Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 17 décembre 2019, n° 17/09695

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Chronologie de l’affaire

Commentaires11

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Blip · 23 juin 2023

La question de la réappropriation d'une œuvre existante est un sujet très fréquent dans la création. L'histoire de l'art est nourrie de ces reprises qui ont permis, notamment, de repenser la question de l'originalité et de la paternité d'une œuvre. Aujourd'hui, cette question est d'autant plus importante que l'essor des technologies numériques, avec celui de l'Intelligence Artificielle, permet de créer de nouvelles œuvres à partir d'une base créative existante. Fréquentes dans l'histoire de l'art, les réappropriations posent question au regard du droit. Dans certains cas, ces œuvres, …

 

www.flpavocats.com · 23 novembre 2022

Le droit d'auteur et la liberté d'expression Droit de la propriété intellectuelle Des exceptions légales au monopole de l'auteur Certaines exceptions légales au monopole d'exploitation des auteurs – ou de leurs ayants droit – d'œuvres protégées par le droit d'auteur découlent de la liberté d'expression. L'article L.122-5 prévoit ainsi que l'auteur ne peut interdire les analyses et courtes citations, la diffusion de discours prononcés dans des assemblées politiques, administratives, judiciaires ou académiques, les parodies et caricatures ou la reproduction d'une œuvre d'art graphique, …

 

www.wilhelmassocies.com · 18 mars 2022

Les campagnes publicitaires faites par des associations (SPA/La manif pour tous) peuvent aussi être sanctionnées pour parasitisme ! Delphine BRUN-CHAMPY, A l'occasion du litige opposant ces deux associations bien connues du grand public, la Cour de cassation a jugé que l'existence d'une activité économique n'était pas nécessaire à la mise en œuvre d'une action en parasitisme, rompant ainsi avec la jurisprudence établie en la matière. Cet arrêt est également l'occasion pour la Cour de donner une nouvelle illustration de la balance des intérêts à effectuer entre la liberté d'expression et …

 
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 1, 17 déc. 2019, n° 17/09695
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 17/09695
Décision précédente : Tribunal de grande instance de Paris, 8 mars 2017, N° 15/01086
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRÊT DU 17 DÉCEMBRE 2019

(n° 152/2019, 28 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 17/09695 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B3J4W

Décision déférée à la Cour : Jugement du 09 Mars 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS – RG n° 15/01086

APPELANTS

Madame C V-W D épouse X

Née le […] à THONON-LES-BAINS (74)

Artiste-peintre

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me I J de la SEP J LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1104

Monsieur E O P X

Né le […] à BOULOGNE-BILLANCOURT (92)

Directeur artistique

[…]

[…]

Représenté et assisté de Me I J de la SEP J LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1104

Madame R-S T-X

Née le […] à […]

Plasticienne

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me I J de la SEP J LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1104

Monsieur A B

Né le […] à […]

[…]

Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assisté de Me Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, toque : J001

Société H B LLC

Société de droit américain

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, toque : J001

INTIMÉS

Madame C V-W D épouse X

Née le […] à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie)

Artiste-peintre

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me I J de la SEP J LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1104

Monsieur E O P X

Né le […] à Boulogne-Billancourt (92)

Directeur artistique

[…]

[…]

Représenté et assisté de Me I J de la SEP J LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1104

Madame R-S T-X

Née le […] à […]

Plasticienne

[…]

[…]

Représentée et assistée de Me I J de la SEP J LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, toque : D1104

Monsieur A B

Né le […] à […]

[…]

[…]

Représenté par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assisté de Me Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, toque : J001

Société H B LLC

Société de droit américain

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Anne GRAPPOTTE-BENETREAU de la SCP GRAPPOTTE BENETREAU, avocats associés, avocat au barreau de PARIS, toque : K0111

Assistée de Me Emmanuel BAUD du PARTNERSHIPS JONES DAY, avocat au barreau de PARIS, toque : J001

CENTRE NATIONAL D’ART ET DE N F G Etablissement public national à caractère culturel créé par la loi n°75-1 du 03 janvier 1975

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

Place F G

[…]

Représentée par Me L TEYTAUD de l’AARPI TEYTAUD-SALEH, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assisté de Me Agnès TRICOIRE, avocat au barreau de PARIS, toque : C1207

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 23 Octobre 2019, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur David PEYRON, Président de chambre

Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère

M. L THOMAS, Conseiller

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience dans les conditions prévues à l’article 785 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Karine ABELKALON

ARRÊT :

• Contradictoire

• par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

• signé par David PEYRON, Président de chambre et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSÉ DES FAITS

Y-L X était un photographe français qui a fait sa carrière dans la réalisation de photographies pour des campagnes publicitaires.

En parallèle de son activité professionnelle, il a développé un travail personnel de créativité photographique de Q de nus en noir et blanc sans intention commerciale. Son nom est associé à l’art du portrait nu dans le milieu des photographes professionnels et son oeuvre est connue des collectionneurs et amateurs de photographies.

Décédé le 2 janvier 2014, lui ont succédé sa veuve, C D, son fils E X et sa petite-fille R-S T-X.

Dans le cadre des Q nus, Y-L X a réalisé en 1970, sous le titre 'Enfants’ une photographie en noir et blanc dont le tirage est conservé à la Bibliothèque Nationale et qui est reproduite dans sa monographie 'Y L X Q nus’ parue en 1984 aux éditions Contrejour.

Aucun tirage de cette photographie n’a été vendu mais le photographe avait consenti en 1975 à

l’éditer sous la forme d’une carte postale.

Selon ses héritiers il s’agit d’une oeuvre majeure du photographe qui témoigne de son art pour la réalisation des Q nus dans laquelle il a cherché à restituer la réalité de deux enfants nus se tenant mutuellement par l’épaule, donnant une impression de pureté et de tendresse.

Peu après son décès, ses héritiers exposent avoir découvert fortuitement dans un article posté en janvier 2014 qu’une sculpture intitulée 'Naked’ réalisée par H B présentait des similitudes avec la photographie 'Enfants', visible sur un site internet 'pigtails in paint'.

A B né aux Etats-Unis en 1955 est un artiste plasticien très côté sur le marché mondial de l’art contemporain, décrit comme héritier du pop art, fin connaisseur de l’art de son temps et admirateur enthousiaste de l’art du passé.

Il est réputé pour avoir bousculé le monde de l’art, en étant à l’origine de la réalisation de différentes oeuvres plastiques inspirées de la N de masse et de l’art ancien qui ont gagné une grande popularité.

L’artiste a créé en 2005 la société H B LLC dont il est le gérant afin de lui confier la partie de son travail artistique comprenant la fabrication des oeuvres, les expositions, les archives, la promotion des oeuvres, et de superviser sa carrière.

Il a été particulièrement médiatisé en France en 2008 à l’occasion de la présentation d’une partie de ses oeuvres au Château de Versailles dont le monumental Balloon Dog.

Il est l’auteur d’une sculpture nommée Naked en porcelaine de grande taille (115,6 cm hauteur et 68,60 diamètre) réalisée en 4 exemplaires en 1988 qui fait partie de la série Banality elle-même composée de 20 sculptures en porcelaine ou en bois polychrome.

Cette sculpture montre un jeune garçon et une jeune fille, nus, se tenant par l’épaule, le garçon présentant un bouquet de fleurs à la jeune fille.

Cette série est une nouvelle approche 'ready made’ qui dévoile dans un mélange de pop art et de kitch, des objets liés à la N populaire.

Alors que cette sculpture n’avait jamais été exposée au public en France, les héritiers de Y-L X ont appris qu’elle devait être présente à Paris dans le cadre d’une exposition itinérante 'H B, la rétrospective', du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015 au Centre national d’Art et de N F G (le 'Centre G') récapitulant des oeuvres choisies des différentes séries de l’artiste américain. Estimant l’oeuvre contrefaisante des droits d’auteur de Y L X, les héritiers par l’intermédiaire de leur conseil ont adressé le 20 octobre 2014 à H B C/ société, H B LLC, à New-York aux Etats-Unis une lettre recommandée aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi et le mettant en demeure de 's’abstenir d’exposer la sculpture Naked – notamment à l’occasion de l’exposition au Centre George G à Paris du 26 novembre 2014 au 27 avril 2015 – et en supprimer la reproduction de tout support quel qu’il soit' ainsi que de 'rappeler tous les exemplaires de la sculpture Naked'.

Sans réponse, les héritiers ont adressé un courrier reprenant les termes de leur mise en demeure à l’intention du Centre G par lettre recommandée du 25 novembre 2014, veille de l’ouverture de l’exposition au public.

Pour des raisons qui seraient liées à un endommagement de l’oeuvre pendant son transport, la sculpture a été retirée de l’exposition mais était déjà reproduite sur les supports de l’exposition en vente au public et a figuré dans les reportages et émissions diffusés en France au sujet de l’artiste et

de l’exposition.

Le Centre G indique que l’image de l’oeuvre litigieuse a par la suite été retirée de l’édition 2015 des albums et portfolios de l’exposition.

Par acte du 22 janvier 2015, les héritiers X ont assigné H B, la société H B LLC et le Centre G en contrefaçon de droit d’auteur et réparation.

Par jugement du 9 mars 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :

• constaté que la demande tendant à écarter certaines pièces des débats est devenue sans objet,

• déclaré C D veuve X, E X et R-S T-X recevables à agir en contrefaçon des droits d’auteur de la photographie 'Enfants',

• dit irrecevable l’action en contrefaçon dirigée contre monsieur A B à titre personnel,

• dit recevable l’action en contrefaçon relative à la reproduction en France de l’image de la sculpture Naked contre la société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G,

• dit que la société H B LLC et la Centre National d’Art et de N F G ont commis des actes de contrefaçon de la photographie 'Enfants’ en reproduisant et diffusant l’image de l’oeuvre Naked dans les ouvrages de l’exposition 'H B la rétrospective',

• dit que la société H B LLC a commis des actes de contrefaçon en reproduisant et diffusant l’image de l’oeuvre Naked sur le site internet www.H.B.com,

• interdit à la société H B LLC et au Centre National d’Art et de N F G la poursuite de ces agissements,

• condamné la société H B LLC à verser à C D veuve X, E X et R-S T-X la somme de 10.000 euros en réparation du préjudice patrimonial, et celle de 10.000 euros en réparation de l’atteinte au droit moral, et dit que le Centre National d’Art et de N F G est tenu in solidum avec la société H B LLC pour la moitié de ces sommes,

• condamné la société H B LLC à verser à C D veuve X, E X et R-S T-X la somme totale de 4.000 euros en réparation des préjudices patrimonial et moral au titre de la publication de l’oeuvre contrefaisante Naked sur son site internet,

• débouté C D veuve X, E X et R-S T-X du surplus de leurs demandes,

• dit n’y avoir lieu à publication,

• condamné la société H B LLC à verser à C D veuve X, E X et R-S T-X la somme globale de 20.000 euros, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et dit que le Centre G est tenu in solidum de la moitié de cette somme,

• ordonné l’exécution provisoire,

• condamné in solidum le Centre National d’Art et de N F G et la société H B LLC aux entiers dépens avec distraction au profit de maître I J en application de l’article 699 du code de procédure civile.

Les Consorts X ont fait appel du jugement, par déclaration du 12 mai 2017.

Monsieur A B et la société H B LLC ont fait appel le 18 juillet 2017.

Par ordonnance du 6 février 2018, les deux affaires ont été jointes.

Par conclusions du 5 septembre 2019, les consorts X demandent à la cour de :

• confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 mars 2017, en ce qu’il a :

• / déclaré les Consorts X recevables à agir en contrefaçon des droits d’auteur de la photographie « Enfants » ;

• / dit recevable et bien fondée l’action en contrefaçon relative à la reproduction en France de l’image de la sculpture « Naked » contre la Société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G ;

• / dit que la Société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G ont commis des actes de contrefaçon de la photographie « Enfants » en reproduisant et diffusant l’image de l''uvre « Naked » dans les ouvrages de l’exposition « H B la rétrospective » ;

• / dit que la Société H B LLC a commis des actes de contrefaçon en reproduisant et diffusant l’image de l''uvre « Naked » sur le site internet www.jeffkoons.com ;

• / interdit à la Société H B LLC et au Centre National d’Art et de N F G la poursuite de ces agissements ;

• / condamné in solidum la Société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G à verser aux Consorts X la somme globale de 20.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile et dit que le Centre National d’Art et de N F G est tenu in solidum de la moitié de cette somme ;

L’INFIRMER pour le surplus et statuant à nouveau :

• écarter des débats, ou à tout le moins juger non probantes, les pièces produites par H B et la Société H B LLC sous les n° 8.1 à 8.10 ;

• écarter des débats la pièce n° 103 visée dans les conclusions du Centre F G, faute de communication simultanée à l’appui des conclusions du 17 juillet 2019 ;

• juger que la sculpture « Naked » constitue la contrefaçon de la photographie « Enfants », dont C D, épouse X, E X et R-S T-X détiennent les droits d’auteur ;

• juger qu’en représentant et en reproduisant la sculpture « Naked » sur divers supports (ouvrages, catalogues, brochures, films, DVD, Internet'), A B, la Société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G se sont rendus coupables, au préjudice de C D, épouse X, E X et R-S T-X de contrefaçon des droits d’auteur dont ils sont titulaires sur la photographie « Enfants » ;

En conséquence,

• faire interdiction à A B, à la Société H B LLC et au Centre National d’Art et de N F G d’exposer en France la sculpture « Naked », sous astreinte de 10.000 € par infraction constatée, à compter de la signification de l’arrêt à intervenir;

• interdire à A B, à la Société H B LLC et au Centre National d’Art et de N F G de reproduire ou de faire reproduire la sculpture « Naked » sur quelque support que ce soit, sous astreinte de 1.000 € par infraction constatée à compter de la signification de l’arrêt à intervenir, l’infraction s’entendant de chaque reproduction de la sculpture et de chaque jour de retard sur un support quelconque, y compris les sites internet www.jeffkoons.com et www.centrepompidou.fr accessibles en France ;

• ordonner le retrait par A B, la Société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G de la vente et le rappel tous les exemplaires des catalogues, portfolios et albums « H B La Rétrospective » contenant la reproduction de la sculpture « Naked », ainsi que tout autre support (DVD'), sur lequel serait reproduite la sculpture litigieuse, aux fins de destruction sous contrôle d’huissier, sous astreinte de 1.000 €

• par jour de retard, à compter de la signification de l’arrêt à intervenir; dire que la Cour se réservera la liquidation des astreintes ordonnées ;

• condamner in solidum A B et la Société H B LLC à verser ensemble à C D, épouse X, E X et R-S T-X la somme de 1.000.000 € à titre de dommages intérêts, en réparation du préjudice résultant de l’atteinte portée aux droits moraux dont ils sont investis sur la photographie « Enfants » (800.000 € au titre de l’atteinte à l’intégrité de l''uvre et 200.000 € au titre de l’atteinte à la paternité) ;

• condamner le Centre National d’Art et de N F G, in solidum avec A B et la Société H B LLC au titre au titre de l’atteinte portée depuis 2014 en France aux droits moraux des ayants-droit de l’auteur, à hauteur de moitié desdites condamnations (400.000 € au titre de l’atteinte à l’intégrité de l''uvre et 100.000 € au titre de l’atteinte à la paternité) ;

• condamner in solidum A B et la Société H B LLC à verser ensemble à C D, épouse X, E X et R-S T-X la somme de 500.000 € à titre de dommages intérêts, en réparation du préjudice résultant de l’atteinte portée à leurs droits patrimoniaux sur la photographie « Enfants » ;

• condamner le Centre National d’Art et de N F G, in solidum avec A B et la Société H B LLC, au titre de l’atteinte portée depuis 2014 en France aux droits patrimoniaux des ayants-droit de l’auteur, à hauteur de moitié desdites sommes, soit 250.000 € ;

• débouter le Centre F G des fins de son appel et de toutes ses demandes ;

• débouter A B et la Société H B LLC des fins de leurs appels et de toutes leurs demandes ;

• juger irrecevable, et subsidiairement mal fondée, la demande de A B et de la Société H B LLC visant à voir faire application de la loi américaine et de la prescription triennale qui en résulterait ;

• juger irrecevable, et subsidiairement mal fondée, la demande de A B et de la Société H B LLC visant à voir dire que « l’oeuvre Naked de H B constitue une oeuvre originale protégée par le droit d’auteur » ;

• ordonner la publication de l’arrêt à intervenir, in extenso ou par extraits, dans trois journaux ou périodiques, au choix de C D, épouse X, E X et R-S T-X et aux frais avancés de A B, de la Société H B LLC et du Centre National d’Art et de N F G tenus in solidum, dans la limite de 5.000 € HT par insertion ;

• ordonner également la publication, pendant une durée de 30 jours, de l’arrêt à intervenir, sous la forme :

« La sculpture « Naked » présentée sur le site www.jeffkoons.com sous la rubrique «Banality» et à l’occasion de la rétrospective organisée par le Centre F G, a fait l’objet d’une condamnation pour contrefaçon de la photographie « Enfants » de Y-L X, par arrêt de la Cour d’Appel de Paris du’ »,

sur la page d’accueil des sites Internet accessibles aux adresses www.jeffkoons.com et www.centrepompidou.fr, aux frais respectivement de la Société H B LLC et du Centre National d’Art et de N F G, sous astreinte de 1.000 € par jour de retard, à compter de la signification de l’arrêt à intervenir ;

• condamner in solidum A B, la Société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G à verser ensemble à C D, épouse X, E X et R-S T-X la somme complémentaire de 40.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ;

• les condamner également in solidum à rembourser ensemble à C D, épouse

• X, E X et R-S T-X les débours, frais et honoraires d’huissier exposés par eux à l’occasion des opérations de constat des 12 mai et 12 décembre 2014, ainsi que des 1er août 2017 et 19 avril 2019 ; condamner enfin in solidum A B, la Société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G en tous les dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de Maître I J, avocat, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions du 24 septembre 2019, monsieur A B et la société H B LLC demandent à la cour de :

• confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 mars 2017 (RG 15/01086), en ce qu’il a :

• / dit irrecevable l’action en contrefaçon dirigée contre monsieur A B à titre personnel;

L’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :

• -juger recevable et bien fondée la demande de M. H B et de la société H B LLC visant à voir juger que l''uvre Naked de H B constitue une 'uvre originale protégée par le droit d’auteur portant l’empreinte de la personnalité de son auteur ;

• juger que la recherche d’un juste équilibre entre la liberté de création artistique de M. H B et la protection du droit d’auteur de M. Y-L X ne justifie pas la condamnation de la société H B LLC, ni le cas échéant de M. A B, pour contrefaçon de droits d’auteur ;

EN CONSÉQUENCE

• débouter Madame C V-W D, Monsieur E O P X et Madame R-S T-X de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

À TITRE SUBSIDIAIRE

• juger que l''uvre Naked de H B constitue une parodie de l''uvre 'Enfants de Y-L X ;

EN CONSÉQUENCE

• débouter Madame C V-W D, Monsieur E O P X et Madame R-S T-X de l’intégralité de leurs demandes, fins et prétentions ;

EN CAS DE SUCCOMBANCE

• confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 9 mars 2017 (RG 15/01086), en ce qu’il a :

• / dit que seuls les faits d’exploitation de l''uvre arguée de contrefaçon en France sont susceptibles de poursuite au titre de la contrefaçon à savoir la reproduction d’une photographie de la sculpture Naked dans les ouvrages de l’exposition « H B : La Rétrospective », à l’exception notamment du fait de création de la sculpture Naked qui échappe à la compétence des juridictions françaises ;

• / dit n’y avoir lieu à publication ;

• l’infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :

• constater l’absence totale de conséquences économiques négatives et de préjudice moral résultant de l’exploitation commerciale de la sculpture Naked que Madame C V-W D, Monsieur E O P X et Madame R-S T-X auraient subi ;

• constater l’absence de bénéfice généré au profit de H B LLC et/ou de M. H B résultant de l’exploitation de la sculpture Naked ;

• constater le caractère manifestement disproportionné et susceptible d’avoir des conséquences irréversibles des demandes formulées, notamment sous astreinte, par Madame C V-W D, Monsieur E O P X et Madame R-S T-X, en ce compris les demandes de publication, d’interdiction de diffusion de l''uvre Naked sur quelque support que ce soit et/ou des ouvrages dans lesquels elle est reproduite;

EN CONSÉQUENCE

• limiter les mesures réparatrices à une indemnité financière de 1€, à l’exclusion de toute mesure de publication, d’astreinte, ou liée à l’exploitation du site Internet www.jeffkoons.com;

A TITRE SUBSIDIAIRE, statuant à nouveau :

• juger recevable et bien fondée la demande de M. H B et de la société H B LLC visant à reconnaître l’applicabilité de la loi américaine à l’acte de création de la sculpture Naked par H B ;

• en conséquence, juger irrecevables pour prescrites les demandes de Madame C V-W D, Monsieur E O P X et Madame R-S T-X à l’encontre de l’acte de 'création de la sculpture Naked ;

A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE, statuant à nouveau :

• -juger que les actes litigieux soumis à la loi américaine sont éligibles au fair use;

• débouter Madame C V-W D, Monsieur E O U X et Madame R-S T-X de l’ensemble de leurs demandes, fins et prétentions ;

EN TOUT ÉTAT DE CAUSE

• condamner in solidum Madame C V-W D, Monsieur E O P X et Madame R-S T-X à payer à H B et à la société H B LLC la somme de 50.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Anne Grappotte-Benetreau.

Par conclusions du 20 septembre 2019, le Centre G demande à la cour de :

• de confirmer le jugement du 9 mars 2017 en ce qu’il a :

• / constaté que l''uvre Naked n’a pas été présentée au public

• / rejeté la demande de publication du jugement

• de réformer le jugement et de statuer à nouveau :

• juger recevable le Centre G en ses demandes et écritures,

• s’opposer au rejet de la pièce 103 qui a été communiquée dans le respect du principe u contradictoire et dont les héritiers ont pu prendre connaissance,

• juger que le Centre G, en organisant une rétrospective des 'uvres de l’artiste H

• B, et en publiant des ouvrages consacrés à cette exposition, a rempli sa mission légale de service public, mission d’intérêt général, juger que la mission du Centre G relève de la liberté d’informer protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales,

• juger qu’en reproduisant l''uvre litigieuse dans le catalogue, le portfolio et l’album de l’exposition consacrée à H B, le Centre G était de bonne foi, ayant été tenu dans l’ignorance de la revendication des héritiers X par ceux-ci comme par H B et son studio,

• juger que le Centre G n’avait aucun moyen d’identifier par lui-même la photographie Enfants de X dans la sculpture Naked de B,

• juger que le Centre G n’a commis aucun acte de contrefaçon,

• – débouter les héritiers X de toutes leurs demandes, fins et conclusions à l’encontre du Centre G,

Subsidiairement,

• dire nulles et mal fondées les demandes de condamnations du Centre G,

• rejeter la demande de retrait de la vente et le rappel de tous les exemplaires des catalogues, portfolios et albums « H B La Rétrospective » contenant la reproduction de la sculpture Naked aux fins de destruction sous astreinte,

• rejeter la demande de condamnation du Centre G à publier l’arrêt à intervenir sur son site internet www.centrepompidou.fr, et dans 3 périodiques ou journaux au choix des consorts X,

En tout état de cause

• condamner solidairement madame C V-W D, épouse X, monsieur E O P X et madame R-S T-X au paiement de la somme de 50.000 euros de dommages et intérêts au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu’au remboursement des frais irrépétibles de première instance s’élevant à la somme de 116.000 euros.

• condamner solidairement madame C V-W D, épouse X, monsieur E O P X et madame R-S T-X au paiement de tous les dépens d’instance, dont ceux dont distraction au profit de Me TEYTAUD, Avocat, en application de l’article 699 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été prononcée le 8 octobre 2019.

MOTIVATION

La cour constate qu’il n’y a pas lieu d’écarter la pièce 103 du centre G comme n’ayant pas été communiquée simultanément avec les conclusions du 17 juillet 2019, les consorts X ayant pu analyser cette pièce et faire toutes observations utiles.

De même, elle appréciera à l’examen la force probante des pièces 8-1 à 8-10 de H B et de la société H B LLC, sans qu’elles doivent être écartées des débats.

Sur la recevabilité de la demande à l’encontre de H B, personne physique

Les consorts X contestent le jugement en ce qu’il a considéré que les actes querellés n’étaient pas imputables à H B personnellement, alors qu’ils lui reprochent des faits de contrefaçon par la sculpture 'Naked’ et par l’exploitation de cette oeuvre contrefaisante. Ils font état de son implication à tous les stades de la préparation, de l’organisation, et de la finalisation de l’exposition.

Ils avancent qu’il s’est engagé dans la validation des catalogues et porte-folios, dans l’accrochage, et font état de la conclusion le 1er avril 2015 d’un contrat visant les obligations et engagements de 'l’Artiste' lors de sa venue à Paris en novembre 2014 pour valider les aspects artistiques de l’exposition, contrat qui l’engage personnellement. Ils relèvent sa supervision des articles et reportages consacrés à son oeuvre, peu important que la société H B soit chargée de gérer les droits de l’artiste, et soutiennent que les faits de contrefaçon commis avec son accord sont intentionnels, d’une particulière gravité, et lui sont personnellement imputables.

H B et la société H B LLC sollicitent la confirmation du jugement, en soutenant que la responsabilité personnelle de H B, en sa qualité de dirigeant de la société H B LLC, ne saurait être engagée. Ils relèvent que les actes pouvant éventuellement leur être reprochés sont des actes de reproduction d’une oeuvre de B dans un catalogue et sur le site www.jeffkoons.com édité la société H B LLC. Ils contestent le sérieux des griefs des consorts X, relèvent notamment que H B n’est pas partie au contrat invoqué, et que c’est le Centre G qui était autorisé par ce contrat à exploiter les ouvrages, de sorte que H B ne peut être tenu pour personnellement responsable de l’édition et la commercialisation des ouvrages litigieux.

Sur ce

Les consorts X ne démontrent pas que la sculpture 'Naked’ a été exposée au public lors de l’exposition organisée par le centre G, alors que celui-ci produit plusieurs attestations et documents selon lesquels l’oeuvre a été remballée la veille du vernissage public, des dommages l’affectant ayant été observés à l’occasion de l’ouverture de sa caisse.

Il n’est par ailleurs ni allégué ni justifié que cette sculpture aurait été créée ou fabriquée en France, de sorte que les consorts X ne peuvent rechercher l’engagement de la responsabilité de H B du fait de la réalisation de cette sculpture.

Aussi, les seuls faits susceptibles de constituer une contrefaçon de la photographie 'Enfants’ sont la reproduction de l’image de l’oeuvre 'Naked’ dans les ouvrages de l’exposition rétrospective consacrée à H B, qui s’est tenue au centre G entre le 26 novembre 2014 et le 27 avril 2015, et la présentation de la sculpture dans différents reportages diffusés en France et sur différents sites internet.

L’organisation de l’exposition a été prévue dans le cadre d’un contrat conclu le 25 septembre 2014 entre le centre G et le Whitney Museum of American Arts de New York, l’annexe D du contrat précisant que les reproductions par le centre G des oeuvres présentées dans le cadre de l’exposition et l’utilisation du nom de l’artiste pour la communication autour de l’exposition devront recueillir l’accord de la société H B LLC.

Le contrat conclu le 1er décembre 2014 portant sur l’édition des ouvrages litigieux et les produits dérivés a été passé entre le centre G et la société H B LLC, comme le contrat du 1er avril 2015 au sujet de l’exposition elle-même.

Il ne ressort pas de la lecture du contrat du 1er décembre 2014 que H B soit impliqué personnellement dans la négociation comme dans sa mise en oeuvre, les échanges de courriels intervenant entre représentants des deux entités, et le fait que H B ait été consulté sur le choix de la couverture d’un ouvrage proposé à la vente lors de l’exposition n’est pas de nature à établir une implication personnelle importante dépassant l’exercice de ses fonctions de gérant de la société H B LLC.

Le fait qu’il ait exprimé son souhait de voir une de ses oeuvres retirée de l’exposition qui lui était consacrée et se soit impliqué dans son organisation ne saurait révéler qu’il a manifestement dépassé

le cadre de son intervention et de ses fonctions de dirigeant au point d’engager sa responsabilité personnelle, ce d’autant qu’aucun des courriels n’émane de H B lui-même, et qu’aucune pièce versée ne démontre directement son implication.

Le tribunal a justement relevé que la diffusion de plusieurs films et reportages comme 'H B, un homme de confiance', en France, sur la chaîne de télévision Arte, ou la possibilité de les visionner sur le site www.lemonde.fr ou sur le site www.jeffkoons.com – lequel est édité non par H B, mais par la société H B LLC – ne peuvent établir en soi son implication personnelle dans la diffusion de ces reportages en France, donc de l’image de l’oeuvre arguée de contrefaçon qui peut alors être observée.

Par conséquent, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a estimé que les actes de reproduction de cette oeuvre ne pouvaient être imputés à H B lui-même, et déclaré l’action des consorts X à son égard irrecevable.

Sur l’originalité du cliché fondant la demande en contrefaçon

Les consorts X, ayants-droit de Y-L X, relèvent que le jugement n’est pas contesté s’agissant de la titularité de leurs droits, et doit être confirmé en ce qu’il a déclaré recevable l’action en contrefaçon qu’ils ont conjointement engagée.

Ils rappellent qu’une photographie, pour être originale, doit présenter une physionomie propre qui la distingue des photographies du même genre, l’originalité s’appréciant par la combinaison des différents éléments choisis et l’impression d’ensemble produite par l''uvre.

Ils soulignent la démarche créative de l’artiste, dont témoignent ceux qui l’ont côtoyé, qui s’infère notamment de sa réflexion et de ses choix techniques, afin de créer des situations propres à l’émergence et à la captation des images. Ils ajoutent que le portrait 'Enfants' s’inscrit dans cette démarche, le photographe ayant mené un réel travail de direction d’acteurs afin d’échapper à une image 'figée et conventionnelle', et ses choix techniques et esthétiques effectués dans la construction de la photographie ayant été dictés par sa démarche, visant à représenter l’innocence de la nudité et la tendresse de la relation enfantine. Ils ajoutent que la planche contact de 32 clichés montre le cheminement, les choix coordonnées de l’artiste pour atteindre l''uvre finale.

H B et la société H B LLC expliquent en quoi la photographie de Y-L X, retravaillée par H B, sert au mieux son message et sa démarche artistique, car il choisit les sources d’inspiration de ses oeuvres et les transforme en sculptures autonomes, la ré-appropriation d’une oeuvre existante étant centrale dans son processus créatif. Ils ajoutent que cette photographie représentant deux enfants et donnant une impression de pureté et de tendresse, prise à la fin des années 1970, lui permettait de transmettre son message de libération de l’être, annonçant une nouvelle ère, ce d’autant qu’elle n’était pas connue du grand public. Ils indiquent que cette photographie, si tant est qu’elle puisse bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur, emprunte au fonds commun de l’art, ce qui justifierait qu’elle bénéficie d’une protection limitée. Ils contestent que la photographie révèlent des choix coordonnés de l’artiste, font état de la banalité des éléments la constituant, notamment du décor et de l’éclairage, du naturel de la position prise par les enfants, et en déduisent que la photographie emprunte beaucoup au fond commun du domaine artistique, et bénéficie d’une originalité toute relative.

Le centre G soutient qu’il ignorait l’existence de la photographie 'Enfants', qu’il ne peut lui être reproché de ne pas l’avoir reconnue dans la sculpture 'Naked', et qu’il n’est tenu par aucune obligation de vérification. Il relève l’absence d’information sur la création de la photographie, les consorts X ne versant pas de pièce sur la technique utilisée permettant d’appréhender la démarche esthétique de son auteur, de connaître les conditions dans lesquelles elle a été réalisée, notamment si la pose des enfants était spontanée ou définie par le photographe. Il avance que

l’intention de l’auteur du cliché doit être recherchée dans la forme de l’oeuvre, banale, s’agissant tant de Q en pieds que de l’angle de vue, et l’idée de tendresse et de pureté relevée par le jugement n’étant étayée par aucun écrit de l’auteur. Il ajoute que l’auteur, en s’effaçant devant la nature révélée de ses sujets afin qu’ils apparaissent dans leur pureté, ne met pas en scène cette pureté, ce qui contredit l’originalité. Il fait état de l’absence de choix esthétiques ou créatifs, le cliché révélant une pose spontanée des enfants jouant devant l’objectif sans indication démontrée du photographe, et en déduit que son originalité n’est pas démontrée.

Sur ce

Selon l’article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle,

'l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous'.

L’article L.112-1 édicte que

'les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les oeuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination'.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale.

L’article L112-2 précise expressément que

'Sont considérés notamment comme oeuvres de l’esprit au sens du présent code : …

9° Les oeuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de techniques analogues à la photographie ;…'

Enfin, l’article L123-1 précise que

'L’auteur jouit, sa vie durant, du droit exclusif d’exploiter son oeuvre sous quelque forme que ce soit et d’en tirer un profit pécuniaire.

Au décès de l’auteur, ce droit persiste au bénéfice de ses ayants droit pendant l’année civile en cours et les soixante-dix années qui suivent'.

En l’espèce, la qualité d’auteur de Y-L X de la photographie réalisée en 1970 sous le titre 'Enfants’ n’est pas contestée, ni la qualité d’ayant-droits de C D, de E X et de R-S T-X, à la suite de son décès le 2 janvier 2014.

Le tribunal a justement rappelé qu’il convient de se replacer dans le contexte dans lequel Y-L X a créé cette photographie afin d’appréhender les choix qu’il avait alors faits.

Il ressort des pièces versées que le travail de Y-L X sur le portrait nu révélait une conception nouvelle du nu, brut, sans aucune connotation érotique, consistant à révéler la personnalité de l’auteur de la photographie à travers le dévoilement du sujet de celle-ci.

Dans les notes qu’il a laissées, Y-L X expliquait notamment que 'le nu pourrait être considéré comme un point de départ du portrait', l’assimilait à un retour aux sources que l’on trouvait régulièrement dans le dessin ou la peinture mais moins dans la photo ; de même expliquait-il l’usage du noir et blanc comme laissant une part plus importante à l’imaginaire, alors que la couleur pouvait révéler certains détails inutiles.

Son assistant décrit la longue réflexion de Y-L X précédant ses prises de vue, les schémas de lumière et de cadrage qu’il envisageait afin que les sujets se retrouvent dans la position qu’il souhaitait tout en conservant leur personnalité ; il est également attesté du soin qu’il mettait dans la préparation de la prise de vue et de l’importance de sa démarche artistique.

L’importance et la qualité du travail de Y-L X étaient aussi reconnues par les revues spécialisées en photographie.

Le portrait 'Enfants’ s’inscrit dans son travail sur le nu d’enfants, dans lequel il veut échapper à l’image figée et conventionnelle, en studio, où il mène des 'recherches d’ordre chorégraphique, où les mouvements du corps… jouent un rôle de plus en plus important, soulignés par un fond et un éclairage toujours dépouillés'.

Ainsi la photographie est prise en atelier, avec un décor de fond en papier froissé sur lequel les deux enfants se dégagent, ce d’autant que l’éclairage choisi les fait ressortir du fond, comme une sculpture, en intensifiant la blancheur de leurs corps et du visage du garçon. Cet éclairage souligne l’expression de ce visage, alors que celui de la fille est dans l’ombre, dissimulé en partie par ses cheveux, et baissé vers le sol.

Les deux enfants sont dans une pose particulière, face à l’objectif, debout, côte à côte, le garçon à gauche et la fille à droite, le haut de leur corps étant légèrement tournés l’un vers l’autre. Ils se tiennent mutuellement par l’épaule avec un bras, tandis qu’avec l’autre ils se tiennent par la main (main droite du garçon, main gauche de la fille), ces mains étant réunies devant la jeune fille, et la jonction se faisant par les doigts.

Leurs regards convergent vers le centre de la photographie, où leurs mains se tiennent.

Le visage du garçon est légèrement incliné, alors que celui de la fille est nettement penché en avant, ses cheveux le dissimulant partiellement.

La construction de la photographie présente ainsi une dimension géométrique, les corps des deux enfants s’inscrivant dans deux rectangles placés l’un à côté de l’autre, la cour relevant la forme particulière constituée par la réunion de leurs deux bras.

Si cette photographie est extraite d’une planche contact sur laquelle se trouvent 32 photographies représentant les deux mêmes enfants dans des positions différentes, les intimés ne peuvent en déduire que les enfants semblent évoluer au gré de leurs envies devant le photographe, ou qu’il s’agirait de photographies prises en rafale, s’agissant d’une photographie effectuée en 1970 avec un appareil photo argentique qui ne permettait pas de vérifier sur un écran le cliché obtenu.

Aucune des photographies produites par H B et la société H B LLC ne présente deux enfants ayant la même pose, ni se tenant par l’épaule à l’arrière et par la main devant dans la même position que ceux de la photographie en cause, ou avec la même inclinaison de leurs visages, ce qui pourrait révéler qu’il s’agit d’une position naturelle pour des enfants de 6 à 10 ans.

Les enfants ont sur cette photographie une position particulière, se tenant par l’épaule d’une part, et leurs autres mains se rejoignant devant eux d’autre part, tout en faisant face à l’objectif du photographe, répondant manifestement à une demande de celui-ci, pour ce cliché qu’il a choisi parmi les 32 se trouvant sur la planche contact.

Le photographe a su capter l’image alors que les deux enfants étaient dans cette position, et que le garçon avait un léger sourire, l’image révélant l’idée d’innocence sur lequel travaillait Y-L X, alors que la nudité des enfants devait les inciter à une grande réserve.

Le jugement a ainsi relevé qu’il se dégageait de cette photographie une atmosphère de tendresse et de pureté, revendiquée par les consorts X, et reconnue par H B et la société H B LLC.

Il ressort de ce qui précède que Y-L X a réalisé par ce cliché un portrait en pied d’enfants, nus, photographiés en noir et blanc, en studio, dépouillé de tout accessoire, dans une position particulière, cliché qui révèle par la combinaison des éléments qui le composent les choix créatifs et esthétiques qu’il a opérés, révélateurs de sa personnalité.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que cette photographie était originale et devait bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur.

Sur la contrefaçon

Les consorts X dénoncent la reprise, dans la sculpture, des caractéristiques originales et essentielles de la photographie, telles que mises en scène par Y-L X, selon la même construction géométrique. Ils soulignent que les enfants de la sculpture sont nus, dans la même position que sur le cliché, que le visage de la fille est aussi en partie dissimulé par ses cheveux ; ils relèvent la même orientation des regards, les mêmes sourires, la coiffure des enfants encadrant l’expression de leurs visages, la même fausse impression d’une différence de taille entre eux. Ils rappellent que la contrefaçon s’apprécie par les ressemblances et que les différences tenant au procédé de fabrication séparé de la sculpture (qui rendait impossible la représentation de mains jointes) ne peuvent faire échec à la contrefaçon. Ils soulignent l’identité de construction géométrique des deux oeuvres, la sculpture constituant une adaptation en trois dimensions du cliché, et contestent l’analyse du Centre G opposant le caractère 'fictionnel' de la sculpture au caractère 'réel' des enfants photographiés.

Ils ajoutent que la différence de message entre les 'uvres (innocence et tendresse de la nudité enfantine / Adam & Eve aux regards et attitudes concupiscents) n’empêche pas de reconnaître, dans la sculpture, la photographie de X. Enfin, ils soulignent que H B avait reconnu la reprise de l’oeuvre première.

H B et la société H B LLC font état de la nécessité de considérer les différences entre les oeuvres, excluant la contrefaçon, laquelle ne peut être retenue que si l’oeuvre seconde reprend les éléments donnant à l’oeuvre première son originalité. Ils ajoutent qu’à défaut de reprise de la combinaison des éléments conférant à l’oeuvre première son originalité, il ne saurait y avoir atteinte aux droits d’auteur dans l’oeuvre seconde, qui peut se distinguer par une tonalité révélant la personnalité de son auteur et présenter ainsi une originalité spécifique. Ils détaillent les différences majeures entre la photographie en noir et blanc 'Enfants’ et la sculpture Naked, tridimensionnelle, polychrome et de grande taille. Ils relèvent d’autres différences tenant à la couleur de cheveux, au nombril, au visage et au regard des enfants, à la position de leur main, à l’environnement, à la présence d’un socle et d’éléments aux pieds des enfants. Ils soulignent l’absence de reprise des caractéristiques essentielles de la photographie Enfants dans la sculpture Naked, et en déduisent que celle-ci ne constitue pas la contrefaçon de la photographie.

Le centre G met en avant la neutralité et le dépouillement de la photographie, absents de la sculpture de B, laquelle présente un décor, des couleurs, des fleurs qui lui donnent -comme la matière utilisée- un sens différent. Il fait état de différences entre les corps sur le cliché et sur la sculpture, entre les actions des enfants qui se tiennent la main ou regardent un bouquet de fleurs, entre leurs visages dans les deux oeuvres. Il souligne le caractère imaginaire de la scène inventée par H B. Il déduit de sa méconnaissance du corps des enfants qu’il lui était impossible de détecter la contrefaçon, et ajoute que l’oeuvre de Y-L X était méconnaissable dans la sculpture de H B. Il soutient que les éléments retenus par le jugement comme des différences entre les deux oeuvres ne sont pas des détails, et constituent des éléments essentiels de la

sculpture de B, ce qui exclut la contrefaçon.

Sur ce

Selon l’article L122-4 du code de la propriété intellectuelle,

'toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite. Il en est de même pour la traduction, l’adaptation ou la transformation, l’arrangement ou la reproduction par un art ou procédé quelconque'.

Le tribunal a justement rappelé que le juge statue en fonction des ressemblances, et que la bonne foi est indifférente.

En l’espèce, l’oeuvre de Y-L X est une photographie en noir et blanc, celle de H B est une sculpture en porcelaine et en couleurs.

Les deux oeuvres présentent toutes les deux un petit garçon et une petite fille -le garçon à gauche et la fille à droite-, se tenant debout, nus, les jambes droites, de face et leurs bustes légèrement tournés l’un vers l’autre.

Ils se tiennent tous les deux par l’épaule la plus éloignée du centre de la photographie ou de la sculpture -la main gauche du garçon tient l’épaule gauche de la fille, la main droite de la fille tient l’épaule droite du garçon-.

Le garçon se tient droit, alors que la fille a la tête nettement penchée en avant. Leurs chevilles, genoux, sexes et épaules sont alignés de la même façon dans les deux oeuvres. La forme générale des corps des enfants dans la photographie et dans la sculpture vue de face s’inscrit dans la même forme géométrique, avec la même oblique au sommet par l’alignement de leurs têtes.

Le visage du garçon est visible dans les deux oeuvres, et il est surmonté de la même coupe de cheveux au bol, alors que le visage de la fillette est dans les deux oeuvres incliné vers l’avant, dissimulé en partie par ses cheveux, qui sont plus foncés que ceux du garçon. Cette inclinaison donne l’impression d’une différence de taille entre elle et le garçon, que contredit la hauteur de leurs épaules.

La couleur de la peau des deux enfants est blanche, cette clarté étant mise en exergue par l’éclairage dans la photographie, par la porcelaine dans la sculpture.

La combinaison de toutes ses caractéristiques essentielles de la photographie, qui contribue à lui conférer son caractère original, se retrouve ainsi dans la sculpture de H B.

Le fait que les enfants, dont l’image du corps sur la photographie est identifiable dans la sculpture, ne sont pas partie à l’instance est sans incidence, puisque tant le portrait des enfants réalisé par Y-L X que la sculpture de H B sont des fictions, la reprise ne portant pas sur le corps des enfants, mais sur la photographie de ces corps telle que Y-L X l’a réalisée.

Par ailleurs, la cour n’observe pas, comme il ressort du comparatif du centre G, que les enfants dans les deux oeuvres présenteraient des différences d’âge et de morphologie notables.

Au titre des différences entre les oeuvres, la main droite du garçon tient dans la photographie la main gauche de la fille, devant eux, alors que dans la sculpture cette main tient un petit bouquet de fleurs que le garçon présente à la fille, et le bras gauche de celle-ci est légèrement relevé, à proximité de ses cheveux.

Pour autant, les regards des enfants (celui de la fille pouvant de déduire de l’inclinaison de sa tête) sont dans les deux oeuvres orientés vers le bas et convergent vers la main du garçon, qui tient celle de la fille dans la photographie, vers le bouquet de fleurs dans la sculpture.

Outre la différence de nature entre une photographie en noir et blanc et une sculpture en couleur, et donc la présence d’un fond pour la photographie alors que la sculpture est à 360° – le spectateur pouvant tourner autour-, il peut être observé aux pieds des enfants dans la sculpture, sur un socle rose en forme de coeur, des fleurs de couleurs qui sont absentes de la photographie, ainsi qu’un drap ou tissu blanc présentant un aspect froissé, comme le fond de la photographie.

La différence de taille entre les deux oeuvres ne peut être utilement invoquée, ce alors que c’est surtout sa représentation sur support papier dans les ouvrages publiés et mis en vente lors de l’exposition rétrospective consacrée à H B qui est poursuivie au titre de la contrefaçon.

Dans son analyse versée par H B et la société H B LLC, le professeur Geiger reconnaît qu’une 'carte postale reprenant une photographie en noir et blanc, réalisée en 1970 par Y L X, représentant un garçon et une fille nus se tenant par la main avait servi d’inspiration pour une sculpture en porcelaine de H B intitulée 'Naked'…' avant d’ajouter 'Les héritiers du photographe avaient agi en contrefaçon contre l’artiste et sa société ainsi que contre le Centre G, arguant que la sculpture reproduisait l’intégralité de l''uvre protégée. Ce point n’était d’ailleurs pas contesté par l’artiste américain, même si d’autres éléments avaient été rajoutés qui n’étaient pas présents sur la photographie…'. En effet, dans ses conclusions (p.9), H B reconnaît avoir utilisé, dans le cadre de son travail artistique sur la création de la sculpture 'Naked', la photographie de Y-L X.

Si la présence du bouquet de fleurs dans la main du garçon a pour effet de donner une signification à la statue différente de celle de la photographie, et que certaines parties du corps des enfants sur la sculpture ont été créées par H B (ainsi le dos des enfants), les éléments caractéristiques de la photographie se retrouvent néanmoins dans la sculpture, et la différence de message des deux oeuvres n’est pas exclusive de la reprise des éléments de l’oeuvre première.

Au vu de ce qui précède, la statue 'Naked' de H B reprend la combinaison des caractéristiques qui révèlent l’originalité de la photographie 'Enfants’ de Y-L X.

Sur la liberté d’expression et de communication

Les consorts X rappellent l’interdiction en droit français de la reproduction partielle ou intégrale d’une oeuvre, les exceptions au monopole de l’auteur étant strictement définies. Ils ajoutent que la liberté d’expression connaît des restrictions, notamment la protection du droit d’autrui, et le droit exclusif de l’auteur de transformer son oeuvre. Le juge doit interpréter le droit national conformément au droit de l’Union et est lié par l’impératif de sécurité juridique et l’exigence d’un niveau élevé de protection de la propriété intellectuelle. Selon eux, la liberté d’expression et d’informer ne peut constituer une nouvelle limitation au droit de reproduction et au droit de communication au public. Ils estiment que les juges doivent justifier de 'façon concrète' les condamnations à l’encontre de la réalisation d’une 'uvre dérivée non autorisée par l’auteur, 'en fonction de la recherche d’un juste équilibre entre les droits en présence', mais que cette exigence ne conduit pas à faire prévaloir la liberté d’expression sur le droit d’auteur. Ils avancent que la doctrine est favorable à l’encadrement de l’invocation de la liberté d’expression dans des exceptions légalement consacrées, et que c’est -selon les règles de droit commun- aux parties qui invoquent la nécessité de faire prévaloir leur liberté d’expression sur le droit d’auteur, d’en prouver le bien-fondé. Ils ajoutent que les exceptions de 'fair use', de transformisme ou d’appropriationnisme n’existent pas en droit français, et qu’en l’espèce la liberté d’expression ne peut légitimer l’atteinte portée à l’oeuvre initiale par la sculpture de H B.

Selon H B et la société H B LLC, il est nécessaire de rechercher un juste équilibre entre le droit d’auteur et le droit à la liberté d’expression et il convient, en cas de conflit entre ces deux droits, de faire prévaloir la liberté de création artistique. Ils soutiennent que c’est au titulaire du droit d’auteur de démontrer la nécessité de restreindre cette liberté, soulignent la notion de 'fair use’ et la pratique artistique consistant à s’inspirer, voire à reprendre une partie ou l’intégralité d’une oeuvre préexistante afin de l’intégrer plus ou moins fidèlement dans une création seconde. Ils affirment que le jugement a renversé la charge de la preuve, car c’est aux consorts X de justifier du caractère proportionné de l’atteinte à la liberté d’expression qu’ils demandent, ce qu’ils ne font pas. Ils soulignent l’importance de la série Banality dans la démarche artistique de H B et de son message, incitant le spectateur à s’accepter par le biais de la prétendue banalité. Ils expliquent en quoi la photographie de X, retravaillée par H B, sert son message de façon optimale, car il choisit les sources d’inspiration de ses oeuvres et les transforme en sculptures autonomes, la ré-appropriation d’une oeuvre existante étant centrale dans son processus créatif d’une oeuvre d’art seconde, et ne pouvant être assimilée à une économie de travail créatif. Ils mettent en avant la grande connaissance de la sculpture par le public et analysent la pertinence de différents critères afin d’apprécier la démarche artistique de Y-L X, dont la photographie transmet un message très différent.

Sur ce

L’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, consacré à la liberté d’expression, prévoit que

1.Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.

Dans un arrêt du 10 janvier 2013 (n°36769/08), la CEDH a précisé que 'l’adjectif «nécessaire», au sens de l’article 10 § 2, implique un « besoin social impérieux »'.

Elle a aussi indiqué, dans une décision Anheuser-Busch Inc. c. Portugal (73049/01) que la propriété intellectuelle bénéficie sans conteste de la protection de l’article 1 du Protocole n°1 consacré à la protection de la propriété du Protocole additionnel à cette Convention, selon lequel, notamment 'Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.'…

Par ailleurs, l’article 27 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme indique notamment 'Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur'.

L’article L122-4 précité condamne toute adaptation ou transformation d’une oeuvre sans le consentement de son auteur ou de ses ayant droits.

Il revient au juge de rechercher un juste équilibre entre les droits en présence, soit la liberté d’expression artistique et le droit d’auteur, et d’expliquer, en cas de condamnation, en quoi la recherche de ce juste équilibre commandait cette condamnation.

En l’espèce, il n’est pas contesté que H B est un artiste des plus connus, que son oeuvre est très diffusée dans le monde, et qu’il a créé plusieurs séries d’oeuvres dont la série 'Banality’ -à laquelle appartient la statue 'Naked'- par laquelle il revendique vouloir exprimer un message invitant le spectateur à s’accepter et à s’affranchir du sentiment de grande culpabilité qui domine l’histoire humaine, depuis le mythe d’Adam et Eve, par le recours à la banalité. Outre l’utilisation de la porcelaine pour mettre en exergue la démocratisation de l’art, il explique l’utilisation de la photographie de Y-L X représentant un portrait d’enfants dont se dégage une impression de pureté et de tendresse, par sa relative confidentialité, pour lui faire incarner son message de libération de l’être en faisant accéder ses personnages à la célébrité.

La photographie 'Enfants’ de Y-L X a été présentée dans plusieurs expositions, elle figure dans le livre 'Y-L X Q nus’ édité en 1984, et est répertoriée à la Bibliothèque Nationale.

Elle a aussi été éditée avec le nom de l’auteur et la mention d’un copyright sous forme de carte postale.

Aussi, il ne peut être soutenu que l’auteur ou ses ayant droits n’ont pas exploité l’oeuvre, ou encore ont démontré leur volonté de ne pas l’exploiter, ce qu’une faible connaissance par le public ne saurait révéler.

De même, il ne peut être reproché au tribunal de prendre en considération le degré de connaissance par le public de l’oeuvre primaire et de retenir que cette connaissance a une incidence importante sur l’appréhension par le spectateur du message délivré dans sa sculpture par H B, ce d’autant que celui-ci fait de la confidentialité de l’oeuvre primaire un critère de sélection.

Alors que la photographie de Y-L X est un portrait d’enfants nus dont se dégage, comme le reconnaissent H B et la société H B LLC, 'une impression de pureté et de tendresse’ (leurs conclusions p.42 et 54), dénuée de connotation sexuelle, les enfants de la sculpture tridimensionnelle de H B sont voulus porteurs d’un message de libération de l’être, nouvelle incarnation du couple d’Adam et Eve et du mythe du péché originel, s’apprêtant à commettre le péché de chair ; la sculpture constitue une métaphore revendiquée de l’éveil au désir et à la sexualité, le garçon offrant à la fille un bouquet avec en son centre une fleur dont le pistil a une forme phallique vers laquelle est dirigée le regard de la fille, afin de transmettre le message d’acceptation de soi et de ses envies et de libération du sentiment de culpabilité.

Il s’en suit que le message véhiculé par la sculpture est très différent de celui de la photographie.

Pour autant, alors que la sculpture de H B s’inspire très largement de la photographie de Y-L X dont elle reprend la combinaison des caractéristiques essentielles, il n’est pas établi que H B y ait fait référence, alors que la faible notoriété de cette photographie ne permet pas au public de l’identifier dans la sculpture.

Surtout, il n’est pas justifié que H B, qui pouvait utiliser une autre oeuvre que la photographie de Y-L X, a essayé d’obtenir l’autorisation de l’auteur, dont il ne pouvait ignorer l’identité.

La volonté affirmée de conférer à deux enfants anonymes le statut de célébrité ne peut expliquer le choix de la photographie de Y-L X, du fait qu’elle serait peu connue du public, H B pouvant choisir ou créer d’autres images d’enfants pour véhiculer son message artistique.

Aussi, il n’est pas établi que l’utilisation sans autorisation de la photographie de Y-L X, qui porte atteinte à ses droits et à ceux de ses ayant droits, par H B était nécessaire à l’exercice de sa liberté d’expression artistique, y compris dans sa dimension de réflexion

d’ordre social, et justifie l’appropriation ainsi faite d’une oeuvre protégée.

Au vu de ce qui précède, la recherche d’un juste équilibre entre la liberté d’expression de H B et le droit d’auteur de Y-L X dévolu à ses ayant droits commande que, les faits étant établis, la contrefaçon soit retenue.

Sur l’exception de parodie

H B et la société H B LLC revendiquent la possibilité d’invoquer l’exception de parodie, peu important que l’oeuvre première soit inconnue du grand public, et qu’elle n’ait pas été citée par H B dans son discours artistique. Ils soulignent les différences dans les impressions produites par les deux oeuvres, dans la démarche artistique des deux artistes, et en déduisent qu’aucun risque de confusion entre les oeuvres n’est susceptible d’intervenir dans les yeux du public. Ils ajoutent que la photographie de Y-L X transmet une impression d’innocence, alors que H B fait porter au couple d’enfants un message de libération de l’homme du sentiment de culpabilité, de pêché et de honte lié à son passé.

Les consorts X rappellent les conditions de l’exception de parodie, qui ne seraient pas réunies. Ils soutiennent que H B n’a pas eu l’intention d’évoquer l''uvre préexistante, à laquelle il n’a été fait référence qu’au moment de l’action en contrefaçon. Selon eux, le risque de confusion entre les oeuvres subsiste et l’élément humoristique fait défaut, la série Banality dont fait partie l’oeuvre Naked visant justement à l’acceptation de ce qui est banal, kitsch ou de mauvais goût, et les 'uvres étant à prendre au premier degré. Ils ajoutent subsidiairement que la parodie, à la supposer constituée, ne doit pas dégénérer en abus, que le juste équilibre entre leurs droits d’auteur et la liberté d’expression de H B implique le rejet de l’exception de parodie comme excédant les lois du genre et causant un préjudice injustifié à J.F. X.

Sur ce

L’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle prévoit que

'Lorsque l’oeuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire : …

4° La parodie, le pastiche ou la caricature, compte tenu des lois du genre. …'

Dans un arrêt du 3 septembre 2014, la CJUE a précisé que 'la parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une oeuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie'.

L’oeuvre seconde, pour bénéficier de l’exception de parodie, doit présenter un caractère humoristique, éviter tout risque de confusion avec l’oeuvre première, et permettre l’identification de celle-ci.

Cependant, il n’est pas établi que H B ait évoqué la photographie de Y-L X dans l’explication de sa démarche artistique ayant mené à la réalisation de la sculpture Naked avant l’introduction de cette procédure, et l’absence de notoriété de la photographie ne permet pas au public de l’identifier et de la distinguer de l’oeuvre seconde.

La parodie doit aussi présenter un caractère humoristique, faire oeuvre de raillerie ou provoquer le rire, condition que ne caractérise ni ne revendique H B et la société H B LLC, la différence entre les messages transmis par les deux oeuvres ne répondant pas à cette condition de l’exception de parodie.

Aussi, l’exception de parodie ne peut trouver à s’appliquer.

Sur le devoir d’information du Centre G

Le Centre G demande la réformation du jugement, qui a retenu sa responsabilité, en soutenant que l’édition des publications en cause relevait de sa mission de service public d’informer le public et de diffuser la création artistique dans toutes ses formes. Il avance que le préjudice des héritiers X est inexistant car la photographie était inconnue du public, et qu’il leur revient de justifier en quoi sa condamnation est nécessaire au respect de leurs droits. Il ajoute que sa liberté d’expression poursuit un intérêt légitime et proportionnée au but poursuivi, et qu’elle doit prévaloir sur le droit d’auteur des héritiers X. Il argue de sa bonne foi, déclarant ignorer qu’il s’agissait d’une oeuvre contrefaisante.

Les consorts X avancent que la bonne foi ne légitime pas la contrefaçon et soulignent que le centre G est un professionnel de l’art, actif dans la connaissance et la reconnaissance de l’art photographique, qui connaissait Y-L X. Ils ajoutent que les condamnations passées de B l’incitaient à une très grande prudence, et contestent toute déloyauté de leur part puisqu’ils ont mis en demeure H B puis, en l’absence de réponse, le Centre G, de sorte qu’aucune tardiveté ne saurait être retenue. Ils soulignent que publier un catalogue contenant une oeuvre contestée sur le plan du droit d’auteur n’est justifiable par aucun intérêt général.

Sur ce

Le jugement a justement retenu que le Centre G est seulement mis en cause pour l’exploitation de la représentation de l’oeuvre dans les catalogues, portfolio et albums de l’exposition 'H B: A retrospective'.

Une telle diffusion ne rentre pas dans la liste des exceptions au droit de l’auteur, au titre du droit à l’information, prévue à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle.

Il sera rappelé que c’est l’exploitation commerciale de ces publications par le Centre G, qui reconnaît qu’elle a été bénéficiaire, qui lui est reprochée.

Si le centre G invoque l’article 10 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et du droit à la liberté d’expression et la nécessité de rechercher un équilibre entre les droits en présence, la publication et la diffusion d’un catalogue contenant la représentation d’une oeuvre constituant une contrefaçon de droit d’auteur ne peuvent relever de la protection du principe de liberté d’expression, ni de sa mission de service public d’information et de formation du public.

En conséquence, et la bonne foi de l’éditeur étant indifférente en matière de contrefaçon, le centre G ne peut utilement faire état de son devoir d’information pour s’opposer à l’engagement de sa responsabilité.

***

Aussi, alors que la statue 'Naked' de H B reprend la combinaison des caractéristiques de la photographie 'Enfants’ de Y-L X, la reproduction de sa représentation dans les ouvrages proposés à la vente par le centre G lors de l’exposition rétrospective consacrée à H B entre le 26 novembre 2014 et le 27 avril 2015, et sa présentation de la sculpture dans différents reportages diffusés en France et sur différents sites internet sont constitutifs de contrefaçon. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la violation des droits patrimoniaux et moraux des ayant droits de Y-L X

Les consorts X reprochent à H B et sa société d’avoir adapté sous forme de sculpture la photographie 'enfants’ de Y-L X, d’avoir diffusé des cartes postales portant la mention du copyright de H B, alors qu’il ne pouvait ignorer que cette adaptation constituait une contrefaçon. Ils contestent la mise hors de cause de H B comme l’absence de lien retenu entre la diffusion d’images de la sculpture sur certains sites et sur un DVD, qui serait imputable à H B et à sa société, et font état de la persistance de certains actes de contrefaçon.

Ils font état de leur participation à l’organisation de l’exposition au centre G, auquel ils reprochent l’exposition de la sculpture et la vente d’ouvrages comportant la reproduction de la sculpture. Ils reprochent au centre G d’avoir été au moins imprudent, vu les condamnations précédemment prononcées à l’encontre de H B et son refus de garantir le Centre. Ils dénoncent, concernant le droit moral, l’atteinte au respect de l’oeuvre et au droit à la paternité, et contestent toute renonciation à poursuivre la contrefaçon.

H B et la société H B LLC avancent que la création de la sculpture ne relève pas de la compétence de la cour, et que la loi applicable américaine prévoyant une prescription triennale, la demande est prescrite, l’oeuvre étant connue de Y-L X avant l’assignation. Ils soutiennent que seule la reproduction dans les ouvrages de l’exposition d’une photographie de la sculpture peut être reprochée, les autres actes d’exploitation échappant à la compétence de la juridiction française et ne pouvant leur être imputés. Ils ajoutent que les articles en ligne sont rédigés en langue anglaise, et qu’ils ne sont ni auteurs ni producteurs des films en cause ; ils contestent la sanction d’une reproduction de la sculpture sur le site www.jeffkoons.com. Ils affirment que les consorts X ne peuvent dénoncer à la fois la dénaturation de l’oeuvre et le défaut de paternité, et contestent leur condamnation à ce titre.

S’agissant des demandes fondées sur le droit moral, le centre G avance qu’il s’agit de demandes exorbitantes contraires à la vision qu’avait Y-L X de son oeuvre, car celui-ci ne conférait pas de valeur vénale à ses photographies. Il conteste toute atteinte au droit au nom, ayant été dans l’ignorance du nom de X et, concernant l’atteinte au respect de l’oeuvre, soutient que les demandes des consorts X sont en contradiction avec les positions de celui-ci, qui n’aurait pas été choqué par la sculpture Naked, la nudité étant un fondement de sa photographie. Il ajoute qu’à considérer qu’il y ait de la sexualité dans l’oeuvre Naked, ce n’est qu’une métaphore, une allusion. Concernant l’atteinte aux droits patrimoniaux, il relève avoir été mis en demeure tardivement, argue que la sculpture n’a pas été exposée, et qu’un nouveau tirage des ouvrages sans la représentation de l’oeuvre en cause a été commandé rapidement.

Sur ce

Il a précédemment indiqué que faute de justifier de la création de la sculpture en France, les consorts X ne peuvent chercher à engager, devant les juridictions françaises, la responsabilité de H B de ce chef.

Il a de même été précisé que les pièces versées établissent que la sculpture a été remise en caisse avant l’ouverture de l’exposition au public, les seules photographies prises la montrant sur son socle de caisse à l’occasion du relevé des dommages constatés lors de son arrivée au centre G ; le fait que la sculpture ait été vue par plusieurs intervenants techniques ou membres du personnel du musée ne saurait constituer une présentation au public. Par conséquent, les seuls faits pouvant être reprochés au centre G sont la publication d’ouvrages contenant une représentation de la sculpture.

Enfin, la demande tendant à voir la responsabilité personnelle de H B engagée a été précédemment rejetée, les fautes reprochées n’étant pas séparables de ses fonctions de gérant.

La cour observe que si les consorts X font état de la diffusion d’une représentation de la sculpture sous forme de carte postale, ils ne se fondent que sur une carte postale produite par H B et la société H B LLC dont ils ne justifient pas qu’elle aurait été mise en vente en France, alors que cette carte présente des mentions en langue allemande.

Par ailleurs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a relevé que les consorts X n’établissaient pas la participation de la société H B LLC à la communication au public des reportages et images de télévision diffusées sur les sites www.arte.tv et www.lemonde.fr, et qu’il en était de même pour le DVD 'H B un homme de confiance', dont elle n’apparaît du reste pas comme co-productrice. Il n’est pas non plus justifié que la société H B LLC soit responsable de la mise en ligne, notamment sur le site Youtube, des reportages incriminés, en langue anglaise, et il ne peut non plus lui être reproché un article dans la revue Artpresse de février 2018 montrant la sculpture incriminée, cet article étant signé d’un tiers.

En revanche, le procès-verbal de constat du 1er août 2017 établit que la sculpture était visible sur le site www.jeffkoons.com appartenant à la société H B LLC, site qui diffusait aussi d’autres vidéos montrant cette sculpture. Le jugement, qui a retenu que la société H B LLC était responsable de la publication de l’image de la sculpture sur son site, sera confirmé sur ce point.

Le centre G a proposé à la vente des catalogues, portfolios et albums consacrés à la rétrospective H B reproduisant une représentation de la sculpture incriminée.

Le contrat conclu le 1er décembre 2004 entre le centre G et la société H B LLC montre que cette société donnait son autorisation au centre G pour reproduire les oeuvres et devait approuver tous les aspects du catalogue dont les maquettes, de sorte que sa responsabilité est également engagée dans la diffusion des ouvrages reproduisant la sculpture commercialisés lors de l’exposition.

S’agissant des droits moraux, l’article L121-1 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment que

'L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre.

Ce droit est attaché à sa personne.

Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.

Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.'…

Il ressort des développements précédents que la sculpture 'Naked', si elle incorpore la photographie préexistante de Y-L X, révèle, par le choix de réaliser une sculpture en porcelaine en couleurs, par les apports réalisés absents de la photographie et le message véhiculé, l’empreinte de la personnalité de H B.

Si l’article L112-3 du code de la propriété intellectuelle indique que 'est dite composite l’oeuvre nouvelle à laquelle est incorporée une oeuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière', l’article L113-4 précise que 'l’oeuvre composite est la propriété de l’auteur qui l’a réalisée, sous réserve des droits de l’auteur de l’oeuvre préexistante'.

En l’espèce, la sculpture 'Naked' est l’oeuvre de H B, elle constitue une oeuvre seconde qui révèle l’expression de ses choix artistiques, dont le message est très différent de la photographie, laquelle donnait une impression de grâce et de pureté de ce couple d’enfants nus se tenant par la main, alors que la représentation de ce couple d’enfants par H B revendique une connotation sexuelle, évoquant l’éveil du désir et invitant le spectateur à se débarrasser du sentiment de

culpabilité.

H B ayant omis d’indiquer le nom de l’auteur de l’oeuvre première, il convient de retenir l’atteinte au droit de paternité. En revanche, la sculpture 'Naked' contenant l’expression des choix artistiques de son auteur et de sa sensibilité, elle est en soi accessible à la protection, et le grief d’atteinte au respect de l’oeuvre première ne sera pas retenu.

Le jugement sera donc confirmé sur ce point.

Sur l’indemnisation du préjudice

Les consorts X font notamment état de l’importance de la série 'Banality’ dans le succès de H B, du prix très élevé atteint par certains exemplaires de la sculpture 'Naked’ et du succès de l’exposition, qui sont à considérer pour apprécier les conséquences économiques négatives de l’atteinte à leurs droits moraux. Ils fondent leurs demandes patrimoniales sur la reproduction de la sculpture sur différents supports. Ils ajoutent que H B et la société H B LLC connaissaient l’existence de droits sur la photographie, que le centre G pouvait aussi faire le rapprochement avec la photographie de Y-L X.

H B et la société H B LLC relèvent que le site www.jeffkoons.com s’adresse à un public anglophone, que la sculpture n’y apparaît plus depuis le 30 août 2017, et qu’une sanction visant un site étranger du fait de son accessibilité en France est disproportionnée. Ils ajoutent que les faits reprochés ne justifient pas les montants sollicités, en relevant qu’ils n’ont pas été rémunérés pour l’exposition ni perçu de redevances pour celle-ci. Ils soulignent l’absence de conséquences négatives et de préjudice moral pour les consorts X, et contestent leurs calculs de préjudice.

Le centre G s’oppose au prononcé d’une condamnation solidaire à son encontre, et relève que les consorts X ne calculent pas le préjudice découlant de la vente des livres en cause, alors qu’il a communiqué ses chiffres. Il fait état de l’absence de préjudice subi par les consorts X, en soulignant le faible revenu tiré de l’exploitation de la photographie, dont la valeur est sans rapport avec les demandes indemnitaires. Enfin, il avance que les demandes d’interdiction et de destruction sollicitées sont disproportionnées.

Sur ce

Le jugement a condamné la société H B LLC pour la reproduction de l’oeuvre contrefaisante sur le site www.jeffkoons.com, ainsi que l’établit le procès-verbal de constat du 12 mai 2014, au versement de la somme de 4000 euros, avec interdiction de poursuivre de tels actes.

La société H B LLC indique que la sculpture n’apparaît plus sur son site depuis le 20 août 2017 ; elle produit pour en justifier une capture d’écran.

La cour observe que si ce site, accessible depuis la France, est en langue anglaise, il présente principalement des représentations des oeuvres de H B, de sorte que le public français non anglophone peut aisément le visiter et avoir accès à ces représentations.

L’interdiction de présenter sur ce site une oeuvre jugée contrefaisante, en ce qu’elle empêche de reprendre sur ce site la présentation de ladite oeuvre et donc le renouvellement de la contrefaçon, ne constitue pas une sanction disproportionnée.

Elle sera donc confirmée, ainsi que la condamnation pécuniaire prononcée à ce titre, en réparation des préjudices moraux et patrimoniaux subis de ce fait par les consorts X.

S’agissant des dommages causés par la publication des catalogues, albums et portfolios, il ressort de

l’attestation de la directrice juridique et financière du Centre G que celui-ci a vendu 7780 catalogues, 12521 albums et 5372 portfolios, et que la vente de ces éditions a permis de dégager un solde net de 64059 euros.

Le centre G ne peut se fonder sur la seule application de la grille prévoyant la rémunération par oeuvre éditée par la SAIF (Société des auteurs des arts visuels et de l’image fixe), société de perception des droits dont était adhérent Y-L X, pour calculer la rémunération à laquelle il aurait pu prétendre, alors que son consentement n’a pas été sollicité.

Il ressort des courriels échangés entre le centre G et la société H B LLC que le musée, dans le cadre de la négociation des termes du contrat encadrant la publication des livres et albums portant sur l’exposition, a proposé d’insérer une clause de garantie par la société H B LLC et que celle-ci n’a répondu qu’après plusieurs relances du musée, en lui adressant tardivement un contrat dépourvu de clause de garantie, les 23 octobre et 7 novembre 2014, alors que la mise en demeure des consorts X lui était parvenue le 28 octobre 2014.

Ce contrat signé le 1er décembre 2014, avant que le courrier de mise en demeure des consorts X ne parvienne à la direction du centre G, précise notamment que le catalogue de l’exposition est une version française du catalogue édité par le Whitney Museum.

La société H B LLC a adressé au centre G la photographie de la sculpture 'Naked’ devant figurer dans les ouvrages publiés, elle a été consultée et a donné des directives au musée pour les publications. Elle a défini la place des oeuvres au sein de l’exposition, notamment celle que devait occuper la sculpture 'Naked'.

Il en résulte que l’exposition comme la préparation des ouvrages a été réalisée sous le contrôle de société H B LLC, qui a adressé la photographie de la sculpture et n’a pas averti le musée du risque lié à sa présentation, alors qu’elle en était informée.

Aussi, si la responsabilité du centre G est engagée, car en tant que professionnel il se devait de prendre toutes précautions utiles et a participé à la contrefaçon en distribuant les publications en cause, il n’a été informé que très tardivement et a fait réaliser un nouveau tirage des portfolio et album, dénués de la représentation de la sculpture querellée, de sorte que sa responsabilité est moins engagée que celle de la société H B LLC.

Il ne sera par conséquent condamné in solidum avec la société H B LLC qu’à hauteur de 10% de la condamnation prononcée, et le jugement sera réformé sur ce point.

Au vu du nombre d’exemplaires des ouvrages vendus, le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice patrimonial subi par les consorts X du fait de la représentation de la sculpture en cause qui y figurait en condamnant in solidum la société H B LLC et le centre G au paiement de 10.000 euros à ce titre.

La réparation du préjudice moral subi par les consorts X du fait de la représentation d’une sculpture portant atteinte au droit de paternité de l’auteur par la condamnation de la société H B LLC et du centre G au versement de 10.000 euros sera également confirmée, dans les conditions de la solidarité précédemment énoncées.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé s’agissant des mesures d’interdiction, et en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à publication.

Les condamnations prononcées en première instance au titre des dépens et sur le fondement de

l’article 700 du code de procédure civile seront confirmées.

La société H B LLC et le centre G seront condamnés aux dépens, ainsi qu’au versement d’une somme totale de 10.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, cette condamnation couvrant les frais de constat, dans les conditions de solidarité qui figureront au dispositif.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Confirme le jugement du 9 mars 2017, sauf s’agissant des termes de la condamnation in solidum prononcée à l’encontre de la société H B LLC et du centre G,

Dit que le centre G sera tenu in solidum avec la société H B LLC pour 10% du montant des condamnations prononcées par le jugement,

Y ajoutant,

Rejette toute autre demande,

Condamne in solidum la société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G à verser ensemble à C D, épouse X, E X et R-S T-X la somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel, et dit que le centre G est tenu in solidum pour 10% de ce montant,

Condamne in solidum la société H B LLC et le Centre National d’Art et de N F G en tous les dépens de première instance et d’appel, dont distraction au profit de Maître I J, avocat, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENT LE GREFFIER

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 1, 17 décembre 2019, n° 17/09695