CAA de VERSAILLES, 5ème chambre, 10 mai 2021, 18VE04196

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L’office public de l’habitat Seine Ouest Habitat a demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise de condamner in solidum la société Eiffage construction, son assureur la société mutuelle d’assurance du bâtiment et des travaux publics (SMABTP), la mutuelle des architectes français (MAF) prise en qualité d’assureur de la société Aurige et la société Socotec à lui verser la somme de 3 257 859,23 euros TTC en réparation des préjudices subis du fait des malfaçons affectant les balcons d’un ensemble immobilier dont il est propriétaire à Issy-les-Moulineaux et de mettre à la charge de chacune de ces sociétés le versement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1508131 du 16 octobre 2018, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a condamné la société Eiffage construction à verser à l’OPH Seine Ouest Habitat la somme de 3 179 348,17 euros TTC ainsi que la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés respectivement le 14 décembre 2018, le 6 janvier 2020 et le 26 février 2020, la société Eiffage construction, représenté par Me Naba, avocat, demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de l’OPH Seine Ouest Habitat ;

3°) à titre subsidiaire, en cas de condamnation, de condamner in solidum la SMABTP, la MAF et la société Socotec à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

4°) de mettre à la charge de l’OPH Seine Ouest Habitat in solidum avec tous succombant le versement de la somme de 7 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— le jugement attaqué n’est pas suffisamment motivé ;

 – il a dénaturé les faits du dossier, procédé à un renversement de la charge de la preuve et retenu des motifs dubitatifs et hypothétiques ;

- l’action de l’OPH Seine Ouest Habitat est prescrite en application de l’article 2224 du code civil qui instaure une prescription quinquennale ; si à la date de l’effondrement du balcon le 25 janvier 2007, l’action était soumise à une prescription trentenaire de droit commun, la loi du 17 juin 2008 a réformé les délais de prescription et ramené le délai de prescription applicable aux actions de nature contractuelle à cinq ans ; les dispositions transitoires de la loi du 17 juin 2008 ont prévu l’application immédiate du nouveau délai sans que la durée totale de la prescription puisse dépasser ce qui était prévu par l’ancien délai ; ainsi, pour des faits antérieurs à la loi du 17 juin 2008 comme en l’espèce, un nouveau délai d’action a démarré le 17 juin 2008 et s’est achevé le 18 juin 2013 ; par suite, la demande de première instance introduite devant le tribunal le 28 septembre 2015 était tardive ; à cet égard, son intervention volontaire dans le cadre des opérations d’expertise n’a pu interrompre la prescription, la demande n’émanant pas de l’OPH Seine Ouest Habitat ; c’est à tort que le tribunal a voulu appliquer simplement « les principes dont s’inspire » l’article 2224 du code civil alors qu’il devait appliquer cette disposition directement ; c’est à tort que le tribunal a estimé que le point de départ de la prescription devait être fixé au 20 mars 2015, date de dépôt de l’expertise ; l’OPH Seine Ouest Habitat avait connaissance des faits depuis l’effondrement du balcon et les arrêtés de péril ; le rapport d’expertise a en outre été précédé de 21 réunions qui se sont tenues entre 2007 et 2010 ; la connaissance des faits permettant d’exercer l’action préexistait nécessairement au dépôt du rapport d’expertise ; la demande d’expertise en référé n’a pas eu pour effet d’interrompre la prescription en application de l’ancien article 2244 du code civil ;

- l’action de l’OPH Seine Ouest Habitat est prescrite en application de l’article 2232 du code civil qui prévoit une prescription maximale de 20 ans à compter du jour de la naissance du droit ; en matière contractuelle, il s’agit de la conclusion du contrat, soit en l’espèce le

15 septembre 1987 et, subsidiairement, au plus tard le jour de la réception des travaux prononcée avec effet le 27 octobre 1989 ;

- le jugement est insuffisamment motivé car le caractère volontaire des manquements aux règles de l’art repose sur une simple hypothèse et non sur une réelle démonstration ;

- le tribunal a manifestement dénaturé les éléments de fait, procédé à un renversement de la charge de la preuve et jugé par des motifs dubitatifs et hypothétiques ;

- les conditions d’engagement de sa responsabilité ne sont pas réunies ; la faute aussi grave soit-elle ne peut être assimilée au dol sans un manquement délibéré de l’entrepreneur à ses obligations et la volonté de ce dernier de tromper le maître d’ouvrage ; le rapport d’expertise ne permet pas de caractériser une telle intention ; sur la base du même rapport, la société Colisée Résidentiel a été déboutée de sa demande par les juridictions judiciaires qui n’ont pas retenu l’existence d’un dol ; aucun sinistre affectant la structure des balcons des immeubles n’a été révélé ; l’effondrement du balcon de l’appartement du 7e étage résulte d’une corrosion des armatures ; la liste des malfaçons retenues par l’expert ne concerne que des défauts isolés d’exécution inévitables dans la construction d’un groupe d’une dizaine d’immeubles dont aucun n’est en relation directe avec le seul sinistre survenu dans l’appartement situé au 7e étage ; rien ne justifiait de refaire l’intégralité des balcons ; la corrosion n’était qu’un phénomène parcellaire et limité ; aucun élément ne permet de qualifier l’existence d’un manœuvre dolosive ; si des malfaçons ont été commises, rien ne permet d’établir qu’elles l’aient été de manière consciente et volontaire ; aucune économie n’a été recherchée ; aucun des balcons de l’immeuble de l’OPH Seine Ouest Habitat ne présentait de désordre similaire (corrosion) ; l’immeuble de l’OPH Seine Ouest Habitat n’a subi aucun dommage ;

- aucun dommage n’ayant affecté les immeubles de l’OPH Seine Ouest Habitat, son préjudice est inexistant ; au mieux, le préjudice dont se prévaut l’OPH Seine Ouest Habitat est purement éventuel ; l’expert n’a pas prouvé mais seulement affirmé la potentialité du risque de sinistre ; les travaux de renforcement étaient inutiles ;

- les mesures provisoires et le renforcement complet de l’ensemble des balcons des immeubles appartenant à l’OPH ont été chiffrés par l’expert à la somme de 3 008 447,43 euros TTC ; la demande de l’OPH ne pourrait être admise qu’à la hauteur de cette somme ;

- elle est fondée à être garantie de toute condamnation par la SMABTP, son assureur, la MAF en sa qualité d’assureur des sociétés Aurige et France Etude et par le contrôleur technique, la société Socotec, le rapport d’expertise soulignant plusieurs erreurs de conception.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

—  le code civil ;

- la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

—  le rapport de Mme Sauvageot,

- les conclusions de M. Clot, rapporteur public,

- les observations de Me Gosset, pour la société Eiffage construction, de Me Bodin, pour l’OPH Seine Ouest Habitat et celles de Me Menguy, pour la société mutuelle d’assurances du bâtiment et des travaux publics.

Considérant ce qui suit :

1. Entre 1987 et 1989, l’office public d’habitations à loyers modérés (OPHLM) d’Issy-les-Moulineaux, devenu office public de l’habitat (OPH) Seine Ouest Habitat, a fait construire plusieurs immeubles dans la zone d’aménagement concerté de l’Ile-Saint-Germain permettant la création de quatre-vingt-cinq logements sociaux. Les travaux ont été confiés à M. A…, architecte, à la société auxiliaire d’entreprises de la région parisienne (SAEP), constructeur et à la société Socotec, contrôleur technique. Ces travaux s’inscrivaient dans le cadre d’une opération plus vaste comportant deux programmes privés réalisés par les mêmes constructeurs.

La réception des ouvrages a été prononcée au 27 octobre 1989, assortie de réserves qui ont été levées définitivement le 28 juin 1991. Le 25 janvier 2007, vers 11 h 30, le balcon du 7e étage de l’immeuble situé 3/13 avenue Jean Monnet, s’est effondré emportant dans sa chute l’ensemble des balcons inférieurs. Le 26 janvier 2007, M. B…, expert, a été désigné par le tribunal administratif de Versailles pour émettre un avis sur les risques d’effondrement des balcons de l’ensemble immobilier et la gravité du péril pour les personnes et les biens. Au vu de son rapport déposé le 7 février 2007, le maire d’Issy-les Moulineaux a pris un arrêté de péril imminent prescrivant aux propriétaires des six immeubles concernés diverses mesures conservatoires. Le 18 juin 2007, le tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné une expertise et désigné
M. C… en qualité d’expert. Par un arrêté de péril ordinaire du 9 juillet 2007, le maire d’Issy-les Moulineaux a mis en demeure les propriétaires des immeubles concernés d’assurer la mise en sécurité pérenne des immeubles dans un délai de six mois. L’office a alors fait démolir et reconstruire la totalité des balcons. M. C…, désigné comme expert sur demande des propriétaires de trois des immeubles privés, a déposé son rapport le 20 mars 2015. L’OPH Seine Ouest Habitat a saisi le tribunal administratif de Cergy-Pontoise d’une demande de condamnation in solidum, sur le fondement de la responsabilité pour faute assimilable à une fraude ou à un dol, de la société Eiffage Construction, venant aux droits de la SAEP, de son assureur la SMABTP, de la MAF prise en qualité d’assureur de la société Aurige, venue aux droits de M. A…, et de la société Socotec France, aux droits de laquelle vient la société Socotec construction, à lui verser la somme de 3 257 859,23 euros TTC en réparation des préjudices qu’il estime avoir subis à raison des malfaçons affectant les balcons. La société Eiffage construction relève appel du jugement du tribunal administratif de Cergy-Pontoise du 16 octobre 2018 la condamnant à verser à l’OPH Seine Ouest Habitat la somme de 3 179 348,17 euros TTC. Par voie d’appel incident, l’OPH demande à la cour de porter le montant de cette condamnation à la somme de 3 252 376,77 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu, les conclusions dirigées contre les assureurs des personnes responsables du dommage sont relatives à l’exécution d’obligations de droit privé entre ces entreprises et leurs assureurs et échappent dès lors à la compétence de la juridiction administrative. Par suite, en rejetant les conclusions dirigées contre la SMABTP et la MAF comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître, le tribunal n’a pas entaché d’irrégularité le jugement attaqué. Par suite, les conclusions dirigées contre la SMABTP et la MAF doivent être rejetées.

3. En deuxième lieu, aux termes de l’article L. 9 du code de justice administrative : « Les jugements sont motivés ». Il résulte des motifs mêmes du jugement attaqué que le tribunal, qui n’était pas tenu de répondre à l’ensemble des arguments invoqués par l’intéressée, a suffisamment précisé aux points 6 et 7 du jugement attaqué les motifs pour lesquels il a estimé que les manquements commis par l’entreprise de construction ne pouvaient avoir qu’un caractère volontaire. Par suite, le moyen tiré de ce que ce jugement serait irrégulier, faute d’une motivation suffisante, doit être écarté.

4. Enfin, si la société Eiffage construction soutient que le tribunal a dénaturé les éléments de faits, procédé à un renversement de la charge de la preuve et jugé par des motifs dubitatifs et hypothétiques, ces moyens qui se rattachent au bien-fondé du raisonnement suivi par le tribunal administratif, ne sont pas de nature à entacher ce jugement d’irrégularité.

Sur la responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou à un dol :

En ce qui concerne l’exception de prescription :

5. Aux termes de l’article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile : « Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. ». Aux termes de l’article 2222 du même code : « (…) En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». Aux termes du premier alinéa de l’article 2232 de ce code : « Le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit (…) ».

6. D’une part, le délai de prescription de l’action engagée par l’OPH Seine Ouest Habitat, qui a été réduit par la loi précitée du 17 juin 2008, est, en application des dispositions précitées des articles 2224 et 2222 du code civil, de cinq ans à compter du jour où l’OPH a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer cette action. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de considérer que ce n’est qu’à compter du dépôt du rapport d’expertise le 20 mars 2015 que l’OPH Seine Ouest Habitat a eu connaissance précise et complète des malfaçons affectant les balcons lui permettant d’exercer une action à l’encontre des constructeurs sur le fondement de leur responsabilité contractuelle pour faute assimilable à une fraude ou un dol. A cet égard, la circonstance que de nombreuses réunions ont été organisées entre 2007 et 2010 dans le cadre de l’expertise judiciaire ne permet pas d’établir que l’OPH Seine Ouest Habitat disposait à ces dates d’une information complète des faits et que le délai de prescription aurait ainsi commencé à courir à cette période. L’OPH ne saurait davantage être regardé comme ayant eu connaissance de l’existence d’un dol par le rapport d’expertise déposé dans le cadre de la procédure de péril ou par la circonstance qu’il a entrepris dès 2008 les travaux de reprise des balcons dès lors, d’une part, que le rapport ne prononce pas sur les malfaçons éventuellement imputables à certains constructeurs mais seulement sur l’état des balcons, la dangerosité de la construction et les mesures conservatoires à prendre et, d’autre part, que les travaux de reprise ont été effectués après mise en demeure dans le cadre d’une procédure de péril imminent. Dans ces conditions, la demande enregistrée au greffe du tribunal administratif de Cergy-Pontoise le 18 septembre 2015 n’était pas prescrite.

7. D’autre part, il résulte de ce qui précède que le délai de prescription quinquennale n’a commencé à courir qu’à compter du dépôt du rapport d’expert le 20 mars 2015, date à laquelle l’OPH a pu avoir connaissance des faits relevant de la faute assimilable à une fraude ou un dol commise par le constructeur. Le point de départ de la prescription n’ayant été ni reporté, ni suspendu, ni interrompu, la société Eiffage construction ne peut utilement se prévaloir des dispositions précitées de l’article 2232 du code civil.

En ce qui concerne l’existence d’une faute assimilable à une fraude ou à un dol :

8. L’expiration du délai de l’action en garantie décennale ne décharge pas les constructeurs de la responsabilité qu’ils peuvent encourir en cas ou bien de fraude ou de dol dans l’exécution de leur contrat, ou bien d’une faute assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave, par sa nature ou ses conséquences, de leurs obligations contractuelles, commises volontairement et sans qu’ils puissent en ignorer les conséquences.

9. Il résulte de l’instruction notamment des expertises conduites par M. B… et
M. C… que la société SAEP avait elle-même fait le choix de préfabriquer les dalles des balcons en les présentant sur étaiement au moment du collage des dalles de plancher dans l’immeuble. Or, le ferraillage des balcons prévu par le constructeur était nettement trop faible, trois fois moins important que ce qu’exige la réglementation. En outre, s’agissant d’un balcon préfabriqué, la reprise de bétonnage exigeait une surface rugueuse alors que la société SAEP a réalisé un parement des dalles de béton parfaitement lisse au moment de l’exécution des planchers, ce qui signifie que les ouvrages ne correspondaient plus au matériau « béton armé ». Les experts ont également souligné que l’engravure de 2 centimètres dans les façades n’a pas été respectée ce qui a exposé la reprise de bétonnage aux diverses intempéries et que les treillis soudés qui constituaient les armatures inférieures des dalles de plancher ne pénétraient pas dans les dalles de plancher alors que cela était prévu sur les plans pour améliorer la reprise de bétonnage. Il a également été souligné que la mise en œuvre du béton a laissé de nombreux nids d’abeille, voire des vides, dans le parement des dalles coulées au niveau de leurs interfaces avec les dalles de balcon. L’ensemble de ces éléments a conduit à l’ouverture d’un « joint sec » au niveau de la reprise de bétonnage et par suite à une forte corrosion des armatures supérieures qui ont fini par céder et entraîner l’effondrement d’un balcon. Il résulte de l’instruction et notamment des études réalisées en 2007 qu’eu égard aux caractéristiques de leur conception et de leur construction, les balcons pouvaient s’effondrer sous le seul effet de leur propre poids. Contrairement à ce que fait valoir la société Eiffage construction, il résulte des opérations d’expertise conduites par M. C… que la corrosion d’armatures a été observée ailleurs que sur le balcon qui s’est détaché de la façade et plus particulièrement sur des balcons du programme immobilier appartenant à l’OPH Seine Ouest Habitat. Pour sa part, la société Eiffage construction ne conteste à aucun moment ni la réalité de ces manquements, ni leur gravité, ni qu’ils sont à l’origine de l’effondrement du balcon. En outre, la société n’allègue pas qu’elle pouvait légitimement penser que les techniques de construction qu’elle avait choisies présentaient des garanties de fiabilité et de solidité suffisantes et ne présente aucun élément de nature à justifier les manquements qui lui sont reprochés. Eu égard à la nature et à la gravité extrême de ces manquements et leurs conséquences, les manquements du constructeur à ses obligations contractuelles ne pouvaient avoir qu’un caractère volontaire et la SAEP ne pouvait en ignorer les conséquences. Dans ces conditions, l’OPH Seine Ouest Habitat est fondée à solliciter l’engagement de la responsabilité de la société Eiffage construction pour faute assimilable à une fraude ou à un dol à raison des malfaçons affectant les balcons.

10. L’OPH Seine Ouest Habitat sollicite également la condamnation de la société Socotec, contrôleur technique. Toutefois, la seule circonstance que les manquements de la société SAEP aient échappé à la surveillance de la société Socotec ne permet pas d’établir que la faute de cette dernière serait assimilable à une fraude ou à un dol.

En ce qui concerne les préjudices :

S’agissant des préjudices matériels :

11. L’OPH Seine Ouest Habitat sollicite la condamnation de la société Eiffage construction à lui verser la somme de 3 018 078,58 euros TTC au titre du coût des travaux engagés pour la réfection des balcons.

12. En premier lieu, la société Eiffage construction soutient que ces travaux ne sont pas indemnisables au motif que le préjudice dont se prévaut l’OPH Seine Ouest Habitat ne présente qu’un caractère éventuel dès lors que ses balcons n’étaient affectés d’aucun désordre et que ces travaux présentaient donc un caractère inutile. Toutefois, il résulte de l’instruction et notamment des opérations d’expertise, que l’ensemble des balcons, y compris ceux de l’ensemble immobilier appartenant à l’OPH Seine Ouest Habitat, étaient affectés des mêmes malfaçons que celui qui s’était effondré et qu’ils étaient donc tous insuffisamment armés pour résister à leur propre poids. Face à ce danger et alors que l’expert avait retenu que « le risque d’effondrement est général », l’OPH Seine Ouest Habitat était fondé à entreprendre des travaux de réparation pour prévenir tout risque menaçant les biens et les personnes. En outre, si l’OPH Seine Ouest Habitat a fait le choix de démolir les balcons existants et de les faire reconstruire plutôt que de procéder à des mesures de renforcement, il résulte de l’expertise et du chiffrage du coût des travaux opérés sur les trois immeubles que les travaux menés pour l’OPH ont été les moins onéreux. La société Eiffage construction n’apporte au demeurant aucun élément tendant à démontrer qu’une option technique autre que la démolition aurait été moins coûteuse. Dans ces conditions, les travaux engagés par l’OPH Seine Ouest Habitat étaient justifiés et présentent le caractère d’un préjudice indemnisable.

13. En second lieu, s’agissant du montant de ces travaux, l’OPH Seine Ouest Habitat est fondé à demander la condamnation de la société Eiffage construction à lui verser la somme totale de 3 008 447,43 euros TTC au titre de ces travaux, d’ailleurs retenue par l’expert. Cette somme comprend l’ensemble des dépenses engagées par l’OPH, qui ne sont pas contestées par les parties en défense et justifiées dans leur réalité et leur montant par les pièces contractuelles des marchés conclus à hauteur de 1 991 818,08 euros TTC pour les travaux de démolition et de reconstruction, de 430 694,02 € TTC pour les travaux de ravalement, de 118 220,41 euros TTC pour les honoraires d’architecte sur la période 2007-2008, de 101 758,05 euros TTC pour les honoraires d’architecte sur la période 2009-2010 et de 365 956,87 euros TTC pour des travaux divers (clôtures, sécurité, sondages etc…). En revanche, l’OPH Seine Ouest Habitat n’établit pas le lien de causalité entre la réfection des balcons et le remplacement des stores dans six appartements pour une somme de 9 632,15 euros TTC, que l’expert a d’ailleurs lui-même exclue.

S’agissant des préjudices immatériels :

14. L’OPH Seine Ouest Habitat est fondé à solliciter la somme de 170 900,74 euros TTC correspondant au dégrèvement forfaitaire de 20 % qu’il a été conduit à consentir à ses locataires en exécution notamment de plusieurs arrêts de la cour d’appel de Versailles. La société Eiffage construction n’apporte aucun élément appuyant l’allégation selon laquelle 20 % serait une appréciation disproportionnée du trouble de jouissance subi par les locataires de l’immeuble.

15. En revanche, par le seul tableau produit en première instance, l’OPH Seine Ouest Habitat n’apporte aucune justification suffisante de l’existence des frais de justice d’un montant de 63 397,45 euros TTC qu’il aurait exposés, en lien direct avec les désordres en litige.

Sur les appels en garantie :

16. Si la société Eiffage construction sollicite la condamnation de la société Socotec construction à la garantir des condamnations prononcées à son encontre, elle n’apporte aucun élément de nature à établir que la responsabilité pour faute du contrôleur technique serait engagée. Dans ces conditions, ses conditions d’appel en garantie ne peuvent qu’être rejetées.

17. Il résulte de tout ce qui précède, d’une part, que la société Eiffage construction n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise l’a condamnée à verser à l’OPH Seine Ouest Habitat la somme totale de 3 179 348,17 euros TTC et, d’autre part, que les conclusions d’appel incident de l’OPH Seine Ouest Habitat doivent être rejetées.

Sur les frais liés à l’instance :

18. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l’OPH Seine Ouest Habitat, qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la société Eiffage construction demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Eiffage construction une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par l’OPH Seine Ouest Habitat et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l’espèce, les conclusions de même nature présentées par la société Socotec construction, la SMABTP et la MAF peuvent être rejetées.


DÉCIDE :


Article 1er : La requête de la société Eiffage construction est rejetée.

Article 2 : La société Eiffage construction versera à l’OPH Seine Ouest Habitat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

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N° 18VE04196

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