Cour d'appel de Douai, Chambre 8 section 1, 3 novembre 2016, n° 16/00233

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 8 SECTION 1

ARRÊT DU 03/11/2016

***

N° de MINUTE :

N° RG : 16/00233

Jugement (N° 15/000088)

rendu le 14 Décembre 2015

par le tribunal d’instance de Lille

REF : HB/VC

APPELANTE

Madame [W] [E]

de nationalité française

demeurant : [Adresse 1]

Représentée et assistée de Me Francis Deffrennes, avocat au barreau de Lille

INTIMÉES

Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe

ayant son siège social : [Adresse 2]

Représentée par Me Caroline Follet, avocat au barreau de Lille

Caisse de Crédit Mutuel de Fruges

ayant son siège social : [Adresse 3]

Représentée par Me Caroline Follet, avocat au barreau de Lille

DÉBATS à l’audience publique du 07 Septembre 2016 tenue par Hélène Billières magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seul(e) les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Patricia Pauchet

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Martine Battais, président de chambre

Catherine Convain, conseiller

Hélène Billieres, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 03 Novembre 2016 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Martine Battais, président et Patricia Pauchet, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU 1er septembre 2016

***

LA COUR,

Attendu que Madame [W] [E] a interjeté appel d’un jugement du tribunal d’instance de Lille du 14 décembre 2015 qui, après l’avoir déclarée irrecevable en ses demandes formées contre la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe, l’a déboutée de ses demandes formées contre la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges en remboursement du montant d’opérations qu’elle prétend ne pas avoir autorisées, effectuées sur le compte bancaire ouvert à son nom dans les livres de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges et résultant d’une utilisation frauduleuses de ses données bancaires ;

Attendu qu’il ressort des éléments du dossier que Madame [W] [E] est titulaire, auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, d’un compte courant n°00011552740 avec attribution d’une carte de crédit Mastercard Gold à débit différé ;

Qu’indiquant avoir été victime d’une opération de « phishing » à la suite de la réception, le 25 juillet 2014, d’un courriel frauduleux qu’elle pensait provenir de son opérateur de téléphonie SFR lui demandant de procéder au règlement d’une facture prétendument restée impayée, elle a, le lendemain 26 juillet 2016 à 8 heures 51, formé opposition à l’usage de sa carte pour vol sans code auprès de sa banque, puis s’est présentée à la brigade de gendarmerie de [Localité 1] le 29 août suivant pour déclarer l’utilisation frauduleuse des données de sa carte de paiement ; qu’il lui a alors été remis une notice d’information relatives aux usages frauduleux de cartes bancaires et aux dispositions du code monétaire et financier en la matière ;

Qu’un montant total de 6 432,93 euros correspondant à des opérations effectuées le 25 juillet 2016 à partir des données liées à sa carte bancaire ayant été prélevé sur son compte bancaire les 28 et 29 juillet suivants, Madame [E] en a demandé le remboursement à la banque par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 4 septembre 2014 ; que face à son refus, elle a, par acte d’huissier de Justice du 30 décembre 2014, assigné la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe en paiement devant le tribunal d’instance de Lille, puis, par un acte du 21 septembre 2015, a assigné aux mêmes fins la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges devant le même tribunal qui, après avoir ordonné la jonction des procédures, a rendu le jugement déféré ;

Attendu que dans ses dernières conclusions du 3 août 2016, Madame [E] reproche au premier juge de l’avoir déclarée irrecevable en ses demandes formées contre la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe alors que celle-ci est inextricablement liée à la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges qui lui est obligatoirement affiliée et qui, avec les autres caisses adhérentes détient 75 % de son capital social ; qu’elle ajoute que la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe a vocation a intervenir dans ses relations avec la banque et que le litige est lié à l’utilisation du service cmnedirect dont l’accès et l’utilisation sont proposés par elle ; qu’elle conteste, sur le fond, toute négligence grave de sa part dans le détournement des données attachées à sa carte bancaire et affirme n’avoir jamais répondu au courriel frauduleux du 25 juillet 2014, ni communiqué les informations confidentielles qui y étaient liées, ni reconnu l’avoir fait alors que la banque n’établit pas que ces données n’ont pas pu être rendues accessibles à des personnes mal intentionnées par une faille de sécurité du système informatique ;

Que réitérant en cause d’appel les prétentions qu’elle avait initialement soumises au premier juge, elle réclame en conséquence la condamnation solidaire de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe et de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges à lui verser la somme de 6 432,93 euros en remboursement des opérations de paiement non autorisées, ainsi que la somme de 25,90 euros en remboursement des frais de remplacement de sa carte bancaire, et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir ;

Qu’exposant avoir été contrainte d’effectuer de nombreuses démarches, amiables dans un premier temps, directement auprès de son agence bancaire, puis en saisissant le médiateur du Crédit Mutuel, en vain, elle réclame en outre l’allocation, à la charge solidaire de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe et de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, ou de l’une à défaut de l’autre, d’une indemnité de 2 500 euros en réparation du préjudice moral résultant de la résistance abusive que la banque lui a opposé pendant près d’un an ; qu’elle sollicite enfin la condamnation solidaire de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe et de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, ou de l’une à défaut de l’autre, à lui payer une somme de 2 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Attendu que dans leurs écritures récapitulatives du 18 août 2016, la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe et la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, qui reprochent à Madame [E] d’avoir commis une négligence grave au sens de l’article L.133-19 du code monétaire et financier et manqué à ses obligations contractuelles lui imposant d’assurer la confidentialité de ses données bancaires en communiquant celles-ci à un tiers, concluent à la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions et à la condamnation de Madame [E] à leur payer une somme de 1 000 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile ;

Attendu, sur la fin de non recevoir tirée du défaut de qualité de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe à représenter la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, que c’est par des motifs pertinents que la cour fait siens, que le premier juge, constatant que le compte courant sur lequel ont été débitées les sommes litigieuses avait été souscrit par Madame [E] auprès de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, personne morale distincte de celle de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe, en a déduit que Madame [E] n’était, en l’absence de tout lien contractuel avec la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe, pas recevable à agir contre cette dernière, la circonstance que la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ait accusé réception du courrier de réclamation adressé par l’assureur protection juridique de Madame [E] au service clientèle du Crédit Mutuel du Nord et que le courrier de réponse ait été rédigé et expédié par la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe plutôt que par la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges personnellement étant à cet égard sans incidence ;

Que si, comme le souligne Madame [E], la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges est tenue de s’affilier à la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe, pareille adhésion ne saurait conférer à celle-ci le pouvoir de représenter celle-là en justice dans le cadre d’un litige individuel l’opposant à l’un de ses clients alors que les statuts de la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe enseignent au contraire qu’elle a pour objet de gérer les intérêts communs des caisses adhérentes et de leurs sociétaires et de faciliter le fonctionnement technique et financier des caisses adhérentes, comme la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, représentation des intérêt communs des caisses adhérentes qui n’inclut pas la prise en charge des litiges individuels opposant les caisses adhérentes à leurs clients ;

Que dès lors que Madame [E] agit en remboursement des sommes qu’elle estime avoir été débitées de son compte bancaire sans son autorisation, elle ne peut donc agir qu’à l’encontre de l’établissement teneur dudit compte, la circonstance que l’accès et l’utilisation du service CMNE Direct soient proposés par le Crédit Mutuel Nord Europe et gérés à l’échelle nationale étant à cet égard indifférente alors au demeurant que le litige est sans lien avec l’utilisation dudit service ;

Que le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a accueilli la fin de non-recevoir opposée par la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe aux demandes formées contre elle par Madame [E] ;

Attendu, sur le fond, que selon le paragraphe I de l’article L. 133-19 du code monétaire et financier, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009 applicable en l’espèce, en cas d’opération de paiement non autorisée consécutive à la perte ou au vol de l’instrument de paiement, le payeur supporte, avant l’information prévue à l’article L. 133-17, les pertes liées à l’utilisation de cet instrument, dans la limite d’un plafond de 150 euros ; que toutefois, la responsabilité du payeur n’est pas engagée en cas d’opération de paiement non autorisée effectuée sans utilisation du dispositif de sécurité personnalisé ;

Que selon son paragraphe II, la responsabilité du payeur n’est pas engagée si l’opération de paiement non autorisée a été effectuée en détournant, à l’insu du payeur, l’instrument de paiement ou les données qui lui sont liées ; qu’elle n’est pas engagée non plus en cas de contrefaçon de l’instrument de paiement si, au moment de l’opération de paiement non autorisée, le payeur était en possession de son instrument ;

Que le paragraphe IV de ce même article prévoit toutefois que le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17 ;

Que l’article L. 133-16 du code monétaire et financier prévoit précisément que dès qu’il reçoit un instrument de paiement, l’utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés ; qu’il utilise l’instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation ;

Que l’article L. 133-17 du même code dispose pour sa part que lorsqu’il a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, l’utilisateur de services de paiement en informe sans tarder, aux fins de blocage de l’instrument, son prestataire ou l’entité désignée par celui-ci ;

Qu’en application de l’article L. 133-18, en cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse immédiatement au payeur le montant de l’opération non autorisée et, le cas échéant, rétablit le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu, le payeur et son prestataire de services de paiement pouvant décider contractuellement d’une indemnité complémentaire ;

Que l’article L.133-20 prévoit enfin qu’après avoir informé son prestataire ou l’entité désignée par celui-ci, conformément à l’article L. 133-17 aux fins de blocage de l’instrument de paiement, le payeur ne supporte aucune conséquence financière résultant de l’utilisation de cet instrument de paiement ou de l’utilisation détournée des données qui lui sont liées, sauf agissement frauduleux de sa part ;

Que ces dispositions posent ainsi le principe de la prise en charge par la banque de toute utilisation frauduleuse d’un instrument de paiement mis à disposition du client, comme en l’espèce, une carte bancaire, qui serait la conséquence d’une défaillance technique du dispositif de sécurité ou qui ne serait pas imputable à une démarche frauduleuse ou une négligence grave du client ;

Attendu qu’il ressort des éléments du dossier et notamment de l’examen du relevé bancaire de l’appelante et du rapport de faits dressé le 28 août 2014 par le service de fonction monétique de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges que le compte de Madame [E] a été débité le 28 juillet 2016 d’une somme totale de 6 432,93 euros correspondant à sept opérations d’achat d’un montant de 918,99 euros chacune, effectuées le 25 juillet 2016 entre 21 heures 02 et 22 heures 10, soit en l’espace d’à peine plus d’une heure à partir de la carte bancaire Mastercard Gold de Madame [E] sur le site marchand Free Mobile ;

Qu’il n’est pas contesté que ce site utilise le protocole sécurisé de paiement sur Internet 3D Secure qui permet aux marchands de limiter les risques de fraude sur Internet, liés au tentatives d’usurpation d’identité et qui consiste à s’assurer, lors de chaque paiement en ligne, que la carte de paiement utilisée l’est par son véritable propriétaire ; que s’agissant du Crédit Mutuel, en plus des informations usuelles fournies pour tout paiement (numéro de carte bancaire, date d’expiration de la carte et les trois chiffres du code de sécurité imprimés au dos de la carte), l’internaute doit saisir un code à usage unique reçu par SMS ou via un serveur vocal interactif sur le numéro de téléphone associé à son compte bancaire ;

Qu’avisée de la contestation de Madame [E] qui nie être l’auteur des opérations de paiements effectuées le 25 juillet 2016 à partir de sa carte bancaire, la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges justifie avoir, ainsi que les dispositions de l’article L. 133-23 du code monétaire et financier le lui imposaient, fait diligences pour effectuer des recherches et rassembler tous éléments suffisants de nature à établir le caractère non autorisé par le porteur, des opérations effectuées à l’aide des données des cartes de paiement virtuelles ;

Attendu ainsi que le rapport du service Fonction Monétique de la banque a permis d’établir que les opérations d’achat ont été réalisées à partir de deux adresses IP distinctes et que les codes à usage unique ayant servi à valider chacun des sept achats litigieux après communication des données attachées à la carte bancaire de Madame [E] ont été adressés via le serveur vocal interactif de la banque sur un numéro de téléphone fixe dont il n’est pas contesté qu’il s’agit de celui de Madame [E] ;

Que si la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges rapporte ainsi la preuve, conformément à l’article L. 133-23 précité du code monétaire et financier, que les opérations de paiements contestées ont été authentifiées, dûment enregistrées et comptabilisées, il n’en demeure pas moins que les utilisations successives des données attachées à la carte bancaire de Madame [E] telles qu’enregistrées par la banque ne suffisent pas nécessairement en tant que telles à prouver que les opérations ont été autorisées par elle ou que celle-ci n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière ;

Attendu que pour imputer à Madame [E] la totalité des paiements réalisés le 25 juillet 2014 à partir de sa carte bancaire, la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges fait valoir que le détournement des données attachées à cette carte et au compte de téléphonie ouvert au nom de sa cliente auprès de SFR, n’a pas eu lieu à l’insu de Madame [E] et qu’en répondant au message du 25 juillet 2014 qui ne provenait manifestement pas de la société SFR et en communiquant ainsi volontairement l’ensemble de ses données bancaires personnelles composant le protocole sécurisé de paiement par carte bancaire mais également les informations relatives à son compte chez SFR, Madame [E] a commis une imprudence dans la conservation de celles-ci, constitutive d’une négligence grave au sens de l’article L. 133-19 précité du code monétaire et financier, qui la prive de la protection offerte par la loi au payeur, titulaire de la carte ; qu’elle a à tout le moins manqué tant à l’obligation à laquelle elle était tenue du fait de son adhésion au service cmnedirect au forfait ouvrant le service de banque en ligne, de consulter attentivement les informations de sécurité accessibles depuis la page d’accueil et mises à jour régulièrement qu’à l’obligation de confidentialité mise à sa charge par les conditions générales de ce produit qui prévoient que le souscripteur est entièrement responsable des conséquences d’une divulgation involontaire à quiconque de ses codes personnels ; qu’elle invoque enfin l’article 3 des conditions générales du porteur de carte bancaire qui imposent au titulaire de la carte de se placer dans un contexte de confidentialité, notamment lors de l’authentification et de veiller à le rester tout au long de l’opération, et ce jusqu’à son terme ;

Attendu à cet égard que si Madame [E] nie avoir répondu au courriel frauduleux du 25 juillet 2014 et avoir communiqué ses données personnelles, tant bancaires que de téléphonie, cette allégation se trouve contredite par le déroulement et la chronologie des faits comme par la reconnaissance qu’elle en a faite dans ses écritures de première instance aux termes desquelles elle indiquait avoir été victime d’une opération de phishing, encore appelé hameçonnage ou filoutage, technique utilisée par des fraudeurs pour obtenir des renseignements personnels dans le but de perpétrer une usurpation d’identité et qui consiste à faire croire à la victime qu’elle s’adresse à un tiers de confiance, telle qu’une banque ou une administration, afin de lui soutirer des renseignements personnels, tel qu’un mot de passe ou un numéro de carte de crédit ;

Que d’ailleurs, c’est, non pas comme elle l’affirme dans ses écritures à la réception de son relevé bancaire le 28 juillet 2014 qu’elle a découvert l’existence de la fraude dont elle indique avoir été victime le 25 juillet précédant, mais bien dès le lendemain matin suivant la réception du courriel frauduleux qu’elle a formé opposition à l’utilisation de sa carte bancaire, ce qui démontre qu’elle éprouvait a minima un doute quant à la provenance dudit message ainsi que la crainte d’avoir fait l’objet d’une tentative d’obtention des données confidentielles relatives à cette carte, et suffit en conséquence à rapporter la preuve qu’elle a bien cliqué sur l’hyperlien mentionné dans le courriel frauduleux qui l’a dirigée vers une page Web sur laquelle elle a été invitée à saisir les informations confidentielles attachées à son compte de téléphonie chez SFR et à sa carte bancaire, permettant ainsi aux fraudeurs de procéder au renvoi des communications arrivant chez elle vers un autre numéro et valider les paiements effectués sur le site marchand en cause ;

Que pour autant, outre que la banque ne rapporte pas la preuve d’une absence de défaillance technique ou autre ayant pu affecter les opérations litigieuses, l’examen du courriel reçu par Madame [E] le 25 juillet 2014 révèle que ce dernier provenait de l’adresse mail [Courriel 1] et portait le logo parfaitement imité de la société SFR, opérateur de téléphonie de Madame [E] ; que son contenu, qui était extrêmement détaillé et dépourvu de faute d’orthographe ou de syntaxe défaillante qui auraient pu alerter Madame [E] sur sa provenance douteuse, était en tout point comparable à un message de rappel de paiement émanant d’une société de ce type ; qu’étaient ainsi notamment rappelées les conséquences encourues par le client en cas de non paiement de la facture, les diverses modalités de paiement proposées, à savoir par carte bancaire via l’hyperlien « Conso & Factures » ou un numéro de téléphone commençant par 0 806 ou à l’aide d’un TIP, le rappel du numéro 1023 à composer en cas de difficultés, accessible sept jours sur sept de 8 heures à 22 heures ainsi que la mention habituelle, dans ce type de rappel, consistant à préciser au client que s’il vient d’effectuer son règlement, il ne doit pas tenir compte du courrier ; que ce message, comportant un fac simile de la signature d’une dénommée [K] [M], présentée comme la directrice de la Relation Client, était en outre suivi du rappel des rubriques de la société SFR « espace client », « assistance », « forum SFR »', ainsi que des coordonnées complètes de ladite société, numéro de registre du commerce et des sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée comprises ;

Qu’il suit que ce n’est donc qu’en raison de la confusion entretenue par ce courriel que Madame [E], qui pensait ainsi procéder au paiement de sa facture SFR, a communiqué à distance les données figurant sur sa carte bancaire et ses données de téléphonie en sorte que c’est véritablement à son insu qu’elle a fourni les renseignements qui ont permis les opérations frauduleuses sur son compte ;

Attendu que si un examen minutieux du courriel en question révèle qu’il contenait des indices propres à faire douter de sa provenance, tels que le caractère inadéquat de l’adresse de l’expéditeur, le numéro de contrat SFR mentionné, la discordance entre les montants réclamés ou encore le fait que Madame [E] réglait ses factures de téléphonie par prélèvement bancaire, il n’en demeure pas moins que, dépourvu d’anomalies grossières et revêtant l’apparence générale de l’authenticité, il a surpris la vigilance de Madame [E] en sorte que le fait pour cette dernière d’y avoir répondu ne saurait suffire à caractériser une négligence grave au sens de l’article L. 133-19 précité du code monétaire et financier ;

Que dès lors par ailleurs que le litige porte, non pas sur la divulgation des données personnelles de Madame [E] d’accès aux service cmnedirect de consultation et de gestion de compte à distance par Internet, audiotel ou minitel qui permet de consulter le solde des comptes, d’effectuer des virements entre comptes et de réaliser certaines opérations bancaires, mais sur la communication des données attachées à sa seule carte bancaire, la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges ne saurait utilement prétendre qu’elle aurait contrevenu aux stipulations destinées à la mettre en garde sur les mesures de sécurité élémentaires qu’elle devait prendre concernant ses données bancaires pour en assurer la confidentialité et en prévenir la divulgation telles que rappelées dans les conditions générales du produit cmnedirect, lesquelles sont sans application en l’espèce ;

Que l’invocation, par la banque, des dispositions de l’article 3 des conditions générales du porteur de carte bancaire n’est pas davantage opérante dès lors que si le titulaire d’une carte de paiement doit prendre toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés en se plaçant notamment dans un contexte de confidentialité, il n’est pas démontré que Madame [E] n’aurait pas utilisé sa carte de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation, s’agissant d’une opération qu’elle pouvait légitimement penser n’être qu’une opération de paiement à distance ;

Qu’il suit de ce qui précède que Madame [E], qui a notifié sans tarder à la banque le détournement des données liées à l’utilisation de sa carte bancaire et a signalé aux services de gendarmerie la fraude dont elle était victime, est bien fondée à prétendre que les paiements effectués à l’aide des données ainsi subtilisées doivent rester à la charge de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges et à réclamer en conséquence à celle-ci le remboursement des sommes débitées à tort de son compte bancaire au titre de ces paiements frauduleux et qui s’élèvent à la somme non contestée de 6 432,93 euros, sans que la banque puisse lui opposer le plafond de 150 euros prévu à l’article L. 133-19 du code monétaire et financier qui ne joue pas lorsque l’opération de paiement non autorisée a été effectuée en détournant, à l’insu du payeur, l’instrument de paiement ou les données qui lui sont liées, ni l’absence de dépôt de plainte, cette démarche n’étant pas un préalable au bénéfice de la protection légale prévue par l’article L. 133-19 du code monétaire et financier ;

Que la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges doit en conséquence, par infirmation du jugement entrepris, être condamnée à rembourser à Madame [E] la somme de

6 432,93 euros, sans que le principe d’une quelconque astreinte ne soit en l’état justifié ;

Attendu par ailleurs que dès lors que l’article L. 133-26 du code monétaire et financier interdit, sauf exception, la facturation de toute mesure préventive ou corrective destinée à empêcher ou corriger tout incident dont le client serait victime et qu’en l’absence d’agissement frauduleux de sa part ou de négligence grave, Madame [E] ne saurait supporter aucune conséquence financière résultant de l’utilisation détournée de ses données bancaires, c’est à tort que la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges a débité du compte de Madame [E] les frais d’émission d’une nouvelle carte ; qu’il suit que la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges doit également être condamnée, par application de l’article L. 133-18 précité du code monétaire et financier, à lui rembourser la somme de 25,90 euros prélevée à ce titre sur son compte bancaire, sans que le principe d’une quelconque astreinte ne soit en l’état davantage justifié ;

Attendu que le refus de la banque de supporter les conséquences de la fraude comme elle le devait a causé à Madame [E] un préjudice moral résultant des tracas et désagréments occasionnés qui justifie l’octroi au profit de celle-ci d’une somme de 1 000 euros de dommages et intérêts ;

Attendu enfin qu’il apparaît inéquitable de laisser à la charge de Madame [E] les frais exposés par elle tant en première instance qu’en cause d’appel et non compris dans les dépens ; qu’il lui sera en conséquence alloué, à la charge de la Caisse de Crédit Mutuel de Fruges, la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Qu’il apparaît par ailleurs équitable de faire supporter par Madame [E], au titre des frais exposés tant en première instance qu’en cause d’appel par la Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe et non compris dans les dépens, la somme de 300 euros ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

Confirme le jugement en ses dispositions ordonnant la jonction des instances inscrites au répertoire général sous les numéros 11.15-88, 11.15-3081 et 11.15-3155 et déclarant Madame [W] [E] irrecevable en ses demandes formées contre la S.A. Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe ;

L’infirme pour le surplus,

Condamne la S.A. Caisse de Crédit Mutuel de Fruges à rembourser à Madame [W] [E] les sommes de 6 432,93 euros au titre des opérations de paiement non autorisées et 25,90 euros au titre des frais bancaires ;

Condamne la S.A. Caisse de Crédit Mutuel de Fruges à payer à Madame [W] [E] la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts ;

Condamne la S.A. Caisse de Crédit Mutuel de Fruges à payer à Madame [W] [E] la somme de 1 500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Madame [W] [E] à payer à la S.A. Caisse Fédérale de Crédit Mutuel Nord Europe la somme de 300 euros en vertu de l’article 700 du code de procédure civile ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

Condamne la S.A. Caisse de Crédit Mutuel de Fruges aux dépens de première instance et d’appel ;

Dit que ces derniers seront recouvrés par Maître Francis Deffrennes, avocat, conformément à l’article 699 du code de procédure civile.

Le greffier,Le président,

P. Pauchet M. Battais

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