Cour d'appel de Besançon, Chambre sociale, 15 novembre 2011, n° 10/02642

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

ARRET N°

LM/CM

COUR D’APPEL DE BESANCON

— XXX

ARRET DU 15 NOVEMBRE 2011

CHAMBRE SOCIALE

Contradictoire

Audience publique

du 04 octobre 2011

N° de rôle : 10/02642

S/appel d’une décision

du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de MONTBELIARD

en date du 07 octobre 2010

Code affaire : 80A

Demande d’indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution

Y X

C/

Société CASA FRANCE

PARTIES EN CAUSE :

Madame Y X, demeurant XXX à XXX

APPELANTE

REPRESENTEE par Me Amélie BAUMONT, avocat au barreau de BELFORT

ET :

Société CASA FRANCE, ayant son siège social, XXX à XXX

INTIMEE

REPRESENTEE par Me Jean DE BAZELAIRE DE LESSEUX, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

lors des débats du 04 Octobre 2011 :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Hélène BOUCON, faisant fonction de Président, en remplacement du magistrat titulaire empêché

CONSEILLERS : Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY et Monsieur Laurent MARCEL, Vice-Président placé, délégué dans les fonctions de Conseiller par ordonnance de Monsieur le Premier Président

GREFFIER : Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES

Lors du délibéré :

PRESIDENT DE CHAMBRE : Madame Hélène BOUCON, faisant fonction

CONSEILLERS : Madame Véronique LAMBOLEY-CUNEY et Monsieur Laurent MARCEL, Vice-Président placé, délégué dans les fonctions de Conseiller

Les parties ont été avisées de ce que l’arrêt sera rendu le 15 Novembre 2011 par mise à disposition au greffe.

**************

Mme A X été embauchée par la s.a.s. Casa en qualité de vendeuse caissière niveau II suivant contrat à durée indéterminée à temps complet en date du 2 avril 2003.

Par courrier remis en main propre le 3 septembre 2009 Mme A B a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée concomitamment à un entretien préalable à son licenciement, fixé au vendredi 11 septembre 2009. Par lettre recommandée en date du 21 septembre 2009 elle a été licenciée pour motif personnel.

Le 10 décembre 2009 Mme A X a saisi le conseil de prud’hommes de Montbéliard pour contester son licenciement et obtenir le paiement de diverses sommes à ce titre. Par jugement rendu le 7 octobre 2010 la juridiction prud’homale saisie a dit que le licenciement demanderesse reposait sur une cause réelle et sérieuse et l’a déboutée de l’intégralité de ses prétentions.

Par lettre recommandée expédiée le 19 octobre 2010 Mme A X a régulièrement interjeté appel de la décision.

Dans ses conclusions reprises oralement lors de l’audience des débats Mme A X sollicite l’infirmation du jugement déféré et demande à la cour de :

— dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

— condamner son ancien employeur à lui verser à titre de dommages-intérêts la somme de 19.680,00 euros ainsi que la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

À l’appui de ses prétentions elle fait valoir :

Que la lettre de licenciement est fondée sur deux griefs, savoir, sur des propos tenus par elle sur le réseau Facebook, d’une part , sur son inertie à ne pas avoir informé son employeur des disparitions fréquentes de produits dans le magasin, d’autre part;

— s’agissant du premier grief

Qu’elle est entrée en contact avec l’ancien directeur du magasin sur le réseau social Facebook pour lui remonter le moral suite à son licenciement pour faute grave ; que l’absence d’explication sur ce licenciement l’avait amenée à tenir des propos sévères sur son employeur mais sans jamais le désigner nommément ; qu’ il s’agissait pour elle de réagir à ce qu’elle considérait comme une injustice ; que le nom de la société a été divulgué par la suite par une autre personne en toute fin de conversation et qu’elle ne saurait dès lors être tenue pour responsable de cette divulgation;

Que les propos ont été tenus dans le cadre d’une conversation privée; que la conversation a été écrite sur le « mur » de l’ancien directeur du magasin et qu’elle n’était donc accessible qu’aux seuls contacts de ce dernier ;

Qu’en conclusion elle n’a pas fait un usage abusif de sa liberté d’expression et que ce motif ne peut constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ;

— sur le second grief

Que l’ancien directeur avait pris, quelques années auparavant, deux chaises coloniales ; qu’à l’époque elle était simple vendeuse et n’ y avait pas vu malice d’autant plus que ledit responsable était devenu par la suite directeur régional ; que ce fait est donc insuffisant à dire qu’elle aurait constaté des disparitions fréquentes de produits dans le magasin, comme le fait l’employeur dans la présente instance;

Que la directrice régionale passait assez régulièrement au magasin pour veiller à son bon fonctionnement ; que celle-ci était donc au courant des écarts d’inventaire ; que par ailleurs ceux-ci existaient déjà lorsqu’elle a été embauchée ; qu’il lui avait été expliqué que ces écarts provenaient de l’ordinateur ;

Qu’elle n’avait pas le statut de responsable au sein du magasin ; qu’il ne lui appartenait donc pas d’alerter la direction de la société de ces anomalies ;

Lors de l’audience des débats la société Casa demande en réponse à la cour de confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions et de condamner Madame X à lui verser la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de ses prétentions la société Casa expose :

— sur le premier grief,

Que la salariée ne saurait prétendre que les propos ont été tenus dans un cadre privé ; qu’en effet ils ont été inscrits sur le « mur » Facebook de l’ancien responsable du magasin et qu’ils pouvaient donc être lus non seulement par les contacts de ce dernier mais aussi par tout individu inscrit sur ce réseau si l’accès au profil n’a pas été préalablement bloqué ; que si Mme A X souhaitait une conversation privée elle pouvait utiliser la fonction : « envoyer un message à’ »;

Que la teneur des propos confine à l’insulte et à la diffamation de la société Casa; qu’en effet la salariée a écrit: « c’est clair cette boîte me dégoûte !!! » et « ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde »; qu’il y a lieu de constater qu’en tenant ces propos la salariée a outrepassé les limites de sa liberté d’expression et a porté atteinte à la réputation de son employeur;

Que même si Mme A X n’a pas personnellement mentionné le nom de la société , celle-ci est parfaitement identifiable; qu’en participant à cet échange la salariée a incité ses collègues à la rébellion ;

Que les propos tenus dans le cadre de cette discussion ont été portés à la connaissance de l’employeur par un salarié qui était dans la liste des contacts de l’ancien responsable du magasin ; que la société n’a donc pas utilisé des moyens détournés ou des stratagèmes pour espionner ses salariés ;

— Sur le second grief

Qu’il est fait grief également à Mme X d’avoir gardé le silence sur les agissements répréhensibles de son ancien responsable, de ne pas avoir averti la direction des anomalies constatées dans la gestion de l’inventaire et de la disparition des produits alors qu’elle était au courant de ces faits depuis longtemps ; que lors de l’entretien préalable à son licenciement la salariée avait fourni des explications contradictoires mais qui témoignaient de sa connaissance de la situation ;

SUR CE, LA COUR

Sur le licenciement

. Sur le premier grief

Attendu que dans la lettre de licenciement, qui fixe les termes du litige, il est reproché dans un premier temps à Mlle A X d’avoir tenu des propos diffamants, insultants et offensants envers la société Casa par le biais du réseau social Facebook ; que dans son courrier l’employeur reprend les termes utilisés par la salariée lors de ces échanges: « oui, c’est clair, cette boîte me dégoûte’ Non, faire juste notre boulot et ne pas en faire trop, j’espère me retrouver vite autre chose après là, ils se démerderont ' Oui c’est sûr que tu vas retrouver quelque chose, ça va te permettre de voir d’autres horizons, mais ça fait quand même chier quand même la façon dont ça s’est passé, ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde !»

Que pour tenter d’atténuer la portée de ses propos, Mlle A X expose tout d’abord que ceux-ci étaient destinés à l’ancien directeur du magasin qui venait d’être licencié pour faute grave ; qu’elle précise que ce congédiement s’était déroulé sans aucune explication et qu’il avait suscité chez le personnel une totale incompréhension ; qu’elle indique qu’elle avait réagi de façon impulsive à ce qu’elle considérait comme une injustice ;

Qu’elle soutient ensuite que dans ses propos elle n’a jamais désigné nommément l’enseigne du magasin ; qu’elle met en avant que celle-ci n’a été révélée qu’ultérieurement par un autre salarié et alors même qu’elle n’était plus connectée ; qu’en conséquence il ne peut lui être reproché d’avoir tenu des propos diffamatoires envers la société Casa ;

Qu’elle prétend enfin que ses propos ont été tenus dans le cadre d’une conversation privée, l’employeur ne justifiant pas la façon dont il en a eu connaissance ; que la conversation tenue avec son destinataire n’était accessible qu’aux contacts de ce dernier et que sa diffusion s’en trouvait donc restreinte;

Mais attendu premièrement qu’il résulte des éléments du débat que le licenciement pour faute grave du directeur du magasin Casa de Montbéliard a été prononcé le 25 août 2009 après la réalisation de deux inventaires successifs et la constatation par la société de la disparition de nombreux produits au sein de cette unité ; que Mlle A X qui avait participé aux précédents inventaires et qui connaissait déjà les anomalies mises en avant par ces opérations, ne peut sérieusement prétendre ne pas avoir fait un lien entre le congédiement de son ancien supérieur hiérarchique et les motifs du licenciement de ce dernier ; qu’elle ne saurait dès lors, pour atténuer la teneur de ses propos, faire état d’un sentiment d’incompréhension face à la décision prise par la société de se séparer du directeur du magasin;

Attendu ensuite que s’il est avéré que lors du dialogue auquel elle a participé sur Facebook avec l’ancien directeur du magasin et certains contacts de ce dernier Mlle A X n’a jamais désigné nommément la société Casa, il en demeure cependant pas moins que ces propos sont demeurés inscrits sur « le mur » du profil de son interlocuteur, d’une part, qu’ils ont été par la suite complétés par un autre contact qui a expressément mentionné la société Casa, d’autre part ; que même à supposer que la salariée ait quitté le site sitôt après la délivrance de son dernier message , ses propos sont tout de même demeurés accessibles et son employeur parfaitement identifiable ; que l’absence d’intention de la part de la salariée se trouve dès lors sans effet dès lors que son comportement imprudent a conduit à un résultat similaire ;

Attendu encore que le réseau Facebook a pour objectif affiché de créer entre ses différents membres un maillage relationnel destiné à s’accroître de façon exponentielle par application du principe «les contacts de mes contacts deviennent mes contacts» et ce, afin de leur permettre de partager toutes sortes d’informations ; que ces échanges s’effectuent librement via « le mur » de chacun des membres auquel tout un chacun peut accéder si son titulaire n’ a pas apporté de restrictions ; qu’il s’en suit que ce réseau doit être nécessairement considéré , au regard de sa finalité et de son organisation, comme un espace public ; qu’il appartient en conséquence à celui qui souhaite conserver la confidentialité de ses propos tenus sur Facebook, soit d’adopter les fonctionnalités idoines offertes par ce site, soit de s’assurer préalablement auprès de son interlocuteur qu’il a limité l’accès à son «mur» ;

Qu’en l’espèce Mlle A X, qui ne pouvait ignorer le fonctionnement du site Facebook, n’est pas fondée à soutenir que son dialogue avec l’ancien directeur du magasin constituait une conversation privée ; que pour ce faire elle disposait en effet de la faculté de s’entretenir en particulier avec lui en utilisant la fonctionnalité adéquate proposée par le site; que d’autre part si la photocopie du « mur » du directeur du magasin témoigne de la réalité des propos reprochés à la salariée, il ne porte cependant pas la trace d’une quelconque interrogation de celle-ci quant à l’accès au mur de son interlocuteur ;

Attendu enfin que si le salarié jouit, dans l’entreprise ou en dehors d’elle, de sa liberté d’expression à laquelle il ne peut être apporté que des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché, il ne peut abuser de cette liberté par des propos injurieux diffamatoires ou excessifs ;

Que dans la présente espèce il est établi que Mlle A X a tenu sur la société Casa, son employeur, les propos suivants : « oui, c’est clair, cette boîte me dégoûte’ Non, faire juste notre boulot et ne pas en faire trop, j’espère me retrouver vite autre chose après la, il se démerderont’ Oui c’est sur tu vas retrouver quelque chose, ça va te permettre de voir d’autres horizons, mais ça fait quand même chier quand même la façon dont ça s’est passé, ils méritent juste qu’on leur mette le feu à cette boîte de merde. » ; qu’eu égard à leur caractère violent et excessif ces propos témoignent d’un abus incontestable de la liberté d’expression reconnu à tout salarié ;qu’il s’ensuit que ce premier grief constitue un motif réel et sérieux de licenciement ;

.Sur le deuxième grief

Attendu qu’il est également reproché à la salariée dans la lettre de licenciement d’avoir omis d’alerter la direction de la société des fréquentes disparitions de produits constatées dans le magasin et révélées lors de la confection des inventaires auxquels elle participait ;

Qu’en réponse à ce grief Mlle A X répond dans un premier temps n’avoir vu qu’ une seule fois le responsable du magasin, alors en fonction, emporter deux chaises ; qu’elle précise ne pas y avoir vu malice d’autant plus que celui-ci était devenu par la suite directeur régional; qu’elle affirme ensuite que la directrice régionale passait régulièrement au magasin de Montbéliard pour surveiller son bon fonctionnement ; que celle-ci ne pouvait donc ignorer les écarts de stocks constatés lors des inventaires ; qu’elle soutient encore que depuis sa prise de poste il existait des anomalies sur l’état des stocks, celles-ci étant dues selon les dires de ses collègues au système informatique ; qu’elle rappelle enfin qu’elle n’avait pas le statut de responsables et qu’il ne lui appartenait pas d’alerter la société Casa de ces dysfonctionnements ;

Mais attendu que Mlle A X reconnaît expressément dans ses conclusions avoir constaté lors de la confection des différents inventaires des écarts significatifs de stocks en défaveur de la société Casa ; que la variation importante de ces écarts ne pouvait que la conduire à s’interroger sur l’explication qui lui avait été donnée pour les justifier qu’il apparaît en effet peu crédible qu’elle n’ait jamais établi de relation entre les écarts de stocks, d’une part, et la décision du directeur du magasin d’achever à chaque fois seul les opérations d’inventaire, d’autre part ;

Que d’autre part s’il n’appartenait pas à A X de par ses fonctions au sein du magasin de faire remonter à la direction de la société ses doutes et interrogations, l’exécution loyale du contrat de travail aurait dû néanmoins l’inciter à faire part à la directrice régionale ,souvent présente dans le magasin, des multiples anomalies constatées lors de la confection des inventaires ; qu’il en résulte que la société Casa est bien fondée à faire grief à la salariée de son « manque de curiosité» et sa totale inertie ; que ce reproche constitue également un motif réel et sérieux de licenciement ;

P A R C E S M O T I F S

La Cour, chambre sociale, statuant en audience publique, par arrêt rendu contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Confirme dans toutes ses dispositions le jugement rendu le 7 octobre 2010 entre les parties par le conseil de prud’hommes de Montbéliard ;

Y ajoutant,

Dit n’y avoir lieu à l’application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mlle A X aux dépens.

Ledit arrêt a été prononcé par mise à disposition au greffe le quinze novembre deux mille onze et signé par Madame Hélène BOUCON, Conseiller, Magistrat ayant participé au délibéré, et Mademoiselle Ghyslaine MAROLLES, greffier.

LE GREFFIER, LE CONSEILLER,

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