CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE SCHMIDT c. FRANCE, 26 juillet 2007, 35109/02

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 26 juill. 2007, n° 35109/02
Numéro(s) : 35109/02
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Association Ekin c. France (déc.), no 39288/98, §§ 37 et 38, 18 janvier 2000
Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, pp. 30-31 et 32, §§ 66 et 69
Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 18, § 34
Olsson c. Suède (n° 2), arrêt du 27 novembre 1992, série A n° 250, § 91
Inze c. Autriche, arrêt du 28 octobre 1987, série A no 126, p. 16, § 32
Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 1003-1004, § 64
Chevrol c. France, no 49636/99, 13 février 2003, § 36
Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 48, CEDH 2000-VIII
Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, §§ 36-37, CEDH 1999-I
Gnahoré c. France, no 40031/98, §§ 52, 53 et 54
Hokkanen c. Finlande, arrêts du 23 septembre 1994, série A no 299-A, p. 20, § 55
Ignaccolo Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000-I
Mifsud c. France (déc.) [GC], no57220/00, ECHR 2002-VIII, 11 septembre 2002
Plasse-Bauer c. France, (déc.), no 21324/02, 31 mai 2005
Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 65, CEDH 2003-VIII
K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 79, ECHR 2001-VII
Tolmunen c. France, no 25996/94, décision de la Commission du 9 avril 1997
Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005
Organisation mentionnée :
  • ECHR
Niveau d’importance : Importance élevée
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale) ; Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Accès à un tribunal ; Procès équitable ; Procédure contradictoire ; Délai raisonnable) ; Violation de l'article 6+13 - Droit à un procès équitable (Article 6-1 - Accès à un tribunal) (Article 13 - Droit à un recours effectif ; Recours effectif)
Identifiant HUDOC : 001-81918
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2007:0726JUD003510902
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE SCHMIDT c. FRANCE

(Requête no 35109/02)

ARRÊT

STRASBOURG

26 juillet 2007

DÉFINITIF

31/03/2008

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Schmidt c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.C. Bîrsan, président,
J.-P. Costa,
MmesE. Fura-Sandström,
A. Gyulumyan,
MM.E. Myjer,
David Thór Björgvinsson,
MmeI. Berro-Lefèvre, juges,
et de M. S. Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juillet 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 35109/02) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Axel Schmidt, et son épouse, Mme Delwyn Schmidt, ressortissante néo‑zélandaise (« les requérants »), ont saisi la Cour le 2 septembre 2002 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérants, qui ont été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, sont représentés par Me Roger Kiska, avocat à Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme Edwige Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Les requérants alléguaient en particulier une violation du droit au respect de la vie familiale, garanti par l'article 8 de la Convention, en raison du placement de leur fille, et plusieurs violations de l'article 6 § 1.

4.  Le 9 mars 2006, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Se prévalant de l'article 29 § 3 de la Convention, elle a décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le bien‑fondé de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Les requérants, M. Axel Schmidt et Mme Delwyn Schmidt, sont nés respectivement en 1959 et 1966 et résident à Carrickfergus (Irlande du Nord). Ils étaient membres de l'Eglise chrétienne biblique, une église évangélique protestante qui fut dissoute le 12 décembre 1990. Leur fille, Victoria, est née le 27 janvier 1990.

6.  Le 10 février 1993, des policiers, munis d'un mandat judiciaire, perquisitionnèrent la maison des requérants, alors domiciliés à Sartrouville (France), puis les emmenèrent avec leur fille Victoria à l'hôtel de police pour les entendre en tant que témoins.

7.  Le 11 février 1993, le requérant fut poursuivi pour coups et blessures volontaires portés en 1987 sur la personne de S. A., un jeune enfant qui avait, à l'époque des faits, quatre ans.

8.  Le 12 février 1993, la juge des enfants de Versailles ordonna le placement à la Direction départementale d'action sanitaire et sociale (« DDASS ») de Victoria, alors âgée de trois ans.

9.  Dans sa décision, la juge des enfants se référait aux enquêtes menées par le service départemental des mineurs le 3 juin 1992 et 11 février 1993, à l'enquête de la section de recherches de la gendarmerie de Versailles en date également du 11 février 1993, ainsi qu'aux pièces du dossier d'information ouvert chez le juge d'instruction et versées au dossier d'assistance éducative. La décision était ainsi motivée :

« Attendu que par Réquisitions du 10 février 1993, le Procureur de la République de Versailles a ordonné le placement de Victoria Schmidt à la DDASS des Yvelines ;

Attendu que le père de la mineure Axel Schmidt est actuellement inculpé et placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d'une affaire ouverte au criminel pour séquestration, défaut de soins et coups et blessures volontaires sur mineurs ;

Que M. et Mme Schmidt appartiennent à l'Eglise Chrétienne Biblique autrement dénommée « La Citadelle » et fondée par M. et Mme M. ; que Madame M. est également inculpée dans le cadre du même dossier ;

Attendu qu'au moins deux dossiers d'assistance éducative ont déjà été ouverts pour des enfants dont les parents appartiennent à « La Citadelle » (B. et A.) ;

Que selon les rapports de la DDASS des Yvelines le 23 mars 1989, les rapports d'Assistance Educative en milieu ouvert du Service Social du tribunal pour Enfants qui lui ont fait suite et les déclarations de M. et Mme C. et M. et Mme B., grands-parents des enfants B., les enfants au teint blême, au masque figé, ne manifestent aucune spontanéité, que leur éducation est essentiellement confiée « aux aînées Mme M. et Mme A.» et non à leurs parents ; qu'ils sont uniquement scolarisés par correspondance, coupés du monde extérieur présenté comme satanique ; que les activités ludiques sont particulièrement réduites et suspectes ;

Attendu que ces déclarations sont confirmées par celles d'anciens adeptes : époux S., époux N. S, D. S., C. A., époux P., H., ayant quitté le mouvement religieux et qui précisent, par ailleurs, que les enfants sont astreints à des jeûnes fréquents, à un sommeil réduit et soumis à des punitions corporelles sous forme de gifles et de coups de ceinture.

Qu'ils soulignent qu'un climat de suspicion et de délation règne en permanence, les enfants n'osant se confier à leurs propres parents de crainte d'être dénoncés ou punis par eux ou par les autres adeptes ;

Attendu que la jeune Victoria Schmidt âgée de 3 ans a toujours été élevée dans la communauté, soustraite à tout contact familial (grands-parents, oncles, tantes) et social autre que ceux du groupe religieux et soumise à un régime d'enfermement ;

Attendu que les conditions d'éducation évoquées ci-dessus sont de nature à compromettre gravement l'équilibre psychologique et l'épanouissement de la mineure ;

Attendu que les droits de visite et d'hébergement seront réservés en l'état dans l'attente de rapports psychologiques sur la mineure ;

Qu'il convient en conséquence de confirmer la mesure de placement ordonnée par le Procureur de la République. »

10.  Le 24 février 1993, la juge des enfants convoqua les requérants pour la première fois. A cette occasion, les requérants produisirent le carnet de santé de leur fille, sur lequel le pédiatre avait écrit « superbe enfant » en décembre 1992, ainsi que plusieurs certificats médicaux du même pédiatre. Dans un certificat établi le 23 février 1993, le pédiatre notait que la requérante s'était montrée affectueuse et attentive à son enfant et que si la séparation se prolongeait, elle ne manquerait pas d'avoir des conséquences sérieuses sur le développement psychique de Victoria. Ultérieurement, la requérante remit à la juge une attestation du même pédiatre, datée du 23 juillet 1993, déclarant qu'il avait suivi Victoria depuis l'âge d'un mois et qu'il n'avait rien remarqué d'anormal, ainsi que des attestations de membres de sa famille et de tiers.

11.  Selon la requérante, lors d'une réunion du 16 juillet 1993 avec la juge des enfants, celle-ci, en aparté, lui aurait suggéré de divorcer afin d'accélérer le processus de regroupement familial avec Victoria.

12.  Le 30 juillet 1993, cette mesure fut prolongée par la juge, un droit de visite étant attribué aux parents, dans le cadre de l'Aide sociale à l'enfance en lieu neutre et en présence d'au moins un tiers. La juge se prononça notamment comme suit :

« Attendu que par ordonnance provisoire de placement du 12 février 1993, Victoria a été confiée à l'Aide Sociale à l'Enfance des Yvelines au vu d'éléments indiquant que ses conditions de vie étaient de nature à compromettre gravement son évolution, son équilibre psychologique et son épanouissement ;

Qu'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert a été confiée à la Sauvegarde des Yvelines le 26 février 1993 ;

Attendu que les parents, bien que n'ayant pas fait appel de l'ordonnance de rapport provisoire, la contestent formellement et réclament le retour de leur enfant, considérant que la Justice a été abusée dans cette affaire et niant la réalité des faits relevés dans les motifs de l'ordonnance ;

Attendu qu'ils bénéficient du soutien de nombreux citoyens anglo-saxons s'indignant du « rapt » des enfants M., B., A. et Schmidt par la Justice française et dénonçant cette « persécution religieuse » ;

Attendu que le rapport d'assistance éducative en milieu ouvert conclut qu'un travail de fond n'apparaît pas possible en raison de la position de M. Axel Schmidt qui nie que sa fille ait pu être en danger ; exige le retour immédiat et sans condition ainsi que la reconnaissance par la Justice de son erreur « inqualifiable » ;

Que le rapport souligne la plus grande réceptivité de Mme Schmidt à l'idée d'un travail éducatif lui permettant de revoir sa fille mais s'interroge sur sa capacité à adopter une position différente de celle de son mari ;

Attendu que l'expertise psychiatrique ordonnée pour les deux parents et effectuée le 25 juin 1993 et le 28 juin 1993 préconise des droits de visite et conclut à l'impossibilité d'un retour de la mineure au domicile de ses parents en raison principalement de la personnalité de M. Schmidt décrite comme ayant une « structure paranoïaque et psychorigide, méfiance, conviction de détenir la vérité, paralogisme, comme ayant également une foi profonde et légitime, mais dont les implications dans son cas sont marquées du sceau de sa psychorigidité » il est à noter également un discours révélant une mentalité subdélirante à propos d'un complot vague, que l'expert poursuit que la dangerosité est en rapport direct avec l'application stricte de la conception religieuse sans concession et sans remise en cause et qu'à ce titre, il est légitime d'éviter toute emprise de M. Schmidt sur des jeunes, que le retour de sa fille ne pourra être envisagé que si l'intéressé peut se remettre en cause ;

Attendu que M. et Mme Schmidt ne se sont jamais rendus au deux rendez-vous fixés par l'expert psychologique ;

Attendu que les parents entendus le 16 juillet 1993 en présence de Me Lumbroso demandent le retour inconditionnel de leur fille à leur domicile, se déclarent inquiets des traumatismes subis par elle du fait de son retrait qui, selon eux, peut seul expliquer le comportement de l'enfant décrit dans le rapport de l'Aide Sociale à l'Enfance ; qu'ils soulignent que Victoria se montrait chez eux affectueuse et qu'elle a toujours vécu en famille dans un cadre normal, chaleureux et épanouissant ;

Attendu que M. Schmidt réfute en bloc toutes les déclarations des enfants A. et M. quant à sa participation à leur éducation et à d'éventuels mauvais traitements ;

Attendu que les rapports de l'Aide Sociale à l'Enfance, les 9, 12, 13, 17, 18 mars 1993 puis 19 mai 1993 décrivent l'état de Victoria à son arrivée : « physiquement : visage inexpressif, regard vide, fixe et hagard ; émotionnellement : sans réaction affective, enfant figée, présentant une trop grande docilité, acquiescement à tout, molle, se laissant faire telle une poupée de chiffon, fuyant les contacts affectifs et ludiques » petite fille comme tombée d'une autre planète, insensible à tout, qui ne crie pas, ne pleure pas, ne parle pas même de ses parents qu'elle ne réclame pas même après cinq mois de placement, mais rapportant aux adultes les bêtises des autres enfants » ;

Que le rapport fait état d'une évolution favorable surtout au niveau de la classe et du jeu solitaire, d'une capacité à sourire et d'un comportement moins distant ;

Attendu que le 26 mars 1993 et le 12 juillet 1993, M. Pers, Vice-Président du tribunal pour Enfants puis moi-même en présence du Greffier du cabinet nous sommes rendus sur le lieu de placement pour apprécier les conditions de vie de la mineure et son évolution ;

Attendu que selon les déclarations des enfants A. le 1er juillet 1993, Axel Schmidt se montrait brutal avec la quasi-totalité des enfants de la secte y compris sa propre fille qu'il frappait parfois soudainement juste après l'avoir câlinée ;

Sur le maintien du placement

Attendu qu'il résulte des pièces du dossier que les conditions d'éducation étaient bien de nature à compromettre gravement l'évolution, l'équilibre psychologique et l'épanouissement de Victoria ; qu'il convient de maintenir le placement à l'Aide Sociale à l'Enfance des Yvelines ;

Sur la mesure d'assistance éducative en milieu ouvert

Attendu qu'il résulte du rapport de la Sauvegarde qu'aucun travail éducatif n'est possible, compte tenu de la position des parents ; qu'il y a lieu de donner mainlevée de la mesure d'assistance éducative en milieu ouvert confiée à la Sauvegarde des Yvelines ;

Sur le droit de visite et d'hébergement

Attendu qu'il semble de l'intérêt de Victoria de rencontrer ses parents dans le cadre de l'Aide sociale à l'enfance en lieu neutre, et en présence d'au moins un tiers ; »

13.  Les requérants affirment avoir découvert quelques mois plus tard qu'alors qu'il ne leur était accordé le droit de voir leur fille qu'une seule fois pendant une heure, en dehors de son lieu de placement, un droit de visite était octroyé aux grands-parents paternels de Victoria, qui pouvaient l'exercer régulièrement.

14.  Le 6 août 1993, les requérants formèrent un appel contre la décision du 30 juillet 1993, devant la cour d'appel de Versailles. L'audience eut lieu le 24 février 1994 et la cour d'appel rendit son arrêt le 17 mars 1994, confirmant la décision susmentionnée.

15.  Par la suite, la requérante quitta la France pour retrouver sa famille en Nouvelle-Zélande et donner naissance à son deuxième enfant, Elvira, le 17 mars 1995.

16.  Le 1er juin 1995, la juge des enfants fixa une nouvelle date d'audience et adressa une convocation à la requérante qui la recevait en Nouvelle‑Zélande deux jours avant l'audience du tribunal de grande instance de Versailles. La requérante sollicita le report de l'audience, qui lui fut refusé.

17.  Sur les conclusions du procureur, la garde de Victoria fut confiée, par jugement du 4 juillet 1995, à ses grands-parents paternels, à leur demande et dans l'intérêt de la mineure. Dans le même jugement, la juge supprima tout droit de visite des parents.

18.  En décembre 1995, les services sociaux de Nouvelle‑Zélande effectuèrent une enquête sur les conditions de vie de la requérante et évaluèrent positivement le caractère propice du foyer de celle-ci pour accueillir Victoria.

19.  Par un jugement du 21 juin 1996, la juge confirma le placement et instaura, afin d'aider les grands-parents, une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert d'une durée d'un an à compter du 4 juillet 1996. La juge s'exprima ainsi :

« Attendu que la mineure évolue favorablement au sein de sa famille paternelle, ayant aujourd'hui pleinement conscience de sa place dans le génogramme familial grâce à l'attention et à l'investissement quotidien de ses grands-parents, à la mesure éducative en milieu ouvert et à la mise en place d'un échange de courriers avec la famille Jones ;

Attendu que M. Axel Schmidt ne se manifeste absolument pas auprès du Juge des Enfants, ni davantage auprès de ses parents ou du service éducatif ;

Que Mme Delwyn Schmidt, bien qu'elle soit un peu plus présente, continue de nier le bien-fondé de l'intervention judiciaire en ce qui concerne sa fille, disant craindre de venir en France à l'audience car « son second enfant pourrait lui aussi être enlevé », considérant que ce sont ses convictions religieuses qui lui sont essentiellement reprochées, qu'elle maintient sa demande de l'année passée de restitution de sa fille par l'intermédiaire de Mr Ian Paisley, député européen, qui n'a par ailleurs aucune qualité juridique pour la représenter utilement ;

Attendu que les moyens invoqués par Mme Schmidt ne sont pas fondés ;

Qu'un retour sans aucune préparation psychologique et éducative de la mineure et de sa famille n'est pas envisageable ; que même un droit de visite de la grand-mère maternelle et de la mère de Victoria devra préalablement pour l'une être précédé d'un courrier adressé au juge des enfants, pour l'autre, d'une demande de rendez-vous avec présentation personnelle ;

Qu'en l'état, la famille maternelle est conviée instamment à travailler avec le service éducatif de Fourqueux dans le but d'aider Victoria à retrouver les siens ;

Que les mesures prises l'année dernière sont renouvelées pour une année supplémentaire. »

20.  Afin de faciliter les démarches en vue de retrouver la garde de Victoria, la requérante s'installa en Irlande du Nord.

21.  Le 12 septembre 1997, la requérante fit un déplacement en France pour rencontrer la juge des enfants. Selon la requérante, il était convenu au cours de l'audience qu'une première rencontre avec Victoria, de même qu'avec les grands‑parents, devait avoir lieu en vue d'organiser le retour au foyer de Victoria.

22.  Le 30 septembre 1997, la juge des enfants prolongea la mesure de placement chez les grands-parents. La juge se prononça comme suit :

« Attendu que pendant l'année écoulée, la mineure a continué de bien évoluer au domicile de ses grands-parents paternels chez qui elle vit maintenant depuis deux ans, entourée par la famille élargie, soutenue par le service éducatif en milieu ouvert, échangeant une petite correspondance régulière avec sa mère et s'autorisant à réclamer cette dernière, questionnant ses grands-parents sur son histoire ;

Attendu que Mme M. J., grand-mère maternelle de Victoria, a écrit pour solliciter l'autorisation de rendre visite à l'enfant dans le courant de l'année prochaine 1998 ;

Attendu que rien ne s'oppose à cette visite dès lors que Mme J. rencontrera préalablement le juge des enfants qu'elle informera de ses dates de voyages et que Victoria ne restera pas seule avec elle ;

Attendu que pour la première fois depuis trois ans, Mme Delwyn Jones-Schmidt s'est présentée en personne à l'audience du 12 septembre 1997 ;

Qu'elle a manifesté le souhait de revoir Victoria, voire même de la ramener avec elle dans les meilleurs délais, considérant que sa fille lui a été enlevée alors qu'elle l'élevait dans des conditions normales, qu'elle n'a pas revu son mari depuis 1995 et que ses relations avec les membres de la « Citadelle » sont terminées depuis 1995, qu'elle est partie en Nouvelle-Zélande par crainte d'une décision de justice identique pour son enfant à venir, ajoutant qu'il n'est pas question pour elle d'amener sa fille Elvira en France actuellement ;

Attendu qu'il résulte de l'audience que Mme Jones-Schmidt d'une part, continue d'écarter les motifs de sa séparation d'avec Victoria, à savoir l'adhésion à la « Citadelle » et la conception et les règles de vie inhérentes à cette adhésion de nature notamment à mettre les enfants en danger, d'autre part, ne comprend pas pourquoi elle ne pourrait pas revoir sa fille dès le jour de l'audience ou peu après, alors que Victoria n'est pas informée de sa présence en France ;

Qu'elle est informée que si le juge des enfants n'est pas opposé à un échange de correspondance et de photos, il n'est pas davantage opposé à une rencontre entre Victoria et elle-même avec Elvira, dès lors que cet évènement est préparé, amené progressivement notamment par la rencontre préalable avec Mme M. J., réalisé en lieu neutre, voire dans le cabinet du juge des enfants ;

Qu'en tout état de cause, ces retrouvailles ne pourront se faire qu'au rythme de Victoria, laquelle pourra être soutenue tant dans le cadre de la mesure éducative en milieu ouvert qu'auprès d'un thérapeute (psychologue) ;

Que pour répondre à Mme Delwyn Schmidt sur sa demande d'emmener Victoria en Nouvelle-Zélande - ou ailleurs -, cela reste conditionné par la nécessité de réaliser une enquête sociale sur place et de garantir le retour de Victoria en France tant qu'il n'en serait pas décidé autrement par les autorités judiciaires ;

Attendu que l'aboutissement de ces projets demeure néanmoins soumis à la réserve qu'il existe encore trop de contradictions entre les explications qui sont données par M. et Mme D. S., par la justice et ses auxiliaires à Victoria sur son histoire et sa séparation d'avec ses parents et celles que persiste à donner Mme Delwyn Jones-Schmidt tant à l'audience que dans les courriers qu'elle peut écrire ;

Attendu qu'enfin, demeurent en suspens les relations que Mme Jones-Schmidt peut encore avoir avec son mari, Axel Schmidt, qui selon elle, serait parti pour la protéger ;

Attendu qu'en conclusion, il convient de maintenir Victoria chez ses grands-parents paternels dans les termes du dispositif ci-après et de renouveler la mesure éducative en milieu ouvert pour soutenir en fonction de l'évolution à venir de la situation. »

23.  En mars 1998, la requérante apprit que Victoria était sur le point de se faire baptiser à l'Eglise catholique romaine. Après s'être vigoureusement opposée à ce baptême, la requérante obtint l'annulation de ce projet.

24.  Le 14 mai 1998, la juge des enfants reconduisit la mesure aux motifs suivants :

« Attendu qu'aux termes du jugement du 30 septembre 1997, Victoria a été maintenue au domicile de ses grands-parents paternels et la mesure éducative en milieu ouvert renouvelée pour soutenir la mineure en fonction de l'évolution à venir de la situation ;

Attendu que Mme Jones-Schmidt a continué durant ces derniers mois à écrire à sa fille, à lui adresser des présents sans pour autant communiquer avec M. et Mme D. S. ni avec le service éducatif ;

Qu'elle vit apparemment très régulièrement au Royaume-Uni où elle exerce des activités qu'elle n'a pas jugé utile de préciser dans la communication téléphonique du 14 mai 1998, alors qu'au cours de l'audience du 30 septembre dernier, elle avait indiqué qu'elle vivait en Nouvelle Zélande auprès de sa famille ;

Attendu que Mme M. J., grand-mère maternelle de Victoria, doit venir en France en juillet prochain pour rencontrer sa petite-fille et se présentera comme prévu chez le juge des enfants à cette occasion ;

Attendu que Victoria de son côté évolue toujours dans des conditions satisfaisantes tant sur le plan matériel que scolaire, bien qu'elle ne paraisse pas très bavarde et ne manifeste que peu ses sentiments sur une situation qu'elle commence à bien comprendre notamment à l'occasion d'évènements tels que son baptême qui était prévu à sa demande il y a quelques semaines et qui a dû être annulé à la demande de Mme Jones-Schmidt ;

Attendu que les termes du jugement du 30 septembre 1997 demeurent valables en leur intégralité à propos d'une part, de la résidence de la mineure chez ses grands‑parents paternels, d'autre part, de la relation de Victoria avec sa maman et de son évolution ;

Qu'en revanche, il n'apparaît pas utile de maintenir davantage la mesure éducative en milieu ouvert dans le présent contexte. »

25.  Le 13 juillet 1998, la juge des enfants convoqua la requérante pour une nouvelle audience au cours de laquelle elle revit sa fille pour la première fois après cinq ans de séparation. Aucune suite ne fut donnée à cette rencontre.

26.  En 1998, Victoria fut inscrite, selon le souhait de sa mère, au cours d'anglais dispensé par le British Council à Paris. Les grands-parents paternels ayant décidé d'interrompre la participation de Victoria à ces cours, la requérante écrivit à plusieurs reprises à la juge des enfants pour solliciter son intervention afin que les grands-parents reviennent sur leur décision. La requérante se tint informée tout au long de l'année scolaire 1998-1999 des progrès de Victoria et rendit même visite à la professeur d'anglais de celle-ci.

27.  Les 15 décembre 1997 et 26 juin 1998, la requérante forma deux appels contre les décisions des 30 septembre 1997 et 14 mai 1998, devant la cour d'appel de Versailles. Elle demandait qu'un programme de visites soit établi pour préparer le retour de Victoria avec elle et produisait, à l'appui de sa demande, plusieurs documents démontrant que Victoria bénéficierait des meilleures conditions pour son adaptation et son développement en Irlande du Nord ainsi que de toutes les garanties matérielles et morales requises.

28.  Le 17 juin 1999, la cour d'appel confirma la mesure confiant Victoria à ses grands-parents, mais rétablit la mesure d'aide éducative qui avait été levée. La cour se prononça en ces termes :

« Mme Delwyn Jones-Schmidt, présente et assistée, indique pour la première fois son domicile actuel réel et accepte que le greffier en prenne note sur le plumitif et lui notifie la décision à intervenir à cette adresse privée sise en Irlande (Royaume-Uni).

Elle considère que les grands-parents paternels de sa fille Victoria Schmidt n'offrent pas de conditions satisfaisantes d'hébergement et d'éducation en raison principalement de leur âge (quasi-septuagénaires), de leur obstination à vouloir faire pratiquer à leur petite-fille, avec sacrement de baptême, la religion catholique alors qu'elle-même, de confession protestante, a fait officiellement connaître qu'elle s'y opposait avec véhémence et de leur « permissivité », acceptant sans retenue que Victoria refuse de suivre les cours de langue anglaise alors qu'elle les considère comme indispensables à la reconnaissance et à la réalité de la bi-nationalité franco- néo-zélandaise de son enfant.

L'appelante se considère consciente des difficultés d'un retour de Victoria à son domicile, après plusieurs années de séparation, dans un contexte psycho‑socio‑économique, affectif et géographique très différent de celui que la mineure a connu très jeune.

Elle déclare, sans toutefois en préciser les modalités, même oralement, ne pas être opposée à une évolution progressive à condition que le terme en soit judiciairement fixé au plus vite.

Elle fait conclure et plaider dans l'une et l'autre des procédures soumises à l'examen de la Cour :

1) que le « retrait » de Victoria en 1993 et son placement à l'Aide Sociale à l'Enfance dans des circonstances certes délicates mais des conditions inappropriées et violentes, est peut‑être aujourd'hui, avec le recul du temps, explicable en raison du contexte mais demeure injustifié ;

2) que depuis elle est une « mère écorchée vive » et qu'avec lucidité elle sort enfin de la « clandestinité » pour justifier qu'elle est, à travers sa seconde fille Elvira dont elle était enceinte au moment de la procédure pénale, une bonne éducatrice qui présente toutes garanties matérielles et morales pour élever et éduquer ensemble et immédiatement ses enfants.

Le père de Victoria, Axel Schmidt est, sans adresse officielle connue. Il n'a pu être entendu.

Les époux D. S. (grands-parents paternels) demandent la confirmation de la décision critiquée. Ils contestent les arguments invoqués par celle qui demeure leur belle-fille, font valoir, sans preuve, que cette dernière est dorénavant domiciliée en Irlande du Nord à la demande de la secte à laquelle les parents de Victoria appartiennent et qu'ils sont favorables à la mise en place d'une « connaissance réciproque » associant les rencontres des deux sœurs (Victoria et Elvira).

Le Ministère Public se félicite de l'intervention prudente du juge des enfants dans une « procédure douloureuse » et considère qu'il convient, en confirmant la décision critiquée, d'attendre que l'information soit complète.

Les faits

Par ordonnance du 12 février 1993 Victoria Schmidt a provisoirement été confiée à l'ASE des Yvelines, ses conditions de vie au sein de la secte la « Citadelle » dont ses père et mère étaient adeptes inconditionnels, étant de nature à compromettre gravement son évolution, son équilibre psychologique et son épanouissement.

Le magistrat spécialisé, en dépit du soutien et des pressions des amis d'origine anglo-saxonne du couple parental, s'indignant du « rapt » de leurs enfants et dénonçant une « persécution religieuse », a maintenu par jugement du 30 juillet 1993 cette mesure de protection judiciaire malgré les dénégations des époux Schmidt-Jones en raison des constatations des enquêteurs, et des conclusions de l'expert-psychiatre.

Le père de l'enfant poursuivi et condamné pénalement est en fuite. Il se trouverait en Grande-Bretagne. Son épouse et ses parents prétendent ne plus l'avoir rencontré depuis.

Après trois ans de silence qu'elle explique, sans en justifier, par un séjour dans sa famille en Nouvelle-Zélande, la mère refuse de revenir en France. Par jugement du 21 juin 1996 le Juge des Enfants, après avoir minutieusement préparé cette décision, confie Victoria à ses grands-parents paternels et instaure pour les aider avec exécution provisoire une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert d'une durée d'un an à compter du 4 juillet 1996 dont l'exercice est confié à la Sauvegarde des Yvelines (antenne Fourqueux).

Il renouvelle cette mesure « jusqu'à ce qu'il en soit autrement statué » par jugement du 30 septembre 1997 après que Mme Delwyn Jones-Schmidt se soit personnellement manifestée pour la première fois.

Il s'agit de la décision déférée en premier lieu. Par jugement subséquent du 14 mai 1998 il donne main levée de la mesure d'assistance éducative en milieu ouvert, décision également frappée d'appel.

Considérant que l'appelante s'est ingénument étonnée que l'autorité judiciaire continue « d'évoquer son mari dont elle est séparée » alors qu'elle occulte ainsi son rôle « anti-éducatif » prépondérant ayant motivé l'intervention policière qu'elle conteste : que de surcroît elle ne réfute pas sérieusement être revenue sur le territoire européen sans vouloir (et, ou) pouvoir rencontrer le père de ses enfants dont elle n'a jamais affirmé être affectivement et réellement séparée ;

Considérant, au terme d'un lent et minutieux processus particulièrement contrôlé, que le magistrat spécialisé a évité une séparation douloureuse et irréparable de Victoria d'avec sa famille légitime en privilégiant le maintien des relations grand‑parentales non contestables ;

Considérant que les relations inter-personnelles de tous les adultes concernés par la présente procédure demeurent, en dépit de leurs réponses « offusquées », incertaines sinon occultes, au mépris de la protection de la santé, de la sécurité et de la moralité d'une enfant qui est depuis trop longtemps l'objet de conflits éducatifs et religieux toujours vifs et exacerbés ;

Considérant que si la mesure de protection judiciaire de la jeune Victoria Schmidt confirmée par arrêt distinct de ce jour illustre une « incompréhension réciproquement voulue », elle ne saurait néanmoins conforter, sans contrôle ni rendu compte judiciaire, le rôle permissif sinon pervers des grands-parents paternels quand bien même apparaît-il inconscient et involontaire ;

Qu'en effet une mesure de protection ne saurait, au cours de son exécution, se transformer en « appropriation » créatrice d'un danger nouveau et distinct ;

Considérant que le maintien de la mesure d'assistance sociale éducative en milieu ouvert, malencontreusement levée, apparaît donc indispensable et inéluctable dans l'intérêt même de la mineure ;

Que le jugement du 14 mai 1998 susvisé sera donc réformé de ce chef ;

Les frais de procédure resteront à la charge du Trésor ; »

29.  Le 29 juin 1999, le juge des enfants accorda à la mère un droit de visite dans un lieu neutre en relevant que :

« Attendu qu'il résulte des débats que Victoria vit toujours au domicile de ses grands-parents paternels auprès desquels elle évolue de manière satisfaisante tant dans le cadre scolaire qu'extra-scolaire, qu'elle manifeste expressément le souhait de rester auprès d'eux, ayant ses repères et ses amis, comprenant bien aujourd'hui la complexité de sa situation et acceptant mal les tensions qui demeurent entre ses grands-parents et sa mère à son sujet, qu'elle ne veut pas aller vivre en Angleterre mais accepte volontiers de voir sa mère de temps en temps et souhaiterait aussi connaître sa sœur Elvira ;

Attendu que Mme Jones ne s'est que très ponctuellement manifestée auprès de sa fille et seulement par courrier durant l'année écoulée, n'ayant pas davantage d'échange avec les grands-parents ; que ce n'est que devant la Cour d'appel qu'elle a enfin donné son adresse dite personnelle ;

Qu'elle maintient sa demande d'avoir dans les meilleurs délais la possibilité d'accueillir Victoria chez elle ;

Attendu que la demande est encore aujourd'hui trop précoce et ne tient pas suffisamment compte du passé et de la maturité de Victoria ; qu'il ne pourra y avoir d'évolution qu'à partir du moment où Mme Jones, respectée dans son autorité parentale, se rendra suffisamment disponible pour venir en France rencontrer sa fille dans le cadre d'un point-rencontre et mieux se connaître l'une l'autre, acceptera aussi la nécessité du maintien des liens entre Victoria et ses grands-parents.

Qu'au vu de la situation présente, il y a lieu de maintenir Victoria chez ses grands-parents paternels (...) »

30.  Le 31 mars 2000, un droit de visite, avec sortie sans accompagnement éducatif, fut accordé à la mère de Victoria au vu de l'évolution de la situation et une expertise psychologique fut ordonnée.

31.  Par un jugement du 11 juillet 2000, le placement de Victoria chez ses grands-parents fut confirmé et, au vu de l'expertise psychologique, un droit de visite et d'hébergement fut accordé à la mère (sous contrôle de la maison de la Médiation). Le juge nota :

« Attendu qu'il ressort de l'audience que Victoria continue de bien évoluer dans le cadre de vie actuel tant sur le plan scolaire que psychique ; qu'elle a pu rencontrer régulièrement sa mère et en a tiré un certain bénéfice et de la curiosité par rapport à son histoire familiale et personnelle ;

Attendu que Mme Jones revendique toujours la résidence de sa fille chez elle au motif que sa fille n'est pas en danger auprès d'elle, que les grands-parents accaparent et manipulent Victoria ;

Que Victoria, entendue seule, a déclaré ne pas souhaiter aller vivre avec sa mère en Irlande mais rester vivre avec ses grands-parents, ne pas même se rendre chez sa mère pour l'instant pendant les vacances et accepter seulement de passer quelques jours avec elle dans le cadre du droit de visite organisé par la Maison de la Médiation ;

Attendu que M. et Mme D. S. déclarent que leur petite-fille évolue bien, qu'ils sont conscients qu'une évolution doit se faire dans l'intérêt de Victoria et qu'un jour peut-être cette dernière ira vivre en Irlande avec sa mère, qu'en maintenant une prudence certaine, ils sont prêts à accepter et à participer à l'organisation d'un droit d'hébergement de Mme Jones pour Victoria et même à accueillir Mme Jones chez eux sur leur lieu de vacances ;

Attendu qu'il ressort de l'expertise psychologique « qu'un retour en famille dans un pays inconnu pour Victoria est prématuré mais que des vacances de plus en plus longues dans leur durée devraient permettre à l'enfant de s'apprivoiser avec l'environnement maternel » ; que la prudence est recommandée « en tenant compte de la détresse qu'a pu vivre cette fillette dans sa petite enfance qu'il ne faut pas réactiver aujourd'hui parce qu'il deviendrait urgent que réparation soit faite à sa mère » ; que « Victoria a vécu un traumatisme qui a laissé une fracture en elle et la confier instantanément à sa mère se conçoit légalement mais le psychisme ne peut intégrer ce discours qu'il vit comme une effraction violente qu'il faut lui éviter sous peine d'ajouter au traumatisme initial » ;

Attendu qu'au vu de tout cela, avec le concours de la Maison de la Médiation, et en accord avec Mme Jones, M. et Mme S. et Victoria, un hébergement du mercredi 12 juillet 2000 au samedi 15 juillet 2000 peut être organisé sous réserve des conditions déjà posées dans le jugement du 31 mars 2000, sur le territoire français ;

Qu'au vu de cette proposition et en fonction de son bon déroulement, un droit d'hébergement pourra alors être accordé de manière plus durable à Mme Jones ;

Que néanmoins, il ne peut être satisfait à la demande de retour définitif de Victoria auprès de sa mère compte tenu de la prématurité de cette demande, de la position de la mineure, de son évolution, de la nécessité pour les adultes de rassurer Victoria sur le maintien de ses relations avec chacun d'entre eux et de l'insuffisance de garanties actuelles de Mme Jones, laquelle a récemment déménagé et ne justifie pas de ressources matérielles ni d'un emploi, ni davantage de la garantie qu'elle n'a plus du tout de relation avec quelque personne que ce soit ayant eu à connaître la Citadelle. »

32.  A une date non précisée, mais apparemment au cours de l'hébergement qui lui avait été accordé entre les 12 et 15 juillet 2000, la requérante quitta la France pour l'Irlande du Nord avec Victoria. Un mandat d'arrêt pour rétention de mineur au-delà de cinq jours fut délivré à son encontre le 25 juillet 2000.

33.  Les autorités françaises firent une demande d'extradition aux autorités britanniques et une demande de retour de Victoria sur le fondement de la Convention de La Haye.

34.  Par un jugement du 16 août 2000, la Haute Cour de Justice d'Irlande du Nord (High Court of Justice in Northern Ireland) confia la garde de Victoria à sa mère. Le père se vit autoriser des contacts avec Victoria en accord avec la mère et avec l'approbation des services sociaux.

35.  Par une décision du 2 mars 2001, la garde de Victoria fut accordée également à son père.

36.  Le 6 mars 2002, la Cour de cassation statua sur les pourvois formés par la requérante contre les arrêts de la cour d'appel du 17 juin 1999. Dans ses pourvois, la requérante consacrait une grande partie de son argumentation à la violation des articles 6, 8 et 14 de la Convention.

37.  La Cour de cassation constata que cette mesure avait épuisé ses effets et que le juge des enfants avait pris de nouvelles mesures à l'égard de Victoria par décisions des 29 juin 1999, 31 mars et 11 juillet 2000, qu'ainsi les pourvois étaient devenus sans objet. Elle conclut dès lors qu'il n'y avait pas lieu à statuer.

38.  Le 26 juin 2002, le juge des enfants, constata que Victoria demeurait auprès de sa mère en Irlande depuis près de deux ans, au mépris de ses décisions, mais avec l'accord des services sociaux britanniques. Il leva donc la mesure d'assistance éducative.

39.  Le 10 décembre 2002, le juge d'instruction en charge du dossier rendit une ordonnance de non-lieu clôturant ainsi les poursuites engagées contre la requérante.

40.  Le 5 décembre 2005, la cour d'appel de Versailles condamna M. Axel Schmidt à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis pour coups et blessures sur la personne des jeunes J.A. et S.A. en 1989 et 1990. Elle le relaxa des autres chefs de poursuites.

II.   LE DROIT INTERNE PERTINENT

41.  Les dispositions pertinentes du code civil se lisent ainsi :

Article 375

« Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. Le juge peut se saisir d'office à titre exceptionnel.

Elles peuvent être ordonnées en même temps pour plusieurs enfants relevant de la même autorité parentale.

La décision fixe la durée de la mesure sans que celle-ci puisse, lorsqu'il s'agit d'une mesure éducative exercée par un service ou une institution, excéder deux ans. La mesure peut être renouvelée par décision motivée. »

Article 375-2

« Chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel. Dans ce cas, le juge désigne, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert, en lui donnant mission d'apporter aide et conseil à la famille, afin de surmonter les difficultés matérielles ou morales qu'elle rencontre. Cette personne ou ce service est chargé de suivre le développement de l'enfant et d'en faire rapport au juge périodiquement.

Le juge peut aussi subordonner le maintien de l'enfant dans son milieu à des obligations particulières, telles que celle de fréquenter régulièrement un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé, ou d'exercer une activité professionnelle. »

Article 375-3

« S'il est nécessaire de retirer l'enfant de son milieu actuel, le juge peut décider de le confier :

1º A l'autre parent ;

2º A un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance ;

3º A un service ou à un établissement sanitaire ou d'éducation, ordinaire ou spécialisé ;

4º A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance. (...) »

Article 375-4

« Dans les cas spécifiés aux 1º, 2º et 3º de l'article précédent, le juge peut charger, soit une personne qualifiée, soit un service d'observation, d'éducation ou de rééducation en milieu ouvert d'apporter aide et conseil à la personne ou au service à qui l'enfant a été confié ainsi qu'à la famille et de suivre le développement de l'enfant.

Dans tous les cas, le juge peut assortir la remise de l'enfant des mêmes modalités que sous l'article 375-2, deuxième alinéa. Il peut aussi décider qu'il lui sera rendu compte périodiquement de la situation de l'enfant. »

Article 375-6

« Les décisions prises en matière d'assistance éducative peuvent être, à tout moment, modifiées ou rapportées par le juge qui les a rendues soit d'office, soit à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public. »

Article 375-7

« Les père et mère dont l'enfant a donné lieu à une mesure d'assistance éducative, conservent sur lui leur autorité parentale et en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec l'application de la mesure. Ils ne peuvent émanciper l'enfant sans autorisation du juge des enfants, tant que la mesure d'assistance éducative reçoit application.
S'il a été nécessaire de placer l'enfant hors de chez ses parents, ceux-ci conservent un droit de correspondance et un droit de visite. Le juge en fixe les modalités et peut même, si l'intérêt de l'enfant l'exige, décider que l'exercice de ces droits, ou de l'un d'eux, sera provisoirement suspendu. Le juge peut indiquer que le lieu de placement de l'enfant doit être recherché afin de faciliter, autant que possible, l'exercice du droit de visite par le ou les parents. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

42.  Les requérants se plaignent de ce que leur fille leur a été enlevée et qu'ainsi, une ingérence dans leur vie familiale a été commise. Ils soutiennent que cette ingérence n'était pas prévue par la loi, que le but poursuivi n'était pas légitime du fait que les mesures prises étaient non seulement inutiles mais aussi motivées par l'appartenance des parents à une confession religieuse. Ils allèguent une violation de l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

A.  Sur la recevabilité

1.  Exception du Gouvernement tirée de la perte de la qualité de « victime » des requérants

43.  Le Gouvernement soutient que les requérants ont perdu leur qualité de victime depuis l'intervention des décisions prises par les juges nationaux en leur faveur. Les requérants sont réunis de fait avec leur fille depuis juillet 2000. La requérante a profité du droit de visite et d'hébergement, qui lui avait été accordé par un jugement du 11 juillet 2000, pour quitter le territoire français avec Victoria, dont elle a obtenu la garde par un jugement du 16 août 2000 de la High Court d'Irlande du Nord. En outre, le juge des enfants a, par un jugement du 26 juin 2002, levé la mesure d'assistance éducative. Enfin, la procédure pénale diligentée contre la requérante pour rétention de mineur au-delà de cinq jours a été clôturée par le juge d'instruction par une ordonnance de non-lieu en date du 10 décembre 2002.

44.  Selon les requérants, la réunion avec leur fille ne peut remédier à une séparation ayant duré sept ans. De plus, la question de la séparation constitue la composante d'une question plus large qui englobe de grandes erreurs procédurales pendant le déroulement du litige. Les arguments du Gouvernement reviennent en fait à nier aux requérants toute possibilité de recours tant pendant qu'après la période durant laquelle les droits parentaux et procéduraux des requérants ont été bafoués.

45.  La Cour rappelle qu'elle a affirmé à maintes reprises que, par « victime », l'article 34 (article 25 de la Convention avant le 1er novembre 1998) « désigne la personne directement concernée par l'acte ou l'omission litigieux (...) ». Partant, une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si « les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention » (voir, notamment, Eckle c. Allemagne, arrêt du 15 juillet 1982, série A no 51, pp. 30-31 et 32, §§ 66 et 69, et Inze c. Autriche, arrêt du 28 octobre 1987, série A no 126, p. 16, § 32, ou encore Association Ekin c. France (déc.), no 39288/98, 18 janvier 2000, et arrêt précité dans la même affaire, §§ 37 et 38 ; Chevrol c. France, no 49636/99, 13 février 2003, § 36).

46.  En juillet 2000, après que la requérante eut quitté la France avec Victoria, les autorités françaises lançaient un mandat d'arrêt contre elle, une demande d'extradition aux autorités britanniques et une demande de retour de Victoria sur le fondement de la Convention de La Haye (paragraphes 32-33 ci-dessus). Or la Cour note en l'espèce que si, le 10 décembre 2002, la juge des enfants a résolu de lever la mesure d'assistance éducative, elle ne l'a fait que parce que Victoria demeurait auprès de sa mère en Irlande depuis près de deux ans avec l'accord des services sociaux britanniques et que la garde de celle-ci était également accordée au requérant par ces mêmes services. Cette levée de la mesure cristallisait en réalité un état de fait dans lequel les autorités n'étaient nullement impliquées.

47.  La Cour ne saurait donc conclure que les autorités nationales ont d'elles-mêmes reconnu et/ou réparé la violation alléguée. Compte tenu de la durée du placement de leur fille – sept ans – la réunion postérieure de la famille ne saurait faire perdre aux requérants leur qualité de « victime » au sens de la Convention.

48.  Il convient donc de rejeter l'exception du Gouvernement dont il s'agit.

2.  Exception du Gouvernement tirée du défaut d'épuisement des voies de recours internes

49.  En premier lieu, le Gouvernement soutient que le requérant n'a pas épuisé les voies de recours internes, dès lors qu'il n'a exercé aucune des voies de recours ouvertes en droit interne à l'encontre des décisions rendues par la juge des enfants dans le cadre de la procédure d'assistance éducative, mise en place au profit de Victoria. Plus particulièrement, le requérant n'a pas usé de la faculté que lui offrait l'article 375-6 du code civil de solliciter, à tout moment, de la juge des enfants le retrait ou la modification de ces mesures. Il n'a pas davantage formé d'appel ou de pourvoi en cassation à l'encontre des nombreuses décisions prescrivant les mesures d'assistance éducative litigieuses et il ne s'est pas joint à l'appel formé par son épouse contre la décision de la juge des enfants du 14 mai 1998. En outre, il a été absent tout au long de la procédure.

50.  En deuxième lieu, le Gouvernement allègue que la requérante n'a pas non plus usé de la faculté offerte par l'article 375-6 du code civil et qu'elle n'a pas exercé les voies de recours à l'encontre des décisions de la juge des enfants, postérieures à celle du 14 mai 1998 ordonnant la prolongation de la mesure de placement de Victoria chez ses grands-parents.

51.  Les requérants soutiennent qu'entre 1993 et 1995, ils ont entrepris plusieurs démarches auprès de la juge des enfants et de la cour d'appel. Lorsqu'ils ont compris que ces dernières utilisaient l'accusation portée contre le requérant afin de ne pas leur rendre Victoria, ils ont décidé d'introduire les recours au seul nom de la requérante. Toutefois, le but était d'obtenir ensemble la garde de Victoria. C'est ce qui a d'ailleurs été décidé par la High Court de Belfast en 2000 et 2001. Tout recours individuel du requérant aurait ainsi été préjudiciable aux recours formés par la requérante. A cet égard, les requérants soulignent que la juge des enfants aurait déclaré que toute participation du requérant aux efforts pour récupérer la garde de Victoria aurait eu pour résultat de compromettre les démarches entreprises. Elle aurait même suggéré aux requérants de divorcer. Quant à l'allégation que la requérante avait formé un seul recours, les requérants soulignent que celle‑ci avait introduit en réalité plusieurs recours et tenté, à plusieurs reprises, elle-même et/ou avec l'assistance d'officiels internationaux, d'obtenir la garde de Victoria.

52.  La Cour rappelle que la finalité de la règle édictée par l'article 35 § 1 de la Convention est de ménager aux Etats contractants l'occasion de prévenir ou de redresser – normalement par la voie des tribunaux – les violations alléguées contre eux avant qu'elles ne soient soumises à la Cour. Si cette disposition doit s'appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif », elle ne se borne pas à exiger la saisine des juridictions nationales compétentes et l'exercice de recours destinés à combattre une décision déjà rendue. Il faut que l'intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu'il entend formuler par la suite à Strasbourg (Cardot c. France, arrêt du 19 mars 1991, série A no 200, p. 18, § 34, et Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, §§ 36-37, CEDH 1999-I).

53.  En l'espèce, la Cour note qu'en 1993 et 1994, les deux requérants effectuèrent ensemble plusieurs démarches auprès de la juge des enfants afin d'obtenir la restitution immédiate de Victoria ou, à défaut, un droit de visite : lettres des 19 février, 1er avril, 8 octobre, 29 novembre, 22 décembre et 24 décembre 1993 et 31 mars, 24 novembre et 6 décembre 1994 (voir annexe ci-dessous). La Cour note également que toutes les réponses faites par la juge des enfants aux courriers des requérants, portaient les noms des deux requérants. Quant aux voies de recours contre les différentes mesures d'assistance éducative prises par la juge des enfants, la Cour relève qu'elles ne se sont pas limitées au seul appel contre la décision du 14 mai 1998. Il ressort du dossier que le 6 août 1993, les deux requérants formèrent appel contre la décision du 30 juillet 1993, et qu'ultérieurement, suite à la fuite du requérant, la requérante introduisit deux appels, les 15 décembre 1997 et 26 juin 1998, contre les décisions des 30 septembre 1997 et 14 mai 1998 (paragraphe 27 ci-dessus), qui ont donné lieu à une seule audience et à un seul arrêt, celui du 17 juin 1999.

Sur le plan strictement formel, s'il est vrai que seule la requérante a épuisé les voies de recours internes selon l'article 35 § 1 de la Convention, puisqu'elle seule a saisi la Cour de cassation, il n'en demeure pas moins qu'au vu des circonstances particulières de l'espèce, elle apparaît avoir agi d'un commun accord avec son époux, en leur qualité de parents.

54.  Dans ces conditions, le Gouvernement ne peut pas valablement prétendre que les requérants ont omis d'utiliser la possibilité de recours offerte par l'article 375-6 du code civil ou des articles 1191 et 1196 du nouveau code de procédure civile.

55.  Il convient donc de rejeter également la deuxième exception du Gouvernement.

56.  La Cour constate par ailleurs que le grief tiré de l'article 8 n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Sur l'existence d'une ingérence

57.  La Cour rappelle que si l'article 8 tend pour l'essentiel à prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il met de surcroît à la charge de l'Etat des obligations positives inhérentes à un « respect » effectif de la vie familiale. Ainsi, là où l'existence d'un lien familial se trouve établi, l'Etat doit en principe agir de manière à permettre à ce lien de se développer et prendre les mesures propres à réunir le parent et l'enfant concernés (voir, par exemple, Ignaccolo‑Zenide c. Roumanie, no 31679/96, § 94, CEDH 2000‑I). La frontière entre les obligations positives et négatives de l'Etat au titre de l'article 8 ne se prête pas à une définition précise ; les principes applicables sont néanmoins comparables. En particulier, dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents ; de même, dans les deux hypothèses, l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (voir, par exemple, Gnahoré c. France, no 40031/98, § 52).

58.  En l'espèce, les parties s'accordent à reconnaître que les mesures d'assistance éducative ordonnées par la juge des enfants et, plus particulièrement, le placement de Victoria auprès des services sociaux puis auprès de ses grands-parents constituent une ingérence dans l'exercice du droit des requérants au respect de leur vie familiale.

2.  Sur la justification de l'ingérence

a)  « Prévue par la loi »

59.  Le Gouvernement souligne qu'il est difficilement contestable que les mesures ordonnées par la juge des enfants étaient prévues par la loi. Si, en principe, l'autorité parentale est exercée conjointement par le père et la mère des enfants (article 372 du code civil), le juge peut, en cas de danger pour la santé, la sécurité ou la moralité de l'enfant ou si les conditions de son éducation sont gravement compromises, ordonner des mesures d'assistance éducative en application de l'article 375 du code civil. Le juge a la faculté de confier l'enfant à un tiers et notamment à un autre membre de la famille (article 375-3 2o). Dans une telle hypothèse, le juge fixe, en application de l'article 375-7, les modalités du droit de correspondance et du droit de visite des parents. Il peut aller jusqu'à les suspendre provisoirement, si « l'intérêt de l'enfant l'exige ».

60.  En invoquant la jurisprudence de la Cour sur la notion de « qualité » de la loi, telle que dégagée par les arrêts Olsson c. Suède (24 mars 1988, série A no 130) et Kruslin c. France (24 avril 1990, série A no 176-A), les requérants soutiennent que l'ingérence n'était pas prévue par la loi.

61.  A cet égard, ils font valoir qu'une loi qui confère un pouvoir d'appréciation n'est pas en soi contraire à l'exigence de prévisibilité, pourvu que l'étendue de ce pouvoir et la manière dont il s'exerce, soient indiqués avec suffisamment de clarté, compte tenu du but légitime de la mesure litigieuse. Ils soutiennent que le droit français ne prévoit pas de garanties lorsque la police retire un enfant à ses parents à la demande du procureur, comme cela fut le cas le 10 février 1993. Les requérants ne pouvaient prévoir qu'une telle décision serait prise par le procureur et ils ont été maintenus dans l'ignorance. Une telle lacune de la loi a ouvert la voie à l'enlèvement arbitraire de Victoria. Cet enlèvement a été justifié a posteriori, deux jours plus tard par un jugement de la juge des enfants.

62.  Les requérants prétendent qu'aucun des motifs contenus dans la décision de la juge des enfants du 12 février 1993 pour justifier la mesure éducative – défaut de scolarisation, isolement, endoctrinement et châtiments corporels – n'était prévisible, ce qui ne leur aurait pas permis de régler leur conduite. Les requérants ne pouvaient pas prévoir que Victoria, qui avait trois ans à l'époque, serait retirée de son milieu pour défaut de scolarisation, alors qu'elle avait encore deux ans pour aller à l'école et que la scolarisation par correspondance est légale en France. En outre, rien dans le règlement de l'Eglise chrétienne biblique ne pouvait donner à penser que cette Eglise avait pour but de promouvoir l'endoctrinement de jeunes ; elle avait d'ailleurs été dissoute deux ans avant le retrait de Victoria. Quant aux accusations de châtiments corporels portées à l'encontre du requérant, elles étaient fondées sur des rumeurs émanant d'anciens membres de l'Eglise, qui l'avaient quittée avant la naissance de Victoria. Tous les certificats médicaux établis en 1992 et 1993 démontrent que l'enfant était en parfait état de santé.

63.  Enfin, les requérants soutiennent que les tribunaux français disposent d'un pouvoir discrétionnaire pour trancher la question du regroupement familial. En dépit de plusieurs appels, d'innombrables lettres par lesquelles les requérants sollicitaient une rencontre avec les différents juges qui ont eu à connaître de l'affaire, des rapports favorables des services sociaux irlandais et néo-zélandais, il a fallu cinq ans pour organiser la première rencontre entre la requérante et Victoria et sept ans pour le regroupement. En raison du large pouvoir d'appréciation accordé aux tribunaux par la législation pertinente, il n'a pas été possible aux requérants de régler leur conduite afin d'obtenir le droit de garde et de visite.

64.  Avec le Gouvernement, la Cour relève que les requérants semblent moins contester l'existence d'une base légale que l'imprécision de la loi. Dans l'arrêt Olsson c. Suède (précité, § 62), la Cour avait jugé que les circonstances pouvant commander la prise en charge d'un enfant, ou présider à l'exécution de pareilles décisions, sont si diverses qu'on ne saurait guère libeller une loi capable de parer à toutes les éventualités.

65.  La Cour rappelle aussi qu'elle a déjà conclu qu'en dépit du large pouvoir d'appréciation qu'octroient au juge les articles 375 et suivants du code civil, ils répondent aux exigences de légalité de l'article 8 (Gnahoré précité, § 53, et Zakharova c. France (déc.), no 57306/00, 13 décembre 2005). Elle ne voit aucune raison de s'écarter de cette conclusion en l'espèce.

b)  But légitime

66.  Le Gouvernement soutient que les mesures ordonnées par la juge des enfants visaient le bien-être de Victoria et tendaient « à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui », voire, compte tenu de l'inculpation du père, puis de sa condamnation pour violences sur mineurs de moins de quinze ans « à la prévention des infractions pénales ». Le droit interne français accorde une place primordiale à la notion d'intérêt de l'enfant comme en témoigne la rédaction des articles du code civil relatifs aux mesures d'assistance éducative.

67.  Contrairement à ce que soutiennent les requérants, ces mesures n'étaient pas fondées sur leur appartenance à une confession religieuse déterminée, mais ont été guidées par la nécessité de préserver l'intérêt supérieur de l'enfant. La rédaction des décisions incriminées en atteste. La juge s'est uniquement attachée à évaluer la dangerosité de certains comportements des requérants à l'égard de leur fille du fait de leur appartenance à un mouvement « sectaire ». Elle n'a pris en compte leurs convictions religieuses qu'en tant qu'elles ont exercé une influence sur l'éducation et la vie quotidienne de Victoria. Plusieurs indices démontraient que celle-ci était embrigadée, soumise à un régime d'enfermement, coupée du monde extérieur et subissait des atteintes à son intégrité physique.

68.  Les requérants prétendent que les mesures ordonnées par les autorités françaises étaient motivées par des considérations de discrimination fondée sur la religion. Ils soulignent que l'argument susmentionné du Gouvernement est contradictoire. Ils attirent l'attention de la Cour sur le fait que la décision du 10 février 1993, le jugement du 12 février 1993 et toutes les mesures subséquentes maintenant le placement de Victoria comportent de nombreuses références aux convictions et pratiques alléguées de l'Eglise chrétienne biblique dont les requérants avaient cessé d'être membres deux ans avant l'enlèvement de Victoria. Les « indices » mentionnés par le Gouvernement constituent des accusations fausses et non vérifiées, émanant d'individus nourrissant une animosité à l'égard de l'Eglise chrétienne biblique. Les témoignages donnés par des personnes proches de la famille, comme la grand-mère maternelle, les voisins ou même le pédiatre de Victoria, n'ont pas été pris en compte par les tribunaux.

69.  La Cour ne saurait suivre les requérants dans leurs arguments. Elle note que dans la décision du 12 février 1993 ordonnant le placement, la juge des enfants justifiait cette mesure par un ensemble de circonstances « de nature à compromettre gravement l'équilibre psychologique et l'épanouissement de la mineure » (paragraphe 9 ci-dessus). La décision du 30 juillet 1993, prolongeant la mesure, mettait l'accent sur les conclusions de l'expertise psychiatrique ordonnée, notamment concernant le père de Victoria, ainsi que sur l'évolution favorable du comportement de celle-ci pendant la période du placement (paragraphe 12 ci-dessus). Les décisions ultérieures, plaçant Victoria chez ses grands-parents et prolongeant cette mesure, se réfèrent toutes à l'évolution favorable de Victoria au sein de sa famille paternelle et à la nécessité de préparer psychologiquement tout retour dans le foyer familial.

70.  Les mesures litigieuses poursuivaient donc un but légitime : protéger la « santé » et les « droits et libertés » de Victoria.

c)  « Nécessaire dans une société démocratique »

71.  Le Gouvernement soutient que le danger encouru par l'enfant des requérants était bien réel. La décision initiale de placement auprès des services sociaux, ordonnée par la juge des enfants, était à cet égard très motivée et reposait sur un faisceau d'indices concrets. Les conditions de vie et d'éducation de Victoria compromettaient gravement son bien-être et sa santé. Elle était en effet, à l'instar des autres enfants élevés dans la communauté conformément aux préceptes de l'Eglise chrétienne biblique, coupée du monde extérieur qui était présenté comme satanique, scolarisée par correspondance, soustraite à tout contact familial et social autre que celui de la communauté. Elle était par ailleurs soumise à des jeûnes fréquents, à des punitions corporelles et à des privations de sommeil. La persistance des circonstances qui ont motivé le retrait de la garde initiale a conduit le juge des enfants à confirmer, dans un premier temps, le placement auprès de l'aide sociale à l'enfance, puis à confier la garde de l'enfant à ses grands-parents paternels et à renouveler cette mesure.

72.  De plus, la juge des enfants s'est montrée soucieuse de maintenir le lien existant entre Victoria et ses parents et de faciliter le regroupement familial. Un droit de visite a été accordé aux parents dès le 30 juillet 1993. Cette mesure a été reconduite par la suite, puis assouplie. La juge a réexaminé régulièrement (en moyenne une fois par an) la situation afin de tenir compte de l'évolution du contexte familial, notamment le comportement des parents et l'état psychologique de l'enfant. Néanmoins, les requérants n'ont usé de leur droit de visite qu'avec parcimonie, comme cela ressort du jugement du 21 juin 1996. Le refus de coopération des requérants avec les services sociaux, les grands-parents et les autorités judiciaires ont nécessairement retardé le regroupement auquel tendent les articles 375 et suivants du code civil. A cet égard, il est manifeste que la requérante a maintenu les autorités nationales dans l'ignorance d'éléments déterminants quant à l'attribution de la garde de sa fille, tels que son lieu de résidence, l'état de ses relations avec le père de l'enfant (jugement du 30 septembre 1997, arrêt de la cour d'appel du 17 juin 1999) ou encore la source de ses revenus (jugement du 11 juillet 2000).

73.  Enfin, le Gouvernement souligne que lorsque la requérante a obtenu un droit d'hébergement, elle en a profité pour quitter le territoire français pour l'Irlande avec sa fille, méconnaissant ainsi, en toute connaissance de cause, une décision de justice française.

74.  Les requérants soutiennent qu'aucune raison pertinente ne justifiait le retrait de la garde de Victoria qui, selon eux, était bien traitée chez eux. L'accès à Victoria et le rétablissement de sa garde ont été refusés aux requérants pendant une période anormalement longue de, respectivement, cinq ans et sept ans, en dépit des efforts constants des requérants et des démarches entreprises par des représentants d'organismes gouvernementaux et d'institutions internationales.

75.  Les requérants établissent un parallèle entre leur cas et l'affaire Hoffmann c. Autriche (arrêt du 23 juin 1993, série A no 255-C). Victoria a été placée auprès de ses grands-parents paternels, qui étaient de confession catholique et ce, malgré leur âge avancé et leur animosité à l'égard des requérants.

76.  Ils considèrent que des délais procéduraux inacceptables, l'obstination des tribunaux et l'incapacité d'apprécier le poids des preuves apportées par les requérants ont rallongé de manière insensée le premier contact avec Victoria et le regroupement familial.

77.  La requérante souligne qu'elle a été très active dans ses efforts auprès des autorités pour mettre fin à la suspension de ses droits parentaux. Son départ pour la Nouvelle-Zélande pour donner naissance à son deuxième enfant était tout à fait raisonnable dans le contexte de l'époque, compte tenu du risque qu'elle encourait de se voir, arbitrairement, retirer sa garde. Mais malgré l'éloignement, la requérante n'a pas cessé d'œuvrer pour la réunion avec Victoria, allant même jusqu'à faire du « lobbying » auprès des gouvernements français et néo-zélandais et de l'Union européenne.

78.  Ni les requérants ni les grands-parents maternels n'ont été impliqués dans les décisions concernant Victoria, comme le démontre le fait que celle‑ci a failli être baptisée selon le rite catholique et que les grands-parents paternels étaient peu enclins à lui faire suivre des cours d'anglais. Les requérants annexent à leurs observations une très longue liste de documents qui, selon eux, prouvent que les autorités judiciaires ont contrecarré toute tentative de participation des requérants au processus de prise de décision concernant Victoria.

79.  Les requérants font également le parallèle de leur cas avec l'affaire Olsson précitée. Dans cette affaire, les autorités, en exerçant leur pouvoir discrétionnaire, ne se fondaient pas, comme en l'espèce, sur une présomption de culpabilité issue des témoignages par ouï-dire et émanant de personnes qui n'avaient jamais rencontré Victoria. De plus, à l'époque, la Cour avait souligné qu'une prise en charge devait être traitée comme une mesure temporaire, à suspendre aussitôt que les circonstances s'y prêtaient, et que tout acte d'exécution devait concorder avec un but ultime, réunir à nouveau la famille (Olsson précité, § 81). Enfin, l'article 375 du code civil précise qu'une mesure éducative exercée par un service ou une institution ne peut excéder deux ans.

80.  Pour apprécier la « nécessité » des mesures litigieuses « dans une société démocratique », la Cour examinera, à la lumière de l'ensemble de l'affaire, si les motifs invoqués pour les justifier sont pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l'article 8. Elle n'a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes pour réglementer les questions de garde et de visite, mais il lui incombe d'apprécier sous l'angle de la Convention les décisions qu'elles ont rendues dans l'exercice de leur pouvoir d'appréciation (Hokkanen c. Finlande, arrêts du 23 septembre 1994, série A no 299‑A, p. 20, § 55, et Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 48, CEDH 2000-VIII).

81.  Si la Cour reconnaît que les autorités jouissent d'une grande latitude pour apprécier en particulier la nécessité de prendre en charge un enfant, il lui faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités au droit de visite des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et des enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d'amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (Gnahoré précité, § 54, et Sahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 65, CEDH 2003-VIII).

82.  La Cour rappelle en outre qu'un juste équilibre doit être ménagé entre les intérêts des enfants et ceux du parent. Dans les affaires de ce type, l'intérêt des enfants doit passer avant toute autre considération. La Cour souligne cependant que cet intérêt présente un double aspect (Gnahoré précité, § 59).

83.  D'un côté, il est certain que garantir aux enfants une évolution dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l'article 8 ne saurait en aucune manière autoriser un parent à voir prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de ses enfants (Sahin précité, § 66).

84.  De l'autre côté, il est clair qu'il est tout autant dans l'intérêt de l'enfant que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci s'est montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l'enfant de ses racines. Il en résulte que l'intérêt de l'enfant commande que seules des circonstances tout à fait exceptionnelles puissent conduire à une rupture du lien familial, et que tout soit mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré précité, § 59).

85.  Tel est d'ailleurs l'esprit des dispositions du code civil (articles 375 et suivants) qui régissent le placement de la fille des requérants ainsi que les mesures relatives au droit de visite de ces derniers.

86.  En premier lieu, la Cour examinera les motifs avancés par la juge des enfants pour justifier la décision initiale de prise en charge de Victoria (jugement du 12 février 1993 – paragraphe 9 ci-dessus). Celle-ci soulignait que le requérant était inculpé et placé sous contrôle judiciaire dans le cadre d'une affaire ouverte au criminel pour séquestration, défaut de soins et coups et blessures volontaires sur mineurs. Elle indiquait également que les rapports de la DDASS et des services sociaux, ainsi que des témoignages de tiers, attiraient l'attention sur le fait que les enfants, dont les parents appartenaient à l'Eglise chrétienne biblique comme ceux de Victoria, avaient le teint blême, ne manifestaient aucune spontanéité, que leur éducation n'était pas assurée par leurs parents, qu'ils étaient scolarisés par correspondance. Elle précisait, par ailleurs, qu'ils étaient coupés du monde extérieur, présenté comme satanique, astreints à des jeûnes fréquents, à un sommeil réduit et soumis à des punitions corporelles sous forme de gifles et de coups de ceinture. Après avoir constaté que la jeune Victoria, alors âgée de trois ans, avait toujours été élevée dans cette communauté et soustraite à tout contact familial ou social, et soumise à un régime d'enfermement, la juge des enfants a considéré que ces conditions d'éducation étaient de nature à compromettre gravement son équilibre psychologique et son épanouissement.

87.  La Cour estime que ces motifs étaient suffisants au regard de l'intérêt de l'enfant qui, dans des affaires de ce type, doit passer avant toute autre considération.

88.  En deuxième lieu, la Cour examinera les motifs avancés par la juge des enfants pour prolonger cette mesure de placement. A cet égard, elle relève que la juge des enfants s'est fondée sur l'impossibilité d'un retour de Victoria au domicile de ses parents en raison principalement de la personnalité du requérant décrite comme ayant une « structure paranoïaque et psychorigide » (jugement du 30 juillet 1993 – paragraphe 12 ci-dessus) ; le fait que la mère ne se soit manifestée que très ponctuellement auprès de Victoria (jugement du 29 juin 1999 – paragraphe 29 ci-dessus) ; le fait que la requérante se soit présentée à l'audience du 12 septembre 1997 pour la première fois depuis trois ans (jugement du 30 septembre 1997 – paragraphe 22 ci-dessus) ; le désir de Victoria de demeurer auprès de ses grands-parents (jugements des 29 juin 1999 et 11 juillet 2000 – paragraphes 29 et 31 ci-dessus) ; la nécessité pour la mère de prendre conscience de l'importance du maintien des liens avec les grands-parents (jugement du 29 juin 1999) ; l'instabilité géographique et matérielle de la requérante (jugements des 14 mai 1998 et 11 juillet 2000) ; la nécessité pour la requérante de se rendre suffisamment disponible pour venir en France rencontrer sa fille (jugement du 29 juin 1999) ; la prématurité du retour en famille dans un pays inconnu pour Victoria (jugement du 11 juillet 2000). Saisie en appel des jugements des 30 septembre 1997 et 14 mai 1998, la chambre spéciale de la cour d'appel des mineurs de Versailles a pour sa part considéré que le magistrat spécialisé, au terme d'un « lent et minutieux processus particulièrement contrôlé », avait évité une séparation douloureuse et irréparable de Victoria d'avec sa famille légitime (paragraphe 28 ci-dessus).

89.  La Cour note, à l'instar de la cour d'appel, que la périodicité du réexamen de la situation avant chaque prolongation de la mesure et le caractère sérieux et approfondi avec lequel il avait été mené à chaque fois par la juge des enfants correspondaient pleinement au souci de protéger l'intérêt de l'enfant. Comme, d'ailleurs, la Cour l'a déjà jugé, le minimum que l'on puisse attendre des autorités c'est qu'elles reconsidèrent la question régulièrement pour voir si la situation de la famille s'est un tant soit peu améliorée (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, §§ 79, ECHR 2001-VII).

90.  En troisième lieu, la Cour examinera si la juge des enfants avait manifesté le souci de maintenir le lien entre Victoria et sa famille. Elle note qu'un droit de visite a été accordé aux parents dès le 30 juillet 1993 ; que dans le jugement du 30 septembre 1997, la juge des enfants s'est déclarée favorable à une rencontre de Victoria avec sa mère, sa grand-mère maternelle et sa sœur Elvira, dès lors que cet évènement serait préparé ; que dans le jugement du 29 juin 1999, la juge des enfants a de nouveau accordé un droit de visite à la requérante (qui durant l'année écoulée ne s'était que très ponctuellement manifestée auprès de Victoria et seulement par courrier) ; que le 31 mars 2000, un droit de visite avec sortie sans accompagnement éducatif a été octroyé à la requérante au vu de l'évolution de la situation ; que le 11 juillet 2000, la juge des enfants a accordé un droit de visite et d'hébergement à la requérante (sous contrôle de la Maison de la Médiation).

91.  La Cour constate à cet égard que les requérants ont montré peu d'empressement à coopérer pour l'organisation des contacts avec leur fille. La juge des enfants a relevé dans son jugement du 21 juin 1996 (paragraphe 19 ci-dessus) que le père ne s'était pas manifesté, tant auprès des services judiciaires, que de ses parents ou du service éducatif. Consciente qu'un retour de Victoria à son domicile ne pouvait qu'être subordonné à une préparation psychologique progressive des membres de la famille, la juge des enfants avait, en 1996, invité la mère à se présenter personnellement pour mettre en place ce processus d'accompagnement. Or, la requérante n'est rentrée en France qu'en 1997 pour assister, pour la première fois, à une audience. En outre, ce magistrat relevait dans son jugement du 29 juin 1999 « qu'il ne pourra y avoir d'évolution qu'à partir du moment où Mme Jones, respectée dans son autorité parentale, se rendra suffisamment disponible pour venir en France rencontrer sa fille dans le cadre d'un point rencontre et mieux se connaître l'une l'autre (...) » (paragraphe 29 ci-dessus).

92.  Il est vrai que le manque de coopération du parent concerné ne constitue pas un élément absolument déterminant dans la mesure où il ne dispense pas les autorités de mettre en œuvre des moyens susceptibles de permettre le maintien du lien familial (voir, mutatis mutandis, Olsson c. Suède (no 2), arrêt du 27 novembre 1992, série A no 250, § 91). La Cour ne peut que constater que les autorités ont fait des efforts sérieux pour atteindre cet objectif, et que l'échec des dispositions de médiation et d'accompagnement qu'elles prirent trouvent manifestement leur source dans l'opposition des requérants à ce type de mesure.

93.  En quatrième lieu, la Cour note que non seulement la requérante n'était pas exclue du processus décisionnel concernant sa fille, mais elle a pu obtenir l'annulation du projet de baptême de Victoria selon le rite catholique qui devait avoir lieu suite au souhait de ses grands-parents paternels (paragraphe 23 ci-dessus). De plus, en dépit de l'opposition des grands-parents, elle a été impliquée dans l'apprentissage de l'anglais par Victoria et l'inscription de celle-ci au British Council à Paris, comme ceci ressort des nombreuses lettres échangées à cet égard (paragraphe 26 ci-dessus et annexe ci-dessous)

94.  En outre, la Cour rappelle que lorsqu'une période de temps considérable s'est écoulée depuis que l'enfant a été placé pour la première fois sous assistance, l'intérêt qu'a l'enfant à ne pas voir sa situation familiale de facto changer de nouveau peut l'emporter sur l'intérêt des parents à la réunion de leur famille (Johansen c. Norvège, arrêt du 7 août 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-III, pp. 1003-1004, § 64). Or la juge des enfants a, en diverses occasions, souligné que la demande de retour de Victoria auprès de ses parents était « trop précoce et ne tenait pas suffisamment compte du passé et de la maturité » de celle-ci (jugement du 29 juin 1999) ou qu'il ressortait de l'expertise psychologique « qu'un retour en famille dans un pays inconnu pour Victoria était prématuré mais que des vacances de plus en plus longues devraient permettre à l'enfant de s'apprivoiser avec l'environnement maternel » (jugement du 11 juillet 2000).

95.  Au vu de l'ensemble de ces considérations, la Cour a la conviction que la prise en charge de Victoria et les modalités de cette prise en charge étaient inspirées par des motifs non seulement pertinents mais encore suffisants aux fins du paragraphe 2 de l'article 8 de la Convention, et que les autorités nationales ont pris les mesures que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles.

96.  Partant, il n'y a pas eu violation de l'article 8 quant au placement de Victoria, ni du chef des restrictions faits aux contacts entre celle-ci et ses parents.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

97.  Les requérants allèguent trois violations de l'article 6 § 1 de la Convention.

Ils se plaignent tout d'abord de la durée de la procédure et estiment qu'elle n'est pas conforme à l'exigence du délai raisonnable puisqu'elle dépasse les neuf ans. Ils se plaignent encore de ne pas avoir eu un procès équitable devant la Cour de cassation puisqu'ils n'ont pas eu accès aux conclusions de l'avocat général et au rapport du conseiller rapporteur.

98.  Les dispositions pertinentes de l'article 6 § 1 se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, (...) et dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera, (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, (...) ».

A.  Grief tiré du dépassement du délai raisonnable

99.  Les requérants soulignent que la durée totale de la procédure devant les juridictions françaises depuis l' « enlèvement » de Victoria, le 10 février 1993, jusqu'au jugement de la juge des enfants ordonnant la mainlevée de la mesure d'assistance éducative, le 26 juin 2000, a duré plus de neuf ans. La dernière phase de la procédure devant la Cour de cassation, depuis l'introduction du pourvoi et jusqu'à l'arrêt, a duré plus de deux ans et demi. Or, dans les affaires concernant une mesure de placement injustifiée d'enfant, qui dès lors ne peut être que temporaire, et dont le maintien du droit de visite des parents est une condition nécessaire et préalable au retour de l'enfant dans son foyer, il y a obligation pour les autorités saisies d'agir avec une diligence exceptionnelle.

100.  Les requérants rajoutent que la présente affaire ne présentait aucune difficulté particulière et que la juge des enfants et les juges d'appel disposaient de toutes les informations pertinentes au sujet de Victoria, qui leur étaient fournies par les requérants. Dès lors, rien ne justifiait le lent et minutieux processus mis en place par la juge des enfants et approuvé par les juges d'appel, ni le manquement de la Cour de cassation à l'obligation de se prononcer plus rapidement.

101.  La Cour rappelle que dans l'affaire Mifsud c. France ((déc.) [GC], no57220/00, ECHR 2002-VIII, 11 septembre 2002), elle a jugé que le recours fondé sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire permet de remédier à une violation alléguée du droit de voir sa cause entendue dans un « délai raisonnable » au sens de l'article 6 § 1 de la Convention lorsque la procédure litigieuse est achevée au plan interne. Elle a précisé que ce recours avait acquis, à la date du 20 septembre 1999, le degré de certitude juridique requis pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l'article 35 § 1 de la Convention. Il est donc établi que, lorsqu'une procédure judiciaire est achevée au plan interne au jour de la saisine de la Cour et que cette saisine est postérieure au 20 septembre 1999, un grief tiré de la durée de cette procédure est irrecevable si le requérant ne l'a pas préalablement vainement soumis aux juridictions internes dans le cadre d'un recours fondé sur l'article L. 781-1 du code de l'organisation judiciaire, quel que soit l'état de la procédure au plan interne.

102.  En l'espèce, les requérants ont saisi la Cour le 2 septembre 2002 sans avoir préalablement exercé ce recours pour se plaindre de la durée de la procédure. Les requérants n'ont donc pas épuisé les voies de recours internes quant à ce grief qui doit en conséquence être rejeté en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B.  Grief tiré du défaut de communication du rapport du conseiller rapporteur de la Cour de cassation

1.  Sur la recevabilité

103.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

2.  Sur le fond

104.  Le Gouvernement admet qu'en l'espèce le conseiller rapporteur a déposé son rapport le 19 décembre 2001, soit avant l'entrée en vigueur de nouvelles pratiques relatives à la communication de ce rapport en vue de garantir le respect du contradictoire, et afin de se conformer à l'arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd c. France du 31 mars 1998, (Recueil des arrêts et décisions 1998-II, § 105). Le Gouvernement déclare s'en remettre, sur ce point, à la sagesse de la Cour.

105.  La Cour prend acte de la déclaration du Gouvernement et conclut, au vu de sa jurisprudence, à la violation de l'article 6 § 1 en ce qui concerne ce grief.

C.  Grief tiré du défaut de la communication des conclusions de l'avocat général à la requérante

106.  Le Gouvernement rappelle que, désormais, l'avocat général informe, avant le jour de l'audience, les conseils des parties du sens de ses conclusions et, lorsque l'affaire est plaidée à la demande desdits conseils, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions oralement ou par une note en délibéré. Cette pratique était en vigueur à la date à laquelle la requérante a formé son pourvoi en cassation. Celle-ci étant représentée par un avocat aux Conseils, il appartenait à ce dernier, s'il le souhaitait, soit de reprendre la parole après l'intervention de l'avocat général à l'audience pour répliquer, soit de rédiger une note en délibéré.

107.  Les requérants soulignent qu'il faudrait prendre en considération l'ensemble des circonstances afin d'apprécier le défaut de communication des conclusions de l'avocat général. Dans la présente affaire, le droit à un procès équitable était déjà méconnu par le défaut de communication du rapport du conseilleur rapporteur. Les requérants invitent la Cour à examiner cette atteinte au droit susmentionné à la lumière des autres erreurs de procédure faites pendant le déroulement de celle-ci.

108.  La Cour rappelle que, dans son arrêt Reinhardt et Slimane Kaïd (précité, § 106), elle a jugé ainsi :

« L'absence de communication des conclusions de l'avocat général aux requérants est pareillement sujette à caution.

De nos jours, certes, l'avocat général informe avant le jour de l'audience les conseils des parties du sens de ses propres conclusions et, lorsque, à la demande desdits conseils, l'affaire est plaidée, ces derniers ont la possibilité de répliquer aux conclusions en question oralement ou par une note en délibéré (...). Eu égard au fait que seules des questions de pur droit sont discutées devant la Cour de cassation et que les parties y sont représentées par des avocats hautement spécialisés, une telle pratique est de nature à offrir à celles-ci la possibilité de prendre connaissance des conclusions litigieuses et de les commenter dans des conditions satisfaisantes. Il n'est toutefois pas avéré qu'elle existât à l'époque des faits de la cause. »

109.  La Cour note, avec le Gouvernement, que cette pratique était en vigueur à la date à laquelle la requérante avait formé son pourvoi en cassation et qu'il était donc loisible à son conseil d'en faire usage. Or il semblerait que ledit conseil ne l'a pas fait.

110.  Il s'ensuit que ce grief doit être rejeté comme étant manifestement mal fondé, en application de l'article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 COMBINÉS DE LA CONVENTION

A.  Sur la recevabilité

111.  La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs que celui-ci ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

112.  Les requérants se plaignent de ne pas avoir eu accès à un tribunal et de ne pas avoir disposé d'un recours effectif, dans la mesure où la Cour de cassation a déclaré n'y avoir lieu à statuer puisque le juge avait pris de nouvelles mesures entre-temps, alors que l'objet du pourvoi était précisément de faire statuer sur la légalité de la mesure de placement. Ils invoquent les articles 6 § 1 et 13 de la Convention.

113.  Le Gouvernement souligne que, pour regrettable que soit la date à laquelle la Cour de cassation a statué sur le pourvoi, la requérante ne peut être regardée comme ayant été privée d'un recours effectif à l'encontre des mesures d'assistance éducative prises au bénéfice de sa fille. Elle avait en effet d'autres possibilités de contester les mesures concernant le placement de Victoria et les modalités du droit de visite : ainsi l'article 375-6 du code civil dispose que les décisions prises en matière d'assistance éducative peuvent être, à tout moment, modifiées ou rapportées par le juge qui les a rendues, à la requête du père et de la mère conjointement ou de l'un d'eux. Or la requérante n'a pas usé de cette faculté, alors même que ce recours satisfaisait aux exigences d'accessibilité et d'efficacité.

114.  Les requérants rétorquent qu'en réalité le Gouvernement ne donne aucune explication convaincante quant à ce grief ; en revanche, il admet implicitement qu'il n'était plus nécessaire de juger. En outre, les requérants soulignent à nouveau les innombrables recours et démarches qu'ils ont entrepris pour obtenir le regroupement avec leur fille.

115.  La Cour rappelle que dans plusieurs affaires concernant le placement d'enfants, la Commission et la Cour ont considéré que le pourvoi en cassation n'était pas nécessairement un recours à épuiser, la Cour de cassation ne statuant qu'en droit, alors que, dans les affaires concernant les enfants, il revient aux juges du fond de prendre une décision en appréciant souverainement les éléments de fait qui leur sont soumis. En outre, en droit français, les mesures d'assistance éducative concernant les mineurs ne sont prises que pour des périodes déterminées, souvent courtes, et peuvent à tout moment être modifiées ou revues à la demande des parties, de sorte que le recours en cassation, du fait des délais relatifs à son examen, peut manquer d'efficacité (voir sur ce point, Tolmunen c. France, no 25996/94, décision de la Commission du 9 avril 1997, et Plasse-Bauer c. France, (déc.), no 21324/02, 31 mai 2005).

116.  En l'espèce, la Cour de cassation a rendu son arrêt le 6 mars 2002 (paragraphe 36 ci-dessus), soit trois ans environ après sa saisine. Elle déclarait qu'il n'y avait pas lieu à statuer car la mesure de placement de Victoria auprès de ses grands-parents, qui était confirmée par l'arrêt attaqué de la cour d'appel, avait épuisé ses effets et que la juge des enfants avait pris de nouvelles mesures à l'égard de Victoria par ses décisions des 29 juin 1999, 31 mars et 11 juillet 2000.

117.  La Cour ne perd pas de vue que la Cour de cassation ne pouvait parvenir à une conclusion différente, compte tenu de sa jurisprudence en la matière, selon laquelle elle déclare sans objet tout pourvoi si une nouvelle décision, quelle que soit sa nature, a été rendue entre-temps par le juge du fond.

118.  Toutefois, la Cour relève que les décisions des 29 juin 1999, 31 mars et 11 juillet 2000 étaient de la même nature que celles visées par les pourvois de la requérante puisqu'elles reconfirmaient le bien-fondé du placement de Victoria auprès de la DDASS, puis chez ses grands-parents. D'ailleurs, dans ses pourvois, la requérante se fondait dans une large mesure sur les articles 6, 8 et 14 de la Convention (paragraphe 36 ci-dessus).

119.  Il est certain que si la Cour de cassation s'était prononcée plus rapidement, cela aurait permis aux requérants, en fonction de l'issue de la procédure, soit d'écourter la période pendant laquelle ils ont dû subir les mesures d'assistance éducative, si l'issue leur avait été favorable, soit d'atténuer l'angoisse des requérants quant au sort réservé à Victoria, au cas où la Cour de cassation aurait confirmé l'arrêt de la cour d'appel. A cet égard, la Cour rappelle que les mesures d'assistance éducative avaient été décidées en 1993 et que les nombreuses démarches que la requérante avait effectuées n'avaient pas produit les résultats qu'elle escomptait. Or comme la Cour a déjà jugé, les procédures relatives à l'attribution de l'autorité parentale exigent un traitement urgent, car l'écoulement du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre les enfants et celui des parents qui ne vit pas avec eux (Ignaccolo-Zenide, précité, § 106).

120.  La Cour estime en conséquence qu'il y a eu violation des articles 6 § 1 et 13 combinés de la Convention, car, dans les circonstances particulières de la cause, le pourvoi devant la Cour de cassation ne saurait passer pour avoir été effectif.

IV.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

121.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

122.  La Cour note que les requérants, dans une lettre intitulée « proposition en vue d'un règlement amiable » du 19 octobre 2006, réclament, à la fin de cette lettre, une somme de 1 500 000 euros pour dommage moral et 36 400 euros pour frais et dépens.

123.  La Cour estime que le dommage moral se trouve suffisamment réparé par le constat de violation de l'article 6 § 1, pris isolément et en combinaison avec l'article 13 de la Convention.

124.  Quant aux frais et dépens, la Cour estime que les prétentions des requérants ne sont pas suffisamment étayées pour satisfaire aux exigences de l'article 60 § 2 du règlement de la Cour. Elle note par ailleurs que les requérants ont bénéficié de l'assistance judiciaire devant la Cour. Par conséquent, elle estime qu'il n'y a pas lieu de rembourser les frais sollicités.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 8 et 6 § 1 (défaut de communication du rapport du conseiller rapporteur et l'absence en l'espère de caractère effectif du pourvoi en cassation) combiné avec l'article 13 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;

3.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 en raison du défaut de communication du rapport du conseiller rapporteur ;

4.  Dit qu'il y a eu violation des articles 6 § 1 et 13 combinés en raison de l'absence en l'espèce de caractère effectif du pourvoi en cassation ;

5.  Dit que le constat de violation constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par les requérants ;

6.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 26 juillet 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago Quesada Corneliu Bîrsan
GreffierPrésident


ANNEXE

Démarches effectuées par les requérants (et par des tiers, à la demande des requérants) afin, entre autres, d'obtenir le droit de visite et la garde de Victoria

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Degrelle-Croissant), du 19 février 1993, demandant la restitution immédiate de Victoria ;

Lettre des requérants au président du tribunal pour enfants, du 1er avril 1993, demandant à être reçus dans les plus brefs délais ;

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Degrelle-Croissant), du 8 octobre 1993, lui demandant d'indiquer le lieu où se trouvait Victoria et la date à laquelle ils pourraient lui rendre visite ;

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Degrelle-Croissant), du 29 novembre 1993, demandant la « libération immédiate » de Victoria ;

Lettre des requérants au Service de l'aide sociale à l'enfance, du 22 décembre 1993, lui demandant « de faire tout ce qui est en [son] devoir pour mettre un terme à cette situation intolérable pour que (...) Victoria (...) soit rendue immédiatement » ;

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Degrelle-Croissant), du 24 décembre 1993, lui demandant de leur rendre Victoria ;

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Degrelle-Croissant), du 31 mars 1994, l'invitant à fixer un rendez-vous pour discuter d'une solution (semble-t-il proposée par la juge) permettant de retrouver la garde de Victoria ;

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Degrelle-Croissant), du 3 mai 1994, l'informant de la désignation de Me Mignot pour les assister ;

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Maizy, nommé à la place de Mme Degrelle-Croissant), du 25 novembre 1994, l'invitant à leur rendre Victoria dans les plus brefs délais ;

Lettre des requérants à la juge des enfants (Mme Maizy), du 6 décembre 1994, l'invitant à leur fixer un rendez-vous pour faire le point sur la situation ;

Rapport du Children and Young Persons Service de Nouvelle‑Zélande portant évaluation de foyer pour Victoria, du 5 décembre 1995 ;

Attestation de l'église presbytérienne de Nouvelle-Zélande en faveur de Delwyn Schmidt ;

Lettre du Révérend Ian Paisley M.P. M.E.P. au président de la République, au consul général de France à Londres, du 24 septembre 1996, au Premier Ministre, du 5 septembre 1997, à l'ambassadeur de France à Londres et au juge des enfants (Mme Maizy), du 15 septembre 1997 ;

Demande d'annulation du baptême de Victoria, adressée au juge des enfants (Mme Maizy), du 20 mars 1998 ;

Lettre du Révérend Ian Paisley M.P. M.E.P à l'ambassadeur de France à Londres, du 3 avril 1998 ;

Demande d'annulation du baptême de Victoria, formulée par sa mère auprès de l'évêché de Versailles, du 6 avril 1998 ;

Lettre de la requérante au curé de Louveciennes, du 20 avril 1998 ;

Requête en suspicion légitime contre M. Wellers, président de la 7e chambre de la cour d'appel de Versailles, du 15 septembre 1998 ;

Lettres de la requérante à la juge des enfants (Mme Maizy), des 21 septembre 1998, 25 mars 1999 (invitant la juge à intervenir pour que les grands‑parents de Victoria reviennent sur leur décision d'interrompre la participation de Victoria au cours d'anglais), 26 avril 1999, 4 mai 1999, au sujet des cours d'anglais de Victoria ;

Lettres du British Council à la requérante relatives aux cours d'anglais de Victoria : lettre du 14 décembre 1998, communiquant à la requérante le carnet d'appréciation de Victoria, lettre du 19 février 1999 remerciant la requérante d'avoir rendu visite à la professeur d'anglais de Victoria, lettre du 23 avril 1999 à la requérante confirmant la participation de Victoria au Young Learners Test, lettre du 11 mai 1999 à la requérante exprimant des regrets pour l'absence de Victoria depuis le 17 mars et la remerciant de maintenir le contact avec le professeur ;

Lettre de la requérante au garde des Sceaux, du 14 avril 1999, au sujet des cours d'anglais de Victoria ;

Lettre du Révérend Ian Paisley M.P. M.E.P à l'ambassadeur de France à Londres, du 15 avril 1999, au sujet des cours d'anglais de Victoria ;

Série des lettres, témoignages et certificats médicaux transmis dans le cadre de la commission rogatoire de la juge Maizy, du 25 septembre 1998 ;

Lettre du Révérend Ian Paisley M.P. M.E.P au garde des Sceaux, du 20 novembre 1998 ;

Lettre du Révérend Ian Paisley M.P. M.E.P au garde des Sceaux, du 1er septembre 1999 ;

Lettre de la requérante à la présidente du Parlement européen, du 26 novembre 1996 ;

Lettre de la requérante au médiateur du Parlement européen pour les enlèvements transnationaux d'enfants, des 29 novembre 1999, 10 avril et 23 juin 2000 ;

Lettre du Révérend Ian Paisley M.P., M.E.P à la présidente du Parlement européen, du 29 novembre 1999 ;

Lettre du médiateur du Parlement européen pour les enlèvements transnationaux d'enfants à la présidente du Parlement européen, du 30 novembre 1999 ;

Lettre de la présidente du Parlement européen au garde des Sceaux, du 9 décembre 1999 ;

Lettre du Révérend Ian Paisley M.P., M.E.P à la présidente du Parlement européen, du 15 mars 2000 ;

Lettre de la requérante à la présidente du Parlement européen, des 8 avril, 20 et 30 juin 2000 ;

Lettre de la présidente du Parlement européen au garde des Sceaux ;

Lettres de la requérante au député-maire de Louveciennes, des 12 et 22 juin 2000 ;

Lettre de la requérante au sous-préfet de Saint-Germain-en-Laye, du 26 juin 2000, au sujet de la carte d'identité de Victoria, délivrée à M. et Mme Dominique Schmidt ;

Lettres de la requérante au Service d'aide à la rencontre parent-enfant, des 11 et 23 août, 2 et 28 septembre, 6, 12, 20 et 29 octobre, 4 novembre 1999, au sujet du droit de visite de la requérante ;

Echange des lettres de la requérante et de son avocat avec M. et Mme Dominique Schmidt au sujet de l'organisation de la rencontre avec Victoria ;

Lettres de la requérante à la Maison de la médiation, des 15 décembre 1999, 3, 4 et 23 janvier 2000, 7 et 17 février, 9, 11 et 22 mars 2000, 13, 25 et 29 avril 2000, 29 mai 2000, 12 et 26 juin 2000, 1er juillet 2000 ;

Lettres de la requérante à la juge des enfants (Mme Simonnet, remplaçant Mme Maizy, et Mme Maizy) des 29 novembre, 9, 13 et 17 décembre 2000 et 7 janvier 2000, 7, 17 et 25 février 2000, 16 et 27 mars 2000, 7 et 10, 12 et 25 avril 2000, 8, 11, 23 et 25 mai 2000, 7, 12, 19 juin 2000, 4 et 6 juillet 2000, au sujet de l'organisation du droit de visite ;

Lettres de la requérante au président de la République des 29 mai et 5 juillet 2000.

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE SCHMIDT c. FRANCE, 26 juillet 2007, 35109/02