Tribunal administratif de Nancy, 17 mars 2020, n° 2000637-2000639

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Sur la décision

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE NANCY

N° 2000637 2000639 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________


Mme A…


Mme C… AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS ___________


Mme F… G…

Juge des référés Le juge des référés ___________

Ordonnance du 17 mars 2020 ___________

54-035-02 C

Vu la procédure suivante :

I. Par une requête enregistrée le 5 mars 2020 et un mémoire enregistré le 15 mars 2020, sous le n°2000637, Mme E… A…, représentée par Me B…, demande au tribunal :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté du 14 février 2020 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a prévu notamment l’abattage du sanglier Victor ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que : en ce qui concerne l’urgence :

- la condition d’urgence est remplie, dès lors qu’est en jeu la vie d’un animal domestiqué à laquelle l’administration veut mettre fin sans qu’une urgence ne le justifie et qu’une telle perspective a des effets irrémédiables ;

- qu’aucun impératif de santé publique ne vient contrebalancer l’atteinte à ses intérêts et à ceux du sanglier en ce qui concerne le moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision :

- l’arrêté contesté est entaché d’un vice de procédure dès lors que la procédure contradictoire n’a pas été respectée ;

- l’arrêté contesté est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que ce sanglier, du fait des conditions de sa captivité, n’est pas susceptible de transmettre la maladie à d’autres sangliers ou à des porcs domestiques et qu’il aurait pu être vacciné ;

- par la voie de l’exception, l’arrêté du 24 octobre 2019 est illégal en l’absence de procédure contradictoire ;



N° 2000637 2000639 2

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la condition d’urgence n’est pas remplie ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions.

II. Par une requête enregistrée le 5 mars 2020 et un mémoire enregistré le 15 mars 2020, sous le n°2000639, Mme D… C…, représentée par Me B…, demande au tribunal :

1°) de suspendre l’exécution de l’arrêté du 14 février 2020 par lequel le préfet de Meurthe-et-Moselle a prévu notamment l’abattage de X ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que : en ce qui concerne l’urgence :

- la condition d’urgence est remplie, dès lors qu’est en jeu la vie d’un animal domestiqué à laquelle l’administration veut mettre fin sans qu’une urgence ne le justifie et qu’une telle perspective a des effets irrémédiables ;

- qu’aucun impératif de santé publique ne vient contrebalancer l’atteinte à ses intérêts et à ceux du sanglier en ce qui concerne le moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision :

- l’arrêté contesté est entaché d’un vice de procédure dès lors que la procédure contradictoire n’a pas été respectée ;

- l’arrêté contesté est entaché d’une erreur manifeste d’appréciation dès lors que ce sanglier, du fait des conditions de sa captivité, n’est pas susceptible de transmettre la maladie à d’autres sangliers ou à des porcs domestiques et qu’il aurait pu être vacciné ;

- par la voie de l’exception, l’arrêté du 24 octobre 2019 est illégal en l’absence de procédure contradictoire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2020, le préfet de Meurthe-et-Moselle conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la condition d’urgence n’est pas remplie ;

- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions.

Vu :

- les autres pièces des dossiers ;

- les requêtes n° 2000638 et n° 2000640 enregistrées les 4 et 5 mars 2020, par lesquelles Mmes A… et C… demandent l’annulation des arrêtés du 14 février 2020.

Vu :

- le code rural et de la pêche maritime ;



N° 2000637 2000639 3

- l’arrêté du 28 janvier 2009 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et à la police sanitaire de la maladie d’Aujeszky dans les départements reconnus « indemnes de maladie d’Aujeszky » ;

- l’arrêté du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et de deuxième catégorie pour les espèces animales ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme G…, vice-présidente, en application de l’article L. 511-2 du code de justice administrative pour statuer sur les demandes de référés.

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 16 mars 2020 à 10h00 :

- le rapport de Mme G…, juge des référés,

- les observations de Me B…, représentant Mmes A… et C… qui conclut aux mêmes fins que la requête par les mêmes moyens tout en précisant que ce sont les seules mesures d’abattage qui sont contestées et en faisant en outre valoir que :

* le délai de quatre jours pour leur permettre de faire des observations était insuffisant ;

* c’est en méconnaissance du principe du contradictoire que le préfet accepté une rencontre postérieure à l’édiction de l’arrêté,

* la décision de la commission du 21 février 2008 n’est pas transposable au cas d’espèce et prévoit au demeurant la vaccination ;

* le préfet n’a fait aucune étude épidémiologique et s’il l’a fait, s’abstient d’en communiquer la teneur ;

* l’arrêté du 28 janvier 2009 prévoit des dérogations à l’interdiction de vaccination, vaccination qui est d’ailleurs autorisée en Moselle sur des chiens ;

* les requérantes ne sont pas opposées à une surveillance de leur sanglier ;

- et les observations de M. H…, représentant le préfet de Meurthe-et-Moselle qui conclut aux mêmes fins que le mémoire en défense tout en précisant que la vaccination, en principe interdite, ne fait pas obstacle à la propagation de la maladie ; qu’elle est effectuée sur des chiens en raison des effets dévastatrices de la maladie sur ces animaux ; que la réunion postérieure aux arrêtés en litige est sans lien avec la procédure contradictoire qui permettaient aux requérantes de formuler des observations dans un délai de quatre jours dont elles n’ont pas demandé le report ; que le cas d’espèce ne relève pas des dérogations prévues par l’article 19 de l’arrêté du 28 janvier 2009 ; que la maladie peut se transmettre par la voie respiratoire dans un périmètre de 2 à 3 kilomètres et qu’il ne peut être exclu qu’un élevage mesuré de porcs non déclaré puisse se trouver dans ce périmètre ; qu’une étude épidémiologique a bien été réalisée mais n’a permis de conclure à aucune infection aux alentours.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience, à 12h00.

Considérant ce qui suit :

1. Mmes A… et C… sont propriétaires de deux sangliers domestiqués qui vivent dans un enclos totalement clôturé d’une superficie d’environ cinq hectares dans un ensemble de 52 hectares. A l’initiative des requérantes, une prise de sang a été effectuée pour déterminer si les animaux étaient porteurs de la maladie d’Aujeszky. Le test s’est révélé non négatif. Par deux arrêtés du 24 octobre 2019, le préfet a mis sous surveillance l’exploitation constituée des deux seuls sangliers. Le second prélèvement sanguin s’est révélé positif. Le 12 novembre 2019, le préfet a pris deux arrêtés de déclaration d’infection d’une exploitation par la maladie d’Aujeszky.



N° 2000637 2000639 4

Un recours gracieux a été formé contre ces arrêtés qui a été rejeté. Par deux lettres en date du 27 janvier 2020, notifiées le 28 janvier 2020, le préfet a informé les requérantes qu’il entendait abroger les arrêtés du 12 novembre 2019, ordonner entre autres l’abattage des animaux dans un délai de huit jours et invitait les requérantes à formuler des observations dans un délai de quatre jours. Les requérantes, au moyen d’un courriel adressé par leur conseil, ont sollicité la possibilité de formuler des observations orales lors d’une réunion dont il a été convenu qu’elle se déroulerait le 21 février 2020. Le 14 février 2020, le préfet a pris deux arrêtés de déclaration d’infection d’une exploitation par la maladie d’Aujeszky. Par leur requête, qu’il y a lieu de joindre, Mmes A… et C…, demandent la suspension de l’exécution de ces deux décisions, en tant qu’elles prévoient uniquement l’abattage des suidés.

Sur les conclusions aux fins de suspension :

2. Aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : « Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision ». La suspension de l’exécution d’une décision administrative est ainsi subordonnée à la double condition qu’il y ait urgence et que l’un au moins des moyens invoqués soit, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.

En ce qui concerne l’urgence :

3. L’urgence justifie la suspension de l’exécution d’un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Il appartient au juge des référés, d’apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l’acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l’exécution de la décision soit suspendue. L’urgence doit être appréciée objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

4. Il résulte de l’instruction que les deux sangliers atteints de la maladie d’Aujeszky, classée dans la liste des maladies de première catégorie, sont enfermés dans un enclos, d’une superficie de 5 hectares, entouré d’une clôture en maille soudée, sur des piquets métalliques en T, enterrés d’une hauteur supérieure à 1 mètre 80 renforcés par deux lignes de barbelés à environ 20/30 centimètres du sol. Cet enclos est lui-même situé dans une propriété privée close d’une superficie de 52 hectares. Ils sont nourris par une personne unique qui n’entre pas dans l’enclos. Alors que les autres mesures sanitaires contenues dans les arrêtés en litige ne sont pas contestées et que le risque de la propagation de la maladie, y compris par voies respiratoire et indirecte par des personnes ou du matériel, n’est, comme il va être précisé ci-après, pas établie, la suspension de l’exécution des arrêtés en litige en tant qu’ils prévoient l’abattage des deux sangliers n’apparaît pas, en l’état de l’instruction, inconciliable avec la protection de la santé publique. Dans ces conditions, au regard conséquences irréversibles des mesures contestées, la condition d’urgence posée par l’article L. 521-1 du code de justice administrative doit être regardée comme remplie.



N° 2000637 2000639 5

En ce qui concerne le caractère sérieux des moyens soulevés :

5. Aux termes, d’une part, de l’article L. 201-1 du code rural et de la pêche maritime : «. -Pour l’application du présent livre, sous réserve de dispositions particulières, on entend par dangers sanitaires : 1° Les dangers qui sont de nature à porter atteinte à la santé des animaux ou à la sécurité sanitaire des aliments et les maladies d’origine animale qui sont transmissibles à l’homme ; (…). II.- Les dangers sanitaires mentionnés au 1° du I sont classés selon les trois catégories suivantes : 1° Les dangers sanitaires de première catégorie sont ceux qui étant de nature, par leur nouveauté, leur apparition ou persistance, à porter une atteinte grave à la santé publique ou à la santé des animaux à l’état sauvage ou domestique ou à mettre gravement en cause, par voie directe ou par les perturbations des échanges commerciaux qu’ils provoquent, les capacités de production d’une filière animale, requièrent, dans un but d’intérêt général, des mesures de prévention, de surveillance ou de lutte rendues obligatoires par l’autorité administrative ; (…) ». L’annexe 1 de l’arrêté du 29 juillet 2013 relatif à la définition des dangers sanitaires de première et de deuxième catégorie pour les espèces animales classe la maladie d’Aujeszky au nombre des dangers sanitaires de première catégorie pour tous les mammifères.

6. Aux termes, d’autre part, de l’article L. 223-8 du code rural et de la pêche maritime : « Après la constatation d’une maladie classée parmi les dangers sanitaires de première catégorie ou parmi les dangers sanitaires de deuxième catégorie faisant l’objet d’une réglementation, le préfet statue sur les mesures à mettre en exécution dans le cas particulier. Il prend, s’il est nécessaire, un arrêté portant déclaration d’infection remplaçant éventuellement un arrêté de mise sous surveillance. Cette déclaration peut entraîner, dans le périmètre qu’elle détermine, l’application des mesures suivantes : (…) 8° L’abattage des animaux malades ou contaminés ou des animaux ayant été exposés à la contagion, ainsi que des animaux suspects d’être infectés ou en lien avec des animaux infectés dans les conditions prévues par l’article L. 223-6 ; (…) ». Aux termes de l’article 18 de l’arrêté de l’arrêté du 28 janvier 2009 fixant les mesures techniques et administratives relatives à la prophylaxie collective et à la police sanitaire de la maladie d’Aujeszky dans les départements reconnus « indemnes de maladie d’Aujeszky », au nombre desquels figure le département de Meurthe-et-Moselle » : « Lorsqu’un site d’élevage porcin est déclaré infecté par la maladie d’Aujeszky, le préfet prend, sur proposition du directeur départemental des services vétérinaires, un arrêté préfectoral portant déclaration d’infection qui entraîne, outre la suspension, le cas échéant, de la qualification « indemne de maladie d’Aujeszky », l’application des mesures d’assainissement suivantes : (…) 6. L’abattage dans les meilleurs délais de tous les porcins détenus dans l’exploitation. (…) » .

7. Il ressort des motifs des arrêtés contestés qui ont conduit le préfet à ordonner notamment l’abattage des sangliers que ces derniers peuvent « à tout moment être excréteurs du virus de la maladie d’Aujeszky et être à l’origine de la contamination d’autres animaux de la faune domestique ou sauvage ». Il résulte cependant de l’instruction et est admis par le préfet que la maladie d’Aujeszky n’est pas transmissible à l’homme, que la contamination se fait principalement par voie vénérienne et que des sangliers sauvages peuvent être porteurs dudit virus. Par ailleurs, sachant que la maladie a été constatée en novembre 2019, il a été confirmé à la barre par le représentant du préfet qu’aux termes d’une étude épidémiologique, aucune contamination de mammifère n’avait été constaté dans un périmètre proche de la propriété privée dans lequel l’enclos se situe. Dans ces circonstances particulières, au regard du fait que l’exploitation est constituée des deux seuls sangliers en litige qui sont nourris par une seule personne de l’extérieur de l’enclos, de leurs conditions de détention rappelés au point 4 de la



N° 2000637 2000639 6

présente ordonnance, de l’absence de toute exploitation porcine dans un rayon de sept kilomètres, circonstances qui rendent difficile toute contamination par voies respiratoire et indirecte via des personnes ou du matériel et des autres mesures sanitaires non contestées prescrites par les décisions contestées qui pourront, le cas échant, être renforcées, le moyen tiré du caractère disproportionné de l’abattage des deux sangliers, au regard de l’objectif de protection sanitaire poursuivi paraît, en l’état de l’instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité des mesures contestées.

8. Il résulte de ce qui précède que Mme A… et Mme C… sont fondées à demander la suspension de l’exécution des arrêtés du 14 février 2020 de déclaration d’infection d’une exploitation par la maladie d’Aujeszky en tant uniquement qu’ils prévoient l’abattage des sangliers Victor et X.

Sur les frais liés à l’instance :

9. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la somme de 750 euros au bénéfice d’une part de Mme A… et d’autre part de Mme C… au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E:

Article 1er : L’exécution des arrêtés du 14 février 2020 de déclaration d’infection d’une exploitation par la maladie d’Aujeszky en tant uniquement qu’ils prévoient l’abattage des sangliers Victor et X est suspendue.

Article 2 : L’Etat versera à Mmes A… et C…, chacune la somme de 750 (sept cent cinquante) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme E… A…, à Mme D… C… et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.

Copie en sera adressé au préfet de Meurthe-et-Moselle.

Fait à Nancy, le 17 mars 2020.

Le juge des référés,

V. G…

La République mande et ordonne au ministre de l’agriculture et de l’alimentation en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Textes cités dans la décision

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  2. Code rural
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Tribunal administratif de Nancy, 17 mars 2020, n° 2000637-2000639