Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 19 décembre 2018, n° 16/07213

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Chronologie de l’affaire

Commentaires3

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Jean-Michel Vertut · 14 février 2024

Cour d'appel de Versailles, 21 décembre 2023, 21/06836 Affaire Interdis (Carrefour) c./ Procter et Gamble France Alors que la date légale butoir pour la clôture des négociations commerciales 2024 approche, lorsque les négociations ne sont d'ailleurs pas déjà officiellement terminées dans les secteurs visés par la loi du 17 novembre 2023 portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation, un arrêt de la Cour d'appel de Versailles du 21 décembre dernier nous procure quelques enseignements utiles lorsqu'une partie se trouve seule …

 

Grandmaire Justine · Lettre des Réseaux · 17 décembre 2021

CEPC, 15 avril 2021, avis n°21-4 La CEPC s'est récemment prononcée sur la diffusion, par un fournisseur, de catalogues contenant des prix de revente et, à cette occasion, revient sur la distinction entre prix de revente imposés, par principe illicites, et prix de revente conseillés, par principe licites. La CEPC a été saisie de la question suivante : la pratique consistant, pour un fournisseur, à distribuer à des revendeurs des catalogues mentionnant des tarifs à destination des clients finaux est-elle une pratique conforme au droit de la concurrence ? D'abord, il convient de rappeler …

 

Mario Celaya · L'ESSENTIEL Droit de la distribution et de la concurrence · 1er février 2019
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Sur la décision

Référence :
CA Paris, pôle 5 - ch. 4, 19 déc. 2018, n° 16/07213
Juridiction : Cour d'appel de Paris
Numéro(s) : 16/07213
Décision précédente : Tribunal de commerce de Grasse, 5 juillet 2015, N° 2014F00247
Dispositif : Annule la décision déférée

Texte intégral

Copies exécutoires

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 4

ARRÊT DU 19 DÉCEMBRE 2018

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 16/07213 – N° Portalis 35L7-V-B7A-BYN5H

Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2015 – Tribunal de Commerce de GRASSE – RG n° 2014F00247

APPELANTS

- SA BUBBLE-DIVING

Ayant son siège social : […]

[…]

N° SIRET : 453 348 146 (GRENOBLE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

- Me D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de la SA BUBBLE-DIVING, désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de GRENOBLE en date du 23 septembre 2014

Exerçant ses fonctions : […]

[…]

Représentés par Me Arnaud GUYONNET de la SCP Y, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

Ayant pour avocat plaidant : Me Sophie CAPDEVILLE, substituant Me Cédric LENUZZA, de la SCP SAUL-GUIBERT – PRANDINI – LENUZZA, avocats au barreau de GRENOBLE

INTIMÉE

SA LA SPIROTECHNIQUE INDUSTRIELLE ET COMMERCIALE, exerçant sous le nom commercial AQUALUNG TRADING

Ayant son siège social : […]

[…]

N° SIRET : 304 668 502 (GRASSE)

prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

Représentée par Me J LALLEMENT de la SELARL BDL Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : P0480

Ayant pour avocat plaidant : Me Louis-Jérôme PALOUX, avocat au barreau de NICE

PARTIE INTERVENANTE

Me D X, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la SA BUBBLE-DIVING, désigné à cette fonction par jugement du Tribunal de commerce de GRENOBLE en date du 14 juin 2016

Exerçant ses fonctions : […]

[…]

Représenté par Me Arnaud GUYONNET de la SCP Y, avocat au barreau de PARIS, toque : L0044

Ayant pour avocat plaidant : Me Sophie CAPDEVILLE, substituant Me Cédric LENUZZA, de la SCP SAUL-GUIBERT – PRANDINI – LENUZZA, avocats au barreau de GRENOBLE

Intervenant volontaire

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 07 Novembre 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame F G, Présidente de chambre, rédacteur,

Madame Dominique MOUTHON VIDILLES, Conseillère,

Madame Laure COMTE, Vice-Présidente Placée,

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Madame F G dans les conditions prévues par l’article 785 du Code de Procédure Civile.

Greffier, lors des débats : Madame H I

ARRÊT :

— contradictoire

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Madame F G, président et par Madame H I, greffier auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE

La société Bubble Diving est un distributeur de matériels de plongée, de natation, de pêche et de chasse sous-marine. Elle est revendeur agréé de la société Spirotechnique Industrielle, exerçant sous l’enseigne AquaLung trading.

Aux termes d’un procès verbal du 16 juillet 2010, la société Bubble Diving a dénoncé à la DGCCRF qu’elle était dépendante de Spirotechnique et qu’elle était obligée de céder à ses injonctions concernant des pratiques de prix imposés pour pouvoir se maintenir dans le réseau sélectif.

En 2011, la société Bubble Diving a décidé et de mettre en 'uvre d’importants moyens financiers pour se développer, et, notamment, dans le commerce par internet.

Le 23 septembre 2014, le tribunal de commerce de Grenoble a ouvert une procédure de sauvegarde à l’encontre de Bubble Diving et a désigné comme mandataire judiciaire Maître D X.

Par courrier du 14 novembre 2014, la société Spirotechnique a déclaré sa créance auprès de ce mandataire judiciaire, d’un montant majoré des intérêts de retard de 76 589,38 euros, correspondant aux factures de commandes de matériels de plongée non honorées.

Par une requête du 18 novembre 2014, la société Bubble Diving a demandé au président du tribunal de commerce de Grasse d’assigner à jour fixe la société Spirotechnique, ce dernier l’y ayant autorisée par ordonnance du 21 novembre 2014.

Par assignation du 26 novembre 2014, la société Bubble Diving a imputé son placement en procédure de sauvegarde à la société Spirotechnique, au motif que cette dernière lui avait imposé des prix de revente. Elle lui faisait également grief d’avoir, après l’ouverture de la procédure de sauvegarde, modifié unilatéralement ses conditions de vente, d’une part, et suspendu les livraisons, d’autre part.

Par jugement du 6 juillet 2015, le tribunal de commerce de Grasse a :

— débouté la société Bubble Diving et Maître D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de Bubble Diving de toutes leurs demandes, fins et conclusions,

— condamné la société Bubble Diving et Maître D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de Bubble Diving, à payer à la société Spirotechnique la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts,

— dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,

— condamné la société Bubble Diving et Maître D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de Bubble Diving, aux dépens de l’instance,

— condamné la société Bubble Diving et Maître D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de Bubble Diving, à payer à la société Spirotechnique la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La Cour est saisie de l’appel interjeté par la société Bubble Diving et Maître D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Bubble Diving du jugement rendu par le tribunal de commerce de Grasse en date du 6 juillet 2015.

Le 14 juin 2016, le tribunal de commerce de Grenoble a prononcé la liquidation de la société Bubble Diving et désigné Maître X en qualité de liquidateur judiciaire. Il est intervenu volontairement à l’instance le 12 avril 2018.

Vu l’appel de la société Bubble Diving et Maître D X, ès-qualités, et leurs dernières conclusions, déposées et notifiées le 12 avril 2018, par lesquelles il est demandé à la cour de :

— dire recevables et bien fondés la société Bubble Diving et Maître X, ès-qualités, en leur appel,

— réformer en totalité le jugement entrepris,

statuant à nouveau :

— dire que la société Spirotechnique, en imposant ses prix à la société Bubble Diving, l’a conduite à d’importantes difficultés financières l’ayant contrainte à demander l’ouverture d’une procédure de sauvegarde,

— dire en conséquence, que la société Spirotechnique est responsable de l’ouverture de la procédure de sauvegarde,

— condamner la société Spirotechnique à rembourser à la société Bubble Diving les frais de la sauvegarde, dont la somme sera parfaite à l’adoption du plan,

— dire que la société Spirotechnique n’avait pas à suspendre ses livraisons envers la société Bubble Diving,

— dire que cette attitude a causé un préjudice manifeste à la société Bubble Diving

— condamner la société Spirotechnique à verser à la société Bubble Diving la somme de 625.479 euros en réparation du préjudice subi,

— condamner la société Spirotechnique à verser à la société Bubble Diving la somme de 768.548 euros en réparation de la perte de valeur de la société,

— condamner la société Spirotechnique à verser à la société Bubble Diving la somme de 30.000 euros en réparation de la baisse de chiffre d’affaires liée aux manquements contractuels durant la procédure collective,

— débouter la société Spirotechnique de l’ensemble de ses prétentions,

— condamner la société Spirotechnique à verser à la société Bubble Diving et à Maître X, ès-qualités, la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit de la SCP Y conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions de la société Spirotechnique, intimée, déposées et notifiées le 08 octobre 2018 par lesquelles il est demandé à la cour de :

— rejeter l’appel formé par la société Bubble Diving et de Maître D X, pris en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de ladite société par jugement du tribunal de commerce de Grenoble en date du 23 septembre 2014, dirigé à l’encontre du jugement n°570/2015 du 6 juillet 2015 du tribunal de commerce de Grasse,

— confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 6 juillet 2015 du tribunal de commerce de Grasse, avec toutes conséquences de droit,

— rejeter l’ensemble des demandes de la société Bubble Diving et de Maître D X,

— condamner la société Bubble Diving et Maître D X, au paiement de la somme de 15 000 euros, à titre de dommages et intérêts, pour procédure d’appel abusive,

— Statuant sur la demande en rectification d’erreur matérielle, dire que par jugement du 6 juillet 2015, le tribunal de commerce de Grasse « condamne la société Bubble Diving et Me D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de Bubble Diving, à payer à la société Spirotechnique, la somme de 3000 euros au titre de l’article 700 du CPC »,

— condamner Bubble Diving et Maître D X, pris en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde, à la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Bolling Durand Lallement conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

SUR CE, LA COUR,

Sur la nullité du jugement entrepris

La cour a relevé d’office le défaut de pouvoir juridictionnel du tribunal de commerce de Grasse pour statuer sur des demandes fondées sur l’article L. 420-1 du code de commerce et invité les parties à conclure par voie de notes en délibéré sur ce point.

Les sociétés Spirotechnique et Bubble Diving ont répondu par notes des 10 et 12 décembre 2018 que la cour ne peut relever d’office ce moyen.

Mais il s’agit d’une fin de non recevoir d’ordre public, qui doit être relevée d’office par la cour.

Il y a donc lieu d’annuler le jugement entrepris et d’évoquer l’affaire.

Sur les prix imposés

Les appelants soutiennent que la Cour de cassation prohibe les prix imposés en matière de distribution sélective. Or, ils exposent qu’il ressort expressément des sms et mails envoyés par le directeur commercial de la société Spirotechnique à la société Bubble Diving, constatés par huissier, que cette dernière lui a constamment imposé des prix, lui demandant de s’aligner sur les prix du réseau.

L’intimée réplique que les prix conseillés ne constituent pas des prix imposés, dès lors que les incitations du fabricant ne présentent pas de caractère obligatoire. Elle soutient avoir seulement recommandé à Bubble Diving de remonter ses prix, pour certains produits, de manière limitée, dans certaines hypothèses, et sans que cette dernière ne fasse l’objet d’une contrainte ou d’une action de rétorsion.

***

En application des paragraphes 86 et suivants des lignes directrices de la Commission relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 101 et 102 (JO 2004, C 101, p. 81) du traité dans le cadre d’accords verticaux, les pratiques de prix imposés, surtout lorsqu’elles sont répandues sur l’ensemble du territoire national, affectent nécessairement les courants d’échanges entre États membres.

En l’espèce, les comportements d’entente verticale dénoncés ne couvrant qu’une partie du territoire français, les pratiques ne sont pas susceptibles d’avoir un effet sensible sur le commerce entre États

membres, de sorte qu’elles seront examinées seulement au regard du droit national.

Selon l’article L.420-1 du code de commerce, « Sont prohibées même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à : (') 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse (…) ».

Constituent des preuves d’ententes sur les prix la signature d’un contrat de distribution impliquant le respect de la politique de prix du fabricant par les revendeurs. Lorsque l’existence d’une entente verticale entre producteur et distributeurs ne peut être établie par la production d’une preuve formelle, comme la clause spécifique d’un contrat, la preuve d’une telle entente, qui suppose un accord de volontés entre les entreprises impliquées, est rapportée lorsqu’un faisceau d’indices « graves, précis et concordants » converge pour établir les trois points suivants :

— en premier lieu, des prix de vente au détail sont « évoqués » entre fournisseur et distributeurs ;

— en deuxième lieu, une surveillance des prix est mise en place pour éviter que des distributeurs « déviants » ne s’écartent des prix voulus par le fabricant et ne compromettent le fonctionnement durable de l’entente ;

— en troisième lieu, ces prix, évoqués entre fournisseur et distributeurs, sont significativement appliqués par ces derniers.

Il n’est pas contesté en l’espèce, que les CGV de la société Spirotechnique signées par la société Bubble Diving, valant contrat de distribution sélective, n’imposent nullement aux revendeurs agréés des prix arrêtés par la société Spirotechnique.

Mais, en l’absence de preuves documentaires établissant directement l’accord de volontés entre fournisseur et distributeur, par exemple la signature d’un contrat de distribution comportant une clause de prix imposés, cet accord peut résulter du comportements des acteurs économiques sur le marché démontrant, d’une part, la volonté du fournisseur d’imposer ses prix et, d’autre part, la volonté du distributeur de les appliquer.

Il n’est pas contesté que la société Bubble Diving appliquait les consignes de prix de la société Spirotechnique. L’accord de volonté du distributeur est donc établi.

La preuve de la volonté du fournisseur d’imposer ses prix nécessite en premier lieu, de démontrer la communication de ceux-ci à la société Bubble Diving, en second lieu, d’établir que ces prix communiqués sont, en réalité, sous couvert de prétendus prix recommandés, des prix imposés.

En l’espèce, la communication des prix est réalisée par la diffusion des tarifs du fournisseur à la société Bubble Diving, comme aux autres distributeurs du réseau.

La preuve que ces prix communiqués étaient, en réalité, dans l’esprit du fournisseur, des prix imposés, exige que soit établie la mise en place d’une surveillance des prix par le fournisseur, sans qu’il soit nécessaire de démontrer l’existence de représailles, de simples contrôles de prix, ou pressions étant suffisants.

En l’espèce, les appelants versent aux débats de nombreux messages électroniques constatés par voie d’huissier (pièce 9 de la société Bubble Diving), faisant état de pressions de la société Spirotechnique (Aqualung) sur la société Bubble Diving afin qu’elle remonte les prix de certains articles, le plus souvent à la demande d’autres distributeurs du réseau.

C’est ainsi que par message électronique du 30 avril 2013, Monsieur Z, directeur commercial de la société AquaLung, a demandé à Bubble Diving de remonter le prix du détendeur Octopuss : « bonjour A, un peu bas non ' RRP du DET + de l’Octopus c’est 460 euros contre 319 euros que tu affiches sans remise et sans annonce cela fait -30 % + Mano gratuit. Il serait cohérent et raisonnable d’afficher le RRP de 460 euros puis d’annoncer une remise de 15 % = 391 euros, puis de valoriser le fait que tu donnes un Mano gratuit en écrivant « Mano offert par Bubble Dinving » » (pièce 42 des appelants).

Le 12 septembre 2013, il est demandé à la société Bubble de remonter le prix de l’ordinateur Zoop de 179 euros à 219 euros sur le modèle orange. Il en est de même du modèle Zoop noir le 9 septembre 2013 (pièce 9 des appelants).

Le 2 novembre 2013, un distributeur a signalé à Monsieur Z que d’autres distributeurs du réseau, dont Bubble Diving, ne respectaient pas les prix recommandés : « pourrais tu l’appeler pour qu’il se mette au prix de tous les magasins car s’il ne le fait pas je suis obligée de redescendre lundi » (pièce 9 des appelants).

Le 11 novembre 2013, Monsieur Z a demandé à la société Bubble Diving de remonter le prix du gilet de stabilisation Wave junior dont l’un de ses distributeurs lui avait signalé qu’il était vendu avec une remise de 25 % : « bonjour A. Remonter la Wave au prix de 249 euros. B (autre membre de la société Aqualung, en copie), t’assurer que cela est suivi d’effets sur les sites de ton secteur » (pièce 9 des appelants).

Dans un autre message du 13 décembre 2013, le directeur commercial a indiqué à la société Bubble Diving et à trois autres distributeurs qu’ils n’étaient pas « en phase avec les conditions générales de vente sur le respect de la marque ». Il leur a donc été demandé de réagir. Ce message suivait lui-même un signalement effectué le même jour par un distributeur, attestant qu’un article était vendu à un tarif de 32 % inférieur au « RRP » (pièce 9 des appelants).

Enfin, par message du 20 mai 2014, Monsieur Z a demandé à la société Bubble Diving de remonter ses prix de 99 euros à 132 euros sur le « premier étage Calypso » : « Bonjour Sébastien et A, regardez dessous et cherchez l’erreur sur vos sites et remettez un prix raisonnable. Merci » (pièce 9 des appelants), après le signalement d’un autre distributeur, Sub Odyssée, qui avait comparé les prix de distributeurs, dont Bubble Diving, aux prix conseillés par le fournisseur (« prix PPC ») sur 21 modèles de produits et avaient mis en évidence les prix « déviants ».

L’ensemble de ces messages démontrent l’existence d’une surveillance continue des prix des articles Aqualung, au moins du 30 avril 2013 au 20 mai 2014, exercée par le fournisseur, avec l’aide de ses distributeurs.

L’accord de volonté du fournisseur est donc également établi.

En définitive, la société Bubble Diving démontre l’existence d’une entente anticoncurrentielle locale sur les prix avec la société Spirotechnique, contraire à l’article L.420-1 du code de commerce.

En revanche, les pièces de son dossier ne permettent pas d’établir qu’un nombre suffisant de distributeurs, répartis sur le territoire français, aurait appliqué les prix imposés par la société Spirotechnique, pour constituer une entente de dimension nationale.

La société Spirotechnique ne peut s’exonérer en prétextant que les prix trop bas dévaloriseraient le respect de sa marque, le choix des distributeurs par des critères de sélection qualitatifs étant suffisant pour garantir cette image de marque.

Sur l’attitude de la société Spirotechnique Industrielle et commerciale durant la sauvegarde

Sur les livraisons

Les appelants soutiennent que la société Spirotechnique a suspendu pendant plus de deux semaines les livraisons envers Bubble Diving sans mise en demeure préalable, alors que l’article 9.5. « Suspension des livraisons » des CGV stipulait qu' « en cas de non-paiement intégral d’une facture venue à échéance, après mise en demeure restée sans effet dans les 48 heures, notre société se réserve la faculté de suspendre toute livraison en cours et/ou à venir ».

Ils indiquent de plus que l’article 8.5. des CGV précise qu' « en cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, les commandes en cours seront automatiquement annulées, et notre société se réserve le droit de revendiquer les marchandises en stock. La présente clause n’empêche pas que les risques des marchandises soient transférés à l’acheteur dès leur livraison à celui-ci '». Or, en l’espèce, en présence d’une procédure de sauvegarde, la société Spirotechnique n’était pas en droit de suspendre ses livraisons envers Bubble Diving.

Mais l’intimée réplique à bon droit que les livraisons n’ont été suspendues que du 16 au 23 septembre 2014 et qu’il n’y a pas eu de commandes à compter du 16 septembre 2014, à l’exception de celle 29 septembre, dont il a été accusé réception, mais qui, non réglée, a ensuite été annulée le 10 octobre. La reprise des commandes n’est ensuite intervenue que le 14 octobre 2014. Aucune faute, source de préjudice pour la société Bubble Diving, n’en résulte donc.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur l’interdiction de demander le tarif cadencement, à la suite de la sauvegarde

Les appelants soutiennent que Bubble Diving bénéficiait du tarif cadencement, permettant d’acheter les produits à un tarif préférentiel de moins 10% et qu’à compter de l’ouverture de la procédure de sauvegarde, Spirotechnique a arrêté de faire bénéficier Bubble Diving de ce tarif préférentiel, prétextant le non respect, par cette dernière, des conditions générales pour 2014. Par ailleurs, ils ajoutent que pour l’exercice 2015, il a été formellement interdit à Bubble Diving de demander à bénéficier du tarif cadencement.

L’intimée réplique que les conditions contractuelles pour bénéficier de ce tarif n’étaient plus satisfaites, sans qu’aucun lien ne puisse être établi avec l’ouverture de la sauvegarde.

Par courriel du 30 octobre 2013, Monsieur J Z, Directeur commercial de Spirotechnique, a adressé aux revendeurs agréés les nouvelles CGV, ainsi que les conditions commerciales, ces dernières reprenant les pratiques tarifaires de cadencement mises en place depuis près de 9 ans, et appliquées comme telles par Bubble Diving. L’acceptation des CGV, et des conditions commerciales régissant la facturation selon les règles du cadencement, est donc antérieure au 23 septembre 2014, date d’ouverture de la procédure de sauvegarde, de sorte que les conditions contractuelles n’ont pas été modifiées après la procédure de sauvegarde.

La modification du prix appliqué, à savoir le passage du tarif Cadencement au tarif Saison, moins avantageux (+10 %), est issue de l’application des conditions commerciales acceptées par Bubble Diving antérieurement à la procédure de sauvegarde. Elle en a bénéficié pendant des années, percevant même une prime de cadencement au titre de l’exercice 2012. La société Bubble Diving n’a pas respecté les conditions d’octroi de ce tarif cadencement, puisqu’elle a réduit ses commandes par rapport à son prévisionnel de plus de 50 %, dès avril 2014, soit antérieurement au 23 septembre 2014, date d’ouverture de la procédure de sauvegarde. C’est la raison pour laquelle la facture du 16 octobre 2014, non réglée, lui applique un prix « Saison », et non un prix « Cadencement ».

Aucune faute génératrice de préjudice pour la société Bubble Diving ne saurait en résulter.

Cette demande sera donc également rejetée.

Sur les préjudices de la société Bubble Diving

Les appelants soutiennent que l’attitude du fournisseur a entraîné d’importantes difficultés financières pour Bubble Diving qui l’ont rendue moins concurrentielle, engendrant de facto une baisse de chiffres d’affaires, une perte de clientèle, une perte de marge, pour aboutir à l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Ils soulignent qu’à ce jour, la société n’est plus estimée à 975.350 euros, comme en avril 2014, mais à 206.452 euros, comme le démontre l’attestation de l’expert comptable de la société Bubble Diving, Monsieur C, et qu’il en résulte une perte de valeur de la société de 768.548 euros (975.000 ' 206.452). Ils évaluent ainsi le préjudice à la somme de 625.479 euros au titre du préjudice économique subi et à la somme de 768.548 euros représentant la perte de valeur de la société.

L’intimée réplique que la preuve du lien de causalité entre les préjudices allégués et les fautes reprochées n’est pas rapportée. Elle soutient que pendant la prétendue pratique des prix imposés, concernant principalement l’année 2013, on a constaté une augmentation du chiffre d’affaires de l’appelante. Elle ajoute que les difficultés de la société n’ont rien à voir avec ses relations avec ses fournisseurs et qu’aucun élément ne vient justifier très concrètement des modalités de calcul de la perte de valeur de la société, l’attestation de complaisance de l’expert-comptable n’étant nullement explicite ni justifiée à cet égard.

***

La société Bubble Diving ne peut inférer des différences entre les chiffres d’affaires prévus dans son business plan et les chiffres effectivement réalisés par elle que la pratique de prix imposés litigieuse en est la cause. Le rapport financier Genesta (pièce 33 de Bubble Diving) fait état de « baisse du chiffre d’affaires liée aux problèmes techniques de son site internet ». Elle ne démontre pas que la pratique de prix imposés serait la cause de la procédure de liquidation. De même, elle n’établit aucune lien de causalité entre la pratique et la perte alléguée de valeur de son fonds de commerce, appuyée sur une simple attestation de son expert-comptable.

Toutefois, la pratique de prix imposés a conduit à une baisse des volumes vendus, un message électronique attestant de l’attitude réactive des consommateurs aux différences de prix. Compte tenu de cet élément, de la durée des pratiques et de leur caractère systématique, la cour évalue à 20 000 euros le préjudice économique subi de ce fait par la société Bubble Diving.

La société Spirotechnique sera donc condamnée au paiement de cette somme à la société Bubble Diving et à Me X, ès qualités.

Sur la demande de la société Spirotechnique pour procédure abusive

Les appelants contestent leur condamnation à des dommages et intérêts pour procédure abusive, aucune faute faisant dégénérer en abus l’exercice du droit d’ester en justice ou d’interjeter appel n’étant établie.

L’intimée réplique que les appelants ont procédé à une présentation erronée des faits, pour tenter d’obtenir sa condamnation à une somme exorbitante, en utilisant de surcroît la procédure à jour fixe, l’obligeant à préparer une défense dans l’urgence. Elle sollicite donc la condamnation de la société Bubble Diving et de Maître D X, ès-qualités, au paiement de la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Mais l’exercice d’une action en justice ne dégénère en abus que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d’erreur grossière équivalente à un dol.

Aucun élément ne permet à la cour de caractériser des circonstances qui auraient fait dégénérer en abus le droit d’agir des appelantes devant les premiers juges et devant la cour d’appel. Cette demande sera donc rejetée.

Sur les frais et dépens

La société Spirotechnique succombant au principal supportera la charge des dépens et sera condamnée à payer à la société Bubble Diving et Me X, ès qualités, la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Sur la demande de rectification de l’erreur matérielle

L’intimée indique que le jugement déféré est entaché d’une erreur matérielle en ce qu’il, « CONDAMNE la SA Bubble Diving et Me D X, ès-qualités de mandataire judiciaire de la société Bubble Diving à payer à la société Bubble Diving, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du CPC », alors qu’il convient de lire « à payer à Spirotechnique ».

Cette demande n’a plus d’objet, le jugement étant annulé.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

PRONONCE la nullité du jugement entrepris ;

et usant de son pouvoir d’évocation,

DECLARE la société Spirotechnique responsable d’une entente verticale sur les prix au détriment de la société Bubble Diving ;

CONDAMNE la société Spirotechnique à payer à la société Bubble Diving et à Maître X, ès-qualités, la somme de 20'000 euros en réparation de son préjudice ;

REJETTE les demandes de la société Bubble Diving pour les livraisons et le tarif cadencement, à la suite de la sauvegarde ;

REJETTE la demande de la société Spirotechnique pour procédure abusive ;

DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes ;

CONDAMNE la société Spirotechnique aux dépens ;

CONDAMNE la société Spirotechnique à payer à la société Bubble Diving et à Maître X, ès qualités, la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier La Présidente

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Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 4, 19 décembre 2018, n° 16/07213