CEDH, SILLIAU c. FRANCE, 5 juin 2018, 45728/17

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 5 juin 2018, n° 45728/17
Numéro(s) : 45728/17
Type de document : Affaire communiquée
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Affaire communiquée
Identifiant HUDOC : 001-184371
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Texte intégral

Communiquée le 5 juin 2018

CINQUIÈME SECTION

Requête no 45728/17
Clément SILLIAU
contre la France
introduite le 23 juin 2017

EXPOSÉ DES FAITS

1.  Le requérant, M. Clément Silliau, est un ressortissant français né en 1989 et résidant à Beaune-la-Rolande.

A.  Les circonstances de l’espèce

2.  Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par le requérant, peuvent se résumer comme suit.

3.  Le requérant est né d’une insémination artificielle avec donneur de sperme. En 2006, ses parents lui révélèrent son mode de conception.

4.  Par un courrier en date du 18 mars 2010, le requérant demanda au centre d’études et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de l’hôpital Cochin (Paris) de lui communiquer plusieurs documents contenant des informations sur les origines de sa conception. En particulier, il souhaitait connaître l’identité du donneur, avoir accès à des informations médicales le concernant et à d’autres informations non identifiantes, comme ses motivations, sa situation familiale et sa description physique.

5.  À la suite du refus implicite opposé à cette demande, le requérant saisit, par courrier du 23 novembre 2010, la commission d’accès aux documents administratifs (CADA). Le 22 décembre 2010, la CADA déclara la demande sans objet en raison de l’impossibilité de retrouver le dossier relatif au donneur. Elle indiqua, en tout état de cause, que les informations relatives aux antécédents médicaux n’étaient communicables qu’au médecin dans les conditions fixées aux articles L. 1211-5 et L. 1244-6 du code de santé publique (paragraphe 17 ci-dessous). La CADA souligna par ailleurs que le principe d’anonymat de la procréation médicalement assistée hétérologue était, selon le Conseil d’État, conforme à l’article 8 de la Convention. Elle conclut que, bien qu’elle soit pleinement consciente des aspirations légitimes des enfants concernés et des souffrances que certains d’entre eux pouvaient éprouver, il n’appartenait qu’au législateur de décider de l’opportunité ou non de rendre accessibles à l’enfant des informations non identifiantes relatives au donneur, de l’étendue d’une telle communication et des modalités selon lesquelles elle pourrait intervenir.

6.  Par une requête du 16 septembre 2011, le requérant saisit le tribunal administratif (ci-après le TA) de Paris de conclusions tendant à l’annulation de la décision de refus de lui transmettre les documents et informations concernant le donneur de gamètes à l’origine de sa conception. Le requérant demanda également à la juridiction administrative d’enjoindre à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris AP-HP dont dépend le CECOS de lui transmettre lesdites informations et de condamner le CECOS à lui verser la somme de 50 000 euros (EUR) au titre des préjudices subis. Le requérant soutint notamment que l’impossibilité d’accéder aux informations sollicitées auprès de l’administration l’empêchait de jouir pleinement de son droit à l’identité, en violation des articles 8 et 14 de la Convention.

7.  Par une lettre du 10 novembre 2011, l’Assistance publique-hôpitaux de Paris AP-HP informa le requérant que le dossier relatif au donneur avait été retrouvé mais qu’aucune information ne pouvait lui être délivrée au regard de la législation française.

8.  Par un jugement du 6 décembre 2013, le TA rejeta les demandes du requérant dans les termes suivants :

« (...) les informations contenues dans le dossier d’un donneur de gamètes utilisés dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation constituent un secret protégé par la loi au sens de l’article 6 de la loi du 11 juillet 1978 garantissant en particulier la préservation de l’anonymat du donneur à l’égard de toute personne demandant à y avoir accès et notamment de celle qui a été conçue à partir de gamètes issus de ce don ; qu’il ne peut être dérogé à cette règle, dans certaines conditions, qu’au profit des autorités sanitaires, des praticiens agréés pour les activités cliniques d’assistance médicale à la procréation et des médecins dans l’intérêt thérapeutique de l’enfant ainsi conçu ;

[le requérant] n’est pas au nombre des personnes et autorités auxquelles la loi réserve strictement l’accès à certaines données concernant les donneurs de gamètes ; qu’il s’ensuit que le [CECOS], qui dépend de l’AP-HP a pu, sans commettre d’erreur de droit, refuser de communiquer à l’intéressé des données non identifiantes concernant le donneur à l’origine de sa conception.

Considérant (...) que les stipulations de l’article 8 de la Convention (...), qui ont pour objet d’assurer un juste équilibre entre l’intérêt général et les impératifs de sauvegarde de la vie privée, y compris dans les relations des individus entre eux, laissent au législateur une marge d’appréciation étendue en particulier dans le domaine de l’assistance médicale à la procréation, tant pour choisir les modalités de mise en œuvre d’une telle politique que pour juger si leurs conséquences se trouvent légitimées, dans l’intérêt général, par le souci d’atteindre les objectifs poursuivis par la loi ; que la règle de l’anonymat du donneur de gamètes, qui répond notamment à l’objectif de respect de la vie familiale au sein de la famille légale de l’enfant conçu à partir de gamètes issues de ce don, ainsi qu’à l’objectif de préservation de la vie privée du donneur, n’implique par elle-même aucune atteinte à la vie privée de la personne ainsi conçue (...)

Considérant, d’autre part, que les dispositions de l’article L. 1244-6 du code de la santé publique, qui réservent au seul médecin l’accès aux informations médicales non identifiantes du dossier du donneur en cas de nécessité thérapeutique concernant l’enfant conçu à partir de gamètes issues de don, répondent notamment à des objectifs de protection de la santé, de préservation de la vie privée et de protection du secret médical ; que cette différence de traitement entre le médecin et toute autre personne, qui relève de la marge d’appréciation que les articles 8 et 14 de la Convention (...) réservent au législateur national, n’est pas incompatible avec ces stipulations ; que les dispositions du II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 réservant à la seule personne intéressée l’accès aux documents dont la communication porterait atteinte au secret médical, qui répondent notamment à des objectifs de préservation de la vie privée et de protection du secret médical, ne constituent pas davantage une discrimination prohibée par les stipulations combinées de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 14 de cette convention ; (...) »

9.  Le 30 janvier 2014, le requérant fit appel de ce jugement.

10.  Par un arrêt du 22 janvier 2016, la cour administrative d’appel de Versailles confirma le jugement dans des termes identiques à ceux du TA, en y ajoutant que l’interdiction de l’accès aux données litigieuses s’appliquait à tous les dons d’un élément ou d’un produit du corps. Elle considéra également que les nécessités d’ordre psychologique invoquées par le requérant pour obtenir des données médicales ne constituaient pas des nécessités thérapeutiques au sens de la loi.

11.  Le requérant forma un pourvoi en cassation. Dans ses moyens de cassation, il invoqua la violation des articles 8 et 14 de la Convention. Il invoqua la jurisprudence de la Cour pour dénoncer un système de secret absolu et pour faire valoir que le droit de connaitre ses origines ne pouvait être restreint qu’en présence d’intérêts contraires de valeur élevée. S’agissant des données non identifiantes, médicales ou non, il prétendit que leur communication ne pouvait nuire au donneur qui demeurerait anonyme. En ce qui concerne les autres intérêts en jeu, d’autre part, il souligna que l’intérêt des donneurs n’était pas nécessairement rigide et absolu car certains souhaitent faire connaître leur identité. Il fit valoir que la loi française présumait de l’opinion du donneur ou de sa famille alors que l’interdiction de toute révélation, sans exception, et sans jamais demander l’avis du donneur, n’était pas nécessaire. Le requérant remit également en cause la nécessité du caractère absolu du secret à l’égard de l’intérêt du couple receveur et de la vie de famille, en particulier lorsque, comme dans son cas, les conditions de la conception avaient été révélées. Il soutint ainsi que la protection de l’intérêt du donneur ne pouvait constituer à elle seule un argument suffisant pour le priver de ses droits garantis par l’article 8 de la Convention. Enfin, il contesta le risque d’une baisse substantielle des dons de gamète en cas de levée de l’anonymat et donna l’exemple du Royaume‑Uni qui démontrait, selon lui, le contraire.

12.  Par une décision du 23 décembre 2016, le Conseil d’État déclara le pourvoi non admis.

B.  Le droit et la pratique internes pertinents

13.  Le principe d’anonymat du don de gamètes a été consacré dans les articles 16-8 du code civil et 1211-5 du code de la santé publique par la loi no 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal.

14.  L’article 16-8 du code civil est ainsi libellé :

« Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur.

En cas de nécessité thérapeutique, seuls les médecins du donneur et du receveur peuvent avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci. »

15.  Les articles 311-19 et 311-20 du code civil sont ainsi libellés :

Article 311-19

« En cas de procréation médicalement assistée avec tiers donneur, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’auteur du don et l’enfant issu de la procréation.

Aucune action en responsabilité ne peut être exercée à l’encontre du donneur. »

Article 311-20

« Les époux ou les concubins qui, pour procréer, recourent à une assistance médicale nécessitant l’intervention d’un tiers donneur, doivent préalablement donner, dans des conditions garantissant le secret, leur consentement au juge ou au notaire, qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation.

Le consentement donné à une procréation médicalement assistée interdit toute action aux fins d’établissement ou de contestation de la filiation à moins qu’il ne soit soutenu que l’enfant n’est pas issu de la procréation médicalement assistée ou que le consentement a été privé d’effet.

Le consentement est privé d’effet en cas de décès, de dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou de cessation de la communauté de vie, survenant avant la réalisation de la procréation médicalement assistée. Il est également privé d’effet lorsque l’homme ou la femme le révoque, par écrit et avant la réalisation de la procréation médicalement assistée, auprès du médecin chargé de mettre en œuvre cette assistance.

Celui qui, après avoir consenti à l’assistance médicale à la procréation, ne reconnaît pas l’enfant qui en est issu engage sa responsabilité envers la mère et envers l’enfant.

En outre, sa paternité est judiciairement déclarée. L’action obéit aux dispositions des articles 328 et 331. »

16.  L’article 511-10 du Code pénal se lit ainsi :

« Le fait de divulguer une information permettant à la fois d’identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple qui les a reçus est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

17.  Les dispositions pertinentes du code de santé publique sont ainsi libellées :

Article L. 1131-1-2 (dernier alinéa)

« Lorsqu’est diagnostiquée une anomalie génétique grave dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins chez une personne qui a fait un don de gamètes ayant abouti à la conception d’un ou plusieurs enfants ou chez l’un des membres d’un couple ayant effectué un don d’embryon, cette personne peut autoriser le médecin prescripteur à saisir le responsable du centre d’assistance médicale à la procréation afin qu’il procède à l’information des enfants issus du don dans les conditions prévues au quatrième alinéa. »

Article L. 1211-5

« Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur, ni le receveur celle du donneur. Aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée.

Il ne peut être dérogé à ce principe d’anonymat qu’en cas de nécessité thérapeutique. »

Article L. 1244-6

« Les organismes et établissements autorisés dans les conditions prévues à l’article L. 2142-1 fournissent aux autorités sanitaires les informations utiles relatives aux donneurs. Un médecin peut accéder aux informations médicales non identifiantes en cas de nécessité thérapeutique concernant un enfant conçu à partir de gamètes issus de don. »

Article L. 1273-3

« Comme il est dit à l’article 511-10 du code pénal ci-après reproduit :

« Le fait de divulguer une information permettant à la fois d’identifier une personne ou un couple qui a fait don de gamètes et le couple qui les a reçus est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »

Article R. 1244-5 (à l’époque des faits)

« Pour remplir les obligations prévues à l’article L. 1244-6, les organismes et établissements de santé autorisés pour les activités mentionnées au d du 1o et au c et d du 2o de l’article R. 2142-1 conservent des informations sur le donneur. Le dossier du donneur contient, sous forme rendue anonyme :

1o Les antécédents médicaux personnels et familiaux nécessaires à la mise en œuvre de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ;

2o Les résultats des tests de dépistage sanitaire prévus aux articles R. 1211-25 et R. 1211-26;

3o Le nombre d’enfants issus du don ;

4o S’il s’agit d’un don de sperme, la date des dons, le nombre de paillettes conservées, la date des mises à disposition et le nombre de paillettes mises à disposition ;

(...)

6o Le consentement écrit du donneur et, s’il fait partie d’un couple, celui de l’autre membre du couple ;

Les praticiens agréés pour les activités mentionnées au premier alinéa, conformément à l’article L. 2142-1-1 sont responsables de la bonne tenue du dossier et de l’exactitude des informations qui y sont consignées.

Ce dossier est conservé pour une durée minimale de quarante ans et quel que soit son support sous forme anonyme. L’archivage est effectué dans des conditions garantissant la confidentialité.

Le donneur doit, avant le recueil ou le prélèvement des gamètes, donner expressément son consentement à la conservation de ce dossier.

Les informations touchant à l’identité des donneurs, à l’identification des enfants nés et aux liens biologiques existant entre eux sont conservées, quel que soit le support, de manière à garantir strictement leur confidentialité. Seuls les praticiens agréés pour les activités mentionnées au premier alinéa ont accès à ces informations. »

18.  Lors de l’adoption de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique, l’Assemblée nationale a adopté un amendement rejetant l’ouverture d’une possibilité « d’accès à l’identité du donneur pour les personnes issues d’un don de gamètes » prévue par le texte du projet de loi initial (le donneur, sans que ce soit une obligation, aurait pu révéler son identité, si les personnes issues de ce don en avaient fait la demande).

19.  Par une décision du 28 décembre 2017, le Conseil d’État a confirmé la compatibilité du principe d’anonymat du don de gamètes avec l’article 8 de la Convention. Il a considéré, eu égard à la finalité éthique de la règle de l’anonymat, qui traduit la conception française du respect du corps humain, qu’aucune circonstance particulière propre à la situation d’un demandeur ne saurait conduire à regarder la mise en œuvre des dispositions législatives relatives à l’anonymat du don de gamètes comme portant une atteinte excessive aux droits et libertés protégés par la Convention.

GRIEFS

20.  Invoquant l’article 8 de la Convention, le requérant se plaint d’une violation de son droit à la connaissance de ses origines. Il souligne que ses parents ont soutenu sa démarche.

21.  Invoquant l’article 8, combiné avec l’article 14 de la Convention, le requérant se plaint de subir, par rapport aux autres enfants, une discrimination dans la jouissance de sa vie privée, en raison de l’impossibilité d’accéder aux antécédents médicaux familiaux.

QUESTIONS AUX PARTIES

1.  Y a-t-il violation du droit du requérant au respect de sa vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention ?

2.  Le requérant est-il victime, dans l’exercice des droits garantis par la Convention, d’une discrimination contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8 de la Convention ?

Le Gouvernement est invité à apporter des précisions sur les réflexions en cours concernant la question de la protection de l’anonymat des donneurs de sperme dans le cadre de la réforme de la loi bioéthique de 2011.

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