Tribunal Judiciaire de Nanterre, 21 janvier 2020, n° 19/11354

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Sur la décision

Référence :
TJ Nanterre, 21 janv. 2020, n° 19/11354
Numéro(s) : 19/11354

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE NANTERRE

PÔLE CIVIL

1ère Chambre

JUGEMENT RENDU LE 21 Février 2020

N° RG 19/11354 – N° P o r t a l i s DB3R-W-B7D-VLRN

N° Minute :

AFFAIRE

S.C.I. ASR, B Z

C/

D F Z épouse X

Copies délivrées le :

DEMANDEURS

S.C.I. ASR 18 rue Edouard Laferrière 92190 MEUDON

Monsieur B Z […]

représentés par Me Alexandra SIX, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0006

DEFENDERESSE

Madame D F Z épouse X […]

représentée par Me Antoine CHRISTIN, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 720

L’affaire a été débattue le 22 Janvier 2020 en audience publique devant le tribunal composé de :

Daniel BARLOW, Premier vice-président Sophie MARMANDE, Vice-Présidente Julien RICHAUD, Vice-président

qui en ont délibéré.

Greffier lors du prononcé : Christine DEGNY, Greffier.

JUGEMENT

prononcé en premier ressort, par décision contradictoire et mise à disposition au greffe du tribunal conformément à l’avis donné à l’issue des débats.

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Faits et procédure

1. M. B Z et Mme D Z, épouse X, sont associés égalitaires au sein de la société civile immobilière ASR, dont ils assurent la cogérance.

2. Propriétaire de plusieurs lots dans un immeuble sis […], cette société est confrontée à d’importantes difficultés financières, pour avoir contracté un prêt in fine dont le dernier terme, échu le 5 septembre 2019, n’a pas été honoré, provoquant, le 24 octobre 2019, une mise en demeure d’avoir à payer la somme 231 356,99 euros sous peine de saisie immobilière, alors qu’elle se trouve privée de revenus, l’expulsion de son locataire ayant été prononcée le 23 mai 2019, pour non-paiement des loyers.

3. Les associés s’opposent sur les mesures à prendre face à cette situation. Tandis que M. Z propose une augmentation de capital, pour laquelle il a convoqué une assemblée générale le 20 août 2019, à laquelle Mme X ne s’est pas rendue, déclarant s’abstenir de voter des résolutions inscrites à l’ordre du jour, cette dernière souhaite vendre l’immeuble et procéder à la dissolution de la société.

4. À la suite du commandement de payer délivré le 24 octobre 2019, la société ASR a été autorisée, par ordonnance sur requête du 25 novembre 2019, à assigner Mme X à jour-fixe.

5. Par acte introductif d’instance du 27 novembre 2019, elle a attrait l’intéressée devant le tribunal de céans aux fins notamment de voir juger qu’elle a commis un abus d’égalité en s’abstenant de voter en faveur de l’augmentation de capital d’un montant de 220 004 euros par apport en numéraire de M. Z et d’être autorisée à procéder à cette opération.

6. Lors de l’audience du 8 janvier 2020, les parties ont sollicité le renvoi de l’affaire, qui leur a été accordé au 22 janvier 2020.

7. Mme X a en outre été autorisée à assigner à jour-fixe, à cette même audience, M. Z, ès-qualités, en intervention forcée.

8. Aux termes de leurs dernières écritures, notifiées par voie électronique le 20 janvier 2020 et reprises à l’audience, sauf pour ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à l’intervention forcée de M. Z, non soutenue, la société ASR et M. Z demandent au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et au visa des articles 15 et suivants, 66 et suivants, 122, 325, 326, 331, alinéa 3, 788 et suivants du code de procédure civile, 1240, 1846, 1844-7, 5°, et 1869 du code civil, de la jurisprudence et des pièces versées aux débats, de :

- dire et juger que l’assignation en intervention forcée de M. B Z est irrecevable ;

- dire et juger que les demandes formulées contre M. B Z sont irrecevables et mal fondées ;

- prononcer l’irrecevabilité des demandes incidentes et reconventionnelles de Mme X ;

- dire et juger que les demandes incidentes de Mme X sont mal fondées ;

- débouter Mme X de ses demandes, fins et conclusions ;

- juger que Mme D X, associée égalitaire de la SCI ASR, a commis un abus d’égalité en s’abstenant de voter en faveur de l’augmentation de capital d’un montant de 220 004 euros par apport en numéraire ;

En conséquence :

- adopter la résolution n° 2 de l’assemblée générale du 2 août 2019 et autoriser la SCI ASR à procéder une augmentation de capital de 220 004 euros par l’émission de 14 436 parts nouvelles d’une valeur nominale de 15,24 euros chacune à libérer en numéraire par apport en numéraire de Monsieur B Z ;

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À défaut :

- désigner tout mandataire ad hoc au choix du tribunal, avec pour mission de représenter Mme D X à la nouvelle assemblée générale qui sera convoquée en vue de procéder à une augmentation de capital, et de voter en lieu et place de Mme X, en conformité avec l’intérêt social de la SCI ASR ;

En tout état de cause :

- condamner Mme D X à verser la somme de 5 000 euros à la SCI ASR sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme D X à verser la somme de 3 000 euros à Monsieur B Z sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme D X aux entiers dépens de la présente instance sur le fondement des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.

9. Selon ses dernières écritures, notifiées par voie électronique le 20 janvier 2020 et intégralement reprises à l’audience, Mme X demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et au visa des articles 1844-7 et 1869 du code civil, 31, 514 et suivants, 696 et 700 du code de procédure civile, et l’adage selon lequel « nul ne plaide par procureur », de :

- ordonner la jonction des procédures n° 19/11354 et n° 20/00152 ;

Sur les demandes de la SCI ASR et de M. B Z :

- dire et juger que Mme D X n’a commis aucun abus d’égalité :

- en refusant la résolution n° 1 : elle ne pouvait raisonnablement réunir 110 002,00 euros en un mois seulement (la résolution imposait de payer cette somme au plus tard le 4 septembre 2019 ; elle a été reçue le 2 août 2019 par courriel) ;

- en refusant la résolution n° 2 de la convocation du 2 août 2019 : contrairement à ce qu’affirme M. B Z, il existe une solution alternative qui réside tout simplement dans la cession de l’actif immobilier (mieux valorisé que jamais depuis l’expulsion récente du locataire) ;

- dire et juger en outre :

- que la SCI ASR ne démontre pas que l’augmentation du capital social serait nécessaire pour la survie de la société ;

- que, au contraire, il est aujourd’hui démontré qu’elle n’y suffirait pas compte tenu des condamnations récemment prononcées par le tribunal judiciaire de Nanterre (pièce n° 69) et par la situation financière de la SCI ASR manifestement obérée (pièce n° 78) ;

- que c’est la fin du contentieux qui oppose les associés qui serait nécessaire (l’augmentation du capital social ne ferait que pérenniser une situation qui ne peut que se dégrader au détriment des associés eux-mêmes) ;

- que la SCI ASR ne démontre pas que Mme X agirait dans son intérêt personnel au détriment de l’intérêt de M. B Z et/ou de l’intérêt de la société ;

- que le tribunal ne peut se substituer aux organes sociaux pour autoriser une augmentation de capital social ;

Et, par conséquent,

- déclarer mal-fondée et débouter la SCI ASR de l’ensemble de ses prétentions, fins et conclusions ;

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Reconventionnellement :

À titre principal :

- constater la disparition de l'affectio societatis entre M. B Z et elle et donc un juste motif de dissolution anticipée ;

Et, par conséquent,

- prononcer la dissolution de la SCI ASR, société civile immobilière au capital social de 1 524,49 euros, RCS Nanterre 348 700 592, siège social : […] ;

À titre subsidiaire :

- constater la disparition de l'affectio societatis entre M. B Z et elle et donc un juste motif de retrait ;

Et, par conséquent,

- l’autoriser à se retirer de la SCI ASR, société civile immobilière au capital social de 1 524,49 euros, RCS Nanterre 348 700 592, siège social : […] ;

- rappeler que l’associé qui se retire a droit au remboursement de ses parts dont la valeur, à défaut d’accord amiable, sera fixée par expertise conformément aux dispositions de l’article 1843-4 du code civil ;

- constater la réunion entre les mains de M. B Z de toutes les parts de la SCI ASR ;

En tout état de cause :

- nommer en qualité de liquidateur judiciaire de la SCI ASR tel liquidateur judiciaire qu’il plaira avec mission :

- de procéder au recouvrement ou à la cession de créances ;

- d’établir les comptes de ladite SCI ;

- de procéder à la vente des immeubles sociaux ;

- de résilier tout contrat ;

- de procéder à l’établissement des comptes de liquidation desdites SCI en fixant les droits revenant à chacun des associés ;

- plus généralement, de faire tous actes d’administration, représenter la société dissoute vis-à-vis des tiers, délivrer et certifier tous documents et comptes sociaux, remplir toutes formalités de publicité et faire tout ce qui sera utile à la liquidation de la société ;

- de procéder aux formalités de publicité prévues par la loi selon les formes et les délais prescrits ;

- fixer la provision à valoir sur les honoraires du liquidateur qui sera consignée au greffe dans tel délai qu’il plaira au tribunal de fixer ;

- autoriser Mme D X à consigner aux lieu et place de la SCI ASR, à charge pour le liquidateur désigné d’intégrer la dépense faite par elle aux lieu et place des sociétés dans les comptes de liquidation à intervenir ;

- débouter la SCI ASR et M. B Z de l’ensemble de leurs prétentions, fins et conclusions ;

- condamner M. B Z à lui payer une somme de 35 000 euros à titre de contribution à ses frais irrépétibles ;

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- condamner M. B Z aux entiers dépens.

10. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, le jugement sera contradictoire à leur égard, en application de l’article 467 du code de procédure civile.

11. Pour un complet exposé de leurs prétentions et moyens, il est renvoyé aux écritures précitées, en application des dispositions des articles 455 et 844 du code de procédure civile.

Motifs de la décision

12. À titre liminaire, le tribunal rappelle que les demandes de « constat », de « donner acte » ou de « dire et juger » ne sont pas des prétentions au sens de l’article 4 du code de procédure civile et ne méritent, à ce titre, aucun examen.

Sur la jonction des procédures

13. Conformément à l’article 367 du code de procédure civile, le juge peut, d’office ou à la demande des parties, ordonner la jonction de plusieurs instances pendantes devant lui s’il existe entre les litiges un lien tel qu’il est de l’intérêt d’une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.

14. En l’espèce, les procédures initiées, d’un côté, par la société ASR, sous le n° 19/11354, de l’autre, par Mme X, sous le n° 20/00152, présentent un lien évident, pour trouver leur cause dans les difficultés rencontrées par cette société et prétendre au prononcé de mesures propres à y remédier.

15. Leur jonction sera donc ordonnée dans l’intérêt d’une bonne justice, sous le numéro unique de rôle 19/11354.

Sur les demandes principales

Moyens des parties

16. La société ASR et M. Z soutiennent que, face à la situation d’urgence à laquelle se trouve confrontée la SCI du fait du commandement de payer délivré à son encontre et en l’absence de toutes rentrées financières lui permettant d’honorer cette échéance, l’augmentation de capital apparaît comme la seule solution pour assurer la pérennité de la société ; qu’en votant contre ou en s’abstenant, Mme X, qui détient 50 % des parts, empêche la réalisation de cette opération et oppose une obstruction systématique aux décisions envisagées par l’autre associé ; que cette position constitue un abus de vote qui nuit aux intérêts de la SCI et à sa pérennité dans l’unique but de favoriser ses intérêts ; qu’elle ne saurait tirer sa justification des résolutions proposées par M. Z dès lors, d’une part, que Mme X, qui connaît de longue date la situation financière critique de la société, disposait d’un temps suffisant pour réunir des fonds lui permettant d’envisager une augmentation de capital dans des conditions assurant le maintien de ses droits et, d’autre part, que la solution alternative consistant à permettre un apport exclusif de M. Z, avec diminution des droits de vote de Mme X à due concurrence, rejoint le souhait de cette dernière de se retirer de la société ; qu’enfin, la solution consistant à vendre l’actif immobilier ne correspond pas à l’intérêt social, qui réside dans la préservation du patrimoine de la société, et est inenvisageable du fait d’une procédure judiciaire en cours et du maintien dans les lieux du locataire défaillant.

17. Mme X réplique n’avoir commis aucun abus d’égalité dès lors que les résolutions proposées ne pouvaient être sérieusement acceptées, pour nécessiter, l’une, une mobilisation financière importante à bref délai, et l’autre, un abandon de ses droits ; que l'affectio societatis avait disparu et qu’une solution alternative à l’augmentation de capital existe, qui consiste en la vente de l’actif immobilier, plus valorisé que jamais depuis l’expulsion du locataire défaillant ; que cette option permettrait à la société d’honorer sa dette sans que les associés aient à s’endetter ; qu’elle est conforme à l’intérêt social ; que l’augmentation de capital envisagée par M. Z ne permettrait pas, en toute hypothèse, de faire face au passif exigible, la SCI ayant été condamnée par jugement du tribunal de Nanterre du 16 janvier 2020 à remettre en état la façade

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de l’immeuble, à payer de lourdes indemnités de procédure aux parties adverses et à prendre à sa charge 90 % des dépens ; que cette augmentation de capital ne serait pas davantage de nature à mettre fin à la mésentente des associés ; que l’exploitation de la SCI n’est plus viable en l’état ; que les demandeurs ne démontrent pas que Mme X a agi dans son intérêt personnel ; qu’enfin, le tribunal ne peut se substituer aux organes sociaux en autorisant l’augmentation de capital sollicitée par M. Z et la SCI.

Réponse du tribunal

18. En droit, l’exercice de ses droits par l’associé égalitaire ou minoritaire ne dégénère en abus que s’il est démontré que son attitude est contraire à l’intérêt général de la société, en faisant obstacle à la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci dans l’unique dessein de favoriser ses intérêts propres au détriment de l’ensemble des autres associés.

19. L’abus ainsi caractérisé constitue une faute au sens de l’article 1240 du code civil, qui peut notamment, outre l’allocation de dommages et intérêts, laquelle reste subordonnée à la démonstration d’un préjudice en lien causal avec l’exercice abusif du droit, justifier la désignation d’un mandataire aux fins de représenter le ou les associés défaillants à une nouvelle assemblée et voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l’intérêt social, le juge ne pouvant cependant, en toute hypothèse, se substituer aux organes sociaux légalement compétents.

20. En l’espèce, il est constant que la SCI ASR est confrontée à une situation de péril imminent pour n’être plus en état d’honorer ses engagements ; qu’à la suite de l’expulsion de son locataire pour non-paiement des loyers, elle ne perçoit plus aucun revenu ; qu’elle s’est vue délivrer un commandement d’avoir à payer la somme de 231 356,99 euros sous peine de saisie immobilière ; que, dès avant cette mesure et en prévision de l’échéance du prêt qui l’a motivée, M. Z a soumis à l’approbation de l’assemblée générale deux projets de résolution, le premier prévoyant une augmentation de capital à parts égales par les deux associés égalitaires, par apports en numéraire d’une somme de 110 002 euros chacun, le second reposant sur un apport unique de sa part, pour un montant de 220 004 euros ; que Mme X s’est abstenue de voter ces résolutions, emportant ainsi leur rejet, les statuts exigeant une majorité des deux tiers.

21. Il ne saurait être contesté que l’augmentation de capital proposée par M. Z était, dans son principe, conforme à l’intérêt social, pour répondre à l’échéance d’un prêt que la société et ses associés ne pouvaient méconnaître et qui, compte tenu de l’absence de ressources dans laquelle se trouvait la SCI, constituait une menace pour la continuité de son exploitation.

22. La mise en œuvre de cette mesure conduisait toutefois, dans l’une de ses branches, à une éviction de fait de Mme X, par l’abaissement de ses droits et participation dans le capital social de 50 à 0,34 % sans contrepartie sérieuse, l’apport proposé par M. Z représentant moins de la moitié de la valeur de l’immeuble évaluée à dire d’expert en 2018 (pièce n° 20 en défense), sans qu’il soit démontré par les demandeurs, qui procèdent sur ce point par affirmations non étayées par des éléments de preuve, que cette estimation serait aujourd’hui remise en cause dans les proportions qu’ils évoquent.

23. Au regard de ces conditions, il ne saurait être fait grief à l’intéressée de n’avoir pas voté ce projet, la poursuite de l’intérêt commun ne pouvant justifier qu’il soit exigé d’un associé qu’il renonce à ses droits en acceptant la dilution quasi-totale de ceux-ci, emportant son exclusion de fait de la vie sociale, sans contrepartie réelle et sérieuse.

24. Le tribunal relève que la question d’un éventuel abus de droit commis par la défenderesse à raison de son abstention a, dans un premier temps, été circonscrite par la société ASR au seul refus de voter cette résolution, l’assignation autorisée par requête présidentielle ne visant, à ce titre, que le vote de « l’augmentation de capital d’un montant de 220 004 euros par apport en numéraire de Monsieur B Z ».

25. L’extension du dispositif de ses écritures ultérieures à l’abstention « de voter en faveur de l’augmentation de capital d’un montant de 220.004 euros par apport en numéraire », qui fait entrer la première résolution dans le champ des prétentions attachées à un possible abus de droit, constitue une demande nouvelle excédant l’autorisation délivrée et qui, comme telle, justifierait qu’elle fût déclarée irrecevable si Mme X n’y avait répondu, démontrant par là-même son acquiescement au déplacement du débat judiciaire sur cette question.

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26. La résolution ainsi introduite dans le champ de la présente instance prévoyait une augmentation de capital à parts égales par apports en numéraires des deux associés.

27. Pour justifier son refus de voter ce projet, la défenderesse invoque trois arguments, tirés de l’impossibilité matérielle dans laquelle elle se trouvait de réunir les fonds sollicités dans le délai imparti, de l’insuffisance des sommes appelées pour faire face au passif de la société et de l’intérêt même de la SCI, qui commandait que son actif fût réalisé.

28. Les deux premiers ne sauraient emporter la conviction du tribunal dès lors que :

- l’échéance du prêt était connue de Mme X, qui s’était portée caution de la société et se trouvait donc exposée personnellement au paiement des sommes réclamées, ce qui devait la conduire à anticiper cette échéance sans attendre la convocation d’une assemblée générale ;

- à la date de l’assemblée générale litigieuse, les apports projetés permettaient de couvrir les engagements résultant du prêt in fine qui constituait alors le principal élément de passif de la SCI, les événements postérieurs, tenant notamment à sa condamnation, par jugement du tribunal de céans du 20 janvier 2020, à payer d’importantes sommes, ne pouvant être pris en considération pour justifier a posteriori une abstention qui doit être appréciée à la date où elle a été déclarée.

29. Quant au troisième argument, il manque en fait, Mme X ne démontrant pas que la réalisation de l’actif immobilier de la société eut été de l’intérêt de celle-ci à la date de l’assemblée générale litigieuse, alors que la situation de la SCI, quoique fragile, n’était pas encore compromise, la réalisation de son actif étant alors du seul intérêt de la défenderesse, qui recherchait à se désengager.

30. Les pièces versées aux débats établissent en effet que Mme X E, de longue main, le souhait de dissoudre la société ou de s’en retirer, dessein qu’elle a poursuivi avec constance et détermination, y compris par des demandes en justice, pour des motifs lui appartenant mais qui ne sauraient, en toute hypothèse, être assimilés à l’intérêt général de la société.

31. Son refus de voter la résolution querellée, qui doit être apprécié à l’aune de cette volonté, caractérise bien, en cela, la recherche d’un intérêt propre, distinct de l’intérêt social et qui, dans le contexte de l’assemblée générale litigieuse, faisait obstacle à la réalisation d’une opération essentielle à la société.

32. Ce refus serait de nature à caractériser un abus s’il ne se trouvait tempéré par l’évaporation de ce même intérêt social dans le conflit opposant les deux associés.

33. Il y a lieu de relever sur ce point que, si les demandeurs se prévalent d’une obstruction systématique de la défenderesse à la poursuite de l’intérêt social, les pièces versées aux débats, qui débordent passablement le contexte de l’assemblée générale litigieuse, établissent davantage une attitude de chicane et d’hostilité réciproque des deux associés, dans un contexte familial éminemment conflictuel, le refus de Mme X de participer aux assemblées générales organisées par M. Z (pièces n° 8 et 10 en demande) trouvant son écho dans celui opposé par ce dernier de se rendre à celle organisée par la première (pièce n° 12 en défense), chacun ayant pu affirmer son souhait de n’être plus associé avec l’autre (pièces n° 13 en demande et 11 en défense).

34. Et si Mme X ne rapporte pas la preuve directe des menaces dont elle prétend avoir été la victime de la part de son frère et coassocié quelques jours avant l’assemblée générale litigieuse

– raison pour laquelle l’assignation à jour-fixe qu’elle avait sollicitée de ce chef lui avait été refusée – force est de constater que M. Z ne conteste nullement ces faits, pas plus qu’il ne conteste son obstruction aux mesures de médiation judiciaire proposées aux associés.

35. La proposition de rachat à vil prix des parts de Mme X par M. Z (pièce n° 18 en défense), dont la deuxième résolution inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale du 20 août reprenait la logique sous la forme d’une augmentation de capital, marquait sa volonté d’exclure sa sœur et coassociée de la vie sociale.

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36. Dans ces conditions, l’abus de droit opposé à Mme X n’apparaît pas caractérisé.

37. Il apparaît, surabondamment, qu’à le supposer démontré, les mesures revendiquées par les demandeurs sont, pour l’une, infondée en droit et, pour l’autre, inadaptée en fait à la date à laquelle le tribunal est appelé à se prononcer.

38. Contrairement à ce qu’affirment la société ASR et M. Z, invoquant sur ce point une jurisprudence périmée, pour avoir été infirmée par une décision de principe ultérieure, qu’elle cite par ailleurs au soutien d’un autre moyen, le juge ne peut en effet se substituer aux organes sociaux légalement compétents, comme l’a clairement énoncé la Cour de cassation dans son arrêt Flandin du 9 mars 1993 (Com., 9 mars 1993, pourvoi n° 91-14.685, Bulletin 1993 IV N° 101).

39. Le tribunal ne saurait donc légitimement « adopter la résolution n° 2 de l’assemblée générale du 2 août 2019 et autoriser la SCI ASR à procéder une augmentation de capital de 220 004 euros par l’émission de 14 436 parts nouvelles d’une valeur nominale de 15,24 euros chacune à libérer en numéraire par apport en numéraire de Monsieur B Z », cette prétention, qui heurte frontalement les principes fondamentaux du droit des sociétés, ne pouvant prospérer.

40. La demande de désignation d’un mandataire ad hoc avec mission de représenter Mme X et convoquer une nouvelle assemblée générale afin de voter une augmentation de capital en conformité avec l’intérêt social se heurte, quant à elle, à l’absence désormais consommée de perspectives quant à la poursuite de l’activité, en considération, d’une part, de la mésentente des associés et, d’autre part, de l’aggravation du passif social du fait notamment de la condamnation de la SCI, le 20 janvier 2020, à remettre en état la façade de l’immeuble et à payer à ses contradicteurs un montant total de 47 000 euros au titre des frais irrépétibles, outre 90 % des dépens – condamnation qui, pour n’être pas définitive, n’en atteste pas moins la nécessité dans laquelle se trouve cette société d’avoir à engager de substantielles dépenses dans les mois à venir, soit pour l’exécution de la décision, ou, en cas d’appel, pour faire face aux frais de procédure, qui alourdiront d’autant le passif exigible, les sommes appelées à l’occasion de l’assemblée générale du 20 août 2019 étant aujourd’hui manifestement insuffisantes à couvrir les dépenses prévisibles.

41. D’où il suit que les demandes formées par la société ASR et M. Z seront rejetées dans leur intégralité.

Sur les demandes reconventionnelles

Moyens des parties

42. La société ASR et M. Z concluent à l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles formées par Mme X considérant qu’elles ne présentent pas un lien suffisant avec la demande initiale. Ils soutiennent, sur le fond, que la demande de dissolution qui leur est opposée ne repose pas sur de justes motifs, l’intéressée étant à l’origine de la mésentente des associés et ne rapportant pas la preuve d’une paralysie de la société, cette dissolution étant en toute hypothèse impossible compte tenu des dettes sociales et des procédures en cours ayant trait à l’immeuble. Ils concluent à l’impossibilité d’un retrait de Mme X, fût-ce sur autorisation judiciaire, l’acte de donation-partage à l’origine de sa participation au capital social étant assorti d’une clause d’interdiction d’aliéner. Ils font enfin valoir que les sommes réclamées au titre de l’article 700 du code de procédure civile concernent, pour l’essentiel, des frais exposés à l’occasion d’autres procédures et ne sauraient être imputées à M. Z en l’absence de faute détachable de ses fonctions de dirigeant.

43. En réponse, Mme X soutient que ses demandes sont en lien avec la demande principale pour trouver leur origine dans les problèmes rencontrés par la société, seules divergeant les solutions envisagées par les parties pour y répondre. Sur le fond, elle invoque une disparition de l'affectio societatis caractérisée par la mésentente des associés, qui ne saurait lui être imputée à faute, cette disparition justifiant à tout le moins sa demande de retrait qui ne saurait être assimilée à un acte d’aliénation ou de nantir au sens de l’acte de donation-partage opposé. Elle souligne enfin avoir dû engager d’important frais de conseil, rendus nécessaires par les actions engagées par M. Z à son encontre.

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Réponse du tribunal

Sur la recevabilité des demandes reconventionnelles

44. L’article 70 du code de procédure civile subordonne la recevabilité des demandes reconventionnelles à l’existence d’un lien suffisant avec les prétentions originaires.

45. En l’espèce, les demandes reconventionnelles formées par Mme X tirent leur justification des difficultés rencontrées par la société ASR, de l’impossibilité pour celle-ci de faire face à ses engagements et de la situation de blocage existant entre les associés. Elles se fondent sur des moyens de fait analogues à ceux développés par les demandeurs, quoiqu’en miroir, seuls divergeant l’analyse de ces faits et les conclusions tirées quant aux mesures propres à y remédier.

46. Elles présentent dès lors un lien suffisant avec les prétentions originaires, l’absence d’urgence alléguée par les demandeurs, qui ne constitue pas un critère de recevabilité de la demande reconventionnelle, fût-ce dans le cadre de la procédure à jour-fixe, n’entrant pas – à la supposer établie – en ligne de compte.

Sur le fond

47. Aux termes du 5° de l’article 1844-7 du code civil, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé, pour justes motifs, notamment en cas de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société.

48. Les débats comme les pièces versées au dossier établissent en l’espèce, ainsi qu’il a été précédemment relevé, la mésentente patente des associés, dont la relation s’inscrit dans un conflit aigu, attesté par la teneur de leurs échanges, lesquels s’opèrent pour partie par le truchement de leurs avocats (pièces n° 14 à 18 en défense) et trouvent à s’exprimer dans les procédures dont est saisi ou a été saisi le tribunal de céans.

49. Chacun a pu exprimer son souhait de n’être plus associé de l’autre (pièces n° 13 en demande et n° 11 en défense).

50. Ces éléments caractérisent une disparition totale de l'affectio societatis dont la permanence est indispensable à la survie de la société.

51. La paralysie du fonctionnement de la SCI résultant de cette situation est avérée par l’existence même de la présente procédure, qui démontre l’incapacité de M. Z et Mme X à se réunir et s’entendre sur des mesures propres à assurer sa pérennité, laquelle apparaît en l’état compromise au regard des sommes dont la société se trouve redevable.

52. Le fait que l’origine de cette situation ne puisse être déterminée, chacun renvoyant sur l’autre la responsabilité du conflit, est ici indifférent, l’existence d’un juste motif étant caractérisée par la mésentente des deux associés égalitaires, le blocage qui en résulte dans le fonctionnement des organes sociaux et l’absence de toute perspective à terme de règlement de la situation.

53. L’existence d’une procédure judiciaire en cours comme le maintien du locataire dans les lieux, invoqués par les demandeurs, ne constituent en rien des obstacles à une dissolution, qui apparaît inéluctable à terme au regard des éléments précités, la première de ces circonstances, à la supposer établie au regard de la décision rendue le 20 janvier dernier dont il n’est pas démontré qu’elle ait fait l’objet d’un appel, procédant d’une volonté de poursuivre un contentieux dans lequel la position de la société n’apparaît pas des plus solides, la seconde devant en toute hypothèse trouver sa réponse dans l’expulsion, déjà ordonnée, de l’intéressé.

54. Les clauses statutaires subordonnant la désignation d’un mandataire à une procédure sur requête initiée à la demande de l’un des associés ne sauraient quant à elles faire échec à une demande reconventionnelle déclarée recevable dans le cadre de la présente instance.

55. Dès lors, en considération de la disparition de l'affectio societatis et de la situation de blocage qui en résulte, la dissolution de la société sera prononcée, un liquidateur étant désigné afin d’y procéder dans les termes du dispositif.

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Sur les demandes accessoires

56. L’attitude des parties justifie qu’il soit fait masse des dépens, qu’elles seront condamnées à payer par moitié, en application de l’article 696 du code de procédure civile.

57. Les mêmes raisons commandent de laisser à chacune les frais par elle exposés et non compris dans les dépens, aucun motif d’équité ne commandant une solution contraire, étant relevé que, pour une large part, les demandes formulées par Mme X ne se rattachent pas à la présente instance, pour intégrer des frais afférents à d’autres procédures.

58. L’exécution provisoire de la présente décision, compatible avec la nature de l’affaire, se justifie pleinement au regard de l’urgence alléguée par les parties. Elle sera donc ordonnée en toutes ses dispositions, conformément à l’article 515 du code de procédure civile pris dans sa rédaction applicable à la de l’acte introductif d’instance.

PAR CES MOTIFS,

Le tribunal,

Statuant publiquement, par jugement contradictoire, rendu en premier ressort par mise à disposition au greffe le jour du délibéré,

ORDONNE la jonction des procédures inscrites au rôle sous les numéros 19/11354 et 20/00152, sous le numéro 19/11354 ;

PRONONCE la dissolution de la société civile immobilière ASR ayant son siège social […] ;

DIT que cette dissolution anticipée entraîne la liquidation de la société ;

DÉSIGNE Maître Patrick Legras de A, mandataire judiciaire (31, […]

- 92022 Nanterre Cedex), avec mission de procéder aux opérations de liquidation dans les conditions des articles 1844-8 et suivants du code civil et notamment de :

- réaliser les opérations de liquidation ;

- procéder au recouvrement ou à la cession des créances ;

- établir les comptes de la société ;

- résilier tous contrats ;

- réaliser tous les éléments de l’actif social, payer le passif et répartir le solde en numéraire entre les associés en proportion de leurs droits respectifs ;

- remplir toutes formalités afférentes ou corrélatives à la dissolution de la société ;

- continuer l’exploitation sociale jusqu’au jour de la réalisation de l’actif en entreprenant toutes opérations nouvelles nécessaires au maintien de la valeur de réalisation des éléments d’actif ;

- faire tous les actes d’administration, représenter la société dissoute vis à vis des tiers, délivrer et certifier tous comptes et documents sociaux de toute nature ;

- vendre de gré à gré ou aux enchères publiques, selon qu’il avisera, sans aucune formalité de justice, en bloc ou en détail, aux prix, charges et conditions qu’il jugera convenables, tous les biens et droits mobiliers ou immobiliers composant l’actif social ;

- en tant que de besoin, faire tous dires, déclarations, réserves, additions, modifications et rectifications à tous cahiers des charges et procès-verbaux d’enchères ;

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- accepter de tous adjudicataires ou de tous autres qu’il appartiendra toutes garanties mobilières ou immobilières offertes, pour assurer le paiement des prix ainsi que le transport de toutes indemnités d’assurances au cas d’incendie et autres ;

- remettre ou se faire remettre tous titres et pièces, en donner ou retirer décharge ;

- recevoir toutes sommes dues à la société, payer ce qu’elle peut devoir, négocier tous règlements par anticipation, accorder toutes prorogations de délai ;

- de toutes sommes et valeurs reçues ou payées, donner ou retirer toutes quittances et décharges ;

- accomplir les formalités légales de publicité de la liquidation ;

DIT que la rémunération du liquidateur sera employée en frais de liquidation par préférence et priorité ;

FIXE la provision à valoir sur les honoraires du liquidateur à la somme de trois mille euros (3 000,00 €), qui sera payée par la SCI ASR dans le délai de deux mois à compter de la signification de la présente décision, sous peine de caducité de la désignation ;

AUTORISE Mme D X à consigner en lieu et place de la SCI ASR, charge au liquidateur d’intégrer la dépense faite par l’intéressée dans les comptes de liquidation à intervenir ;

REJETTE toutes les autres demandes plus amples ou contraires ;

FAIT masse des dépens que les parties seront condamnées à payer par moitié ;

ORDONNE l’exécution provisoire de la présente décision.

signé par Daniel BARLOW, Premier vice-président et par Christine DEGNY, Greffier présent lors du prononcé .

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
  2. Code civil
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Tribunal Judiciaire de Nanterre, 21 janvier 2020, n° 19/11354