applicables en l’espèce ; que les fautes de Beratti sont d’une gravité suffisante pour justifier la résiliation unilatérale par Grandvision France du contrat de franchise qui le liait à l’Eurl Beratti ; / attendu qu’en conséquence le tribunal dira bien fondée la résiliation unilatérale réalisée le 11 avril 2014 par Grandvision France du contrat de franchise signé le 24 août 2011, aux torts exclusifs de l’Eurl Beratti ; / sur le préjudice : sur le préjudice économique : attendu que la société Grandvision France demande au tribunal de condamner la société Eurl Beratti à lui payer la somme de 150 750, 74 € au titre du préjudice économique ; qu’elle estime son préjudice au montant des redevances qu’elle aurait dû percevoir du 11 avril 2014, date de résiliation au 26 août 2016, date prévue de fin de contrat, soit sur une période de 28 mois ; / attendu que la jurisprudence a admis qu’en cas de résiliation aux torts du franchisé, le franchiseur est fondé à réclamer des indemnités équivalentes aux sommes que celui-ci aurait dû percevoir jusqu’au terme du contrat ; que les dispositions contractuelles prévoit une redevance de franchise de 4 % et une redevance de communication de 6 % calculées sur le chiffre d’affaires ht du franchisé ; / attendu que le contrat de franchise sur lequel est fondée la résiliation a été conclue le 24 août 2011 ; que la résiliation est intervenue le 11 avril 2014 ; qu’il sera retenu le chiffre d’affaires ht des exercices 2011 à 2013 pour le calcul de l’indemnité ; / attendu qu’il ressort des pièces produites que Grandvision France a établi son calcul indemnitaire sur la base d’un chiffre d’affaires ttc ; que le contrat stipule que les redevances sont calculées sur un chiffre d’affaires ht ; que le chiffre d’affaires mensuel moyen ht des exercices 2011, 2012 et 2013 s’établit à 48 987, 00 € ; que le tribunal fixera l’indemnité pour préjudice économique à 137 163, 60 € (48 987, 00 € x 28 mois x 10 %) ; / [

] attendu qu’en conséquence le tribunal condamnera l’Eurl Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 137 163, 60 € au titre de l’indemnité pour préjudice économique ; / [

] sur les demandes reconventionnelles de l’Eurl Beratti : attendu que Beratti demande au tribunal de condamner Grandvision France à lui payer une somme de 319 740 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice économique résultant de la rupture abusive du contrat de franchise ainsi qu’une somme de 20 000 € au titre de son préjudice moral ; / attendu qu’au vu du jugement qui sera rendu, le tribunal recevra l’Eurl Beratti en sa demande reconventionnelle, l’y dira mal fondée et l’en déboutera » (cf., jugement entrepris, p. 13 à 16) ;

ALORS QUE, de première part, sauf urgence, une partie à un contrat ne peut, en raison de la gravité du comportement de l’autre partie, mettre fin de façon unilatérale au contrat à ses risques et périls qu’après avoir mis en demeure cette autre partie de satisfaire à son engagement ou de remédier à l’inexécution de ses obligations dans un délai raisonnable ; qu’en considérant, dès lors, pour dire bien fondée la résiliation unilatérale en date du 11 avril 2014 par la société Grandvision France du contrat de franchise qui la liait à l’Eurl Beratti aux torts exclusifs de cette dernière, pour condamner l’Eurl Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 137 163, 60 euros à titre d’indemnité pour préjudice économique et pour dire l’Eurl Beratti mal fondée en ses demandes reconventionnelles, que l’Eurl Beratti avait commis des manquements qui justifiaient que la société Grandvision France eût prononcé la résiliation unilatérale du contrat de franchise pour manquement grave du franchisé, sans constater que la société Grandvision France avait adressé à l’Eurl Beratti, avant de lui notifier, par sa lettre en date du 11 avril 2014, la résiliation unilatérale du contrat de franchise en date du 24 août 2011, une mise en demeure de satisfaire à ses obligations ou de remédier à l’inexécution de celles-ci, ni caractériser une situation d’urgence, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;

ALORS QUE, de deuxième part et à titre subsidiaire, lorsque le contrat prévoit qu’une partie pourra, en cas d’inexécution par l’autre partie de l’une de ses obligation, résilier unilatéralement le contrat sous réserve de suivre une procédure particulière, cette partie ne peut, en raison de la gravité du comportement de l’autre partie, mettre fin de façon unilatérale au contrat qu’après avoir suivi cette procédure particulière ; qu’en énonçant, par conséquent, pour dire bien fondée la résiliation unilatérale en date du 11 avril 2014 par la société Grandvision France du contrat de franchise qui la liait à l’Eurl Beratti aux torts exclusifs de cette dernière, pour condamner l’Eurl Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 137 163, 60 euros à titre d’indemnité pour préjudice économique et pour dire l’Eurl Beratti mal fondée en ses demandes reconventionnelles, que l’Eurl Beratti avait commis des manquements qui justifiaient que la société Grandvision France eût prononcé la résiliation unilatérale du contrat de franchise pour manquement grave du franchisé et que la société Grandvision France était, dès lors, dispensée de suivre la procédure, régissant la résiliation unilatérale par la société Grandvision France du contrat de franchise en cas de manquement de l’Eurl Beratti à l’une de ses obligations, prévue au contrat dans le seul cas d’un manquement sans gravité particulière, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;

ALORS QUE, de troisième part, seul un manquement grave d’une partie à un contrat à ses obligations peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls ; que le manquement d’une société partie à un contrat à ses obligations ne peut être regardé comme suffisamment grave pour permettre à l’autre partie de mettre fin au contrat de façon unilatérale si les faits constitutifs de ce manquement ont été commis à l’insu de la direction de cette société ; qu’en se bornant, dès lors, à énoncer, au sujet du grief formulé à l’encontre de l’Eurl Beratti consistant à avoir utilisé une ordonnance non nominative, pour dire bien fondée la résiliation unilatérale en date du 11 avril 2014 par la société Grandvision France du contrat de franchise qui la liait à l’Eurl Beratti aux torts exclusifs de cette dernière, pour condamner l’Eurl Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 137 163, 60 euros à titre d’indemnité pour préjudice économique et pour dire l’Eurl Beratti mal fondée en ses demandes reconventionnelles, qu’il était établi que plusieurs employés, voire même dirigeants, de l’Eurl Beratti avaient utilisé le procédé frauduleux de la falsification d’ordonnances dans le but de permettre des remboursements de mutuelle qui n’auraient pas dû exister pour cinq dossiers, quand, en se déterminant de la sorte, elle ne caractérisait pas que, contrairement à ce que soutenait l’Eurl Beratti, le dirigeant de l’Eurl Beratti s’était aperçu, lorsqu’elle avait eu lieu, de l’utilisation d’une ordonnance non nominative, la cour d’appel a violé les dispositions des articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 ;

ALORS QUE, de quatrième part, seul un manquement grave d’une partie à un contrat à ses obligations peut justifier que l’autre partie y mette fin de façon unilatérale à ses risques et périls ; qu’un manquement d’une partie à un contrat à ses obligations ne peut être regardé comme suffisamment grave pour permettre à l’autre partie de mettre fin au contrat de façon unilatérale si cette autre partie a, pendant une longue période, eu connaissance de ce manquement sans réagir ; qu’en considérant, par conséquent, pour dire bien fondée la résiliation unilatérale en date du 11 avril 2014 par la société Grandvision France du contrat de franchise qui la liait à l’Eurl Beratti aux torts exclusifs de cette dernière, pour condamner l’Eurl Beratti à payer à la société Grandvision France la somme de 137 163, 60 euros à titre d’indemnité pour préjudice économique et pour dire l’Eurl Beratti mal fondée en ses demandes reconventionnelles, que l’utilisation par l’Eurl Beratti, malgré un avertissement solennel donné par la société Grandvision France le 24 janvier 2012, d’un fichier Excel dans le but de modifier une vingtaine de factures caractérisait un manquement grave de l’Eurl Beratti à ses obligations contractuelles justifiant que la société Grandvision France eût prononcé la résiliation unilatérale du contrat de franchise, sans rechercher, ainsi qu’elle y avait été invitée par l’Eurl Beratti, si, postérieurement au 24 janvier 2012, la société Grandvision France n’avait pas eu connaissance, sans pour autant réagir avant le 11 avril 2014, de tels faits grâce à l’accès à toutes les informations concernant l’Eurl Beratti dont elle avait bénéficié lors des visites de contrôle de l’Eurl Beratti qu’elle effectuait quatre fois par an, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1134 et 1184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016.

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Cour de cassation, Chambre commerciale, 9 juillet 2019, 18-14.029, Inédit