Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 22 novembre 2017, n° 15/18782

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

Grosses délivrées

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRÊT DU 22 NOVEMBRE 2017

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 15/18782 (absorbant le n° RG 15/21362)

Décision déférée à la Cour : Jugement du 01 Juin 2015 -Tribunal de Commerce de Nancy – RG n° 2014004310

APPELANTES

- SAS LES GRANDS CHAIS DE FRANCE, dont le sigle est GCF

Ayant son siège social :[…]

[…]

N° SIRET : 315 999 201 (SAVERNE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Ayant pour avocat plaidant : Me Sandra PERRETEN, substituant Me Marie DUGARDIN, du Cabinet FIDAL, avocats au barreau de LYON, toque : 708

Appelante dans le dossier n° RG 15/18782 et intimée dans le dossier n° RG 15/21362

- Société MOHAN’S OYSTERBAY DRINKS LTD, société de droit étranger

Ayant son siège social : […]

[…]

[…]

Immatriculée sous le n° […]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Laurent BERNET et Me Charlotte PILLIARD de la SELAS BCW & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490

Appelante dans le dossier n° RG 15/21362 et intimée dans le dossier n° RG 15/18782

INTIMÉES

- SAS LES GRANDS CHAIS DE FRANCE, dont le sigle est GCF

Ayant son siège social :[…]

[…]

N° SIRET : 315 999 201 (SAVERNE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Edmond FROMANTIN, avocat au barreau de PARIS, toque : J151

Ayant pour avocat plaidant : Me Sandra PERRETEN, substituant Me Marie DUGARDIN, du Cabinet FIDAL, avocats au barreau de LYON, toque : 708

Appelante dans le dossier n° RG 15/21362 et intimée dans le dossier n° RG 15/18782

- Société MOHAN’S OYSTERBAY DRINKS LTD, société de droit étranger

Ayant son siège social : […]

[…]

[…]

Immatriculée sous le n° […]

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me Laurent BERNET et Me Charlotte PILLIARD de la SELAS BCW & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0490

Appelante dans le dossier n° RG 15/18782 et intimée dans le dossier n° RG 15/21362

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 11 Octobre 2017, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame X Y, Présidente de chambre, rédacteur

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée,

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame X Y dans les conditions prévues par l’article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame Z A

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame X Y, président et par Madame Z A, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Les grands chais de France est une société spécialisée dans la vinification.

La société Mohan’s Oysterbay Drinks LTD (ci-après « Mohan’s ») est une société de droit tanzanien spécialisée dans la distribution en Afrique de l’Est de marques de boissons.

En 2002, la société Mohan’s est devenue distributeur, en Tanzanie, puis en 2005, en Ouganda, des produits de la société Les grands chais de France.

Le 17 juillet 2013, la société Les grands chais de France a confirmé à la société Mohan’s, sa décision de mettre fin à leur collaboration avec un préavis de quatre mois, à échéance au 10 novembre 2013.

La société Mohan’s, estimant le préavis trop court et l’attitude de la société Les grands chais de France déloyale durant ce préavis, a assigné cette dernière devant le tribunal de commerce de Nancy le 12 mars 2014.

Par jugement du 1er juin 2015, le tribunal de commerce de Nancy a :

— dit que le préavis de quatre mois donné par la société Les grands chais de France est insuffisant,

— fixé le préavis à 12 mois,

— condamné la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s Oysterbay Drinks LTD la somme de 295.513 euros à titre d’indemnité pour le préavis manquant,

— condamné la société Les grands chais de France à livrer à ses frais les 140 caisses de produits non livrés à la suite des commandes n°06/2016 et n°07/2013 dans un délai d’un mois suivant la notification du présent jugement,

— condamné la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s Oysterbay Drinks LTD la somme de 1.000 euros au titre de l’immobilisation de la somme de 12.704,73 euros payée en septembre 2013,

— déclaré la société Mohan’s Oysterbay Drinks LTD mal fondée sur le surplus de ses demandes et l’en a débouté,

— condamné la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s Oysterbay Drinks LTD la somme de 4.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamné la société Les grands chais de France aux dépens du présent jugement,

— ordonné l’exécution provisoire du présent jugement nonobstant opposition ou appel et sans constitution de garantie.

LA COUR

Vu l’appel interjeté par la société Les grands chais de France et ses conclusions déposées et notifiées le 06 octobre 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce et l’article 1382 du code civil, vu la jurisprudence citée, vu les pièces versées aux débats,

à titre principal,

— infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy le 1er juin 2015,

— constater que la société Mohan’s n’apporte pas la preuve d’une faute imputable à la société Les grands chais de France dans la rupture des relations commerciales avec la société Mohan’s,

— constater que la société Mohan’s n’apporte pas la preuve d’une faute imputable à la société Les grands chais de France susceptible d’engager sa responsabilité délictuelle pour concurrence déloyale,

— constater que l’absence de livraison des 140 caisses litigieuses résulte d’un usage ayant force d’obligation entre les sociétés Les grands chais de France et Mohan’s,

en conséquence,

— dire que la rupture des relations commerciales n’a pas été brutale,

— dire que la société Les grands chais de France n’a pas commis d’acte de concurrence déloyale,

— rejeter l’ensemble des demandes formulées par la société Mohan’s,

ordonner la communication par la société Mohan’s de ses coordonnées bancaires afin que la somme de trop-perçu sur les commandes n°06/2013 et 07/2013 lui soit remboursée,

à titre subsidiaire,

constater le caractère déraisonnable de l’évaluation du préjudice prétendument subi par la société Mohan’s au titre de la rupture des relations commerciales avec la société Les grands chais de France,

— constater le caractère infondé et redondant des autres demandes indemnitaires,

constater le caractère confiscatoire d’une indemnité calculée sur les marges annoncées par la société Mohan’s,

en conséquence,

— rejeter l’évaluation du préjudice telle qu’elle a été faite par la société Mohan’s et la ramener à de plus justes proportions,

— rejeter l’évaluation des autres demandes indemnitaires formulées par la société Mohan’s et la ramener à de plus justes proportions,

en tout état de cause,

— condamner la société Mohan’s à verser à la société Les grands chais de France la somme de 20.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner également la société Mohan’s aux entiers dépens de l’instance ;

Vu les dernières conclusions de la société Mohan’s, intimée, déposées et notifiées le 18 septembre 2017, par lesquelles il est demandé à la cour de :

vu l’article L 442-6, I, 5° du code de commerce, vu l’article 1382 du code civil, vu les articles 1134 et suivants du code civil,

— déclarer la société Les grands chais de France mal fondée en son appel, l’en débouter,

— déclarer la société Mohan’s fondée en son appel, faire droit à ses demandes,

— dire que la société Les grands chais de France a brutalement rompu ses relations commerciales établies avec la société Mohan’s,

— dire que la société Les grands chais de France a commis des manquements durant le préavis,

dire que les agissements de la société Les grands chais de France sont constitutifs d’une atteinte à la morale des affaires au détriment de la société Mohan’s,

en conséquence,

sur l’absence de préavis raisonnable

— confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy en ce qu’il a dit que le préavis de quatre mois donné par la société Les grands chais de France est insuffisant,

— infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy en ce qu’il a fixé le préavis à 12 mois et a condamné la société Les grands chais de France à payer la somme de 295.513 euros,

statuant à nouveau,

condamner la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 1.752.663 euros au titre de la perte de marge commerciale brute résultant de l’absence de préavis raisonnable,

sur le refus de livrer les 140 caisses manquantes commandées durant le préavis

— confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy en ce qu’il a condamné la société Les grands chais de France à livrer à ses frais à la société Mohan’s les 140 caisses de produits non livrés à la suite des commandes n°06/2013 et n°07/2013 dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement,

— infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy en ce qu’il n’a pas assorti la condamnation d’une astreinte,

statuant à nouveau,

— condamner la société Les grands chais de France à livrer à ses frais à la société Mohan’s les 140 caisses de produits non livrés à la suite des commandes n°06/2013 et n°07/2013 dans le délai d’un mois suivant la notification du jugement, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,

— infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy en ce qu’il a condamné la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 1.000 euros au titre de l’immobilisation de la somme de 12.704,73 euros payée en septembre 2013, statuant à nouveau,

— condamner la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 10.000 euros au titre de l’immobilisation de la somme de 12.704,73 euros payée en septembre 2013,

sur l’atteinte à la morale des affaires et le comportement déloyal

— infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy en ce qu’il a débouté la société Mohan’s de sa demande de dommages et intére^ts,

statuant à nouveau,

condamner la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 227.585 euros à titre de dommages et intére^ts pour atteinte à la morale des affaires et comportement déloyal,

sur le préjudice moral,

— infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nancy en ce qu’il a débouté la société Mohan’s de sa demande de dommages et intérêts,

statuant à nouveau,

— condamner la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à la morale des affaires et comportement déloyal,

dans tous les cas,

— débouter la société Les grands chais de France de l’intégralité de ses demandes dirigées à l’encontre de la société Mohan’s,

— condamner la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 45.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

— condamner la société Les grands chais de France aux entiers dépens de première instance et d’appel ;

SUR CE

Sur la rupture des relations commerciales établies

La société Les grands chais de France soutient que la rupture des relations commerciales établies avec la société Mohan’s ne présente aucun caractère brutal.

En premier lieu, la société appelante soutient que la cessation des relations commerciales est intervenue à l’issue d’un délai de quatre mois, conforme aux principes jurisprudentiels en la matière. En effet, l’appelante soutient que ce préavis est suffisant compte tenu du fait qu’elle n’a pas consenti d’exclusivité de distribution pour ses marques et produits à la société Mohan’s, que cette dernière n’était pas en situation de dépendance économique vis à vis d’elle, et qu’elle peut facilement réorganiser son activité. A ce titre, elle remarque qu’au travers de la diversité de ses fournisseurs, la société Mohan’s a pu aisément trouver à se réapprovisionner. Par ailleurs, la société Les grands chais de France soutient avoir maintenu la relation commerciale pendant la durée du préavis, et ainsi, n’avoir commis aucune faute pendant son exécution.

En deuxième lieu, la société Les grands chais de France affirme que la société Mohan’s ne justifie pas d’une baisse de chiffre d’affaires à la suite de la rupture des relations commerciales.

En dernier lieu, elle soutient que les pièces versées au débat par la société Mohan’s n’établissent pas de lien de causalité entre la rupture et un quelconque préjudice éventuel.

La société Mohan’s réplique que la société Les grands chais de France a brutalement rompu leurs relations commerciales continues depuis plus de onze années. Elle considère que le préavis de 4 mois était insuffisant au regard notamment, de l’impact économique et des nécessités de réorganisation auxquelles elle a dû faire face. Par ailleurs, l’intimée ajoute qu’elle était le distributeur exclusif de la société Les grands chais de France en Tanzanie et qu’elle était en état de dépendance économique vis à vis de cette dernière. Elle prétend que la perte d’une marque comme Mark Daniels ne peut être suppléée par une autre marque. Dès lors, elle affirme qu’elle aurait dû bénéficier d’un préavis de 24 mois.

***

Aux termes de l’article L. 442-6, I, 5° du code de commerce « Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur ».

Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution, par une des parties, de ses obligations ou en cas de force majeure.

Le délai du préavis suffisant s’apprécie en tenant compte de la durée de la relation commerciale et des autres circonstances prévalant au moment de la notification de la rupture. La disposition légale vise expressément la durée de la relation commerciale et les usages commerciaux. Outre ces deux critères légaux, les paramètres suivants sont également pris en compte pour apprécier la durée du préavis à respecter : la dépendance économique (entendue non pas comme la notion de droit de la concurrence, mais comme la part de chiffre d’affaires réalisée par la victime avec l’auteur de la rupture), la difficulté à trouver un autre partenaire sur le marché, de rang équivalent, la notoriété du produit échangé, son caractère difficilement substituable, les caractéristiques du marché en cause, les obstacles à une reconversion, en terme de délais et de coûts d’entrée dans une nouvelle relation, l’importance des investissements effectués dédiés à la relation, non encore amortis et non reconvertibles.

Ces critères doivent être appréciés au moment de la rupture.

Il n’est pas contesté que les parties ont entretenu des relations commerciales depuis 2002, soit pendant onze ans.

La société Mohan’s, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne démontre pas avoir été le distributeur exclusif de la société appelante, dans les territoires concernés, assertion au demeurant démentie par les factures versées aux débats par la société Les grands chais de France, portant les noms de quatre autres distributeurs (pièces 20 à 24 de l’appelante).

Les parties ne contestent pas que la société Mohan’s réalisait 15 % de son chiffre d’affaires avec la société Les grands chais de France. Il ressort d’un document issu de la Tanzania Food and Drugs Authority (pièce 25 de l’appelante) qu’elle distribuait de nombreuses marques de boissons concurrentes de la société Les grands chais de France, dont la marque Jim Beam Black depuis 2012, substituable au Jack Daniels. Il n’est pas démontré que la perte de cette dernière marque, qui représentait 85 % du chiffre d’affaires réalisé par l’appelante avec Mohan’s, ait, par un effet de portefeuille non établi, pû causer un préjudice à la société Mohan’s allant au delà de cette seule perte. Il n’est donc pas démontré que la société Mohan’s se soit trouvée, au moment de la rupture, dans un état de dépendance économique. D’ailleurs, d’autres documents de la Tanzania Food and Drugs Authority (pièces 36 et 37 de l’appelante) démontrent que la société Mohan’s n’a eu aucun mal, dès 2013, à trouver des fournisseurs et des marques de remplacement, ce qui atteste rétrospectivement que la reconversion, pour une part de seulement 15 % de son chiffre d’affaires, était bien possible.

Au vu de tous ces éléments, le préavis consenti aurait dû s’élever à une durée de dix mois.

Sur l’évaluation du préjudice subi par la société Mohan’s

L’appelante indique que les demandes indemnitaires présentées par la société Mohan’s sont manifestement déraisonnables et contraires aux principes jurisprudentiels établis.

Concernant le quantum des demandes formulées sur le fondement de l’article L.442-6, I, 5° du code de commerce, elle rappelle que l’étendue du préjudice indemnisable s’entend exclusivement de la perte de marge brute pendant la durée du préavis. De plus, elle soutient que la société Mohan’s se fonde sur des documents comptables dont les montants ne sont pas fiables. Par ailleurs, elle affirme que la marge brute de la société Mohan’s constatée au 30 juin 2014 ne semble pas être affectée par la perte des produits vendus par la société Les grands chais de France, son chiffre d’affaire ayant crû de 8,6%.

L’intimée estime qu’elle a subi un préjudice constitué par le manque à gagner lié à l’absence de préavis suffisant. Elle soutient avoir subi une perte de marge brute d’un montant de 1.752.663 euros pendant la période des 20 mois de préavis qui auraient dû s’ajouter au 4 premiers mois.

Elle expose qu’étant une société de droit tanzanien, ses comptes ne sont pas certifiés par un comptable français ni établis suivant les règles françaises, ce qui ne les prive pas de fiabilité. De plus, la société Mohan’s estime que l’écart avec les chiffres retenus par l’appelante est très faible.

Quatre mois de préavis ayant été effectués, il y a lieu d’évaluer la marge qui aurait dû être perçue par la société Mohan’s durant les six mois de préavis maquant.

Si la société Mohan’s verse aux débats deux attestations d’experts comptables différents faisant état d’un chiffre d’affaires moyen de 1 762 400 euros réalisé par elle sur les années 2010 à 2012 en revendant les produits Les grands chais (pièce 34 et 46 de la société Mohan’s), elle applique à ce chiffre un taux de marge de 59 % en ne déduisant du chiffre d’affaires que les achats réalisés auprès de son fournisseur. Or, elle avait prétendu réaliser 40 % de taux de marge devant les premiers juges. Par ailleurs, la société Les Grands chais de France soutient à juste titre que, outre les achats, les frais variables, comme par exemple ceux de transport, doivent également être soustraits de la marge de la société Mohan’s. En outre, les comptes déposés par la société Mohan’s auprès de l’Administration tanzanienne font état d’un taux de marge global de 5 %, l’intimée ne démentant pas ces chiffres en se contentant de relever qu’elle exerçait différentes activités au taux de rentabilité différent.

Il y a lieu en conséquence de retenir le taux de 40 % retenu par les premiers juges.

La marge perdue s’élève donc à 352 480 euros (1 762 400 euros x 40%)/12 x 6].

La société Les grands chais de France sera condamnée à payer à la société Mohan’s la somme de 352 480 euros.

Le jugement entrepris sera donc infirmé sur le quantum.

Sur la livraison des caisses non encore livrées

La société Mohan’s soutient que la société Les grands chais de France n’a pas exécuté correctement ses obligations pendant la période de préavis. En effet, elle affirme que l’appelante a refusé de livrer deux commandes qu’elle avait passées pendant la période de préavis. Ainsi, la société Mohan’s sollicite la livraison sous astreinte des marchandises telle que prononcée par le tribunal de commerce de Nancy.

La société Les grands chais de France prétend qu’elle n’a pas pu matériellement livrer 140 caisses, à cause d’un manque de place dans le conteneur, ce qu’elle échoue à démontrer. Elle ne peut prétendre avoir exécuté ses obligations en proposant à la société Mohan’s un remboursement ou une livraison dans un autre conteneur pour 870 euros, car il lui appartenait d’exécuter le préavis consenti à son distributeur dans les conditions contractuelles, sauf cas de force majeure qu’elle ne démontre pas. Si elle prétend qu’il était d’usage pour elle de rembourser les marchandises commandées non livrées, les écarts figurant dans la pièce 16, qu’elle verse aux débats pour démontrer cet usage, sont sans commune mesure avec l’écart de 140 caisses ici concerné.

Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris sur ce point, la cour ne jugeant pas opportun d’assortir l’injonction d’une astreinte.

Sur le préjudice lié au retard de livraison

Compte tenu du retard dans l’exécution de cette livraison, la cour dispose des éléments nécessaires pour allouer à la société Mohan’s la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur les actes de concurrence déloyale

La société Les grands chais de France prétend que la société Mohan’s ne démontre pas l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre la faute et le préjudice.

Tout d’abord, elle soutient que la rupture d’une relation commerciale et le changement de partenaire commercial ne constituent pas un acte de concurrence déloyale. Ainsi, elle estime qu’elle n’a commis aucune faute en entamant une relation commerciale avec la société Mark Techno. De même, elle expose que l’allégation de la société Mohan’s selon laquelle celle-ci aurait réalisé des investissements exclusivement pour la société Les grands chais de France est fausse car la société Mohan’s continue de distribuer de nombreuses marques et produits fournis par d’autres partenaires.

La société Mohan’s, se fondant sur les dispositions de l’article 1382 du code civil, soutient que les procédés utilisés par la société Les grands chais de France sont constitutifs d’un comportement déloyal à son égard. En effet, elle estime que ces procédés constituent un abus de droit et une atteinte à la morale des affaires d’autant plus graves qu’elle était en droit d’attendre une certaine loyauté de son partenaire avec lequel elle était en relation commerciale depuis onze ans.

Selon l’intimée, la société Les grands chais de France n’aurait rompu le contrat que dans le seul but de reprendre la distribution de ses produits via un agent inféodé, ce qu’elle était en droit de faire, mais pas à ces conditions de préavis et de manière brutale, dissimulée et gravement préjudiciable à ses intérêts. Ainsi, elle sollicite la somme de 227.585 euros, correspondant à 10% des investissements qu’elle a réalisés au titre de sa collaboration avec la société Les grands chais de France depuis 2002. Elle soutient que cette demande correspond au préjudice subi du fait de la captation par la société Les grands chais de France de ses investissements et de son réseau et que cette demande est distincte de celle concernant la brutalité de la rupture.

Mais aucune faute ne saurait résulter de la rupture des relations, distincte de la brutalité de celle-ci qui a déjà été réparée. En effet, il ne saurait être reproché à la société Les grands chais de France

France d’avoir interrompu ses relations avec la société Mohan’s et d’avoir confié la distribution de ses produits à un de ses agents. Si la société Mohan’s prétend que cet agent aurait distribué les produits en cause avant même la fin des relations contractuelles, il n’en résulte aucune faute de la part de la société Les grands chais de France, qui n’était liée par aucune relation d’exclusivité à la société Mohan’s.

Enfin la société Mohan’s ne démontre pas avoir réalisé des investissements non récupérables à la demande de son fournisseur, les frais de promotion et de publicité qu’elle avance étant des frais inhérents à la relation contractuelle dont elle ne saurait aujourd’hui obtenir dédommagement. Si l’agent de la société Les grands chais de France bénéficie du travail de prospection qu’elle a effectué, elle en a été dédommagée par l’octroi d’un préavis. Elle ne justifie en effet pas d’un préjudice distinct qui serait dû à l’usurpation d’un savoir-faire particulier. Il y a donc lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a rejeté la demande de la société Mohan’s fondée sur l’atteinte à la morale et le comportement déloyal de la société Les Grands chais de France.

Sur le préjudice moral de la société Mohan’s

Cette demande sera rejetée par voie de conséquence, aucun procédé déloyal n’ayant été utilisé par la société Les grands chais de France pour évincer la société Mohan’s.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Les deux parties succombant en partie, il y a lieu de faire masse des dépens de première instance et d’appel et de condamner chacune à en supporter la moitié. Il n’y a pas lieu, par ailleurs, à application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf sur la durée du préavis, sur l’indemnisation de la rupture brutale ainsi que du préjudice résultant du retard de livraison et sur les dépens,

L’INFIRME sur ces points,

et statuant à nouveau,

FIXE le préavis à 10 mois,

en conséquence,

CONDAMNE la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 352 480 euros,

CONDAMNE la société Les grands chais de France à payer à la société Mohan’s la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts,

FAIT masse des dépens de première instance et d’appel et condamne chacune des sociétés Les grands chais de France et Mohan’s à en supporter la moitié,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

Z A X Y

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