Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 30 mars 2022, n° 21/21997

  • Crypto-monnaie·
  • Expertise·
  • Bitcoin·
  • Règlement (ue)·
  • Tribunal judiciaire·
  • Sociétés·
  • Déclaration·
  • Appel·
  • Juridiction·
  • Plateforme

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 1 - ch. 3, 30 mars 2022, n° 21/21997
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 21/21997
Décision précédente : Tribunal judiciaire de Paris, 6 décembre 2021, N° 21/56222
Dispositif : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée

Sur les parties

Texte intégral

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 3

ARRÊT DU 30 MARS 2022

(n° , 9 pages)


Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/21997 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3LK


Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 07 Décembre 2021 -Président du TJ de PARIS – RG n° 21/56222

APPELANTE

S.A.S. LEDGER,

agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[…]

[…]


Représentée par Me Antoine CHATAIN de l’AARPI Chatain & Associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R137


Assistée par Me Emilie BOCHRER, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉ

M. C X


Julius-Vosseler-Str.81a

[…]


ALLEMAGNE


R e p r é s e n t é p a r M e M a t t h i e u B O C C O N G I B O D d e l a S E L A R L L E X A V O U E PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477


Assisté de Me Ulrike BALK-BAZOT, avocat au barreau de PARIS et RECHTSANWÄLTIN (Allemagne)

COMPOSITION DE LA COUR :


L’affaire a été débattue le 24 Janvier 2022, en audience publique, rapport ayant été fait par Edmée BONGRAND, Conseillère, conformément aux articles 804, 805 et 907 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :


Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre


Jean-Christophe CHAZALETTE, Président de chambre


Edmée BONGRAND, Conseillère

Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL

ARRÊT :


- CONTRADICTOIRE


- par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.


- signé par Patrick BIROLLEAU, Premier Président de chambre et par Saveria MAUREL, greffier présent lors de la mise à disposition.

*****

EXPOSE DU LITIGE


La société Ledger est spécialisée dans la conception et la vente de portefeuilles numériques (cryto wallets) et commercialise notamment la clé Nano S et la clé Ledger Nano X, les portefeuilles numériques se présentant sous forme de clés électroniques sur lesquelles les utilisateurs peuvent stocker des cryptomonnaies, le système de protection étant assuré par une combinaison de 24 mots-clés.


Les produits Ledger sont commercialisés soit par la plate-forme Amazon soit directement par Ledger.


Le 23 mars 2021, le conseil de M. X a informé la société Ledger de ce que son client avait été victime d’une escroquerie ayant entraîné la disparition de 15.894 bitcoins, représentant la somme de 769.011, 19 euros, placés sur une clé Ledger commandée sur la plate-forme Amazon et arguant d’un défaut de sécurité de la clé Ledger et considérant que la société Ledger était responsable de la perte des actifs de son client, a sollicité le remboursement des sommes perdues.


Une plainte pénale a été déposée auprès de la police allemande, à qui la clé Nano Ledger a été remise.


La société Ledger considérant qu’il était impossible d’un point de vue technique et matériel que les cryptomonnaies de M. X aient été transférées à son insu, sauf à ce qu’un tiers ait eu accès aux 24 mots-clés de sécurité et afin de déterminer l’origine des désordres allégués par M. C X, a, par acte du 16 juin 2021,saisi le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris afin d’obtenir une mesure d’expertise de la clé Nano Ledger S appartenant à M. X.

Par ordonnance de référé contradictoire du 7 décembre 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :


-constaté l’incompétence de la juridiction française pour ordonner une expertise sur la clé Nano Ledger S appartenant à M. C X,


-renvoyé la société Ledger à mieux se pourvoir,
-dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,


-condamné la société Ledger aux dépens de l’instance.

Suivant déclaration du 24 décembre 2021, la société Ledger a interjeté appel de cette ordonnance.


Par ordonnance du 27 décembre 2021, la société Ledger a été autorisée à assigner à jour fixe M. X pour l’audience du 24 janvier 2022.

Dans ses conclusions du 21 janvier 2022, la société Ledger demande à la cour de :

vu les articles 9,85,88, 145 et 232 du code de procédure civile,

vu le règlement UE n°593/2008 du 17 juin 2008,

vu le règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012,

Vu les jurisprudences citées,

vu les pièces produites,


-infirmer l’ordonnance de référé rendue le 7 décembre 2021,

et statuant à nouveau,


- dire et juger que les juridiction françaises sont compétentes,


- évoquer le fond

en conséquence :


- déclarer recevable et bien fondé l’appel interjeté par la société Ledger à l’encontre du jugement du 7 décembre 2021 du juge des référés du tribunal judiciaire de Paris,


- désigner tel expert qu’il lui plaira, compétent en matière informatif et libeller sa mission comme suit :

*dire si le process consistant à déterminer 24 mots-clés a été suivi correctement par M. X et si ces 24 mots-clés ont pu être divulgués par M. X,

*dire si la clé Ledger Nano S aurait pu être piratée par un attaquant qui aurait transféré les cryptoactifs de M. X vers un autre portefeuille sans que cet attaquant (I)ait eu connaissance des 24 mots-clés ou (II) ait eu accès physique au Ledger Nano de M. X en ayant connaissance du PIN,

*décrire le processus de sécurité existant sur ce type de clé,

*se faire remettre le lien entre deux transactions intervenues par M. X,

*se faire remettre le lien de téléchargement de l’application utilisée par M. X,

*se faire remettre tout autre document ou pièce qu’il estimera utile à l’accomplissement de sa mission et entendre tout sachant, *se faire remettre, dès le début de ses opérations d’expertise, la liste exhaustive des griefs de chacune des parties, sur la base desquels les investigations seront menées,

*examiner les griefs allégués par chacune des parties et donner son avis sur leur existence, leur persistance au jour de ses constats et leurs conséquences,

*fournir tous les éléments techniques et factuels permettant au tribunal éventuellement saisi ultérieurement de déterminer les origines et les causes des griefs allégués par la demanderesse et d’apprécier les responsabilités encourues,

*dire que les parties devront, dès le début de ces opérations d’expertise, soumettre à l’expert judiciaire leur éventuelle réclamation financière, définitive ou à consolider, ainsi que les éléments justificatifs venant à son soutien,

*donner son avis sur les préjudices allégués par les parties au regard des réclamations financières documentées qui lui seront soumises, lesquelles devront justifier non seulement des quanta présentés mais également du lien entre les postes de préjudices allégués et les griefs invoqués,

*dire que l’expert pourra avoir recours, en cas de besoin à un technicien autrement qualifié à charge pour lui de joindre son avis au rapport d’expertise,

*dire que les parties communiqueront directement à l’expert leurs pièces numérotées et sous bordereau daté,

*déposer une note de synthèse des constatations effectuées et observations quant à celles-ci, permettant aux parties de faire valoir leurs propres observations dans un délai de six semaines à compter de ladite note de synthèse,

*dire que l’expert devra déposer son rapport définitif dans un délai de six mois à compter de sa saisine,


- fixer telle provision qu’il plaira à la cour de chiffrer à valoir sur les frais et honoraires de l’expert,


- réserver les dépens.


A titre liminaire, elle fait observer qu’elle a supprimé de ses demandes en cause d’appel trois chefs de mission de l’expertise sollicitée, estimant inutile de les confier à l’expert dès lors que la clé Ledger Nano S n’est pas déterminante dans l’appréciation que pourrait faire l’expert de l’origine du sinistre allégué par M. X mais que pour autant son appel porte sur l’intégralité de la décision rendue le 7 décembre 2021, qu’en conséquence, elle ne formule pas de demandes nouvelles contrairement à ce que soutient l’intimé.


Elle soutient que sa déclaration d’appel a bien un effet dévolutif puisque celle-ci est conforme au dispositif du RPVA qui permet l’envoi de 4080 caractères et conforme aux dispositions de l’article 901 du code de procédure civile.


Pour conclure à la compétence de la juridiction française, d’une part elle se prévaut de la clause attributive de compétence insérée au contrat et d’autre part elle s’appuie sur l’article 35 du règlement Bruxelles I Bis lequel dispose que les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un Etat membre peuvent être demandées aux juridictions de cet Etat même si les juridictions d’un autre Etat membre sont compétentes pour connaître du fond.


Elle affirme qu’il est indifférent que l’objet litigieux ne se situe pas en France, contrairement à ce qu’a retenu le premier juge, puisqu’il n’est pas nécessaire de procéder à l’examen de la clé litigieuse pour déterminer les causes du sinistre dès lors que selon le cabinet d’expertise Stelliant les opérations d’expertise peuvent se réaliser sans la clé de M. X.


Elle considère dès lors que sa demande doit être accueillie par le juge français et être bien fondée à obtenir une expertise sur le fondement des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions du 24 janvier 2022, M. C X demande de :

In limine litis,

Vu l’art. 901, 4° du code de procédure civile,

vu l’art. 562 du code de procédure civile,

vu les arrêts :

' C civ. 2 e du 13 janvier 2022 ' n° 20-17.516

' CA Paris 1, 3, du 27 mai 2020 ' n° 19/15589

Vu l’absence de contraintes techniques, la totalité du dispositif de la décision de première instance faisant moins de 400 caractères, le RPVA permettant l’envoi de 4080 caractères,


- dire que la déclaration d’appel régularisée par la société Ledger est dépourvue d’effet dévolutif ;


- dire que la cour n’est saisie d’aucune demande ;


-d ire n’y avoir lieu à statuer ;

Subsidiairement,

Vu les art. 17 à 19 du Règlement UE n°1215/2012,

vu les art. 25 du Règlement UE n°1215/2012 et l’absence de visibilité et/ou accessibilité aux conditions d’utilisation Ledger via le site Web d’achat www.amazon.de,

vu l’art. 35 du Règlement UE n°1215/2012 et son interprétation autonome,

vu le Jurisclasseur Fasc. 3031 – notamment n° 26, 27, 38, 40, 41, 42, 46, 48, 55 ' et le particularisme de l’art. 35 du Règlement 1215/2012,

vu les arrêts :

' CJCE REICHERT II du 26 mars 1992 (aff C 261/90)

' CJCE du 21 mai 1980 Denilauler aff. 125/79

' CJCE VAN UDEN du 17 nov/1998 ' (aff. C-391/95)

' CJCE MIETZ du 27 avril 1999 ' aff. C-99/96 et

' Arrêt Sté Paul Dairy du 28 avril 2005 (aff. C -104/03)

Vu les arrêts : ' Cciv 1 re 11 déc. 2001 n° 00-18.547

' Cciv 1 re 4 mai 2011 n° 10-13.712

' Cciv du 4 mai 1910 en la matière

' Vu les art. 94, 110 n, 110o StPO (code de procédure pénale allemand)

' Vu les art. 485 ss ZPO (code de procédure civile allemand)

' §§ 305 ss, dont notamment §307 BGB

vu les faits et l’ensemble des pièces versées aux débats ainsi que notamment l’ensemble des demandes de Ledger de 1ère instance et de l’annexe de la déclaration d’appel :


-confirmer l’ordonnance de référé du 7 décembre 2021 du tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions.

Très subsidiairement au fond,

Vu le contrat de vente conclu entre le consommateur M. X et Ledger SAS via

la plate-forme allemande www.amazon.de,

Vu l’art. 6 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I),

Vu les art. 474 ss et notamment l’art. 477 BGB (code civil allemand),

Vu l’arrêt CJUE, arrêt du 28.07.2016, C-191/15 :


- juger que le droit allemand seul est applicable à la présente affaire.

Vu le contrat de vente conclu entre le consommateur allemand M. Y et Ledger SAS via la plate-forme www.amazon.de,

Vu les art. 434, 437 Nr. 3, 280 I BGB (code civil allemand),

Vu les art §§ 133, 157 BGB (code civil allemand),

Vu les art. 474 ss et notamment 477 BGB (code civil allemand) :


- donner acte à M. X de ses protestations et réserves

Vu les dispositions des art. 145 ss, 238 du CPC,

Vu les arrêts :

' Cass. Civ. 3ème 29 mai 1985, n° 84-11.166 +

' Cass. Civ 3ème 17 oct. 2012, n°10-23.971

Vu l’art. 9 du code de procédure civile, Vu le principe du contradictoire,


Au cas où il plairait à la cour à ordonner les mesures d’expertise demandées de bien vouloir :

' désigner un expert informatique spécialisé trilingue allemand/ anglais / français ;

' dire que l’expert devra communiquer aux parties un pré-rapport pour recueillir leurs dires et observations et leur accorder un délai de réponse de trois mois au minimum compte tenu de l’internationalité du litige et des délai de traduction et avant de rédiger son rapport définitif ;

' réintégrer les chefs de missions de Ledger énumérés dans son annexe de sa déclaration d’appel tout comme dans son assignation et conclusions de 1ere instance ;

' se faire remettre la clé Ledger Nano S achetée par M. X pour le numéro de facture « AMZ-DE-244669 » ;

' se faire remettre l’emballage d’origine de la clé Ledger Nano S avec tous les éléments qu’il contenait et, à minima, la fiche sur laquelle M. Z aurait saisi les 24 mots clés destiné à permettre une récupération ultérieure du contenu du portefeuille en cas d’oubli du mot de passe ou de perte ou de vol de la clé Ledger Nano S, ou, à défaut, tout autre emballage identique ;

' se faire remettre une clé Ledger Nano S par la société Ledger de même type que celle achetée par M. Y ;

' étendre comme ci-après la mission demandée de l’expert :

(1) la clé achetée correspondant à la facture n° AMZ-DE-244669 provient-elle de l’usine de la demanderesse '

(2) le demandeur peut-il exclure que la clé ait été interceptée et modifiée par quelqu’un pendant le trajet entre l’usine du demandeur et le défendeur '

(3) la clé avait-elle été utilisée avant le 1er décembre 2020 ' S’agit-il de marchandise retournée'

(4) la clé a-t-elle été infectée par un/des logiciel(s) malveillant / maliciel '

(5) qui était en mesure d’installer le malware/ logiciel malveillant ' des connaissances particulières ou des connaissances du fabricant sont-elles nécessaires pour cela '

(6) est-il possible d’accéder à la crypto-monnaie avec un malware/maliciel approprié '

(7) comment exactement fonctionne l’attribution des 24 mots de passe '

(8) est-il exclu que la clé ait été manipulée de sorte à ce que les 24 mots n’aient pas été choisis au hasard mais qu’ils avaient été déterminés auparavant '


Et en cas de réponses affirmatives aux questions :

(1.) si la clé a été manipulée et, le cas échéant,

(2.) si les 24 mots-clés n’ont pas été configurés de manière aléatoire selon le mécanisme par défaut de Ledger,

(3) une tierce personne peut-elle savoir/réaliser/connaître que la clé avec des crypto-monnaies sécurisées a été mis en service '


Et en cas de réponse affirmative :

(4) est-il possible pour cette tierce personne d’effectuer un transfert des crypto-monnaies de la clé vers un autre portefeuille '

(9) est-il possible que quelqu’un d’autre ait pu intercepter / récupérer les 24 mots '

(10) est-il possible de reconstruire/tracer qui a entré les 24 mots '


Et en cas de réponse positive, décrire l’ensemble des informations disponible sur cette personne et l’opération d’entrée des 24 mots que l’Expert peut obtenir suite à ce(tte) reconstruction/ traçage.

(11) est-ce que le lieu physique d’où les 24 mots ont été saisie est traçable '


Et en cas de réponse positive, décrire l’ensemble des informations disponibles sur ce lieu physique que l’Expert peut obtenir suite à ce traçage.

(12) est-il possible de faire une comparaison avec une clé non utilisée et la clé litigieuse, dont le résultat peut être utilisé pour déterminer s’il y a un défaut ou l’installation d’un maliciel / logiciel nuisible '


Et en cas de réponse positive, décrire l’ensemble des informations disponible sur cette comparaison entre une clé non utilisée et la clé litigieuse et déterminer s’il y a un défaut de la clé litigieuse, de la procédure d’installation ou l’installation d’un maliciel / logiciel.

(13) est-il possible qu’une tierce personne puisse accéder aux crypto- monnaies sécurisées sans entrer le PIN et le mot de passe '

(14) est-il possible d’accéder aux crypto-monnaies en saisissant exclusivement les 24 mots '

(15) une autre personne ' sans être présente sur place ' peut-elle accéder aux 24 mots fournis par la clé Ledger '


Et en cas de réponse positive, décrire l’ensemble des informations disponibles et obtenables par l’expert sur le processus d’obtention des 24 mots fournis par la clé Ledger par une personne sans être présente sur place.

(16) comment accéder aux Bitcoins sur un hot-wallet / plate-forme d’échange (ici : HUOBI Exchange) en utilisant les 24 mots et donc sans utiliser le PIN et le mot de passe '

(17) est-il possible qu’une ou plusieurs personnes qui n’avaient auparavant aucun accès au portefeuille, en 9 minutes physiquement absentes de la présence de la clé et de la feuille de recouvrement, aient eu accès à la clé en question et aient effectué une transaction de crypto-monnaies de la clé vers un autre portefeuille ' Si oui, comment '

(18) est il possible que lors du processus de fabrication de la clé chez Ledger, des manipulations soient effectuées sur une clé afin que les cryptomonnaies puissent être transférées vers autre portefeuille après le processus de sauvegarde, par des personnes qui ne sont pas présentes localement ' Si oui, comment '

(19) dire que les éventuels frais d’expertise complémentaires seront avancés par la partie ayant introduite la présente instance et demandé l’expertise en France, (20) prolonger le délai des travaux d’expertise demandés à une année compte tenu des délais incompressibles des traductions à effectuer et afin de respecter le principe du contradictoire.

En tout état de cause,


- condamner la société Ledger SAS au règlement au consommateur M. Z de la somme d’un montant de 15.000,00€ au titre de l’art. 700 code de procédure civile ainsi qu’au règlement des entiers dépens.


-dire que ceux d’appel seront recouvrés par Me Matthieu Boccon Gibod,, SELARL Lexavoue Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Sur l’absence d’effet dévolutif de la déclaration d’appel de la société Ledger, M. Z,


- déclare que faute pour la déclaration d’appel de viser les chefs de jugement critiqués se contentant de renvoyer à un document à part, étant constaté qu’il n’existait aucun empêchement technique privant la société Ledger de la possibilité de faire figurer dans sa déclaration d’appel les chefs de jugement critiqués, cette déclaration est dépourvue d’effet dévolutif.


Il soutient que seul le tribunal du domicile du consommateur allemand est compétent pour toute action par application des articles 17 et 18 du Règlement Bruxelles 1, que la clause d’attribution de compétence n’est pas valable par application de l’article 25 du Règlement UE n°1215/2012, que les détails de la procédure de vente via la plateforme allemande Amazon ne lui permet pas de prendre connaissance des conditions générales de vente et donc de la clause attributive de compétence.


Il fait valoir que les demandes formulées par ce référé expertise ne correspondent pas à la définition communautaire des mesures provisoires ou conservatoires et que la demande d’expertise ne peut porter que sur la clé litigieuse, laquelle se trouve entre les mains de la police allemande et rappelle que la demanderesse à la mesure doit établir un lien de rattachement entre la mesure demandée et la juridiction française.


Quant au fond, M. X conclut à l’application du droit allemand au titre de l’article 6 du Règlement n°593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008.


En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et moyens développés au soutien de leurs prétentions respectives.

MOTIFS

Sur l’effet dévolutif de l’appel


L’article 901 du code de procédure civile dispose que la déclaration est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par les 2° et 3° de l’article 54 et par le cinquième alinéa de l’article 57 et à peine de nullité :

'4° les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement ou si l’objet du litige est indivisible (…)'.


Par ailleurs, selon l’article 930-1 du code de procédure civile,à peine d’irrecevabilité relevée d’office, 'les actes de la procédure sont remis à la juridiction par voie électronique.(…) Un arrêté du garde des sceaux définit les modalités des échanges par voie électronique'.


La circulaire du 4 août 2017 publiée au bulletin officiel du Ministère de la Justice du 31 août 2017 précise :

« Dans la mesure où le RPVA ne permet l’envoi que de 4080 caractères, il pourra être annexé à la déclaration d’appel une pièce jointe la complétant afin de lister l’ensemble des points critiqués du jugement. Cette pièce jointe, établie sous forme de copie numérique, fera ainsi corps avec la déclaration d’appel ».


La circulaire du 4 août 2017 publiée le 31 août 2017 ne subordonne pas l’existence d’un document annexe à la déclaration d’appel au dépassement du nombre de 4080 caractères.


L’article 8 de l’arrêté du 20 mai 2020, relatif à la communication par voie électronique en matière civile devant les cours d’appel, énonce : « le message de données relatif à une déclaration d’appel provoque un avis de réception par les services du greffe, auquel est joint un fichier récapitulatif reprenant les données du message. Ce récapitulatif accompagné, le cas échéant, de la pièce jointe établie sous forme de copie numérique annexée à ce message et qui fait corps avec lui tient lieu de déclaration d’appel ».


En l’espèce, l’appel de la société Ledger a été formé par déclaration électronique du 24 décembre 2021 par le réseau privé virtuel des avocats (RPVA). Cet envoi dont l’objet est la « déclaration d’appel » mentionne : "appel limité aux chefs de jugement expressément critiqués dans la déclaration d’appel ci -jointe accompagnée des conclusions d’appel".


Cet envoi est accompagné d’un fichier détaillant l’ensemble des chefs de la décision critiquée, dénommé par elle « déclaration d’appel » aux termes duquel elle déclare " par la présente interjeter appel de la décision désignée ci-dessus à l’encontre de :

M. C X demeurant Julius-Vosseler-Str.81a – 22527 Hamburg (Hambourg), Allemagne, de nationalité allemande

L’appel tend à obtenir la réformation de l’ordonnance (RG 21/56222) rendue le 7 décembre 2021 par le président du tribunal judiciaire de PARIS en ce qu’elle a :

- constaté l’incompétence de la juridiction judiciaire française pour ordonner une

expertise sur la clé Nano Ledger S appartenant à M. C X ;

- renvoyé la SAS Ledger à mieux se pourvoir ;

- dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du code de procédure

civile ;

-condamné la société Ledger aux dépens de l’instance ;

Et qu’en conséquence, elle a débouté la SAS Ledger de ses demandes tendant à : (…) '.


Conditionner l’effet dévolutif d’un acte d’appel à la vérification de la saisie complète de 4080 caractères sur le formulaire de déclaration d’appel avant le recours à une annexe, reviendrait à priver d’effet dévolutif un acte d’appel comportant cumulativement des chefs de jugements critiqués sur le formulaire de déclaration d’appel et sur une annexe dès lors que le nombre de 4080 caractères n’aurait pas été atteint sur le formulaire de déclaration d’appel.


L’office du juge d’appel, qui doit vérifier systématiquement les conditions de la dévolution, ne saurait se limiter au contrôle du nombre de caractères de la déclaration d’appel.
De surcroît, les limites techniques du système informatique RPVA ne peuvent avoir pour effet de restreindre le droit d’accès au juge reconnu par l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. En effet, imposer à une partie un formalisme non expressément prévu par un texte pour encadrer la pratique susvisée équivaut à limiter son droit d’accès au juge d’appel.


En conséquence, il résulte de la combinaison des textes précités que l’adjonction à la déclaration d’appel d’un document annexe auquel le formulaire de déclaration d’appel fait expressément référence, comportant l’énoncé des chefs de jugement critiqués, n’est pas contraire aux dispositions du code de procédure civile.


La cour est donc saisie valablement des chefs critiqués du jugement mentionnés sur l’annexe ; la fin de non-recevoir de la demande tendant à constater l’absence de saisine de la cour est rejetée.

Sur la compétence


Pour conclure à la compétence de la juridiction française, la société Ledger qui selon ses dernières écritures sollicite une mesure d’expertise sur une clé du même type que la clé acquise par M. X, elle placée entre les mains de la police allemande, se prévaut des dispositions de l’article 25 du Règlement UE n°1215 /2012 relatif aux prorogations de compétence et de l’article 35 du même Règlement, ce que conteste M. X qui soutient la compétence du tribunal de son domicile, situé en Allemagne, par application de articles 17, 18 et 19 du même Règlement,en l’absence de clause attributive de compétence qui lui soit opposable et de l’inapplicabilité au cas d’espèce de l’article 35 du Règlement.


Il est constant que M. X, en sa qualité de consommateur, a acquis la clé litigieuse via la plateforme www.amazon.de.


Il n’est nullement démontré par la société Ledger qui ne verse aux débats que les conditions de vente émanant de son propre site et non pas celles figurant sur le site précité que M. X a eu connaissance des conditions générales de vente prévoyant notamment une clause attributive de compétence.


Il s’ensuit que la société Ledger ne peut opposer à M. X une quelconque clause attributive de compétence et par voie de conséquence se prévaloir des dispositions de l’article 25 du Règlement sus-visé lequel prévoit la compétence de la juridiction choisie par les parties,sans considération de leur domicile.


Selon l’article 35 du Règlement 1215/2012, les mesures provisoires ou conservatoires prévues par la loi d’un Etat membre peuvent être demandées aux juridictions de cet Etat, même si les juridictions d’un autre Etat membre peuvent être compétentes pour connaître du fond.


Aux termes de l’article 145 du code de procédure civile, s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé ou en référé.


Les mesures provisoires ou conservatoires autorisées par l’article 35 sont des mesures qui, dans les matières du champ d’application du Règlement, sont destinées à maintenir une situation de fait ou de droit afin de sauvegarder les droits dont la reconnaissance est par ailleurs demandée au juge du fond.


La demande d’expertise formée par la société Ledger portant sur une clé Nano Ledger S de même type que celle acquise par M. X a pour objet notamment d’apprécier si les process de sécurité inhérents à l’utilisation de cette clé ont été respectés, permettant ainsi à la société Ledger d’obtenir des éléments de preuve pouvant commander la solution d’un litige éventuel.
Cette mesure d’expertise constitue donc une mesure provisoire ou conservatoire autorisée par l’article 35 sus-visé qui justifie la compétence de la juridiction française saisie.


En conséquence, l’ordonnance entreprise sera infirmée en ce qu’elle a déclaré la juridiction française incompétente pour ordonner la mesure d’expertise sollicitée par la société Ledger.


Selon l’article 88 du code de procédure civile,lorsque la cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qu’elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction.


En l’espèce, l’objet de la mesure d’expertise sollicitée par la société Ledger se trouve à Paris.


En conséquence la présente cour est juridiction d’appel relativement à la juridiction qui eut été compétente en première instance, soit le tribunal judiciaire de Paris.


Eu égard à l’objet du litige, il est de bonne justice d’évoquer le fond.

Sur le motif légitime


L’application des dispositions de l’article 145 du code de procédure civile suppose que soit constaté qu’il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l’échec au regard des moyens soulevés, sur la base d’un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu’il revienne au juge du référé de se prononcer sur le fond.


En l’espèce, l’expertise sollicitée porte sur une des clés produites par la société Ledger, du même type que celle acquise par M. X et non pas sur la clé dont M. A prétend qu’elle est à l’origine de la disparation de ses bitcoins.


La société Ledger déclare qu’elle a intérêt à contester les affirmations de M. X qui constatant la disparation de ses 15.984 bitcoins, soutient avoir respecté à la lettre le processus d’initialisation de la clé sécurisée en générant les 24 mots-clés permettant de retrouver la clé en cas de vol, de dommage ou de perte notamment et n’avoir communiqué son mot de passe à personne.


Elle affirme que l’expertise s’avère nécessaire afin de déterminer si un détournement des codes d’accès à la clé peut être la cause du sinistre.


La cour observe :


- d’une part, que la demande d’expertise porte non sur la clé acquise par M. X, mais sur n’importe autre clé de même type, alors que les chefs de mission de l’expert proposés par la société Ledger renvoient à la situation de la clé de M. X et au comportemet de ce dernier ('Dire si le process consistant à déterminer 24 mots-clés a été suivi correctement par Monsieur X et si ces 24 mots-clés ont pu être divulgués par Monsieur X ; Se faire remettre le line des deux transactions intervenues par Monsieur X ; Se faire remettre le lien de téléchargement de l’application utilisée par Monsieur X') ;


- d’autre part, que la société Ledger ne fait état d’aucun procès en germe qu’elle pourrait intenter à l’encontre de M. X, alors même que c’est ce dernier qui prétend être victime de la disparition des bitcoins sauvegardés sur sa clé Ledger Nano S.


La société Ledger ne démontre pas, dans ces conditions, au regard des éléments spécifiques exposés par l’intimé, avoir un intérêt légitime à obtenir au contradictoire de M. X la mesure d’instruction sollicitée.
La demande d’expertise sera donc rejetée.


La société Ledger qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 par l’avocat qui en fait la demande.Elle sera également condamnée à payer à M. A la somme de 5000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Rejette la fin de non-recevoir tendant à constater l’absence de saisine de la cour ;


Dit que la cour est valablement saisie ;

Infirme l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré l’incompétence de la juridiction française ;


Statuant à nouveau, y ajoutant,


Dit que le tribunal judiciaire de Paris était compétent pour connaître des demandes formées par la société Ledger ;


Rejette la demande d’expertise formée par la société Ledger,


Condamne la société Ledger aux dépens d’appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile par l’avocat qui en fait la demande,


Condamne la société Ledger à payer à M. C A la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.


LE GREFFIER LE PRESIDENT
Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Cour d'appel de Paris, Pôle 1 - chambre 3, 30 mars 2022, n° 21/21997