Cour d'appel de Nouméa, Chambre commerciale, 19 juillet 2018, n° 16/00099

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Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

N° de minute :

58

COUR D’APPEL DE NOUMÉA

Arrêt du 19 Juillet 2018

Chambre commerciale

Numéro R.G. : 16/00099

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Juin 2016 par le Tribunal mixte de Commerce de NOUMÉA ( RG n°:14/132 )

Saisine de la cour : 02 Août 2016

APPELANTE

LA SARL COFIGEX, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : […]

Représentée par Me Caroline DEBRUYNE, avocat au barreau de NOUMEA

INTIMÉES

Mme G E-F

[…]

Représentée par la SELARL CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA

LA SARL PLEIN CAP EXPERTISE COMPTABLE, prise en la personne de son représentant légal en exercice

Siège social : […]

Représentée par la SELARL CALEXIS, avocat au barreau de NOUMEA

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 24 Mai 2018, en audience publique, devant la cour composée de :

Mme C-Ange SENTUCQ, Président de Chambre, président,

M. Jean-Luc CABAUSSEL, Conseiller,

Mme C-H I, Conseiller,

qui en ont délibéré, sur le rapport de Mme C-H I.

Greffier lors des débats : M. Z A

Greffier lors de la mise à disposition : M. Z A

ARRÊT :

— contradictoire,

— prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

— signé par Mme C-Ange SENTUCQ, président, et par M. Z A, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

Par requête du 02 août 2016, la SARL COFIGEX a fait appel de la décision. Dans son mémoire ampliatif du 03 novembre 2016 et ses dernières écritures récapitulatives n° 3, elle demande à la cour :

— d’infirmer le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de :

A titre principal:

— dire que Mme E-F et la SARL Pein Cap Expertise-Comptable ont commis des actes de concurrence déloyale ;

— les condamner solidairement à lui payer la somme de 28 810 Fcfp à titre de dommages et intérêts outre 400 000 FCFP sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile;

A titre subsidiaire:

— ordonner une mesure d’expertise comptable afin de déterminer le préjudice subi.

Elle fait valoir que les relations se sont dégradées du fait de Mme E-F qui ne s’impliquait plus et qui s’est octroyée une rémunération supérieure à celle votée par les associés. Elle lui reproche surtout d’avoir prémédité son départ en créant son entreprise avant d’avoir démissionné et d’avoir organisé le détournement et la captation des clients Ainsi, elle a gardé pendant deux mois, le téléphone de la société, elle a débauché un salarié et surtout, elle a pillé les données informatiques de son ancienne société avec l’aide des salariés toujours en place en conservant la comptabilité de la clientèle. Or, la comptabilité appartient au cabinet qui a signé la lettre de mission qui a facturé et encaissé les honoraires et non à l’expert comptable qui les traite habituellement, et, à cet égard Mme E-F reconnaît qu’elle était bien en possession des données comptables de ses clients.

De leur côté, les intimés concluent à la confirmation du jugement entrepris pris en toutes ses dispositions et sollicitent la somme globale de 400 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Mme E-F soutient que la mésentente est le fait de son associé majoritaire, de son incapacité à gérer et de l’absence de toute concertation. Elle conteste les actes de déloyauté rappelant qu’elle n’est pas partie dans la précipitation et n’a pas commis de manoeuvres dolosives. Elle est partie, après des négociations qui ont duré deux mois et se sont révélées vaines du fait des prétentions exorbitantes que voulait imposer M. X. Elle n’a pas détourné la clientèle ni débauché des salariés ni volé la comptabilité.

Vu l’ordonnance de clôture.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Constitue un acte de concurrence déloyale, toute pratique concurrentielle contraire à la loi ou aux usages, jetant le discrédit, la confusion ou désorganisant l’entreprise concurrente et constitutive d’une faute de nature à causer un préjudice aux concurrents.

En l’espèce, la SARL COFIGEX reproche à Mme E-F d’avoir détourné la clientèle par un manquement à l’obligation déontologique d’information et en utilisant et détournant les fichiers informatiques; d’avoir désorganisé l’entreprise en débauchant une salariée et en obtenant des données des clients après le départ de la société; d’avoir entretenu la confusion en refusant de restituer et en utilisant à son profit, un téléphone de la société.

Sur le détournement de clientèle

Le code de déontologie des experts-comptables met à la charge du successeur en cas de transfert de clients l’obligation d’informer son confrère de ce qu’il prend la suite du dossier.

Depuis le décret du 30/03/2012 qui a supprimé du code de déontologie, comme contraire à la liberté de commerce et d’industrie, l’interdiction de démarcher la clientèle, la Cour de cassation, opérant un revirement de jurisprudence considère que le seul manquement de l’expert-comptable à des règles déontologiques, ne constitue un acte de concurrence déloyale que si ce manquement est à l’origine du transfert de clientèle. (Arrêt Cour de cassation, chambre commerciale du 07/07/2015) .

En l’espèce, par suite de graves dissensions entre les associés, Mme E-F a avisé M. B X, fin octobre 2012 qu’elle quitterait la société au 31 décembre 12 pour créer sa propre structure. Elle a proposé la cession de ses parts en échange d’un portefeuille de clients constitué par ceux qu’elle avait l’habitude de suivre; elle a également indiqué qu’elle entendait embaucher sa collaboratrice Mme C D ( aide comptable) .

Des négociations ont été engagées avec le concours d’un confrère et d’un avocat lesquels ont élaboré un protocole d’accord qui prévoyait la cession de clientèle contre la cession de parts. Mme E-F s’est engagée par ailleurs à assurer le suivi gratuit dans le cadre d’un préavis jusqu’au 22/02/2012, afin de faciliter la transmission des dossiers. L’accord n’a pu être formalisé pour des raisons sur lesquelles les parties sont contraires. Selon, Mme E-F, son associé aurait inséré une clause pénale exorbitante de cinquante millions de francs excédant la valorisation des parts vendues et aurait subordonné son engagement à l’accord du bailleur d’accepter une résiliation anticipée du bail de la COFIGEX; selon M. X, Mme E-F n’aurait jamais eu l’intention de s’engager sérieusement et de signer le protocole d’accord, les négociations servant de paravent à un départ organisé avec pillage des données

Quelles aient été les raisons de l’échec des pourparlers, il n’en reste pas moins que la SARL COFIGEX était parfaitement informée du départ de Mme E-F et de l’éventualité que Mme C D la suive.

La circonstance que certains des clients, et non nécessairement tous les clients dont s’occupait Mme E-F l’ont suivie et ont souhaité qu’elle conserve leur dossier plutôt que de rester avec le nouveau dirigeant qu’ils ne connaissaient pas alors qu’ils sont entièrement libres de choisir leur expert, l’intuitu personae, étant, comme souligné par le premier juge, particulièrement puissant dans les relations de confiance que nécessite la fonction de conseil d’un expert comptable est incompatible avec un détournement déloyal de clientèle. En vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, le démarchage de la clientèle d’autrui, fût-ce par un ancien salarié ou associé de celui-ci, est libre. Il ne devient fautif que s’il est réalisé par des procédés déloyaux.

Certes, dans le cadre de la procédure pénale ouverte sur plainte de M. X, Mme E-F a reconnu qu’elle avait conservé sur la clé USB dont elle se servait pour travailler à domicile une partie de la comptabilité des clients qu’elle suivait mais la SARL COFIGEX ne démontre ni le détournement frauduleux de données ni la preuve que ces éléments suffisaient à Mme E-F pour établir les comptes de fin d’année et qu’ils étaient ainsi à l’origine du départ de la clientèle dont s’occupait l’associée minoritaire.

Dans le cadre de l’enquête pénale, Mme E-F a indiqué qu’elle avait pu obtenir les données comptables de ses clients de trois façons:

— certaines données étaient conservées sur un support clé USB

— nombre de ses clients étaient venus avec leur propre comptabilité ( grand livre)

— elle s’est fait remettre par ses derniers leurs états financiers

A cet égard, il doit être précisé que les fichiers relatifs aux données comptables des clients n’appartiennent pas à la société comptable laquelle ne dispose que d’un droit de rétention sur le travail comptable qu’elle a réalisé et ce, jusqu’à complet paiement de ses prestations.

Mme E-F n’est pas partie avec des données confidentielles de la SARL COFIGEX mais avec des éléments appartenant à la clientèle dont elle assurait le suivi, laquelle était en droit de réclamer leur entier dossier auprès de la SARL COFIGEX.

Pareillement, postérieurement à sa création, la société Plein Cap a gardé des contacts avec les salariés en place de la société COFIGEX et a sollicité des renseignements sur les aspects sociaux des dossiers de ses propres clients pour établir les fiches de salaires ou de déclarations sociales comme il est d’usage de le faire entre différents prestataires d’un même client. La faute reprochée n’est pas démontrée.

Sur la désorganisation de l’entreprise

De même, le débauchage de Mme C D dans le contexte de la séparation des associés ne présente pas un caractère déloyal. Mme E-F a informé son associé de son souhait d’engager Mme C D; cette dernière, entendue dans le cadre de l’enquête pénale a indiqué qu’embauchée ou non par Mme E-F, elle serait de toute façon partie en juin 2012 en raison du comportement de M. X.

En soi l’engagement d’ancien salarié ne constitue pas un acte de concurrence déloyale.

Sur la confusion

De la même façon, s’il est exact que Mme E-F a gardé pendant deux mois le téléphone personnel qui lui avait été attribué par la société COFIGEX comme avantage en nature, le procès-verbal d’huissier établi le 06 février 2013 par la SCP Y -Fandoux à la demande de M. X montre que Mme E-F en décrochant suite à l’appel de l’officier ministériel s’est présentée sous son nom et non comme associée de la SARL COFIGEX. Aucun acte tendant à entretenir la confusion dans l’esprit des clients entre l’ancienne société et la structure nouvellement crée ne peut être reproché à Mme E-F.

****

En réalité, la chronologie des faits montre que M. X n’a pas pris la mesure du départ de son associée minoritaire et n’a pas anticipé celui-ci. Nouvellement arrivé au sein de la SARL

COFIGEX alors qu’il aurait dû s’appuyer sur une associée plus ancienne et plus au fait des usages, il s’est comporté comme le seul patron faisant fi de sa partenaire. Il a ainsi licencié la proche collaboratrice de Mme E-F sans lui demander son avis et alors que cette salariée était compétente et constituait un rouage important au sein de COFIGEX. Il a présenté sa nouvelle équipe à la clientèle sans convier Mme E-F et sans y faire référence. Il a entendu revenir sur la rémunération de son associée ( à la baisse ) alors qu’elle avait été fixée par une assemblée générale récente. Toutes ces maladresses expliquent un départ que n’aurait pas voulu Mme E-F mais qui s’avérait nécessaire en l’absence d’affectio societatis.

Le jugement du Tribunal Mixte de Commerce qui a écarté toutes manoeuvres dolosives constitutives de concurrence déloyale et qui a débouté la SARL COFIGEX de ses demandes sera confirmé en toutes ses dispositions.

Sur l’article 700 du code de procédure civile

Il est équitable d’allouer à Mme E-F et à la SARL PLEIN CAP qui ont dû se défendre en appel la somme de 250 000 FCFP à chacune.

Sur les dépens

La SARL COFIGEX succombant supportera les dépens.

PAR CES MOTIFS

La cour,

— Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 29 juin 2016 par le Tribunal Mixte de Commerce de Nouméa, et y ajoutant :

— Condamne la SARL COFIGEX à payer à Mme E-F et à la SARL Plein Cap Expertise Comptable la somme à chacune de 250 000 Fcfp sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

— La condamne aux dépens de l’appel

Le greffier, Le président.

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Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
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