Cour d'appel de Caen, Chambre sociale section 3, 2 mai 2019, n° 16/02573

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Chronologie de l’affaire

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Mathilde Caron · Bulletin Joly Travail · 1er février 2020
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Sur la décision

Référence :
CA Caen, ch. soc. sect. 3, 2 mai 2019, n° 16/02573
Juridiction : Cour d'appel de Caen
Numéro(s) : 16/02573
Décision précédente : Tribunal des affaires de sécurité sociale de Caen, 12 juin 2016, N° 2013.0238
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE : N° RG 16/02573

N° Portalis DBVC-V-B7A-FTAV

Code Aff. :

ARRET N° C.P

ORIGINE : Décision du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de CAEN en date du 13 Juin 2016 – RG n° 2013.0238

COUR D’APPEL DE CAEN

Chambre sociale section 3

ARRÊT DU 02 MAI 2019

APPELANTE :

Madame A Y

[…]

Représentée par Me Karine FAUTRAT,

substituée par Me AUMONT, avocats au barreau de CAEN

INTIMEE :

SAS RENAULT TRUCKS

99 Route de Lyon 69806 SAINT-PRIEST

Représentée par Me Olivier LANGEARD, avocat au barreau de CAEN

INTERVENANTE:

CPAM DU CALVADOS

[…]

[…]

Représentée par Mme VIEL-TIREL, mandatée

DEBATS : A l’audience publique du 07 mars 2019, tenue par Mme SERRIN, Conseiller, Magistrat chargé d’instruire l’affaire lequel a, les parties ne s’y étant opposées, siégé en présence de M. LE BOURVELLEC, Vice-président placé, pour entendre les plaidoiries et en rendre compte à la Cour dans son délibéré

GREFFIER : Mme X

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme SERRIN, Conseiller, faisant fonction de président,

Mme GUENIER-LEFEVRE, Conseiller,

M. LE BOURVELLEC, Vice-président placé, affecté à la cour par ordonnance de M. le premier président en date du 14 février 2019, rédacteur

ARRÊT prononcé publiquement le 02 mai 2019 à 14h00 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinea de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Mme SERRIN, faisant fonction de président, et Mme X, greffier

* * * * *

FAITS – PROCÉDURE :

Mme Y a été engagée par contrat à durée indéterminée à effet du 2 avril 2007 en qualité de RH Business Partner, soit partenaire ressources humaines, avec le statut de cadre.

Elle a été en congé maternité, puis congé parental d’éducation du 20 décembre 2010 au 4 septembre 2011.

Mme Y a fait l’objet d’arrêts de travail à compter 13 septembre 2012.

Elle sollicité la reconnaissance de cette suspension de son contrat de travail au titre de la législation sur les accidents du travail. Selon décision du 28 décembre 2012, l’assurance maladie a refusé cette prise en charge.

Elle a exercé un recours auprès de la caisse primaire d’assurance maladie (la caisse) le 15 janvier 2013.

Elle a saisi le conseil de prud’hommes de Caen le 19 décembre 2012 d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Elle a été déclarée inapte à son poste selon avis du médecin du travail du 22 janvier 2013.

Par lettre du 16 avril 2013, elle a été convoquée pour le 25 avril 2013 à un entretien préalable à son licenciement, lequel lui a été notifié le 6 mai suivant pour inaptitude définitive et impossibilité de reclassement.

Selon jugement définitif du 13 février 2014, le conseil de prud’hommes de Caen a notamment reconnu l’existence d’un harcèlement moral subi par Mme Y et a prononcé la résiliation judiciaire de son contrat de travail à effet du 6 mai 2013.

Par courrier recommandé du 29 avril 2013, elle a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Caen d’une contestation de la décision rendue le 2 avril 2013 par la commission de recours amiable de la caisse qui avait maintenu le refus de celle-ci de prendre en charge l’accident du travail déclaré avec réserves par l’employeur le 14 septembre 2012, ainsi que la demande de reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur.

Par jugement en date du 13 juin 2016, le tribunal des affaires de sécurité sociale a débouté Mme Y de l’intégralité de ses demandes et l’a condamnée au paiement de la somme de 300 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par déclaration du 1er juillet 2016, Mme Y a interjeté appel de cette décision.

Aux termes de ses conclusions déposées le 7 mars 2019 et reprises oralement par son conseil, Mme Y demande à la Cour de :

— dire qu’elle a bien été victime d’un accident du travail le 13 septembre 2012,

— déclarer recevable son action en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,

— dire que la SAS Renault Trucks (la société) a commis une faute inexcusable à son encontre,

— ordonner la majoration de la rente au taux maximal,

— débouter la société de l’ensemble de ses demandes,

— condamner solidairement la caisse et la société à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel.

Par écritures déposées le 1er février 2019 et reprises oralement par son conseil, la société demande à la cour de :

— déclarer irrecevables les demandes indemnitaires présentées par Mme Y au regard de l’instance prud’homale déjà engagée,

— confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a jugé mal fondées ses demandes,

— la débouter de l’intégralité de ses demandes,

— la condamner à payer à la société la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.

Aux termes de ses conclusions déposées le 7 février 2019 et reprises oralement par son représentant, la caisse demande à la cour de :

— confirmer la décision de la commission de recours amiable en ce qu’elle a considéré qu’il n’y avait pas lieu à reconnaissance d’un accident du travail,

— débouter Mme Y de l’ensemble de ses demandes (annulation de la décision de la caisse, reconnaissance de l’accident du travail et article 700 du code de procédure civile),

— à titre subsidiaire, s’il venait à être fait droit à la demande de Mme Y tendant à la reconnaissance d’un accident du travail, déclarer la décision opposable à l’employeur, la SAS Renault Trucks,

— à titre subsidiaire, sur la reconnaissance de la faute inexcusable :

— constater que la caisse s’en rapporte à justice sur le principe de la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur,

— dire que la caisse pourra dans l’exercice de son action récursoire, recouvrer auprès de l’employeur dont la faute inexcusable aura été reconnue, ou de son assureur, l’intégralité des sommes dont elle aura été tenue de faire l’avance.

Il est renvoyé, pour l’exposé des moyens, aux conclusions des parties.

MOTIFS DE LA COUR

Sur la demande de reconnaissance du caractère professionnel de l’accident

L’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale dispose : « est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise ».

Les premiers juges ont rappelé à bon droit que les souffrances psychiques doivent, pour donner lieu à la reconnaissance d’un accident du travail, pouvoir être rattachées à un événement soudain, violent ou anormal.

La reconnaissance de la faute inexcusable suppose établie l’existence d’un accident du travail, soit d’un accident qui s’est déroulé au temps et au lieu de travail, un tel accident étant présumé imputable au travail.

Mme Y soutient en l’espèce avoir été victime d’un choc émotionnel très violent survenu le 13 septembre 2012, dans le cadre d’un entretien d’évaluation conduit par M. Z, responsable des ressources humaines de la société.

Il ressort du compte rendu qui en a été dressé par l’employeur qu’il s’agissait du bilan de mi-année, dont les parties s’accordent à reconnaître qu’il aura duré environ 1h30. Selon Mme Y, l’entretien est intervenu dans une salle de réunion et non dans le bureau de M. Z, pour que personne ne puisse les voir ou les entendre.

Selon la société, ce lieu était imposé par le déménagement des bureaux. Aucune pièce ne permettant de retenir une version plus qu’une autre sur le lieu de son déroulement, il sera retenu qu’il s’agissait d’un entretien qui se tenait de façon habituelle pour la salariée.

Mme Y affirme que M. Z lui a immédiatement et de façon prolongée adressé une série de reproches avant de lui proposer de quitter l’entreprise dans le cadre d’une rupture conventionnelle, à la suite de quoi elle dit s’être effondrée en larmes et avoir dû quitter l’entretien pour se rendre aux services des urgences du CHU de Caen.

L’employeur soutient pour sa part que lors de cet entretien, M. Z a évoqué tant les points positifs que les points faibles du travail de Mme Y, que celle-ci n’aurait pas supporté les critiques et se serait vivement emportée, en dénigrant ses collègues et sa hiérarchie.

Il indique que c’est dans ce contexte qu’a été évoquée une possibilité de rupture conventionnelle du contrat de travail au sujet de laquelle la salariée aurait émis des conditions financières, à quoi M. Z aurait répondu en lui conseillant de prendre du temps pour se reprendre et d’aller voir son médecin.

Le « résumé global » de cet entretien comporte plusieurs rubriques, avec les heures auxquelles elles ont été renseignées par les commentaires du salarié et ceux du supérieur hiérarchique. Les premiers commentaires sont rédigés à 15h56 et les derniers à 17h28. Sont évoqués, selon le compte rendu, des sujets de satisfaction, des réserves, des points à améliorer, des projets et des objectifs.

Dans son courrier de contestation de la décision de la caisse, daté du 15 janvier 2013, Mme Y soutient que les griefs qu’elle allègue étaient soudains et en rupture avec le cours habituel de sa relation de travail, au motif qu’aucune remontrance ou sanction préalable, aucune convocation ou information sur la tournure de l’entretien ne laissait présager une remise en cause de sa présence dans l’entreprise.

Il est justifié de ce que le jour même et dans un temps très proche de la fin de l’entretien, Mme

Y s’est rendue au service des urgences du CHU de Caen et s’est vue délivrer un arrêt de travail jusqu’au 23 septembre suivant.

Aucun des éléments versés au dossier ne permettent de combattre utilement l’attestation de M. Y-C, époux de l’appelante, qui indique qu’elle l’a appelé le 13 septembre 2012 après son entretien avec son supérieur hiérarchique, M. Z.

L’horaire donné est compatible avec celui fourni par l’employeur relativement à la fin de l’entretien (dernière actualisation comme ci-dessus rappelé à 17 h 28) le 13 septembre 2012.

Il déclare qu’elle lui a demandé de chercher leurs enfants à l’école, elle-même se rendant aux urgences du centre hospitalier.

Le premier arrêt de travail a été délivré par le service des urgences du centre hospitalier le 13 septembre 2012, jusqu’au 23 septembre 2012.

Elle a le lendemain procédé à la déclaration d’accident du travail auprès de son employeur, son médecin traitant ayant établi un certificat médical initial d’accident du travail pour troubles anxio-dépressif et burn-out et prescrit un arrêt de travail jusqu’au 14 octobre 2012.

Les arrêts de travail ont ensuite été renouvelés jusqu’à l’avis d’inaptitude définitive et le licenciement.

Il apparaît ainsi que Mme Y a souffert à compter du 13 septembre 2012 de troubles anxio-dépressifs pour lesquels elle a été soignée durant trois mois.

Elle ne présentait aucun antécédent à cette pathologie avant l’entretien et il n’est allégué d’aucune cause totalement étrangère survenue entre celui-ci et la survenue de la décompensation anxieuse subie par la salariée.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le syndrome anxio-dépressif pour lequel un arrêt de travail a été prescrit dès le 13 septembre 2012 est bien la conséquence directe, quand bien même a t-elle été constatée de manière différée, de l’entretien d’évaluation auquel il a été procédé par son supérieur hiérarchique.

L’accident est donc bien survenu au temps et au lieu du travail et la preuve d’une cause étrangère au travail n’est pas rapportée.

La décision entreprise doit en conséquence être infirmée en ce qu’elle débouté Mme Y de sa demande de prise en charge de l’accident du travail déclaré à la date du 13 septembre 2012.

Il sera dit que l’accident du 13 septembre 2012 relève de la législation sur les risques professionnels.

En l’absence de contestation à ce titre, la décision sera déclarée opposable à l’employeur.

- Sur la faute inexcusable reprochée à l’employeur

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l’employeur est tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, le manquement à cette obligation ayant un caractère de faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

L’article L.452-1 du code de la sécurité sociale dispose que lorsque l’accident est dû à la faute inexcusable de l’employeur ou de ceux qu’il s’est substitués dans la direction, la victime ou ses ayants droit ont droit à une indemnisation complémentaire.

En l’espèce, Mme Y se réfère à une enquête réalisée au sein du service des ressources humaines où elle était affectée pour soutenir que son employeur avait connaissance de la situation de danger dans laquelle évoluaient les salariés et s’est pourtant abstenu de prendre les mesures adaptées pour y remédier.

Un pré-rapport a en effet été établi par le docteur D-E, médecin consultant en santé du travail, en octobre 2011 pour faire suite à des alertes par le service médical sur des manifestations cliniques préoccupantes concernant des membres du service Ressources Humaines au sein de la société. Le médecin relève des dysfonctionnements dans l’organisation du service de nature à générer des situations de fatigue et de stress.

Le lien peut ainsi être fait avec l’évocation par Mme Y dans son courrier du 9 octobre 2012 de trois de ses collègues en situation de burn-out en 2011, sans qu’il n’en puisse être tiré de conclusions sur sa propre situation, puisqu’elle était en congé maternité, puis congé parental du 20 décembre 2010 jusqu’au mois de septembre 2011, soit au moment de l’étude réalisée par le Docteur D-E.

De fait, aucune des pièces produites ne permet de considérer que Mme Y aurait antérieurement reçu des pressions, des critiques répétées de son travail ou autres formes de comportements inadaptés de la part de sa direction ou de M. Z, puisque quelques mois encore avant l’entretien litigieux, elle adressait à celui-ci un courrier électronique laissant supposer une relation de travail normale.

Il apparaît d’ailleurs que, selon les termes mêmes de Mme Y dans sa lettre de contestation du 15 janvier 2013, rien n’aurait pu laisser supposer dans le comportement, les propos ou écrits de M. Z, avant le 13 décembre 2012, qu’il puisse au cours d’un entretien professionnel se montrer violemment dénigrant et tenter d’imposer une rupture conventionnelle du contrat de travail.

Elle indique elle-même au contraire dans sa lettre de contestation du 15 janvier 2013 que l’accident répond aux critères de prise en charge en faisant référence à des faits « soudains et en rupture avec le

cours habituel de la relation de travail » ajoutant : « aucune remontrance ou sanction préalable (…) a contrario, de régulières félicitations sur mon travail m’encourageaient à surmonter les difficultés ou les échecs ; cette annonce a été brutale dans sa forme et imprévisible dans le fond. (…) Les faits ne résultent pas d’un simple conflit, d’une situation de stress au travail mais bien d’une violence au travail ».

Les mots « violence au travail » sont soulignés par l’intéressée.

La soudaineté de l’événement traumatique survenu lors de l’entretien du 13 septembre 2012 ne pouvait dans ces conditions donner lieu à des actions de prévention de l’employeur, faute pour celui-ci d’être en mesure d’avoir conscience du danger encouru par la salariée.

Pour le surplus, l’employeur indique sans être utilement contredit que le rapport du Docteur D-E, a été suivi de mesures extrêmement concrètes et précises pour remédier à la situation qui y était décrite.

Il est en conséquence justifié de confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a débouté Mme Y de sa demande en reconnaissance de la faute inexcusable.

Sur les mesures accessoires

Mme Y demande que lui soit allouée la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés pour faire valoir ses droits qui lui sera allouée en équité.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,

Infirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale de Caen en date du 13 juin 2016 ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

Dit que l’accident dont Mme Y a été victime le 13 septembre 2012 doit être pris en charge par la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados au titre du risque professionnel ;

Déclare cette décision opposable à l’employeur ;

Renvoie Mme Y devant la dite caisse pour la liquidation de ses droits à ce titre,

Déboute Mme Y de sa demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ;

Condamne la SAS Renault Trucks à verser à Mme Y une indemnité de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la SAS Renault Trucks aux dépens.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

E. X E. SERRIN

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