CJCE, n° C-142/05, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Åklagaren contre Percy Mickelsson et Joakim Roos, 14 décembre 2006

  • Libre circulation des marchandises·
  • Rapprochement des législations·
  • Mesures d'effet équivalent·
  • Restrictions quantitatives·
  • Directive·
  • Moteur·
  • Etats membres·
  • Véhicule·
  • Utilisation·
  • Bateau de plaisance

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 14 déc. 2006, Mickelsson et Roos, C-142/05
Numéro(s) : C-142/05
Conclusions de l'avocat général Kokott présentées le 14 décembre 2006. # Åklagaren contre Percy Mickelsson et Joakim Roos. # Demande de décision préjudicielle: Luleå tingsrätt - Suède. # Directive 94/25/CE - Rapprochement des législations - Bateaux de plaisance - Interdiction d'utiliser des véhicules nautiques à moteur en dehors des couloirs publics de navigation - Articles 28 CE et 30 CE - Mesures d'effet équivalent - Accès au marché - Entrave - Protection de l’environnement - Proportionnalité. # Affaire C-142/05.
Date de dépôt : 24 mars 2005
Précédents jurisprudentiels : 11 novembre 2004, C-457/02, Rec. p. I-10853
13 mars 2001, PreussenElektra ( C-379/98, Rec. p. I-2099
14 – Voir arrêt du 21 janvier 1992, Egle ( C-310/90
26 – Arrêt du 29 juin 1995, Commission/Grèce ( C-391/92
3 mai 2005, Berlusconi e.a. ( C-387/02, C-391/02 et C-403/02
41 – Arrêts du 6 juillet 2000, ATB e.a. ( C-402/98
48 – Arrêt du 8 septembre 2005, Commission/Portugal ( C-500/03
9 – Arrêt du 5 février 2004, Rieser Internationale Transporte ( C-157/02
Adeneler e.a. ( C-212/04
arrêt du 9 février 1995, C-412/93
Burmanjer e.a. ( C-20/03, Rec. p. I-4133
CIA Security International ( C-194/94
CMC Motorradcenter ( C-93/92
Commission/Allemagne ( C-463/01
Krüger ( C-334/95
Lidl Italia ( C-303/04
Mangold ( C-144/04, Rec. p. I-9981
Mithouard ( C-267/91 et C-268/91
Outokumpu ( C-213/96
Sapod Audic ( C-159/00
Vaneetveld ( C-316/93
Viacom Outdoor, C-134/03
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 62005CC0142
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2006:782
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M ME JULIANE KOKOTT

présentées le 14 décembre 2006 ( 1 )

Affaire C-142/05

Åklagaren

contre

Percy Mickelsson et Joakim Roos

«Directive 94/25/CE — Rapprochement des législations — Bateaux de plaisance — Interdiction d’utiliser des véhicules nautiques à moteur en dehors des couloirs publics de navigation — Articles 28 CE et 30 CE — Mesures d’effet équivalent — Accès au marché — Entrave — Protection de l’environnement — Proportionnalité»

I — Introduction

1.

La présente demande préjudicielle soulève la question de savoir si les articles 28 CE et 30 CE ou la directive 94/25/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 juin 1994 , concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux bateaux de plaisance ( 2 ) (ci-après la « directive bateaux de plaisance » ), s’opposent à une réglementation suédoise sur l’usage des véhicules nautiques à moteur. Elle offre donc l’occasion d’examiner dans quelle mesure des dispositions des États membres ayant pour effet de restreindre l’usage de certains produits doivent être appréciées à l’aune de l’article 28 CE.

2.

La procédure au principal porte sur la question de la culpabilité de deux prévenus auxquels il est reproché d’avoir enfreint le règlement suédois sur les véhicules nautiques à moteur ( 3 ) (ci-après le « règlement suédois » ). Ce règlement interdit et punit d’une amende l’usage de véhicules nautiques à moteur en dehors des couloirs publics de navigation et des zones dans lesquelles le gouvernement provincial autorise l’usage de ces véhicules.

3.

Cette demande préjudicielle donne également matière à interpréter la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998 , prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques ( 4 ) (ci-après la « directive information » ).

II — Cadre juridique

A — Droit communautaire

4.

Seuls les bateaux de plaisance relevaient initialement du champ d’application de la directive bateaux de plaisance. C’est la directive 2003/44 qui en a étendu le champ d’application aux véhicules nautiques à moteur.

5.

L’article 2, paragraphe 2, de la directive bateaux de plaisance prévoit que:

« Les dispositions de la présente directive n’empêchent pas les États membres d’adopter, dans le respect du traité, des dispositions concernant la navigation sur certaines eaux afin de protéger l’environnement et la configuration des voies navigables et afin d’assurer la sécurité sur celles-ci, sous réserve que cela n’oblige pas à modifier les bateaux qui sont conformes à la présente directive. »

6.

L’article 4, paragraphe 1, de la directive bateaux de plaisance dispose que:

« Les États membres ne peuvent interdire, restreindre ou entraver la mise sur le marché et la mise en service sur leur territoire des bateaux de plaisance portant le marquage ‘ CE ’ visé à l’annexe IV qui indique qu’ils sont conformes à toutes les dispositions de la présente directive, y compris les procédures de conformité visées au chapitre II. »

7.

L’article 1 er de la directive information prévoit les dispositions suivantes:

« Au sens de la présente directive, on entend par:

[…]

4)

‘ autre exigence ’  : une exigence, autre qu’une spécification technique, imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment des consommateurs ou de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, de recyclage, de réemploi ou d’élimination lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation;

[…]

11)

‘ règle technique ’  : une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent , dont l’observation est obligatoire, de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 10, les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.

[…] »

8.

L’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive information prévoit que, sous réserve de l’article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission des Communautés européennes tout projet de règle technique.

9.

Aux termes de l’article 8, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive information, « [l]es États membres procèdent à une nouvelle communication dans les conditions énoncées ci-dessus s’ils apportent au projet de règle technique, d’une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier le champ d’application, d’en raccourcir le calendrier d’application initialement prévu, d’ajouter des spécifications ou des exigences ou de rendre celles-ci plus strictes » .

10.

En vertu de l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, l’État membre concerné fait rapport à la Commission sur la suite qu’il a l’intention de donner à de tels avis circonstanciés. La Commission commente cette réaction.

11.

L’article 10, paragraphe 1, prévoit certains cas de figure dans lesquels l’obligation de communication n’est pas applicable.

B — Droit national

12.

Le règlement suédois, tel qu’applicable dans l’affaire au principal, est entré en vigueur le 15 juillet 2004 .

13.

Au sens du règlement suédois, les véhicules nautiques à moteur sont des embarcations de moins de 4 mètres de long, équipées de moteurs à combustion interne qui entraînent une turbine constituant leur principale source de propulsion, et conçues pour être manœuvrées par une ou plusieurs personnes assises, debout ou agenouillées sur la coque plutôt qu’à l’intérieur de celle-ci.

14.

En vertu de l’article 2 de ce règlement, les véhicules nautiques à moteur ne peuvent être utilisés que dans les couloirs publics de navigation et dans les zones visées à l’article 3, premier alinéa.

15.

L’article 3 dudit règlement prévoit les dispositions suivantes:

« Le länsstyrelsen [gouvernement provincial] peut désigner, pour la province, des zones situées en dehors des couloirs publics de navigation, dans lesquelles les véhicules nautiques à moteur peuvent être utilisés. Il est tenu d’adopter des dispositions à cet effet en ce qui concerne:

1)

les zones à ce point affectées par l’activité humaine que les émissions sonores et autres perturbations que viendrait ajouter l’utilisation de véhicules nautiques à moteur ne peuvent pas être considérées comme une nuisance significative pour la collectivité ou pour l’environnement;

2)

les zones qui ne sont pas situées à proximité de zones résidentielles ou de zones de résidences secondaires, et qui présentent peu de valeur sur le plan de la sauvegarde de l’environnement naturel et culturel, de la diversité biologique, des activités de plein air, ou de la pêche sportive ou commerciale, et

3)

les autres zones où l’utilisation de véhicules nautiques à moteur ne provoque pas de nuisances pour la collectivité par des émissions sonores ou autres perturbations, et ne risque pas d’endommager ou de perturber de manière significative la faune ou la flore, ou de favoriser la propagation de maladies contagieuses.

Le länsstyrelsen peut également, si cela s’avère nécessaire pour prévenir des nuisances ou risques de dommages, tels que visés au premier alinéa, point 3, confiner l’utilisation de véhicules nautiques à moteur à certaines parties des couloirs publics de navigation. Il peut réglementer la manière d’accéder aux couloirs publics de navigation et de les quitter. »

16.

L’article 5 du règlement prévoit que toute personne qui aura conduit un véhicule nautique à moteur en violation de l’article 2 ou 3, ou des dispositions prises en application de l’article 3, sera punie d’une amende.

17.

Selon les indications de la juridiction de renvoi, les couloirs publics de navigation sont définis par le Sjöfartsverket (administration nationale de la navigation maritime), qui les porte à la connaissance du public dans son recueil officiel. Ils sont indiqués sur les cartes marines. Des couloirs publics de navigation peuvent être désignés comme tels lorsqu’ils sont essentiels pour la circulation générale, ou lorsqu’ils sont essentiels pour l’industrie de la pêche ou pour la circulation des bateaux de plaisance, et que cela est nécessaire pour garantir la sécurité du trafic.

III — Faits et procédure au principal

18.

Un parquet suédois a engagé des poursuites contre MM. Percy Mickelsson et Joakim Roos (ci-après les « prévenus au principal » ) devant le Luleå tingsrätt ( 5 ) . Il leur reproche d’avoir, le 8 août 2004 , conduit des véhicules nautiques à moteur dans des eaux où le règlement suédois n’en permettait pas l’usage. Il est incontestable que ces eaux ne sont ni des couloirs publics de navigation au sens du règlement suédois, où la conduite de véhicules nautiques à moteur est licite, ni des zones dans lesquelles la conduite de tels véhicules a été autorisée par le gouvernement provincial compétent au titre de l’article 3 du règlement suédois.

19.

Pour leur défense, les prévenus au principal font en substance valoir que le règlement suédois est contraire au droit communautaire, au motif qu’il viole les articles 28 CE et 30 CE, la directive bateaux de plaisance et la directive information.

IV — Demande préjudicielle et procédure devant la Cour

20.

Par ordonnance du 21 mars 2005 , le Luleå tingsrätt a suspendu la procédure et saisi la Cour des questions suivantes:

« 1)

a)

Les articles 28 CE à 30 CE s’opposent-ils à des dispositions de droit national interdisant l’utilisation de véhicules nautiques à moteur ailleurs que dans des couloirs publics de navigation ou dans des zones où les autorités locales l’ont permise, à l’instar de ce que prévoit le règlement suédois relatif aux véhicules nautiques à moteur?

b)

Les articles 28 CE à 30 CE s’opposent-ils autrement à ce qu’un État membre applique de telles dispositions de manière à interdire également l’utilisation de véhicules nautiques à moteur dans des zones pour lesquelles les autorités locales n’ont pas encore décidé s’il y avait lieu ou non d’autoriser une telle utilisation?

2)

La directive 2003/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 juin 2003 , modifiant la directive 94/25/CE concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux bateaux de plaisance, s’oppose-t-elle à des dispositions de droit national interdisant l’utilisation de véhicules nautiques à moteur, telles que mentionnées ci-dessus? »

21.

Lors de la procédure devant la Cour, les prévenus au principal, les gouvernements suédois, norvégien et autrichien, ainsi que la Commission, ont présenté des observations écrites et orales. Le gouvernement allemand a présenté des observations écrites.

V — Appréciation

22.

Il convient de répondre aux questions de la juridiction de renvoi dans l’ordre inverse de celui dans lequel elles ont été posées; on commencera donc par examiner le contenu normatif de la directive bateaux de plaisance. En effet, s’il s’avérait que ladite directive réglemente de façon exhaustive l’usage des véhicules nautiques à moteur, il serait impossible, à l’intérieur de son champ d’application, de justifier des mesures nationales unilatérales au titre de l’article 30 CE, dans le cadre de l’examen de l’article 28 CE ( 6 ) .

A — Interprétation de la directive bateaux de plaisance

1. Application dans le temps de la directive bateaux de plaisance

23.

Les prévenus au principal déduisent de cette directive un droit d’usage illimité des véhicules nautiques à moteur et estiment donc que le règlement suédois qui y fait obstacle est inapplicable. Il convient toutefois d’examiner au préalable si la directive est bien applicable ratione temporis.

24.

La directive bateaux de plaisance ne vise en effet les véhicules nautiques à moteur que depuis sa modification par la directive 2003/44. En vertu de l’article 3 de ladite directive, la transposition devait intervenir au plus tard le 30 juin 2004 , mais les États membres n’étaient tenus d’appliquer les mesures la mettant en œuvre qu’au (ci-après le « délai d’application » ). Les faits ayant donné lieu à la procédure au principal se sont produits le , c’est-à-dire postérieurement à la date limite de transposition, mais avant l’expiration du délai d’application. À supposer que le droit national se fonde sur la date des faits pour apprécier la culpabilité, ce que l’on doit admettre, le problème qui se pose est que le délai d’application de la directive n’avait pas encore expiré à cette date. Il nous faut examiner si cette circonstance s’oppose à ce que les prévenus au principal invoquent la directive.

25.

Une directive n’a aucun effet direct avant l’expiration du délai de transposition ( 7 ) . Il doit en aller de même, par analogie, du délai d’application. Pour justifier l’applicabilité ratione temporis de la directive, les prévenus au principal invoquent la jurisprudence de la Cour selon laquelle les États membres ne peuvent, durant le délai de transposition, adopter de dispositions qui compromettent sérieusement la réalisation de l’objectif prescrit par la directive ( 8 ) . Il n’en résulte toutefois pas non plus d’effet direct de la directive ( 9 ) .

26.

Le principe, admis en droit communautaire, de la rétroactivité des lois pénales plus douces ( 10 ) a cependant pour conséquence qu’un prévenu peut également se prévaloir de l’absence ou de la moindre punissabilité de ses actes sous l’effet d’une directive lorsque le délai de transposition ou d’application de cette directive a expiré entre la date de l’infraction et celle du jugement. Le principe de la rétroactivité des lois pénales plus douces trouve sa source dans l’idée selon laquelle un prévenu ne saurait être condamné pour des faits qui ont cessé d’être pénalement répréhensibles à la date du jugement, le législateur ayant modifié son appréciation ( 11 ) . Ainsi, lorsqu’une disposition figurant dans une directive s’oppose, au moment du jugement, à une éventuelle condamnation pénale, le prévenu doit pouvoir s’appuyer sur ces appréciations du législateur communautaire, qui estime que le comportement en cause n’est pas pénalement sanctionnable, même si le délai d’application ou de transposition de la directive n’avait pas encore expiré au moment des faits. Il ne s’agit pas là d’un abandon du principe voulant qu’une directive n’ait pas d’effet direct au cours de son délai d’application ou de transposition. En effet, ce n’est qu’au moment de son jugement que le prévenu bénéficie rétroactivement des appréciations plus favorables de la directive.

27.

Dans ce contexte, il convient donc maintenant d’apprécier si la directive 94/25 s’oppose à une réglementation nationale qui, pour des raisons tenant à la protection de l’environnement, pose une interdiction de principe de l’usage des véhicules nautiques à moteur en dehors des couloirs publics de navigation et n’en autorise l’usage, en dehors de ces couloirs, que dans les zones que les gouvernements provinciaux ont désignées à cette fin.

2. Contenu normatif de la directive bateaux de plaisance

28.

Les gouvernements intervenants estiment que la directive bateaux de plaisance ne régit que les exigences techniques des véhicules nautiques à moteur et non leur usage. Aussi ne saurait-on, selon eux, en déduire une prohibition des restrictions nationales apportées à l’usage de ces véhicules. À l’inverse, les prévenus au principal interprètent la directive bateaux de plaisance en ce sens qu’elle s’oppose à toute limitation de l’usage des véhicules nautiques à moteur, pour autant que ces derniers remplissent les exigence de ladite directive. Ils fondent leur argumentation sur l’article 4, paragraphe 1, de la directive. En vertu de cette disposition, les États membres ne peuvent interdire, restreindre ou entraver la mise sur le marché et/ou la mise en service de véhicules nautiques à moteur qui satisfont aux exigences énumérées dans la directive. La question se pose donc de savoir si une disposition nationale qui limite les possibilités d’utilisation des véhicules nautiques à moteur constitue une restriction illicite à la mise en service au sens de l’article 4, paragraphe 1.

29.

En vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour déterminer la portée d’une disposition de droit communautaire, de tenir compte à la fois de ses termes, de son contexte et de ses finalités ( 12 ) .

30.

Le sens naturel de la notion de « mise en service » plaide contre la thèse selon laquelle il conviendrait d’y faire entrer tout type d’usage. En effet, la large gamme d’utilisation d’un appareil se situe, sur un plan temporel, en aval de la simple mise en service et doit en être distinguée. En particulier, dans leur acception générale, les réglementations concernant la mise en service s’entendent des règles qui s’attachent à l’appareil devant être mis en service et donc à ses qualités, alors que les règles relatives à l’usage portent sur l’emploi d’un appareil déjà mis en service, c’est-à-dire sur les modalités de son utilisation. La mise en service et les règles concernant l’usage ont donc des champs réglementaires clairement distincts. Le fait que le législateur communautaire se soit borné à utiliser la notion spéciale de mise en service à l’article 4, paragraphe 1, s’oppose à une interprétation qui entendrait voir incluses dans l’interdiction les restrictions nationales apportées à l’usage.

31.

Ce résultat est confirmé par l’article 2, paragraphe 2, de la directive bateaux de plaisance, auquel les gouvernements intervenants renvoient à bon droit. L’article 2, paragraphe 2, précise en effet clairement que la directive n’empêche pas les États membres d’adopter, « dans le respect du traité, des dispositions concernant la navigation sur certaines eaux afin de protéger l’environnement et la configuration des voies navigables et afin d’assurer la sécurité sur celles-ci, sous réserve que cela n’oblige pas à modifier les bateaux qui sont conformes à la présente directive » .

32.

Outre les simples règles de circulation, les « dispositions concernant la navigation » visent sans aucun doute aussi les restrictions à l’usage, puisque, dans la navigation, tout comme dans la circulation routière, différentes formes de restriction, allant jusqu’à l’exclusion de certains moyens de transport, constituent des instruments classiques de contrôle. En relèvent aussi bien les règles relatives à la nature de l’usage d’un bateau que celles concernant le lieu de cet usage. Même si l’article 2, paragraphe 2, ne parle à cet égard que de « certaines » eaux, il n’en ressort pas moins clairement de la directive que celle-ci n’harmonise pas les règles relatives à l’usage.

33.

L’interprétation téléologique souligne également que la directive bateaux de plaisance a uniquement pour objet de réglementer les exigences techniques et non l’usage.

34.

Ainsi, le douzième considérant de ladite directive indique clairement que celle-ci ne contient pas de dispositions visant à limiter l’emploi du bateau de plaisance après sa mise en service. Il ressort d’autres considérants que cette directive a pour simple finalité, en harmonisant les exigences techniques applicables aux bateaux de plaisance et aux véhicules nautiques à moteur, d’éliminer les entraves aux échanges résultant des différences entre les règles techniques ( 13 ) .

35.

La genèse de la directive bateaux de plaisance confirme également que celle-ci n’a pas pour objet de réglementer l’usage des véhicules nautiques à moteur, mais d’harmoniser les exigences techniques qui leur sont applicables ( 14 ) . La position commune du Conseil sur la modification de la directive 94/25 évoque le maintien de la possibilité pour les États membres, même après la modification de la directive, d’appliquer des normes plus strictes concernant l’utilisation de certains types de bateaux ( 15 ) . Toute restric tion particulière dans le domaine de l’utilisation des bateaux est du ressort des législations nationales en vertu du principe de subsidiarité ( 16 ) .

36.

L’interprétation circonstanciée de la directive bateaux de plaisance fait donc ressortir que celle-ci n’a entendu harmoniser que les exigences techniques et non l’utilisation des bateaux de plaisance et des véhicules nautiques à moteur ( 17 ) .

3. Résultat intermédiaire

37.

En résumé, on notera donc que:

La directive bateaux de plaisance ne s’oppose pas à des dispositions nationales qui, pour des raisons tenant à la protection de l’environnement, interdisent l’utilisation de véhicules nautiques à moteur, pourvu que ces dispositions n’enfreignent pas les règles du traité CE, en particulier l’article 28 CE. Il convient donc, à ce stade, d’examiner si les articles 28 CE et 30 CE font obstacle à des dispositions nationales telles que la réglementation suédoise.

B — Interprétation des articles 28 CE et 30 CE

1. L’article 28 CE — Mesure d’effet équivalent

38.

L’article 28 CE interdit les restrictions quantitatives à l’importation ainsi que toutes mesures d’effet équivalent entre les États membres.

39.

Selon la Commission, les restrictions à l’usage telles que celles prévues par le règlement suédois sont des mesures d’effet équivalent.

a) La formule Dassonville

40.

Selon la définition établie par la Cour dans l’affaire Dassonville, toute mesure susceptible d’entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce intracommunautaire est à considérer comme mesure d’effet équivalant à des restrictions quantitatives ( 18 ) .

41.

Selon les informations fournies par les prévenus au principal — que conteste toutefois le gouvernement suédois —, la restriction instituée par le nouveau règlement suédois à l’usage des véhicules nautiques à moteur a fait reculer les ventes de ces véhicules de plus de 90 %. Le règlement suédois aurait ainsi pour effet d’affecter indirectement et actuellement le commerce entre les États membres. Une affectation potentielle suffirait en tout état de cause également, en vertu de la formule Dassonville, à qualifier une mesure de mesure d’effet équivalent. Il n’est de toute façon pas aberrant de considérer qu’une réglementation nationale limitant le nombre des eaux où l’usage de véhicules nautiques à moteur est autorisé exerce une influence sur l’intérêt des acheteurs pour ces produits et provoque ainsi un recul des ventes et, partant, une diminution des ventes de produits en provenance d’autres États membres. Une telle réglementation nationale est donc susceptible, au moins potentiellement, d’affecter le commerce entre les États membres. Dans ces conditions, le règlement suédois constituerait une mesure d’effet équivalent.

b) Transposition des critères de l’arrêt Keck et Mithouard aux modalités d’utilisation

42.

L’ampleur de la formule Dassonville a toutefois pour conséquence que toute réglementation nationale limitant l’usage d’un produit peut être qualifiée de mesure d’effet équivalent et requérir une justification.

43.

La question qui se pose est ainsi celle qu’a également soulevée la Cour dans son arrêt Keck et Mithouard — quoique dans un autre contexte —, c’est-à-dire celle de savoir si toute mesure ayant potentiellement un effet sur le volume des ventes de produits en provenance d’autres États membres doit être considérée comme une mesure d’effet équivalent ( 19 ) .

44.

L’urgence particulière de cette question touchant aux modalités d’utilisation, c’est-à-dire aux réglementations nationales régissant le mode et le lieu d’utilisation de produits, ressort clairement de l’examen de quelques exemples.

45.

Ainsi, l’interdiction de rouler hors des voies de circulation en forêt ou les limitations de vitesse sur les autoroutes, par exemple, constitueraient également des mesures d’effet équivalent. On pourrait en effet arguer que de telles restrictions de l’utilisation peuvent, elles-mêmes, dissuader certaines personnes d’acheter un véhicule tout-terrain ou une voiture particulièrement rapide au motif qu’elles ne pourraient en faire l’usage qu’elles souhaitent, de sorte que la restriction apportée à l’utilisation constituerait un obstacle potentiel au commerce intracommunautaire.

46.

Pour restreindre le large domaine d’application que reçoit l’article 28 CE dans le cadre de la formule Dassonville, la Cour a parfois tenté de sortir du champ de cet article les mesures nationales dont l’incidence sur les échanges est trop aléatoire et indirecte ( 20 ) . Le fait que ces critères sont difficiles à concrétiser et qu’ils ne concourent donc pas à la sécurité juridique milite toutefois à leur encontre.

47.

Nous proposons à la place, si la condition posée par la Cour dans l’arrêt Keck et Mithouard est remplie, d’exclure en principe les modalités d’utilisation du champ d’application de l’article 28 CE, par analogie aux modalités de vente.

48.

Dans son arrêt Keck et Mithouard, la Cour a constaté que les opérateurs économiques invoquaient de plus en plus l’article 28 CE pour contester toute espèce de réglementations qui ont pour effet de limiter leur liberté commerciale , même si elles ne visent pas les produits en provenance d’autres États membres ( 21 ) . Dans le cadre des modalités d’utilisation, il peut même arriver que des particuliers se fondent sur l’article 28 CE pour contester des réglementations nationales qui n’ont sur eux d’autre influence que de réduire leur liberté d’action générale .

49.

En ce qui concerne les modalités de vente , la Cour a jugé, dans son arrêt Keck et Mithouard, que n’est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville, l’application à des produits en provenance d’autres États membres de dispositions nationales correspondantes qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu’elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d’autres États membres ( 22 ) . Les réglementations liées aux produits , qui concernent les caractéristiques des marchandises, ne relèvent pas de l’ « exception Keck et Mithouard » ( 23 ) . L’arrêt Keck et Mithouard portait sur l’interdiction des ventes à perte. À la suite de cet arrêt, la Cour a par exemple qualifié de dispositions relatives aux modalités de vente des interdictions d’ouverture dominicale ou une réglementation réservant la vente de tabac à des détaillants spécialement autorisés ( 24 ) .

50.

Cette jurisprudence a pour conséquence qu’une réglementation nationale qui répond au critère de la modalité de vente ne relève pas du champ d’application de l’article 28 CE, de sorte qu’elle est licite en droit communautaire, sans que l’État membre ait besoin de la justifier.

51.

Dans ce contexte, la présente affaire fournit l’occasion de s’interroger sur le point de savoir s’il n’y a pas lieu d’exclure les modalités d’utilisation du champ d’application de l’article 28 CE, par analogie avec la jurisprudence Keck et Mithouard.

52.

En effet, si l’on examine les caractéristiques des modalités d’utilisation et celles des modalités de vente, il apparaît clairement qu’elles sont comparables quant à la nature et à l’intensité de leur incidence sur le commerce.

53.

Les modalités de vente n’exercent en principe leurs effets qu’après l’importation d’un produit. Elles ont un impact indirect sur la vente d’un produit, par l’intermédiaire du consommateur: par exemple, en interdisant à ce dernier d’acquérir le produit certains jours de la semaine ou en soumettant la publicité d’un produit à certaines restrictions. De même, les modalités d’utilisation n’ont qu’un effet indirect sur les ventes d’un produit, par l’influence qu’elles exercent sur le comportement du consommateur.

54.

Les dispositions nationales qui régissent les modalités de vente n’ont normalement pas pour objet de régir les échanges de marchandises entre les États membres ( 25 ) . De même, en fixant des modalités d’utilisation, un législateur n’entend normalement pas régir le commerce entre les États membres.

55.

Aussi apparaît-il cohérent, dans ce contexte, d’étendre la jurisprudence Keck et Mithouard aux modalités d’utilisation et, partant, d’exclure ces dernières du champ d’application de l’article 28 CE.

56.

En conséquence, une disposition nationale qui restreint ou interdit certaines modalités d’utilisation ne relève pas de l’article 28 CE, pourvu qu’elle ne soit pas liée au produit, qu’elle s’applique à tous les opérateurs économiques concernés exerçant leur activité sur le territoire national et qu’elle affecte pareillement, en droit comme en fait, les ventes des produits nationaux et celles des produits en provenance d’autres États membres.

c) Application des critères Keck et Mithouard dans la présente affaire

57.

Le règlement suédois n’est pas lié aux produits, puisqu’il ne subordonne pas l’usage à la condition que le véhicule nautique à moteur satisfasse à d’autres règles que les exigences techniques harmonisées dans la directive. La restriction de l’utilisation ne requiert donc aucune modification portant sur les véhicules eux-mêmes.

58.

Le règlement suédois s’applique également à tous les opérateurs exerçant leur activité sur le territoire national, puisqu’il ne fait pas de distinction selon l’origine des produits concernés.

59.

Le problème est toutefois de savoir si le règlement suédois affecte pareillement, en droit comme en fait, les ventes des produits nationaux et celles des produits en provenance d’autres États membres. À première vue, cette condition est également remplie. Une restriction d’utilisation peut rendre un produit moins attractif pour le consommateur et affecter ainsi ses ventes. Mais cette conséquence touche en principe de la même façon les produits nationaux et les produits étrangers.

60.

L’audience a toutefois révélé que la Suède ne produisait pas de véhicules nautiques à moteur. Il convient donc d’examiner si l’absence de production nationale a une incidence sur l’appréciation du critère Keck et Mithouard en vertu duquel la réglementation nationale doit produire les mêmes effets sur les produits nationaux que sur ceux en provenance d’autres États membres.

61.

La Cour a jugé, à propos d’une modalité de vente , que l’applicabilité de l’article 28 CE ne pouvait dépendre de l’existence ou non d’une production nationale ( 26 ) . Elle a justifié cette analyse par le fait que cette circonstance factuelle était purement fortuite et, de surcroît, variable dans le temps; lui reconnaître de l’importance aboutirait à la conséquence contradictoire qu’une réglementation produisant les mêmes effets relèverait dans certains États membres du champ d’application de l’article 28 CE, mais y échapperait dans d’autres, selon qu’il existerait ou non une production nationale. Il n’en serait autrement que si la réglementation nationale litigieuse protégeait une production nationale analogue aux produits visés par la réglementation litigieuse ou se trouvant en concurrence avec ceux-ci ( 27 ) .

62.

Ces principes sont transposables mutatis mutandis aux modalités d’utilisation. Il convient donc d’examiner si une production nationale de produits concurrents est protégée par la réglementation nationale de telle façon que celle-ci affecte plus fortement les produits en provenance d’autres États membres que les produits nationaux se trouvant en concurrence avec eux.

63.

Les bateaux à moteur sont les seuls produits pour lesquels on puisse envisager un rapport de concurrence avec les véhicules nautiques à moteur. La question de savoir si ces bateaux sont en concurrence avec les véhicules nautiques à moteur et si ces derniers sont davantage affectés par le règlement suédois que les produits nationaux similaires ne peut, en l’absence d’informations factuelles suffisantes, être appréciée en l’espèce et c’est à la juridiction nationale qu’il revient de se prononcer sur ce point. Si celle-ci venait à répondre par la négative à ces questions, cela suffirait à écarter le règlement suédois du champ d’application de l’article 28 CE. Si ces questions appelaient au contraire une réponse positive, la juridiction de renvoi devrait encore apprécier si l’inégalité de traitement ne peut être justifiée par des raisons tenant à la protection de l’environnement ( 28 ) . Une justification serait néanmoins exclue, conformément à l’article 30, deuxième phrase, CE, s’il s’avérait que le règlement suédois est une mesure protectionniste ou une discrimination arbitraire ( 29 ) .

64.

Il est toutefois possible que l’appréciation de la présente affaire n’oblige nullement à vérifier s’il existe des produits nationaux en concurrence avec les véhicules nautiques à moteur et si ces produits similaires sont moins affectés par le règlement suédois.

65.

Dans son arrêt Keck et Mithouard, la Cour constate en effet que des modalités de vente nationales qui répondent aux critères Keck et Mithouard ne sont pas de nature à empêcher l’accès au marché du produit concerné ou à le gêner davantage qu’elles ne gênent celui des produits nationaux, de sorte qu’elles échappent au domaine d’application de l’article 28 CE ( 30 ) .

66.

On peut déduire a contrario de cette constatation qu’une mesure nationale qui restreint ou interdit une modalité d’utilisation n’échappe pas au champ d’application de l’article 28 CE lorsqu’elle empêche le produit concerné d’accéder au marché ( 31 ) .

67.

On ne doit pas uniquement considérer qu’il y a blocage de l’accès au marché lorsqu’une réglementation aboutit à une exclusion totale, par exemple en soumettant un certain produit à une interdiction générale d’usage. Il suffit qu’une réglementation particulièrement restrictive en matière d’usage ne laisse subsister qu’une possibilité marginale d’utilisation pour qu’il faille admettre l’existence d’un tel blocage.

68.

C’est à la juridiction nationale qu’il appartient de constater si une réglementation nationale empêche l’accès au marché. Dans la présente affaire, certains éléments plaident en faveur de la thèse selon laquelle le règlement suédois empêche les véhicules nautiques à moteur d’accéder au marché. Il interdit en effet l’utilisation des véhicules nautiques à moteur, excepté sur les canaux publics de navigation — tout au moins pendant la période durant laquelle les gouvernements provinciaux n’ont pas désigné d’autres plans d’eau pour l’usage de ces véhicules.

69.

Pour la question de savoir si le règlement suédois revient à poser une interdiction générale d’utilisation pendant la période transitoire, jusqu’à ce que les gouvernements provinciaux ouvrent d’autres plans d’eau à ces véhicules, il est essentiel de se demander si l’autorisation d’utiliser des véhicules nautiques à moteur sur les canaux publics de navigation revêt une signification autre que purement marginale, ne modifiant rien au caractère dudit règlement envisagé sous l’aspect d’une interdiction générale d’usage.

70.

Le gouvernement suédois a certes indiqué qu’il existait environ 300 canaux publics de navigation, mais sans pouvoir préciser la superficie couverte par ces canaux. Les observations présentées par les prévenus au principal lors de l’audience ont en revanche suscité l’impression que, malgré leur nombre, les canaux publics de navigation ne représentaient qu’une possibilité marginale d’utiliser les véhicules nautiques à moteur. À leurs dires, de larges portions du territoire sont totalement dénuées de tels canaux, lesquels ne sont pas non plus interconnectés, sont difficiles d’accès et ne se prêtent souvent guère à l’utilisation de ces véhicules pour des raisons de sécurité, aux motifs, par exemple, qu’ils sont fréquentés par de lourds tankers ou éloignés de la côte. La Commission estime également que la réglementation revient à une interdiction totale d’utilisation. Le fait que les canaux publics de navigation soient exceptés de l’interdiction d’utiliser les véhicules nautiques à moteur ne semble donc rien changer au caractère du règlement suédois envisagé sous l’aspect d’une interdiction de principe posée à l’utilisation de ces véhicules pendant la période transitoire, jusqu’à la désignation de nouveaux plans d’eau par les gouvernements provinciaux. Le fait que l’accès au marché ne serait empêché qu’à titre provisoire est dénué de pertinence, puisque l’accès serait bloqué pour une période qui ne serait pas seulement d’une brièveté négligeable.

71.

Aux fins de l’appréciation, on considérera donc ci-après que le règlement suédois empêche l’accès au marché et qu’il n’y a donc pas lieu de l’exclure du champ d’application de l’article 28 CE. Sa compatibilité avec le droit communautaire est ainsi subordonnée à sa justification au titre de l’article 30 CE ou pour des raisons impérieuses d’intérêt général.

72.

Si la juridiction de renvoi parvenait à la conclusion qu’il n’y a pas lieu de qualifier le règlement suédois de mesure empêchant l’accès au marché, il lui appartiendrait de procéder à l’examen indiqué ci-dessus, mais qui a été ramené au second plan, c’est-à-dire de vérifier s’il existe des produits nationaux en concurrence avec les véhicules nautiques à moteur, qui, en droit ou en fait, sont moins affectés ( 32 ) .

2. Justification

73.

Selon la jurisprudence Cassis de Dijon, des mesures d’effet équivalent indistinctement applicables peuvent être justifiées dans la mesure où elles sont nécessaires pour satisfaire à des exigences impératives ( 33 ) . Comme le règlement suédois n’opère pas de différenciation selon l’origine des produits, il est indistinctement applicable aux produits nationaux et aux produits d’autres États membres ( 34 ) . Pour justifier son règlement sur l’utilisation des véhicules nautiques à moteur, le gouvernement suédois invoque la protection de l’environnement. La jurisprudence admet qu’il s’agit d’une exigence impérative ( 35 ) . La Cour a également souligné de manière réitérée que la protection de l’environnement constituait l’un des objectifs essentiels de la Communauté ( 36 ) .

74.

La réglementation nationale doit en outre satisfaire au principe de proportionnalité, c’est-à-dire être apte, nécessaire et appropriée à réaliser l’objectif visé ( 37 ) . Cela signifie en particulier que, parmi plusieurs moyens également appropriés, un État membre doit choisir celui qui apporte le moins d’obstacles à la liberté des échanges ( 38 ) .

75.

Les véhicules nautiques à moteur peuvent causer des dommages à l’environnement, par leurs émissions sonores, leurs gaz d’échappement et le fait qu’ils peuvent être pilotés dans des zones servant de lieux de reproduction et de frayères. Compte tenu des incidences multiples exercées sur l’environnement par ces véhicules, et qu’ont soulignées l’ensemble des gouvernements intervenants, il ne fait aucun doute qu’une réglementation nationale limitant l’usage de ces véhicules est apte à protéger l’environnement.

76.

Il reste donc à examiner si des dispositions nationales telles que le règlement suédois sont nécessaires , c’est-à-dire s’il n’existe pas de moyen tout aussi approprié mais plus modéré pour protéger l’environnement.

77.

S’agissant de la nécessité, la première question qui se pose est celle de savoir si une réglementation qui distinguerait selon la nature de l’utilisation du véhicule nautique à moteur considéré représenterait un moyen moins radical, mais tout aussi approprié. Les prévenus au principal ont exposé que les véhicules nautiques à moteur ont des effets différents sur l’environnement selon l’usage qui en est fait. Ainsi font-ils valoir que ces véhicules ne sont nocifs pour l’environnement que s’ils sont utilisés comme des engins de sport ou des jouets, en combinant de façon caractéristique les déplacements en cercle et les accélérations brusques, alors qu’employés comme moyens de transport leur incidence sur l’environnement, du point de vue des émissions sonores et de gaz d’échappement, serait équivalente à celle des petits bateaux à moteur, voire inférieure, compte tenu de leur plus faible consommation de carburant.

78.

En admettant même que ces déclarations soient exactes ( 39 ) , on n’en pourrait pas pour autant qualifier le règlement suédois de disproportionné. Comme l’a souligné à bon droit le gouvernement suédois, une réglementation distinguant selon le type de conduite serait en effet plus difficile à faire respecter et à mettre en œuvre qu’une réglementation posant une interdiction de principe de l’utilisation dans certaines eaux, de sorte qu’elle ne serait pas aussi appropriée.

79.

Le principe de proportionnalité pourrait toutefois exiger qu’une réglementation nationale sur l’usage de véhicules nautiques à moteur opère une distinction entre les différents types de ces véhicules. Les prévenus au principal ont exposé qu’il y avait lieu de distinguer entre différents types de véhicules nautiques à moteur. Seuls les « jet-skis » seraient utilisés comme des jouets et des engins de sport et se caractériseraient par des modes de pilotage nuisibles pour l’environnement. En revanche, les « personal water crafts » serviraient uniquement de moyens de transport et seraient même, sur ce plan, moins nocifs pour l’environnement que les bateaux à moteur, qui sont sinon envisageables. La Cour ne dispose pas de toutes les informations sur les qualités et sur les effets des différents types de véhicules nautiques à moteur pour apporter une réponse exhaustive à la question de la proportionnalité considérée sous cet aspect. Une telle différenciation quant aux effets exercés sur l’environnement ne ressort d’ailleurs pas des observations des autres intervenants à la procédure devant la Cour, qui ont au contraire estimé que tous les véhicules nautiques à moteur présentaient les mêmes caractéristiques. Si la juridiction de renvoi venait à confirmer que différents types de véhicules nautiques à moteur exercent également des effets d’intensité différente sur l’environnement, il lui faudrait, en examinant la proportionnalité, tenir compte de la mesure dans laquelle une réglementation proportionnée en matière d’utilisation de véhicules nautiques à moteur pourrait reprendre cette différenciation pour des raisons de protection de l’environnement.

80.

Le principe de proportionnalité ne s’oppose pas non plus à ce que l’interdiction soit assortie d’une sanction pénale qui peut être nécessaire pour donner plus de poids à l’interdiction, d’autant que cette sanction se résume à une amende.

81.

Abstraction faite des canaux publics de navigation, le règlement suédois choisit la forme d’une interdiction de principe sous réserve d’autorisation et non la forme moins radicale de l’autorisation sous réserve d’interdiction. Une autorisation générale sous réserve d’interdiction constitue certes en principe une mesure moins drastique. Mais le principe de proportionnalité n’impose pas pour autant automatiquement cette méthode. Une autorisation sous réserve d’interdiction devrait être tout aussi apte à protéger l’environnement. En appréciant cette question, il convient notamment de tenir compte des particularités régionales de l’État membre considéré. Le gouvernement suédois a fait valoir à cet égard que la Suède se caractérisait par un très grand nombre de lacs et une longue côte présentant une flore et une faune sensibles, méritant d’être protégées. Dans ces conditions, le Royaume de Suède fait valoir un argument convaincant lorsqu’il soutient que la méthode de l’autorisation sous réserve d’interdiction n’est pas réalisable en pratique du fait des particularités géographiques, et, partant, n’est pas aussi appropriée que le modèle inverse de l’interdiction sous réserve d’autorisation.

82.

La proportionnalité de dispositions telles que le règlement suédois fait toutefois problème dans la mesure où, durant la période précédant l’adoption d’une décision par les autorités provinciales, l’usage de véhicules nautiques à moteur est soumis à une interdiction générale en dehors des canaux publics de navigation.

83.

Cette méthode aboutit en effet, jusqu’à l’adoption d’une décision par les gouvernements provinciaux, à étendre l’interdiction de conduite à des eaux dans lesquelles la protection de l’environnement ne l’exigerait nullement. Le gouvernement suédois admet d’ailleurs lui-même l’existence de zones, outre les canaux publics de navigation, dans lesquelles la protection de l’environnement autoriserait l’usage de véhicules nautiques à moteur.

84.

Exiger toutefois que la conduite de véhicules nautiques à moteur soit autorisée jusqu’à la désignation d’autres zones par les gouvernements provinciaux pourrait conduire à détruire irrémédiablement la flore et la faune de certaines eaux sensibles aux agressions causées par ces véhicules. Une telle réglementation ne serait donc pas aussi apte à protéger l’environnement que le procédé qui a été choisi.

85.

Pour satisfaire au principe de proportionnalité, un règlement tel que le règlement suédois doit cependant, ainsi que la Commission l’a observé à juste titre, prévoir un délai à l’expiration duquel les gouvernements provinciaux auront satisfait à leur obligation de désigner d’autres zones. La longueur du délai doit certes, comme le souligne à bon droit le Royaume de Norvège, tenir compte du fait que les gouvernements provinciaux ont besoin d’un certain temps pour se procurer les informations qui leur sont nécessaires pour décider des eaux dans lesquelles l’utilisation de véhicules nautiques à moteur n’est pas dommageable. D’autre part, la sécurité juridique des opérateurs économiques, par exemple des importateurs de véhicules nautiques à moteur, exige que soit fixée la date à laquelle les gouvernements provinciaux doivent avoir adopté leur décision, afin de leur permettre, notamment, de planifier leurs activités commerciales. Ainsi que le gouvernement suédois l’a admis au cours de la procédure orale, seules 15 des 21 provinces avaient, au jour de l’audience, adopté des dispositions en ce sens. Une réglementation nationale qui ne fixe pas de date limite au maintien de l’interdiction très large des véhicules nautiques à moteur viole donc le principe de proportionnalité.

86.

S’il s’avérait que l’utilisation d’une certaine catégorie de véhicules nautiques à moteur était autorisée sans autre restriction avant l’adoption du règlement suédois — et cela semble avoir été le cas pour les « personal water crafts » selon les prévenus au principal —, le principe de proportionnalité pourrait en outre avoir pour conséquence qu’il eût été obligatoire d’instituer une période de transition pour ces véhicules ( 40 ) .

3. Résultat intermédiaire

87.

En résumé, on retiendra donc que:

Les dispositions nationales fixant les modalités d’utilisation des produits ne constituent pas des mesures d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE, pour autant qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés qui exercent leur activité sur le territoire national, qu’elles affectent de la même façon, en droit et en fait, les produits nationaux et ceux en provenance d’autres États membres, et qu’elles ne soient pas liées aux produits. Néanmoins, dès lors qu’elles empêchent (ou presque) un produit d’accéder au marché, les interdictions d’utilisation ou les dispositions nationales qui n’autorisent qu’une utilisation marginale d’un produit sont des mesures d’effet équivalent que prohibe l’article 28 CE si elles ne sont pas justifiées au titre de l’article 30 CE ou par une exigence impérative.

Une disposition nationale qui interdit également l’usage de véhicules nautiques à moteur dans des eaux pour lesquelles les gouvernements provinciaux n’ont pas encore décidé si la protection de l’environnement y exigeait une interdiction d’utilisation est disproportionnée et, partant, non justifiée, dès lors qu’elle ne fixe pas de délai raisonnable à l’expiration duquel les gouvernements provinciaux doivent avoir adopté les décisions concernées.

C — Interprétation de la directive information

88.

Il convient enfin d’examiner encore quelles exigences résultent de la directive information pour l’adoption du règlement suédois.

89.

S’il est vrai que la juridiction de renvoi n’a pas explicitement demandé à la Cour d’interpréter la directive information, il n’en apparaît pas moins utile, au vu, en particulier, des observations des parties, de lui fournir les indications nécessaires pour déterminer s’il y a violation de l’obligation de communication que prévoit ladite directive.

90.

La Cour a certes jugé, en ce qui concerne l’objet procédural des demandes préjudicielles, que seules les juridictions nationales avaient la faculté de déterminer les questions qui lui sont soumises et que les parties ne pouvaient en changer la teneur ( 41 ) . Mais elle souligne également, dans une jurisprudence constante, que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée par l’article 234 CE, il appartient à celle-ci de donner au juge de renvoi une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi ( 42 ) .

91.

Une réponse utile doit également, dans le cadre de la présente procédure préjudicielle, comporter une discussion des implications de la directive information pour le règlement suédois. En effet, selon la jurisprudence de la Cour, la violation de l’obligation de communication prévue dans la directive information entraîne l’inapplicabilité de la disposition non notifiée, avec pour conséquence qu’elle n’est pas opposable au particulier ( 43 ) .

92.

Dans l’hypothèse où l’obligation de communication prévue dans la directive information aurait été violée lors de l’adoption du règlement suédois, la juridiction de renvoi ne pourrait donc fonder la condamnation des prévenus au principal sur le règlement suédois. Aussi une réponse utile à la juridiction de renvoi doit-elle également traiter cet aspect de la conformité au droit communautaire du règlement suédois.

93.

Au surplus, les parties ne sont pas seules à avoir évoqué l’aspect de la directive information, puisque la juridiction de renvoi l’a elle-même abordé dans sa demande préjudicielle. Elle y a en effet indiqué que les prévenus au principal avaient fait valoir que le gouvernement suédois n’avait pas régulièrement communiqué le règlement suédois à la Commission, de sorte que celui-ci était invalide et inapplicable.

94.

En vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive information, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique. Une « règle technique » au sens de la directive information est notamment, aux termes de l’article 1 er , une « spécification technique » , une « autre exigence » ou une disposition législative, réglementaire ou administrative interdisant, notamment, l’utilisation d’un produit.

95.

Un texte tel que le règlement suédois ne relève pas de la première catégorie mentionnée ci-dessus, celle des « spécifications techniques » . Pour ce faire, il devrait en effet, par application de l’article 1 er , point 3, de la directive information, définir des caractéristiques techniques pour le produit ( 44 ) . Or le règlement suédois ne prescrit aucune caractéristique pour les véhicules nautiques à moteur.

96.

Le règlement suédois peut cependant constituer soit une « autre exigence » , soit une « règle technique » au sens de la directive information.

97.

Il peut, d’une part, être une « autre exigence » au sens de l’article 1 er , point 4, de la directive information; une « autre exigence » y est en effet définie comme une exigence imposée à l’égard d’un produit pour des motifs de protection, notamment de l’environnement, et visant son cycle de vie après mise sur le marché, telle que ses conditions d’utilisation, lorsque ces conditions peuvent influencer de manière significative la composition ou la nature du produit ou sa commercialisation.

98.

Mais on peut également envisager de qualifier l’interdiction d’utilisation des véhicules nautiques à moteur prévue par le règlement suédois de « règle technique » au sens de l’article 1 er , point 11, de la directive information. Les « règles techniques » y sont en effet notamment définies comme les dispositions juridiques des États membres interdisant l’utilisation d’un produit.

99.

S’agissant du classement d’une mesure nationale dans l’une des deux catégories, la Cour a jugé que celui-ci dépendait de la portée de l’interdiction d’utilisation qu’édicte cette mesure ( 45 ) . L’interdiction d’utilisation visée à l’article 1 er , point 11, doit constituer une mesure qui a une portée qui va clairement au-delà d’une limitation à certains usages possibles du produit et ne se limite donc pas à une simple restriction de l’utilisation de celui-ci; cette catégorie vise ainsi plus particulièrement des mesures nationales qui ne laissent place à aucune utilisation autre que purement marginale pouvant raisonnablement être attendue du produit concerné ( 46 ) .

100.

S’il devait s’assimiler de facto à une interdiction générale d’utilisation des véhicules nautiques à moteur et ne laisser place qu’à une utilisation purement marginale de tels véhicules, tout au moins pour la période pendant laquelle les gouvernements provinciaux n’ont pas désigné d’autres zones pour l’usage desdits véhicules, le règlement suédois relèverait de l’article 1 er , point 11, de la directive information. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartient de juger si le règlement suédois constitue une telle interdiction d’utilisation ( 47 ) .

101.

S’il ressortait de l’examen effectué par la juridiction de renvoi que la restriction nationale de l’utilisation ne constitue pas une interdiction d’utilisation au sens de l’article 1 er , point 11, il faudrait envisager le classement du règlement suédois en tant qu’exigence au sens de l’article 1 er , point 3. La restriction de l’utilisation devrait alors en outre influencer de manière significative la composition, la nature ou la commercialisation du produit. Le règlement litigieux n’influence certes ni la composition ni la nature du produit. Il apparaît toutefois probable que la restriction nationale à l’utilisation influence significativement la commercialisation des véhicules nautiques à moteur. C’est à la juridiction de renvoi qu’il appartiendrait de se prononcer sur ce point.

102.

Les dispositions nationales qui relèvent du champ d’application matériel de la directive information doivent être communiquées à la Commission conformément à l’article 8, paragraphe 1. L’article 10, paragraphe 1, de la directive information prévoit toutefois des exceptions à cette obligation de communication qui prévaut en principe.

103.

Aux termes de l’article 10, paragraphe 1, troisième tiret, l’obligation de communication n’est pas applicable lorsque les États membres adoptent des dispositions par lesquelles ils se conforment aux actes communautaires contraignants qui ont pour effet l’adoption de spécifications techniques. La Cour a déjà jugé que l’article 2, paragraphe 2, de la directive bateaux de plaisance, en vertu duquel les États membres ont le droit d’adopter des dispositions en matière de navigation, n’était pas un tel acte communautaire contraignant ( 48 ) .

104.

L’article 10, paragraphe 1, troisième tiret, de la directive information dispense les États membres de l’obligation de communication lorsqu’ils adoptent des dispositions juridiques par lesquelles ils font usage de clauses de sauvegarde prévues dans des actes contraignants. En son article 7, la directive bateaux de plaisance comporte une réglementation expressément intitulée « clause de sauvegarde » . Ces dispositions autorisent les États membres à prendre des mesures provisoires dans des situations urgentes présentant des risques pour l’homme ou pour l’environnement, par exemple. Mais, comme les dispositions du règlement suédois ne sont pas des mesures provisoires, elles ne sauraient constituer une application de l’article 7 de la directive bateaux de plaisance et, partant, faire disparaître à ce titre l’obligation de communication ( 49 ) .

105.

Cette obligation n’est pas non plus applicable, en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sixième tiret, de la directive information, lorsqu’un État membre se borne, conformément à une demande de la Commission, à modifier une règle technique en vue d’éliminer une entrave aux échanges. Cette exception ne peut toutefois entrer en ligne de compte que si la Commission a présenté une proposition concrète de modification qu’un État membre a transposée de manière précise. C’est en effet seulement dans ce cas de figure que disparaît l’objectif poursuivi par l’obligation de communication, qui est de permettre à la Commission d’opérer un contrôle préalable, puisque celle-ci connaît alors déjà la disposition nationale adoptée et n’a plus besoin de la contrôler. La procédure devant la Cour n’a toutefois fait ressortir aucun élément indiquant qu’une telle situation était constituée en l’espèce.

106.

Le règlement suédois aurait donc dû être communiqué à la Commission en vertu de l’article 8, paragraphe 1, de la directive information.

107.

Ainsi que la Commission l’a exposé lors de l’audience devant la Cour, un premier projet du règlement suédois a été communiqué à la Commission le 1 er avril 2003 ( 50 ) . La Commission a ensuite adressé au gouvernement suédois un avis circonstancié au sens de l’article 9, paragraphe 2, premier alinéa, de la directive information. La réception d’un tel avis circonstancié déclenche, conformément à l’article 9, paragraphe 1, une obligation de suspension de trois mois, c’est-à-dire que l’État membre doit reporter de trois mois l’adoption d’une disposition qui est prévue et a été communiquée. Le gouvernement suédois a également respecté cette obligation de suspension, puisque, selon les dires de la Commission à l’audience, le texte définitif du règlement suédois n’a été adopté que le ( 51 ) . À première vue, le gouvernement suédois paraît donc avoir satisfait à l’obligation de communication et au délai de suspension prévus aux articles 8 et 9.

108.

Les prévenus au principal ont toutefois exposé que le texte du règlement qui a été finalement adopté différait du projet communiqué à la Commission. Aux dires de cette dernière à l’audience, le texte finalement adopté n’a en tout état de cause pas fait l’objet d’une nouvelle communication avant d’être adopté. Dans ce contexte, il convient, à ce stade, de se demander si le texte du règlement, tel qu’il a été adopté, aurait dû, en vertu de la directive, être communiqué de nouveau avant son adoption.

109.

Une obligation de nouvelle communication du projet modifié pourrait naître à deux égards.

110.

En premier lieu, un État membre est tenu, en vertu de l’article 8, paragraphe 1, troisième alinéa, de procéder à une nouvelle communication s’il apporte au projet de règle technique, d’une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier le champ d’application, d’en raccourcir le calendrier d’application initialement prévu, d’ajouter des spécifications ou des exigences ou de rendre celles-ci plus strictes. Une violation de cette nouvelle obligation de communication peut également aboutir à l’inapplicabilité de la disposition qui n’a pas été communiquée. La directive information a pour effet utile de protéger la libre circulation des marchandises par un contrôle préventif des mesures nationales ( 52 ) . La Commission ne peut exercer ce contrôle de manière efficace que si les modifications significatives du projet communiqué lui sont notifiées.

111.

Selon les informations dont dispose la Cour, il y a toutefois lieu de supposer que le règlement adopté ne comporte aucun changement significatif par rapport au projet communiqué. Le projet initialement communiqué paraît avoir posé une interdiction de principe de l’utilisation des véhicules nautiques à moteur en dehors des canaux publics de navigation. Il semble que la modification finalement adoptée ait uniquement consisté à intégrer dans le règlement l’obligation des gouvernements provinciaux de désigner de nouvelles zones pour l’utilisation des véhicules nautiques à moteur. Ce changement ne constituerait pas un « changement significatif » au sens de la directive information. Car, loin de rendre la disposition plus stricte, il l’aurait au contraire atténuée, y compris du point de vue d’une éventuelle affectation de la circulation des marchandises, que la directive information vise à protéger au moyen d’un contrôle préventif. C’est cependant à la juridiction de renvoi qu’il appartient de juger si le projet de règlement communiqué a, en l’espèce, fait l’objet de changements significatifs qui n’auraient pas donné lieu à nouvelle communication, puisqu’elle est compétente pour interpréter le droit national et qu’elle peut établir les dates et les contenus des différentes communications indispensables à l’appréciation.

112.

Le second aspect qu’il convient d’examiner résulte de l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, de la directive information. En vertu de cette disposition, un État membre doit faire rapport à la Commission sur la suite qu’il a l’intention de donner à l’avis circonstancié qu’elle lui a adressé, réaction que commente ensuite la Commission. Or, selon ce qu’a indiqué la Commission à l’audience, le gouvernement suédois n’a réagi à l’avis circonstancié qu’après l’adoption du règlement national litigieux. Lors de l’audience, la Commission a toutefois souligné à juste titre qu’il n’en découlait pas de conséquences juridiques. L’absence du dialogue entre la Commission et l’État membre, prévu à l’article 9, paragraphe 2, troisième alinéa, ne peut entraîner l’inapplicabilité de la disposition nationale, car la directive information permet en principe à un État membre d’adopter une mesure nationale, même si la Commission s’est prononcée contre celle-ci, dès lors que cette mesure a été communiquée et que l’obligation de suspension a cessé ses effets. Au surplus, l’État membre est également tenu de notifier à nouveau un changement significatif. Ces obligations d’agir pesant sur l’État membre sont suffisantes pour permettre à la Commission d’exercer le contrôle préventif efficace que vise la directive information. Sanctionner, par l’inapplicabilité de la mesure nationale, la violation de l’obligation incombant à l’État membre de réagir à l’avis circonstancié de la Commission n’est pas non plus indispensable à l’efficacité du contrôle effectué par celle-ci.

113.

En résumé, on retiendra donc que:

Ce n’est qu’aux conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive information qu’un État membre est tenu de communiquer de nouveau une règle qui l’a déjà été.

VI Conclusion

114.

Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons à la Cour d’apporter les réponses suivantes aux questions préjudicielles:

« 1)

La directive 94/25/CE, telle que modifiée par la directive 2003/44/CE, ne s’oppose pas à des dispositions nationales qui, pour des raisons tenant à la protection de l’environnement, interdisent l’utilisation de véhicules nautiques à moteur, pourvu que ces dispositions n’enfreignent pas les règles du traité CE, en particulier l’article 28 CE.

2)

Les dispositions nationales fixant les modalités d’utilisation des produits ne constituent pas des mesures d’effet équivalent au sens de l’article 28 CE, pour autant qu’elles s’appliquent à tous les opérateurs concernés qui exercent leur activité sur le territoire national, qu’elles affectent de la même façon, en droit et en fait, les produits nationaux et ceux en provenance d’autres États membres, et qu’elles ne soient pas liées aux produits. Néanmoins, dès lors qu’elles empêchent (ou presque) un produit d’accéder au marché, les interdictions d’utilisation ou les dispositions nationales qui n’autorisent qu’une utilisation marginale d’un produit sont des mesures d’effet équivalent que prohibe l’article 28 CE si elles ne sont pas justifiées au titre de l’article 30 CE ou par une exigence impérative.

3)

Une disposition nationale qui interdit également l’usage de véhicules nautiques à moteur dans des eaux pour lesquelles les gouvernements provinciaux n’ont pas encore décidé si la protection de l’environnement y exigeait une interdiction d’utilisation, est disproportionnée et, partant, non justifiée, dès lors qu’elle ne fixe pas de délai raisonnable à l’expiration duquel les gouvernements provinciaux doivent avoir adopté les décisions concernées.

4)

Ce n’est qu’aux conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 1, troisième alinéa, de la directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 juin 1998 , prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques, dans la version de la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du , qu’un État membre est tenu de communiquer de nouveau une règle qui l’a déjà été. »


( 1 ) Langue originale: l’allemand.

( 2 ) JO L 164, p. 15 , dans la version de la directive 2003/44/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 juin 2003 ( JO L 214, p. 18 ).

( 3 ) Règlement 1993:1053, entré en vigueur le 15 juillet 2004 .

( 4 ) JO L 104, p. 37 , dans la version de la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 ( JO L 217, p. 18 ).

( 5 ) Ci-après également la « juridiction de renvoi » .

( 6 ) Voir arrêts du 23 mai 1996 , Hedley Lomas ( C-5/94, Rec. p. I-2553 , point 19); du , DaimlerChrysler ( C-324/99, Rec. p. I-9897 , point 32), et du , Deutscher Apothekerverband ( C-322/01, Rec. p. I-14887 , point 64).

( 7 ) Voir arrêts du 3 mars 1994 , Vaneetveld ( C-316/93, Rec. p. I-763 , point 16), et du , Mendes Ferreira Delgado Correia Ferreira ( C-348/98, Rec. p. I-6711 , point 33). Il ne semble en aller différemment, selon l’arrêt du , Mangold ( C-144/04, Rec. p. I-9981 , point 78), que dans le cas où une disposition d’une directive reflète un principe du droit communautaire. Pour l’application conforme aux directives, voir arrêt du , Adeneler e.a. ( C-212/04, Rec. p. I-6057 , points 123 et 124).

( 8 ) Voir arrêts du 18 décembre 1997 , Inter-Environnement Wallonie ( C-129/96, Rec. p. I-7411 , point 45); du , ATRAL ( C-14/02, Rec. p. I-4431 , point 58), et du , Stichting Zuid-Hollandse Milieufederatie ( C-138/05, Rec. p. I-8339 , point 42).

( 9 ) Arrêt du 5 février 2004 , Rieser Internationale Transporte ( C-157/02, Rec. p. I-1477 , point 69).

( 10 ) Pour l’existence de ce principe en droit communautaire, voir arrêt du 3 mai 2005 , Berlusconi e.a. ( C-387/02, C-391/02 et C-403/02, Rec. p. I-3565 , point 69).

( 11 ) Voir, à ce propos, nos conclusions du 10 juin 2004 dans l’affaire Niselli (arrêt du , C-457/02, Rec. p. I-10853 ), points 69 et suiv., et du dans l’affaire Berlusconi e.a., précité, points 155 et suiv.

( 12 ) Voir notamment, parmi les arrêts récents, ceux du 8 décembre 2005 , Jyske Finans ( C-280/04, Rec. p. I-10683 , point 34), et du , Commission/Espagne ( C-323/03, Rec. p. I-2161 , point 32).

( 13 ) Voir deuxième, troisième et cinquième considérants de la directive bateaux de plaisance.

( 14 ) Voir arrêt du 21 janvier 1992 , Egle ( C-310/90, Rec. p. I-177 , point 12), en ce qui concerne le recours à la genèse d’un texte pour confirmer une interprétation dégagée au moyen des autres méthodes d’interprétation.

( 15 ) Position commune (CE) n o 40/2002, du 22 avril 2002 , arrêtée par le Conseil, statuant conformément à la procédure visée à l’article 251 du traité instituant la Communauté européenne, en vue de l’adoption d’une directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 94/25 ( JO C 170 E, p. 1 , spécialement p. 16 ).

( 16 ) Ibidem, p. 19.

( 17 ) En ce sens, voir également arrêt du 13 juillet 2006 , Voigt ( C-83/05, Rec. p. I-6799 , points 17 et suiv.).

( 18 ) Voir, entre autres, arrêts du 11 juillet 1974 , Dassonville ( 8/74, Rec. p. 837 , point 5); du , Keck et Mithouard ( C-267/91 et C-268/91, Rec. p. I-6097 , point 11), et du , Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour Marinopoulos ( C-158/04 et C-159/04, Rec. p. I-8135 , point 15).

( 19 ) Arrêt précité note 18, point 13.

( 20 ) Voir arrêts du 13 octobre 1993 , CMC Motorradcenter ( C-93/92, Rec. p. I-5009 , point 12); du , Bluhme ( C-67/97, Rec. p. I-8033 , point 22), et du , Burmanjer e.a. ( C-20/03, Rec. p. I-4133 , point 31), dans lequel le critère « trop insignifiante et aléatoire » est employé. Sur la libre prestation des services, voir arrêt du , Viacom Outdoor, C-134/03, Rec. p. I-1167 , point 38).

( 21 ) Arrêt précité note 18, point 14.

( 22 ) Ibidem, point 16.

( 23 ) Voir, entre autres, arrêts du 6 juillet 1995 , Mars ( C-470/93, Rec. p. I-1923 , point 13), et du , Familiapress ( C-368/95, Rec. p. I-3689 , point 11). En ce qui concerne la proposition de modification des critères Keck et Mithouard, notamment en vue d’éviter les difficultés de délimitation entre les réglementations relatives aux produits et celles relatives à leur commercialisation, voir conclusions présentées le par l’avocat général Maduro dans l’affaire Alfa Vita Vassilopoulos et Carrefour Marinopoulos, précitée note 18, points 42 et suiv.

( 24 ) Voir arrêts du 2 juin 1994 , Punto Casa et PPV ( C-69/93 et C-258/93, Rec. p. I-2355 ), et du , Banchero ( C-387/93, Rec. p. I-4663 ).

( 25 ) Comme l’a, par exemple, noté la Cour dans son arrêt Keck et Mithouard (précité note 18, point 12) à propos de l’interdiction nationale de la revente à perte. Étant entendu qu’il y a lieu de préciser que le critère de l’intention ne saurait, en soi, constituer un critère approprié de délimitation.

( 26 ) Arrêt du 29 juin 1995 , Commission/Grèce ( C-391/92, Rec. p. I-1621 , point 17).

( 27 ) Ibidem, point 18.

( 28 ) Voir par exemple, en ce qui concerne la justification d’un traitement différent, l’arrêt Deutscher Apothekerverband (précité note 6, points 75 et suiv.).

( 29 ) Voir arrêt du 14 décembre 1979 , Henn et Darby ( 34/79, Rec. p. 3795 , point 21).

( 30 ) Arrêt Keck et Mithouard (précité note 18, point 17).

( 31 ) Le fait d’empêcher l’accès au marché ou de le rendre sensiblement plus difficile est souvent considéré comme le critère déterminant de la définition du champ d’application de l’article 28 CE, voir notamment conclusions présentées le 24 novembre 1994 par l’avocat général Jacobs dans l’affaire Leclerc-Siplec (arrêt du , C-412/93, Rec. p. I-179 , points 38 et suiv.), et le par l’avocat général Stix-Hackl dans l’affaire Deutscher Apothekerverband (précitée note 6, point 78).

( 32 ) Voir point 63 des présentes conclusions.

( 33 ) Arrêts du 20 février 1979 , Rewe-Zentral, dit « Cassis de Dijon » ( 120/78, Rec. p. 649 , point 8), et du , Commission/Irlande ( 113/80, Rec. p. 1625 , points 10 et 11).

( 34 ) Ainsi est-il inutile de s’interroger sur le point de savoir si l’exigence de l’application indifférenciée a été abandonnée dans la jurisprudence de la Cour, notamment en ce qui concerne l’exigence impérative de la protection de l’environnement; en ce sens voir arrêt du 13 mars 2001 , PreussenElektra ( C-379/98, Rec. p. I-2099 , point 75).

( 35 ) Voir, notamment, arrêts du 20 septembre 1988 , Commission/Danemark ( 302/86, Rec. p. 4607 , point 8), et du , Commission/Belgique ( C-2/90, Rec. p. I-4431 , point 22).

( 36 ) Voir arrêts du 2 avril 1998 , Outokumpu ( C-213/96, Rec. p. I-1777 , point 32), et du , Commission/Autriche ( C-320/03, Rec. p. I-9871 , point 72).

( 37 ) Voir arrêts du 14 décembre 2004 , Commission/Allemagne ( C-463/01, Rec. p. I-11705 , point 78), et Radlberger Getränkegesellschaft et Spitz ( C-309/02, Rec. p. I-11763 , point 79).

( 38 ) Voi, notamment, arrêts du 10 novembre 1982 , Rau ( 261/81, Rec. p. 3961 , point 12), et du , Commission/Italie ( C-270/02, Rec. p. I-1559 , point 25).

( 39 ) L’appréciation de ces questions de fait reviendrait à la juridiction de renvoi.

( 40 ) Arrêts Commission/Autriche (précité note 36, point 90), Commission/Allemagne (précité note 37, points 79 et 80) et Radlberger Getränkegesellschaft et Spitz (précité note 37, points 80 et 81).

( 41 ) Arrêts du 6 juillet 2000 , ATB e.a. ( C-402/98, Rec. p. I-5501 , point 29), et du , Kainuun ( C-412/96, Rec. p. I-5141 , point 23).

( 42 ) Voir arrêts du 17 juillet 1997 , Krüger ( C-334/95, Rec. p. I-4517 , point 22); du , Roquette Frères ( C-88/99, Rec. p. I-10465 , point 18), et du , Marks & Spencer ( C-62/00, Rec. p. I-6325 , point 32).

( 43 ) Voir arrêts du 30 avril 1996 , CIA Security International ( C-194/94, Rec. p. I-2201 , point 54), rendu à propos de la directive 83/189/CEE du Conseil, du , prévoyant une procédure d’information dans le domaine des normes et réglementations techniques ( JO L 109, p. 8 ), qui a précédé la directive actuelle, et du , Lidl Italia ( C-303/04, Rec. p. I-7865 , point 23).

( 44 ) Voir, au sujet des dispositions en substance identiques de la directive 83/189, qui a précédé l’actuelle, arrêt du 6 juin 2002 , Sapod Audic ( C-159/00, Rec. p. I-5031 , point 30), et du , Lindberg ( C-267/03, Rec. p. I-3247 , point 57).

( 45 ) Voir arrêt Lindberg (précité note 44, point 74).

( 46 ) Ibidem, points 75 et 76.

( 47 ) Ibidem, point 77.

( 48 ) Arrêt du 8 septembre 2005 , Commission/Portugal (C-500/03, consultable sur le site www.curia.europa.eu, point 34).

( 49 ) Voir arrêt Commission/Portugal (précité note 48, point 37).

( 50 ) C’est également ce qui ressort de la banque de données TRIS de la Commission (voir http://ec.europa.eu/enterprise/tris/pisa/app/search/index.cfm?fuseaction=pisa_notif_overview&iYear=2003&inum=119&lang=EN&sNLang=EN).

( 51 ) Le règlement sur les véhicules nautiques à moteur est ensuite entré en vigueur le 15 juillet 2004 .

( 52 ) Voir arrêts Lidl Italia (précité note 43, point 22), CIA Security Interrnational (précité note 43, point 40), et du 16 juin 1998 , Lemmens ( C-226/97, Rec. p. I-3711 , point 32).

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Collez ici un lien vers une page Doctrine
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CJCE, n° C-142/05, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Åklagaren contre Percy Mickelsson et Joakim Roos, 14 décembre 2006