Tribunal administratif de Lyon, 15 janvier 2019, n° 1704067

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Chronologie de l’affaire

Commentaires12

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Yann Le Foll · Lexbase · 9 octobre 2019

Association Lyonnaise du Droit Administratif · 26 juin 2019

Il s'agit de la contestation du refus d'abroger une décision du 27 mars 2013 autorisant la mise sur le marché d'un produit insecticide "Cheyenne" de la société SAS Philargo France. L'UNAF en a saisi le tribunal administratif de Lyon qui, par jugement du 20 décembre 2016, a rejeté sa demande. Le produit "cheyenne" est un insecticide destiné à traiter le sol contre les taupins du maïs, du maïs doux et du sorgho. Il contient une substance active au sens de la réglementation européenne (article 2 du règlement n° 1107/2009 du 21 octobre 2009, c'est-à-dire "exerçant une action générale ou …

 

Alain Soroste · Actualités du Droit · 26 février 2019
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Sur la décision

Référence :
TA Lyon, 15 janv. 2019, n° 1704067
Juridiction : Tribunal administratif de Lyon
Numéro : 1704067
Décision précédente : Tribunal administratif de Melun, 23 mai 2017, N° 1703429

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE LYON

N°1704067 RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ___________

COMITÉ DE RECHERCHE ET D’INFORMATION

INDÉPENDANTES SUR LE GÉNIE GÉNÉTIQUE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS ___________


M. X Y

Rapporteur Le tribunal administratif de Lyon ___________

6ème chambre
M. Z A

Rapporteur public ___________

Audience du 18 décembre 2018 Lecture du 15 janvier 2019 _________ 03-11 C

Vu la procédure suivante :

Par une ordonnance n° 1703429 du 24 mai 2017, la présidente du tribunal administratif de Melun a transmis au tribunal administratif de Lyon la requête enregistrée le 27 avril 2017 et présentée par le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique.

Par cette requête, enregistrée le 30 mai 2017 au greffe du tribunal administratif de Lyon, et des mémoires, enregistrés les 14 mars 2018 et 27 avril 2018, le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique (CRIIGEN), représenté par la SELARL Huglo Lepage et Associés, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler la décision du 6 mars 2017 par laquelle le directeur général de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 par la SAS Monsanto ;

2°) de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle en appréciation de validité des règlements d’exécution (UE) 2016/1056 du 29 juin 2016 et 2016/1313 du 1er aout 2016 modifiant tous deux le règlement d’exécution (UE) n°540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active glyphosate ; 3°) de mettre à la charge de l’ANSES la somme de 10 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.



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Il soutient que :

En ce qui concerne la légalité externe :

- la décision attaquée a été prise par une autorité incompétente ;

- l’auteur de la décision attaquée est à la fois responsable de l’entité qui a évalué les risques et dangers du Typhon et responsable de l’autorisation de la mise sur le marché du

Roundup Pro 360 ; le principe d’indépendance, prévu par l’article L. 1313-1 du code de la santé publique et le principe d’impartialité, principe général du droit, ont ainsi été méconnus par

l’ANSES ; l’article L. 1313-1 de ce code méconnait la réglementation européenne, qui prévoit, ainsi que l’a jugé l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne C-474/10 du 20 octobre 2011, une séparation fonctionnelle afin de garantir l’indépendance de l’autorité qui évalue.

En ce qui concerne l’évaluation des risques par l’ANSES :

- les produits Typhon et Roundup Pro 360, qui ont le même principe actif mais une composition chimique différente, ne sont pas strictement identiques ; dès lors le

Roundup Pro 360 n’est pas un produit de revente et nécessitait une évaluation des risques et des dangers ;

- l’évaluation scientifique d’un produit de référence constitue une base sur laquelle se fonde l’ANSES pour autoriser la mise sur le marché d’un produit de revente et la décision d’autorisation de mise sur le marché n’est pas devenue définitive, dès lors qu’elle est régulièrement modifiée et l’a été en 2017 ; en tout état de cause, l’évaluation des risques et dangers du produit de référence Typhon est caduque, compte tenu des changements de circonstances de droit et de fait ;

- l’ANSES n’a pas évalué l’interaction entre la substance active, les phytoprotecteurs, les synergistes et les coformulants, en méconnaissance du paragraphe 6 de l’article 29 du règlement (CE) n°1107/2009 et elle n’a pas évalué les conditions concrètes d’utilisation proposées ; l’ANSES n’a pas recherché la présence d’autres coformulants que l’amonium quaternaire ni si les utilisateurs seraient amenés à utiliser des adjuvants pour augmenter

l’efficacité du produit ; l’ANSES n’a pas évalué les risques et dangers de l’acide aminométhylphosphonique, le produit de dégradation du glyphosate.

En ce qui concerne la règlementation relative à la classification et à l’étiquetage :

- la décision attaquée méconnait la règlementation européenne relative à la classification, car le Roundup Pro 360 aurait dû être classé H411 « toxique pour les organismes aquatiques. Entraine des effets néfastes à long terme. », comme le glyphosate, mais aussi, eu égard notamment à la présence d’ammonium quaternaire, H302 « Nocif en cas d’ingestion. »,

H315 « Provoque une irritation cutanée », H318 « Provoque des lésions oculaires graves. », cancérogène de niveau 1B, comme démontré par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), ou a minima de niveau 2, et toxique pour la reproduction niveau 2, ainsi qu’attesté par de nouvelles études ;

- l’ANSES a commis une erreur manifeste d’appréciation en ne fixant pas les conditions précises de l’étiquetage au delà des mentions obligatoires ;

- si la décision attaquée souligne les risques de résistance au Roundup, elle n’a imposé aucune recommandation visant à l’éviter.

En ce qui concerne la demande de question préjudicielle concernant la validité des décisions européennes de prolongation de l’autorisation du glyphosate :

- la décision attaquée est illégale car elle est fondée sur les règlements d’exécution de la Commission 2016/1056 du 29 juin 2016 et 2016/1313 du 1er août 2016, eux-mêmes entachés

d’illégalité ;



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- l’autorisation initiale délivrée par la directive 91/414/CEE a expiré le 30 juin 2012 car la directive 2010/77/UE du 10 novembre 2010 modifie l’annexe 1 mais non l’article 5 de la directive 91/414/CE, ce qui signifie que la durée de dix années de validité de l’autorisation reste la règle ;

- il existe un doute sérieux sur la régularité de la prolongation du délai par la directive

2010/77/UE du 10 novembre 2010 modifiant la directive 91/414/CEE qui avait été abrogée par la directive 1107/2009 du 21 octobre 2009 avec effet au 14 juin 2011, antérieurement à la date d’expiration de la validité de la première autorisation délivrée au glyphosate ; il n’est pas établi que Monsanto a présenté une demande en 2012 ;

- les renouvellements à répétition de la date d’expiration de l’autorisation par des règlements d’exécution de la Commission européenne ont été pris en méconnaissance de

l’article 17 du règlement n°1107/2009, qui prévoit la prolongation d’une première approbation et non d’un premier renouvellement, qui permet de prolonger une seule fois et non trois et qui limite à 10 ans la durée de validité d’une première autorisation ;

- les règlements d’exécution pris par la commission méconnaissent le principe de précaution reconnu par le paragraphe 2 de l’article 191 du traité sur le fonctionnement de

l’Union européenne et l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ; en effet l’étude du CIRC a conclu à un effet « cancérogène probable » du glyphosate, plusieurs études soulignent la dangerosité du glyphosate et ses propriétés perturbatrices du système endocrinien ; le chercheur B C, qui a eu accès aux études confidentielles transmises par les industriels aux autorités européennes, a alerté le Président de la commission sur le fait que ces études contenaient des données inquiétantes sur des cas de cancers dus au glyphosate qui auraient échappés aux experts ;

- le règlement d’exécution 2016/1056 est fondé sur l’évaluation menée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ; cette autorité n’a divulgué que les noms et déclarations d’intérêt des rares scientifiques l’ayant accepté, ce qui ne permet pas de vérifier l’indépendance des scientifiques ayant contribué à l’évaluation des risques ; l’Etat rapporteur n’a pas davantage divulgué l’identité des experts qui ont rédigé un pré rapport servant de base de travail à l’EFSA, dont quatre seraient, selon une organisation non gouvernementale, directement employés par les géants de l’agrochimie ; par suite l’arrêt C-165/13 P,Client Earth Pan Europe c. EFSA de la Cour de justice du 16 juillet 2015 a été méconnu, en l’absence d’impartialité et

d’indépendance des experts ;

- la méthodologie utilisée par l’EFSA et l’Etat rapporteur est inappropriée car, d’une part, elle est prioritairement fondée sur les 41 études confidentielles, dont seul le résultat est accessible, fournies par les industriels et, d’autre part, elle n’a pas analysé les préparations commerciales mais la seule substance active ; le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a d’ailleurs abouti à des résultats opposés en analysant les études scientifiques publiées afin d’évaluer la dangerosité des préparations commerciales ; l’évaluation a été menée de façon inappropriée par l’EFSA en ayant recours au test statistique de Fisher et non au test de

Cochran Armittage ; en outre l’EFSA refuse de prendre en compte des études au motif que les herbicides pulvérisés contiennent des co-formulants et que rien ne prouve que les dommages chromosomiques relevés soient le fait du glyphosate et non des coformulants.

En ce qui concerne le non respect du principe de précaution par l’ANSES et l’erreur manifeste

d’appréciation :

- la décision de l’ANSES méconnait les principes de précaution et du droit à un environnement sain reconnus par les articles 1er, 5 et 6 de la charte de l’environnement et les articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l’environnement ; de nombreuses études font peser de fortes présomptions sur l’effet de perturbateur endocrinien du glyphosate et le CIRC a estimé que cette substance active avait un effet « cancérogène probable », tandis que l’agence californienne de protection de l’environnement a également jugé le glyphosate cancérigène et



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que la procédure intentée devant la Cour fédérale de Californie a révélé que l’entreprise

Montsanto s’inquiétait du potentiel génotoxique du glyphosate dès 1999 ; l’acide aminométhylphosphonique a sa propre toxicité et se retrouve dans les aliments issus des plantes traitées, ce qui aurait dû amener l’ANSES à évaluer sa toxicité ;

- elle méconnait l’article 11 de la directive 2009/128/CE qui instaure un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, dès lors que le glyphosate a été détecté dans 33% des 75 000 échantillons d’eau de surface provenant de 4000 sites et l’acide aminométhylphosphonique dans 54% des 56 700 échantillons testés ; ces produits ont été détectés en France au-delà du seuil réglementaire dans les cours d’eau ;

- la décision attaquée est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation car d’une part la ministre de l’environnement a reconnu les effets nocifs du glyphosate sur la santé et s’est opposée à la décision de l’Union européenne, d’autre part cette décision ne prévoit aucune exigence pour garantir les bonnes pratiques agricoles devant permettre le respect des limites maximales de résidus et de protéger les eaux souterraines dans les zones vulnérables, en méconnaissance du règlement n°2016/1313.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2018, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- la signataire de la décision attaquée bénéficiait d’une délégation de signature ;

- l’indépendance de l’ANSES s’entend vis-à-vis de l’extérieur ;

- la composition du Typhon et du Roundup Pro 360 est strictement identique ;

- aucune évaluation n’était nécessaire concernant un produit de revente ;

- le moyen tiré de l’illégalité de l’autorisation de mise sur le marché du Typhon est inopérant ;

- elle a vérifié ce qui dans le produit Typhon pouvait être effectivement qualifié de substance active, de coformulant et d’impureté ; elle a bien pris en compte l’acide aminométhylphosphonique lors de l’évaluation du Typhon ;

- une autorisation de mise sur le marché peut comporter des exigences relatives à

l’étiquetage, qui ne sont toutefois pas obligatoires ;

- le grief tiré de l’illégalité de la classification du produit de référence Typhon est sans effet sur la légalité de la décision attaquée ;

- il ne suffit pas qu’une substance soit classée H411 pour que le produit qui la contienne le soit aussi ;

- elle s’en remet au juge concernant le renvoi préjudiciel demandé ;

- aucune évaluation n’ayant été réalisée, elle n’a pas eu l’opportunité de mettre en œuvre le principe de précaution lors de l’autorisation du Roundup Pro 360 ; le requérant ne peut exciper de l’illégalité de la décision d’autorisation du Typhon ;

- le glyphosate n’a pas été classé comme substance probablement cancérogène par

l’EFSA ; en outre l’évaluation des substances actives relève du niveau européen ; une éventuelle toxicité du glyphosate pour l’environnement ne signifie pas nécessairement que le Roundup est toxique ;

- les précautions d’emploi ne signifient pas que le produit présente un risque pour la santé humaine dans les conditions normales d’utilisation ;

- elle a évalué le respect des limites maximales de résidus dans les cultures traitées par le produit Typhon ;

- le contrôle du respect des conditions de mise sur le marché du produit relève de la règlementation nationale en matière notamment de formation, conseil et contrôle des matériels ; les moyens relatifs aux lacunes alléguées en la matière sont dès lors inopérants.



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Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 février et 27 avril 2018, la

SAS Montsanto, représentée par Me Bretzner, conclut au rejet de la requête et à ce qu’il soit mis

à la charge du requérant une somme de 10 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable dès lors que le président du CRIIGEN n’est pas habilité à le représenter en justice ; la décision de l’assemblée générale mentionne une feuille de présence non versée au débat, ce qui ne permet pas de vérifier le quorum et la majorité requise ;

- la loi prévoit l’exercice par l’ANSES des fonctions d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché, qui sont assurées par deux directions indépendantes ; la directrice générale de l’ANSES en charge des produits réglementés ne peut signer les avis scientifiques ni les conclusions d’évaluation ;

- si le principe d’impartialité objective s’impose à l’administration lorsqu’elle exerce une activité juridictionnelle, il ne la lie pas dans l’exercice de ses attributions administratives ; la décision « France Nature Environnement » n’est pas transposable dès lors qu’elle se fonde sur une directive européenne non applicable en l’espèce ;

- la composition du Typhon et du Roundup Pro 360 est strictement identique ;

- le CRIIGEN ne peut utilement exciper de l’illégalité de l’évaluation des risques et dangers du Typhon à l’encontre de l’autorisation de mise sur le marché du Roundup Pro 360 ; en outre critiquer l’évaluation du Typhon revient à critiquer son autorisation de mise sur le marché, qui est une décision du 9 février 2009 devenue définitive ; les risques et dangers représentés par l’acide aminométhylphosphonique, qui résulte de la dégradation du glyphosate, ont fait l’objet

d’une analyse approfondie lors de la demande de renouvellement du Typhon ;

- les mélanges dangereux pour les milieux aquatiques, unique classe de danger concernée par le Roundup Pro 360, doivent être classés en fonction des données disponibles sur ces mélanges et seulement à défaut de telles données en fonction des données relatives à leurs composantes ;

- la responsabilité de l’étiquetage des substances et des mélanges incombe aux fournisseurs ;

- les deux règlements d’exécution de la Commission européenne prolongeant

l’autorisation du glyphosate ne se fondent pas sur l’avis de l’EFSA du 12 novembre 2015 ou sur les travaux d’évaluation réalisés par l’Etat membre rapporteur et constituent une simple mesure de gestion dans l’attente de l’examen de la demande de renouvellement ;

- en droit de l’Union, une exception d’illégalité ne peut être valablement dirigée contre des mesures préparatoires à l’acte attaqué ; le juge administratif est incompétent pour apprécier la légalité des travaux d’évaluation réalisés par l’Etat rapporteur ;

- aucun des nombreux griefs formulés à l’encontre de l’avis de l’EFSA et de celui de

l’Etat rapporteur n’est justifié ;

- l’article 17 du règlement (CE) n°1107/2009 du 21 octobre 2009 ne limite pas le nombre de prorogations et vise à ce que la demande de renouvellement d’une substance active fasse l’objet d’une instruction approfondie sans que le bénéficiaire en supporte les conséquences négatives ;

- le principe de précaution a été respecté par la commission ;

- l’ANSES examine les risques et dangers présentés par le produit et ne peut refuser une autorisation au prétexte que la substance active qu’il contient a des effets nocifs pour

l’environnement, ce qui relève du champ de compétence de la Commission européenne ;

- l’étude du CIRC présente un caractère isolé ; l’EFSA et l’agence européenne des produits chimiques (ECHA) ont conclu en 2017 que le glyphosate n’avait pas de propriété perturbatrice du système endocrinien ; l’ANSES a estimé que les risques pour l’environnement,



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les organismes aquatiques et terrestres et la contamination des eaux souterraines étaient acceptables dans les conditions d’emploi mentionnées ;

- aucune règle n’impose à l’ANSES de fixer, dans les autorisations qu’elle délivre, des prescriptions relatives au suivi ou au contrôle des produits ; le moyen tiré de ce que la décision attaquée n’encadre pas suffisamment les conditions réelles d’utilisation est inopérant ;

- les autres moyens de la requête doivent être écartés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et la Charte de l’environnement de 2004, à laquelle se réfère son préambule ;

- le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

- la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

- le règlement (CE) n°1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges ;

- le règlement (CE) n°1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ;

- la directive 91/414/CEE du Conseil du 15/07/91 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques ;

- la directive n°2009/128/CE du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable ;

- la directive 2010/77/UE du 10 novembre 2010 modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en ce qui concerne la date d’expiration de l’inscription de certaines substances actives à l’annexe I ;

- le règlement d’exécution (UE) n°540/2011 de la Commission du 25 mai 2011 ;

- le règlement d’exécution (UE) n°2016/1056 de la Commission du 29 juin 2016 modifiant le règlement d’exécution (UE) n°540/2011 ;

- le règlement d’exécution (UE) n°2016/1313 de la Commission du 1er aout 2016 modifiant le règlement d’exécution (UE) n°540/2011 ;

- le code de l’environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de M. Y, premier conseiller,

- les conclusions de M. A, rapporteur public,

- et les observations de Me Lepage, représentant le CRIIGEN, et de Me Bretzner et Me Froger, représentant la SAS Monsanto.

Une note en délibéré présentée pour le CRIIGEN a été enregistrée le 20 décembre 2018.

Une note en délibéré présentée pour la SAS Monsanto a été enregistrée le 24 décembre 2018.



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Considérant ce qui suit :

1. L’autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Typhon, dont est titulaire la SAS Adama France, a été renouvelée le 9 février 2009 par le ministre de l’agriculture après une procédure d’évaluation des risques. La SAS Monsanto a déposé le 18 mai 2016 une demande d’autorisation de mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360. Par une décision du 7 novembre 2016, l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) a autorisé la mise sur le marché du Roundup Pro 360. Le même jour, elle a informé la société Monsanto de son intention de modifier cette décision pour tenir compte de la mise à jour de la classification du Typhon. Par une décision du 6 mars 2017, l’ANSES a retiré sa décision du 7 novembre 2016 et autorisé la mise sur le marché du Roundup Pro 360 au motif de sa composition strictement identique à celle du produit Typhon, déjà autorisé. Le Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique (CRIIGEN) demande l’annulation de cette décision.

Sur la fin de non-recevoir :

2. L’article 11 des statuts de l’association CRIIGEN précise que « le conseil d’administration donne l’autorisation au président d’agir auprès de la justice pour défendre les buts que le CRIIGEN s’est donné ». Par une délibération du 4 avril 2017, antérieure à l’introduction de la requête, le conseil d’administration du CRIIGEN a autorisé son président à agir au nom de l’association pour obtenir l’annulation des autorisations de mise sur le marché des produits Roundup Pro 360 et Roundup 720. Si la SAS Monsanto soutient que cette délibération mentionne l’existence d’une feuille de présence signée, dont la production serait nécessaire pour constater que le quorum est atteint et la majorité constituée, il n’appartient pas au juge administratif de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles une telle habilitation a été adoptée. Par suite la fin de non-recevoir doit être écartée.

Sur le cadre juridique :

3. En vertu de l’article 13 du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, il appartient à la Commission européenne de présenter un rapport d’examen et un projet de règlement prévoyant qu’une substance active n’est pas approuvée, est approuvée, éventuellement sous réserve, ou que les conditions de l’approbation d’une substance active sont modifiées. Le 1 de l’article 28 du même règlement (CE) dispose qu'« Un produit phytopharmaceutique ne peut être mis sur le marché ou utilisé que s’il a été autorisé dans l’État membre concerné conformément au présent règlement. ». Aux termes de l’article 36 de ce règlement : « 1. L’État membre examinant la demande procède à une évaluation indépendante, objective et transparente, à la lumière des connaissances scientifiques et techniques actuelles en utilisant les documents d’orientation disponibles au moment de la demande. (…) / 2. Les États membres concernés accordent ou refusent les autorisations sur la base des conclusions de l’évaluation réalisée par l’État membre examinant la demande, conformément aux dispositions des articles 31 et 32. Ainsi les substances actives sont autorisées par un règlement proposé par la commission européenne tandis que les produits phytopharmaceutiques sont autorisés par les Etats membres.

4. Aux termes de l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime : « Les conditions dans lesquelles la mise sur le marché et l’utilisation des produits phytopharmaceutiques (…) sont autorisées, ainsi que les conditions selon lesquelles sont approuvés les substances actives, les coformulants, les phytoprotecteurs et les synergistes



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contenus dans ces produits, sont définies par le règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (…) ». Aux termes de l’article R. 253-5 du même code : « Les décisions relatives aux demandes d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques (…) ainsi qu’aux demandes de modification, de renouvellement ou de retrait de cette autorisation sont prises par le directeur général de l’Agence. Sauf dispositions particulières prévues au présent chapitre, ces décisions sont précédées d’une évaluation conduite par l’Agence conformément aux principes uniformes d’évaluation et d’autorisation mentionnés au paragraphe 6 de l’article 29 du règlement (CE) n° 1107/2009 (…) ».

Sur les conclusions à fin d’annulation :

5. Aux termes de l’article 1er de la Charte de l’environnement : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et aux termes de l’article 5 de cette charte : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à

l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. ».

6. Les dispositions de l’article 5 de la Charte de l’environnement, à laquelle le

Préambule de la Constitution fait référence en vertu de la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, sont relatives au principe de précaution. Elles n’appellent pas de dispositions législatives et réglementaires précisant les modalités de mise en œuvre de ce principe. Elles s’imposent donc aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétence respectifs. Il résulte des dispositions des articles 1er et 5 de la Charte de l’environnement ainsi que de l’article L. 110-1 du code de l’environnement que le principe de précaution s’applique en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à

l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé.

7. En premier lieu, le CRIIGEN fait valoir que le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) a estimé que le glyphosate était probablement cancérogène pour les hommes eu égard notamment aux résultats des expériences animales, ce qui correspond à une classification 1B au sens du règlement n°1272/2008. Si la SAS Monsanto soutient qu’il s’agit

d’une étude isolée, la monographie produite par le CIRC passe en revue l’ensemble de la littérature scientifique et a été menée par des scientifiques reconnus et identifiés, à partir de dizaines d’études publiées. La SAS Montsanto soutient que le CIRC ne disposait pas de toutes les études soumises à la commission européenne. Toutefois le CIRC s’est fondé sur l’ensemble des études scientifiques préexistantes, c’est-à-dire les études publiées dont les données brutes sont accessibles, les auteurs connus et les conclusions vérifiables par la communauté scientifique. La seule circonstance qu’une étude postérieure à la revue de littérature du CIRC n’a pas trouvé de corrélation, du moins à un niveau statistiquement significatif, entre utilisation de pesticides à base de glyphosate et cancer chez l’homme ne suffit pas à remettre en cause la monographie du CIRC. De plus, l’avis de l’ANSES du 9 février 2016 relatif à l’étude du CIRC conclut qu’ « au vu du niveau de preuve limité, la classification en catégorie 2 peut se discuter sans que l’agence puisse se prononcer sur ce point en l’absence d’une analyse détaillée de l’ensemble des études. ». Si l’étude de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ne classe le glyphosate ni en catégorie 1B, ni même en catégorie 2 « Substances suspectées d’être cancérogènes pour l’homme », l’EFSA explique sa différence de classification du glyphosate avec le CIRC par le fait que ce dernier s’est intéressé à la fois au glyphosate et aux préparations



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en contenant. L’EFSA admet ainsi que les données scientifiques disponibles permettent de penser que certaines préparations contenant du glyphosate sont probablement cancérogènes sans que la substance active le soit. L’ANSES soutient qu’il ne suffit pas qu’une substance active soit cancérogène pour que le produit le soit. Toutefois le glyphosate représente 41,5% de la préparation Roundup Pro 360 et en constitue la substance active. En outre, le niveau acceptable

d’exposition pour l’opérateur, les personnes présentes et les travailleurs retenu par l’avis de

l’ANSES du 30 décembre 2008 relatif au Typhon est fondé sur les doses journalières admissibles de glyphosate acide et non sur une analyse de la préparation Typhon. Le caractère cancérogène du Typhon, de composition chimique identique au Roundup Pro 360 n’a ainsi pas été étudié dans cet avis.

8. Eu égard aux études scientifiques produites par les parties, à la synthèse critique effectuée par le CIRC concernant le glyphosate, à la position de l’EFSA admettant que les préparations à base de glyphosate peuvent être cancérogènes sans que le principe actif le soit, et

à l’absence d’étude produite par l’ANSES permettant d’établir que le Roundup Pro 360 n’est pas cancérogène, ce produit doit être considéré comme une substance dont le potentiel cancérogène pour l’être humain est supposé eu égard aux données animales.

9. En deuxième lieu, la toxicité pour la reproduction du Typhon, produit identique au

Roundup Pro 360, n’est pas étudiée dans l’avis de l’ANSES du 30 décembre 2008. Si la fiche de sécurité du Roundup Pro 360 indique que des effets sur la reproduction et le développement chez les rats ont été observés seulement en présence de toxicité maternelle significative, l’EFSA, dans sa revue par les pairs du 12 novembre 2015 propose de ne pas classer le glyphosate comme toxique pour la reproduction mais indique que : « des effets négatifs [du glyphosate] sur la reproduction (…) ne peuvent complètement être exclus. », eu égard notamment aux résultats de certaines études. En outre, le rapport de l’institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) intitulé « Pesticides / Effets sur la santé », issu d’une expertise collective, indique qu’une étude fondée sur les résultats d’une cohorte rétrospective fait état d’un lien présumé entre glyphosate et morts fœtales. Eu égard à ces éléments, qui concernent le glyphosate, et en

l’absence d’éléments suffisants concernant le Roundup Pro 360, le CRIIGEN est fondé à soutenir que le Roundup Pro 360 est une « substance suspectée d’être toxique pour la reproduction humaine ».

10. En troisième lieu, l’annexe VI du règlement n°1272/2008 classe le glyphosate dans la catégorie H411 « toxique pour les organismes aquatiques. Entraine des effets néfastes à long terme. » et la fiche de sécurité du Roundup Pro 360 indique que le composé d’ammonium quaternaire a une « toxicité chronique aquatique ». Le glyphosate représente 41,5% de la préparation Roundup Pro 360 et en constitue la substance active, tandis que le composé

d’ammonium quaternaire en représente 9,5%. Si l’ANSES allègue qu’il ne suffit pas que la substance active soit toxique pour les organismes aquatiques pour que la préparation le soit, il résulte au contraire de l’avis de l’ANSES relatif au produit Typhon que « ces résultats montrent que la préparation présente une toxicité plus importante que le glyphosate lui-même (…) soit un facteur 12 entre ces deux données. ». Cet avis conclut que le Typhon doit être classé comme « toxique pour les organismes aquatiques ». Par suite le Roundup Pro 360, de composition chimique identique au Typhon, est également nettement plus « toxique pour les organismes aquatiques » que le glyphosate.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points précédents que le Roundup Pro 360 est probablement cancérogène pour l’homme eu égard notamment au résultat des expériences animales, est une « substance suspectée d’être toxique pour la reproduction humaine » au regard des expériences animales et est particulièrement toxique pour les organismes aquatiques. Dès



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lors, malgré les précautions d’emploi fixées par la décision attaquée, qui préconise un délai minimal de 7 à 21 jours entre le traitement des cultures et la récolte et une distance de sécurité de cinq mètres pour les zones aquatiques adjacentes non traitées, l’utilisation du Roundup Pro 360, autorisée par la décision attaquée, porte une atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé. Par suite l’ANSES a commis une erreur d’appréciation au regard du principe de précaution défini par l’article 5 de la charte de l’environnement en autorisant le Roundup Pro 360 malgré l’existence de ce risque.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ni d’examiner les autres moyens de la requête, que le CRIIGEN est fondé à demander l’annulation de la décision du 6 mars 2017 par laquelle le directeur général de l’ANSES a autorisé la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 par la SAS Monsanto.

Sur les frais exposés par les parties à l’occasion du litige :

13. Les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CRIIGEN, qui n’est pas partie perdante dans la présente instance, le versement d’une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’ANSES le versement au CRIIGEN d’une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La décision du 6 mars 2017 par laquelle le directeur général de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail a autorisé la mise sur le marché du produit phytopharmaceutique Roundup Pro 360 par la SAS Monsanto est annulée.

Article 2 : L’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail versera au Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié au Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le Génie Génétique, au ministre de l’agriculture et de l’alimentation et à la SAS Monsanto.

Copie sera adressée au directeur général de l’agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.

Délibéré après l’audience du 18 décembre 2018, à laquelle siégeaient :

M. Pourny, président, M. Y, premier conseiller, Mme Mège Teillard, premier conseiller.



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Lu en audience publique le 15 janvier 2019.

Le rapporteur, Le président,

P. Y F. Pourny

Le greffier,

N. Renoud-Genty

La République mande et ordonne au ministre de l’agriculture et de l’alimentation en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme, Un greffier,

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Tribunal administratif de Lyon, 15 janvier 2019, n° 1704067