Tribunal administratif de Poitiers, 17 novembre 2020, n° 1801840

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE POITIERS

1801840 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

ASSOCIATION CONTRE L’ELEVAGE BIO- INDUSTRIEL A CHARROUX AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS ___________
Mme Jeanne Y Rapporteur Le tribunal administratif de Poitiers ___________ (2ème chambre) M. Frédéric Plas Rapporteur public ___________

Audience du 22 octobre 2020 Lecture du 17 novembre 2020 ___________ C+ 44-02-02-01

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er août 2018, le 24 juin 2019, le 31 juillet 2019, le 1er septembre 2019 et le 5 mai 2020, l’association contre l’élevage bio-industriel à Charroux, représenté par Me de Dieuleveult, demande au tribunal :

1°) à titre principal, d’annuler l’arrêté du 6 avril 2018 par laquelle la préfète de la Vienne a enregistré la demande d’installation de la SARL Les Pins concernant l’enregistrement d’une exploitation de porcs au lieu-dit « la tombe du pèlerin » sur la commune de Charroux ;

2°) à titre subsidiaire, d’enjoindre à la préfète de la Vienne d’examiner la demande sous le régime de l’autorisation et non de l’enregistrement ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- La décision attaquée a été prise par une autorité incompétente :

En l’absence de délégation de signature précise et publiée de la préfète de la Vienne à M. X, signataire de l’acte attaqué ;

En l’absence de signature de la préfète de la Loire-Atlantique, le projet portant en réalité sur deux installations, une dans la Vienne et une autre en Loire- Atlantique ;

- Elle est entachée d’une insuffisance de motivation sur l’absence de basculement en procédure d’autorisation ;



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- Elle a été prise au vu d’un dossier de demande d’enregistrement insuffisant :

- En l’absence de signature de la demande de permis de construire par un architecte, ou en raison d’une signature de complaisance ;

- En l’absence de précisions suffisantes sur les capacités techniques et financières du pétitionnaire ;

- En raison de l’insuffisance des informations portées en cas de cessation d’activité ;

- En raison de l’absence de contrôle de l’atteinte au patrimoine archéologique ;

- En l’absence de précision suffisante sur l’impact du projet sur la ressource en eau ;

- En l’absence de précision suffisante du dossier par rapport à l’impact du projet sur les zones Natura 2000 et les zones naturelles d’intérêt écologique, faunistique et floristique (ZNIEFF) ;

- Elle est entachée d’un vice de procédure en l’absence d’information du public suffisante sur la capacité financière du pétitionnaire et sur le plan de financement;

- Le préfet aurait dû passer la demande du pétitionnaire sous le régime de l’autorisation et non de l’enregistrement, en raison de la nécessité de saisir le conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques (CODERST), au regard des atteintes à l’environnement, du nombre d’éléments complémentaires demandés, de la sensibilité de l’environnement, du nombre d’animaux présents sur l’exploitation ;

- Elle est entachée d’une erreur d’appréciation sur l’intensité du trafic routier induit par le projet ;

- Elle est entachée d’une erreur d’appréciation relative à l’épandage des effluents, les parcelles prévues ne permettant pas un tel épandage en raison de l’existence d’épandage d’effluents bovins en quantité sur les mêmes terres ;

- Elle est entachée d’une erreur d’appréciation, le projet portant atteinte au bien-être animal ;

- Elle est entachée d’une erreur d’appréciation au regard des troubles de voisinages occasionnés par le projet.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 22 novembre 2018, le 22 novembre 2018 et le 31 juillet 2019, la préfète de la Vienne conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par l’association contre l’élevage bio-industriel à Charroux ne sont pas fondés.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er avril 2019, le 31 juillet 2019, le 1er août 2019 et le 10 octobre 2019, la SARL Les Pins, représentée par la SCP KPL avocats, conclut au rejet de la requête et demande à ce qu’il soit mis à la charge de l’association requérante la somme de 3 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable ;

- les moyens soulevés par l’association contre l’élevage bio-industriel à Charroux ne sont pas fondés.



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Par ordonnance du 2 octobre 2019, la clôture d’instruction a été fixée au même jour.

Une demande de pièces pour compléter l’instruction a été communiquée aux parties le 16 octobre 2020. La SARL Les Pins y a répondu le 19 octobre 2020 et la préfète de la Vienne le 20 octobre 2020. Les pièces n’ont pas été communiquées.

L’association requérante a présenté un mémoire le 19 octobre 2020 qui n’a pas été communiqué.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l’environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme Y,

- les conclusions de M. Plas, rapporteur public,

- et les observations de Me de Dieuleveult, représentant l’association contre l’élevage bio-industriel à Charroux, et de Me Kolenc, représentant la SARL Les Pins.

Une note en délibéré a été produite par la préfète de la Vienne le 12 novembre 2020.

Considérant ce qui suit :

1. Le 19 octobre 2017, la SARL Les Pins a déposé un dossier d’enregistrement au titre des installations classées pour la protection de l’environnement pour l’exploitation d’un élevage porcin sur le territoire de la commune de Charroux. Par arrêté du 30 novembre 2017, la préfète de la Vienne a ordonné une consultation du public du 2 au 29 janvier 2018. Par arrêté du 6 avril 2018, la préfète de la Vienne a procédé à l’enregistrement de l’exploitation de la SARL Les Pins. Il s’agit de la décision dont l’annulation est demandée.

Sur les fins de non-recevoir soulevées en défense :

2. Les défendeurs soulèvent une première fin de non-recevoir tirée de l’illégalité de la constitution de l’association requérante, dès lors que son siège social est dans un bâtiment à usage agricole illégalement transformé en habitation. Cependant, la seule circonstance que le bâtiment se trouvant à l’adresse où l’association a entendu établir son siège social méconnaitrait les règles d’urbanisme applicables est sans incidence sur la légalité de la déclaration de ce siège, dès lors qu’il n’est pas contesté que l’association y est bien domiciliée et, qu’au surplus, son président y réside. La fin de non-recevoir sera donc écartée.



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3. Les défendeurs soulèvent une deuxième fin de non-recevoir tirée de l’absence d’autorisation pour le président d’ester en justice, en l’absence de précision des statuts sur ce point. Néanmoins, il résulte de l’instruction, et notamment du procès-verbal d’assemblée générale du 27 avril 2019, que celle-ci a bien habilité le président de l’association à la représenter dans le présent litige. La fin de non-recevoir sera donc écartée.

4. Les défendeurs soulèvent une dernière fin de non-recevoir tirée du caractère fictif de l’association requérante. Il ressort toutefois des pièces du dossier que l’association rassemble une trentaine de membres, et qu’elle tient régulièrement des assemblées générales. Ses statuts ont été déposés en préfecture. La fin de non-recevoir sera donc écartée.

Sur les conclusions à fin d’annulation

5. Aux termes de l’article L. 512-7-2 du code de l’environnement, « Le préfet peut décider que la demande d’enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour les autorisations environnementales : 1° Si, au regard de la localisation du projet, en prenant en compte les critères mentionnés au point 2 de l’annexe III de la directive 2011/92/UE du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement, la sensibilité environnementale du milieu le justifie ; 2° Ou si le cumul des incidences du projet avec celles d’autres projets d’installations, ouvrages ou travaux situés dans cette zone le justifie ; 3° Ou si l’aménagement des prescriptions générales applicables à l’installation, sollicité par l’exploitant, le justifie ; Dans les cas mentionnés au 1° et au 2°, le projet est soumis à évaluation environnementale. Dans les cas mentionnés au 3° et ne relevant pas du 1° ou du 2°, le projet n’est pas soumis à évaluation environnementale. Le préfet notifie sa décision motivée au demandeur, en l’invitant à déposer le dossier correspondant. Sa décision est rendue publique ». Aux termes de l’article R. 512-46-9 du même code : « Dans les cas prévus au 1°, en tenant compte notamment des atteintes potentielles aux objectifs de conservation des sites Natura 2000, au 2° et au 3° de l’article L. 512-7-2, le préfet peut décider que la demande d’enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par les dispositions de la sous-section 2 de la section 1 du présent chapitre. Cette décision peut intervenir jusqu’à trente jours suivant la fin de la consultation du public organisée en application des dispositions du § 1 de la présente sous- section. En ce cas, le préfet invite le demandeur à compléter son dossier de demande conformément aux dispositions de l’article R. 512-6, notamment par la production de l’étude d’impact et de l’étude de dangers mentionnées aux 4° et 5° du même article. La décision motivée du préfet est publiée au recueil des actes administratifs de la préfecture.»

6. Ainsi, si une installation soumise à enregistrement est en principe dispensée d’une évaluation environnementale préalable à son enregistrement, le préfet saisi d’une demande d’enregistrement doit, en application des dispositions des articles L. 512-7-2 et R. 512-46-9 du code de l’environnement pris pour son application, se livrer à un examen particulier du projet au regard notamment de sa localisation et de la sensibilité environnementale de la zone d’implantation ou du cumul des incidences du projet avec celles d’autres projets d’installations, ouvrages ou travaux situés dans la même zone afin de déterminer si une évaluation environnementale est nécessaire. Ces critères doivent s’apprécier, notamment au regard de la qualité et de la capacité de régénération des ressources naturelles de la zone concernée, indépendamment des mesures prises par le pétitionnaire pour limiter l’impact de son projet sur l’environnement.



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7. L’association soutient que la sensibilité environnementale de cette zone justifiait que la demande de la SARL Les Pins soit instruite selon les règles de la procédure d’autorisation, conformément aux dispositions précitées de l’article L. 512-7-2 du code de l’environnement. À l’appui de ce moyen, elle se prévaut notamment de la situation régionale en matière de concentration en nitrates dans l’eau potable et de la circonstance que toutes les parcelles concernées par le plan d’épandage sont situées en zone vulnérable à la pollution par les nitrates d’origine agricole.

8. En l’espèce, il n’est pas contesté que l’ensemble de la zone dans laquelle se situe le projet et où l’épandage est envisagé est considéré comme vulnérable à la pollution en nitrates, comme le rappelle un rapport de l’agence régionale de santé de 2014. Le projet d’exploitation se situe dans le périmètre des schémas directeur d’aménagement et de gestion des eaux Loire Bretagne et Adour Garonne. Le premier de ces schémas a pour première orientation la réduction de la pollution par les nitrates, tandis que le second vise à réduire les pollutions de manière générale. Il est par ailleurs constant que les parcelles destinées à l’épandage du projet sont déjà utilisées pour épandre les effluents d’autres exploitations, augmentant ainsi la quantité de nitrates dans le secteur. En outre, 52,1 hectares des 556 initialement prévus sont interdits d’épandage, 192 des 556 hectares destinés à l’épandage sont situés dans des aires de captage en eau potable, dont 92 en zone d’action renforcée au titre du programme « Directive Nitrate », soit des zones qui présentent une teneur en nitrates supérieure à 50 mg/l et qui fournissent plus de 10 m3/jour ou qui desservent plus de 50 personnes. De plus, l’étude pédologique incluse dans l’étude préalable à l’épandage indique que celui-ci sera réalisé, pour une large part, sur des sols présentant des signes d’hydromorphie temporaire, ce qui entraine des risques de ruissellement en cas de période de saturation en eau. Enfin, il résulte de la lecture de la décision attaquée qu’Eaux de Vienne a émis des réserves sur le projet, en raison des risques de pollution que celui-ci entraîne.

9. La préfète fait valoir en défense qu’elle a tenu compte des risques de pollution au nitrate en édictant notamment des prescriptions complémentaires tendant à exclure les parcelles concernées du plan d’épandage aux périodes de l’année où ceux-ci pourraient entraîner une pollution importante des eaux potables. De même, la SARL pétitionnaire indique que le plan d’épandage tient compte de ces risques et permet de les minimiser. Toutefois, il résulte des dispositions précitées du code de l’environnement que la sensibilité du milieu doit être évaluée préalablement à la prise de mesures correctrices, et non au regard de celles-ci. Eu égard à la sensibilité du milieu aux nitrates et aux conséquences que le projet d’exploitation était susceptible d’avoir sur l’environnement au regard de cette sensibilité, il appartenait à la préfète, avant de procéder à l’enregistrement, d’instruire la demande selon les règles prévues pour la procédure d’autorisation en invitant, notamment, le pétitionnaire à compléter son dossier de demande par la production de l’étude d’impact mentionnée au 4° de l’article R. 512-6 du code de l’environnement. Les requérants sont dès lors fondés à soutenir qu’en s’abstenant de soumettre le projet à la procédure d’autorisation, laquelle prévoit la soumission par le pétitionnaire d’une étude d’impact et d’une enquête publique, qui présentent le caractère d’une garantie pour le public et sont susceptibles d’exercer une influence sur le sens de la décision, la préfète de la Vienne a entaché sa décision d’un vice de procédure de nature à entraîner l’annulation de l’arrêté attaqué.

10. En outre, aux termes de l’article L. 512-7-3 du code de l’environnement, « L’arrêté d’enregistrement est pris par le préfet après avis des conseils municipaux intéressés. (… ) Le préfet ne peut prendre l’arrêté d’enregistrement que si le demandeur a justifié que les conditions de l’exploitation projetée garantiraient le respect de l’ensemble des prescriptions générales, et éventuellement particulières, applicables, et qu’il possède les capacités techniques et financières



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pour assurer tant l’exploitation de l’installation que la remise en état du site après son arrêt définitif. ».

11. En l’espèce, il est constant que le dossier de la SARL Les Pins ne présente pas de document portant sur ses capacités techniques à exploiter un élevage de près de 2 000 porcs. Si la société pétitionnaire et la préfète soutiennent en défense que la SARL a été créée par des personnes ayant elles-mêmes une expérience certaine dans la gestion d’exploitations agricoles, cette seule circonstance ne pouvait tenir lieu de justification suffisante des capacités techniques pour exploiter l’installation et remettre en état le site après l’arrêt définitif, tel qu’exigé par les dispositions précitées. Dès lors, les éléments fournis n’ont pas permis une information complète du public et l’association requérante est fondée à soutenir que le dossier fourni ne permettait pas une information complète du public en l’absence de toute justification précise des capacités techniques du pétitionnaire.

12. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens soulevés dans la requête, que la décision du 6 avril 2018 portant enregistrement de l’exploitation de la SARL Les Pins doit être annulée.

13 . Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre solidairement à la charge de l’Etat et de la SARL Les Pins la somme de 1 200 euros à verser à l’association contre l’élevage bio-industriel à Charroux au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La décision du 6 avril 2018 portant enregistrement de l’élevage de porcs de la SARL Les Pins est annulée.

Article 2 : L’Etat et la SARL Les Pins verseront solidairement à l’association contre l’élevage bio-industriel à Charroux la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.



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Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l’association contre l’élevage bio-industriel à Charroux, à la ministre de la transition écologique et à la SARL Les Pins.

Copie en sera adressée à la préfète de la Vienne.

Délibéré après l’audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :

M. B, président, Mme Y, conseiller, M. Fernandez, conseiller,

Lu en audience publique le 17 novembre 2020.

Le rapporteur, Le président,

signé signé

J. Y D. B

La greffière,

signé

G. FAVARD

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef, La greffière,

G. FAVARD

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