Tribunal administratif de Toulouse, 30 juin 2016, n° 1404707

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Sur la décision

Référence :
TA Toulouse, 30 juin 2016, n° 1404707
Juridiction : Tribunal administratif de Toulouse
Numéro : 1404707

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE TOULOUSE

N°1404707

___________

ASSOCIATION FRANCE NATURE ENVIRONNEMENT MIDI-PYRENEES

___________

Mme C-D

Rapporteur

___________

Mme Delbos

Rapporteur public

___________

Audience du 24 juin 2016

Lecture du 30 juin 2016

___________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Toulouse

(3e Chambre)

03-06-02-02

C

Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés les 3 octobre 2014, 12 février et 2 mai 2016, l’association France nature environnement Midi-Pyrénées demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 12 septembre 2014 par lequel le préfet du Tarn a autorisé le défrichement de 34 hectares 45 ares 11 centiares de bois situés sur la commune de Lisle-sur-Tarn en vue de la réalisation d’une retenue d’eau ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 1 200 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

L’association requérante soutient que :

— l’arrêté attaqué est entaché d’un vice de procédure, la demande de défrichement n’ayant pas fait l’objet d’une étude d’impact et d’une enquête publique ;

— le dossier de demande est incomplet en raison de l’absence de l’attestation expresse de M. A B et du conseil général du Tarn, de l’étude d’impact prévue à l’article R. 122-5 du code de l’environnement, de la déclaration indiquant si les terrains ont été ou non parcourus par un incendie durant les quinze dernières années et la destination des terrains après défrichement ;

— les dispositions de l’article L. 341-7 du code forestier ont été méconnues en ce que l’autorisation de défrichement n’a pas été obtenue préalablement aux autres autorisations administratives ;

— en s’abstenant d’utiliser le procès-verbal de reconnaissance, le préfet n’a pu sérieusement justifier le retrait de sept hectares de la surface objet de la demande de défrichement ;

— le préfet a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de l’état boisé de sept hectares de la surface objet de la demande de défrichement ;

— le préfet a commis une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article L. 341-5 du code forestier en autorisant le défrichement en cause dès lors qu’il conduit à la destruction de milieux naturels et d’espèces à forts enjeux ;

— en se bornant à invoquer la compensation à hauteur d’une surface de 18 ha 00 a et 56 ca, prévue au titre des dispositions du schéma directeur d’aménagement de gestion des eaux Adour-Garonne, le préfet du Tarn a commis une erreur manifeste d’appréciation au regard de l’article L. 341-6 du code forestier ;

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 30 décembre 2015, 19 janvier et 23 avril 2016, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l’association requérante ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 avril 2016, la compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne, représentée par le cabinet DS Avocats, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

— la requête est dépourvue d’objet ;

— les effets d’une éventuelle annulation de l’arrêté attaqué doivent être modulés en ce que le retour à l’état initial du site ne serait pas réalisable et l’annulation de l’arrêté aurait des conséquences manifestement excessives tant environnementales que financières ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de l’environnement ;

— le code forestier ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme C-D ;

— les conclusions de Mme Delbos, rapporteur public ;

— les observations de M. Z, pour l’association France Nature Environnement Midi-Pyrénées ;

— les observations du préfet du Tarn, représenté par M. X, M. Y et Mme E-F ;

— les observations de Me Seifollahi, représentant le cabinet DS Avocats, pour la compagnie des coteaux de Gascogne.

1. Considérant que, par un arrêté du 2 octobre 2013, les préfets du Tarn et de Tarn-et-Garonne ont déclaré d’utilité publique, au bénéfice de la compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne les travaux relatifs à la réalisation du projet de retenue de Sivens et les mesures compensatoires qui s’y rattachent ; que, par un arrêté interdépartemental du 3 octobre 2013, le préfet du Tarn et le préfet de Tarn-et-Garonne ont autorisé au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement et déclaré d’intérêt général le projet de réalisation de la retenue de Sivens ; que, par arrêté préfectoral du 16 octobre 2013, le préfet du Tarn a autorisé la capture, l’enlèvement, la destruction, la perturbation intentionnelle d’individus ainsi que la destruction, l’altération, la dégradation d’aires de repos et de reproduction d’espèces animales protégées dans le cadre de la réalisation de la retenue de Sivens à Lisle-sur-Tarn ; que, par un arrêté du 12 septembre 2014, le préfet du Tarn a autorisé le défrichement de 34 hectares 45 ares 11 centiares de bois situés sur la commune de Lisle-sur-Tarn en vue de la réalisation d’une retenue d’eau ; que, par la requête susvisée, l’association France nature environnement Midi-Pyrénées demande l’annulation de ce dernier arrêté ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne l’exception de non-lieu :

2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté interdépartemental du 3 octobre 2013, le préfet du Tarn et le préfet de Tarn-et-Garonne ont autorisé au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement et déclaré d’intérêt général le projet de réalisation de la retenue de Sivens ; que, le 24 décembre 2015, l’Etat et le département du Tarn ont signé un protocole transactionnel afin de prévenir tout litige portant sur l’indemnisation des préjudices, nés ou à naître, subis par le département du Tarn à raison de l’abandon du projet de construction de la retenue de Sivens tel qu’autorisé par l’arrêté interpréfectoral du 3 octobre 2013 ; que, par un arrêté du même jour, le préfet du Tarn et le préfet de Tarn-et-Garonne ont abrogé l’arrêté du 3 octobre 2013 portant autorisation au titre des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement et déclarant d’intérêt général le projet de réalisation de la retenue de Sivens ; que la circonstance que, postérieurement à l’introduction de la requête, le projet de retenue d’eau en cause aurait été abandonné n’a pas pour effet de faire disparaître l’objet du recours, l’arrêté du 12 septembre 2014 par lequel le préfet du Tarn a autorisé le défrichement de 34 hectares 45 ares 11 centiares de bois situés sur la commune de Lisle-sur-Tarn en vue de la réalisation d’une retenue d’eau n’ayant pas été retiré, ni abrogé ; que, par suite, les conclusions à fin d’annulation de l’arrêté du 12 septembre 2014 ne sont pas devenues sans objet ;

En ce qui concerne le fond du litige :

3. Considérant qu’aux termes de l’article L. 341-5 du code forestier : « L’autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois et forêts ou des massifs qu’ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire à une ou plusieurs des fonctions suivantes : / (…) 3° A l’existence des sources, cours d’eau et zones humides, et plus généralement à la qualité des eaux (…) » ; qu’aux termes de l’article L. 341-6 du même code : « L’autorité administrative compétente de l’Etat peut subordonner son autorisation au respect d’une ou plusieurs des conditions suivantes : / (…) 2° L’exécution de travaux de reboisement sur les terrains en cause ou de boisement ou reboisement sur d’autres terrains, pour une surface correspondant à la surface défrichée, assortie le cas échéant d’un coefficient multiplicateur compris entre 2 et 5, déterminé en fonction du rôle écologique ou social des bois visés par le défrichement. Le représentant de l’Etat dans le département pourra imposer que le boisement compensateur soit réalisé dans la même région forestière ou dans un secteur écologiquement ou socialement comparable (…) » ;

4. Considérant qu’il ressort de l’étude d’impact que le fond de vallée du Tescou abrite une zone humide d’une superficie de 18.81 ha, dont les formations boisées humides, composées de boisement marécageux d’aulnes et de frênes, représentent une superficie de 12,8 hectares ; qu’il n’est pas contesté que cette zone humide fait partie des zones humides majeures du département du Tarn du point de vue de la biodiversité ; que l’existence de cette zone résulte de la présence d’un aquifère temporaire perché d’une surface de 40 hectares, à XXX et superficiels) et non par le Tescou lui-même ; que la réalisation du projet de retenue d’eau dite de Sivens sur le Tescou amont, à vocation de soutien d’étiage, entraînera directement par ennoiement la destruction de 12,7 hectares de zones humides et indirectement, du fait de la création du barrage qui interrompra l’alimentation permanente de l’aquifère perché nécessaire au fonctionnement de la zone humide en aval, la perte de fonctionnalité de 5,4 hectares ; que la destruction des zones humides ennoyées par la retenue concerne une superficie de 10,5 hectares de bois marécageux et de 2,5 hectares de prairies humides ; que l’arrêté attaqué autorisant le défrichement de cette zone aura pour conséquence la destruction de cette zone humide ; que compte tenu de la qualité et de l’importance de cette zone, le préfet ne pouvait autoriser son déboisement qu’en assortissant celle-ci de mesures de nature à assurer une compensation équivalente en termes de qualité écologique et de quantité selon les prescriptions prévues par l’article L. 341-6 du code forestier ; que l’arrêté prévoit, au titre des mesures de compensation, que la compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne s’engage à boiser sur une surface de 17 hectares 79 ares et 28 centiares ; qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment des avis du conseil scientifique régional du patrimoine naturel (CSRPN) du 11 janvier 2013 et du conseil national de la protection de la nature (CNPN) du 16 avril 2013, que les mesures compensatoires tendant à la création d’une zone humide sur des terrains qui n’étaient pas en zone humide, présentent un caractère hypothétique ; que les ratios ou coefficients d’ajustement utilisés pour dimensionner une mesure compensatoire doivent être le résultat d’une démarche analytique visant à intégrer en premier lieu, la proportionnalité de la compensation par rapport à l’intensité des impacts, en deuxième lieu, les conditions de fonctionnement des espaces susceptibles d’être le support des mesures et les risques associés à l’incertitude relative à l’efficacité des mesures, et en troisième lieu, le décalage temporel ou spatial entre les impacts du projet et les effets des mesures ; que l’autorité environnementale, dans son avis du 9 juillet 2012, souligne qu'« en considérant que les parcelles appartiennent soit à la masse d’eau du Tescou soit à celle du Tescounet et que 90 % de la compensation relève de la réhabilitation, le coefficient de compensation se situerait autour de 2 » ; qu’en se bornant à invoquer le niveau de compensation fixé au titre du schéma directeur d’aménagement de gestion des eaux (SDAGE) Adour-Garonne à 1,5 fois la surface détruite, le préfet du Tarn ne justifie pas que les mesures de restauration et de reconstitution de boisements seraient suffisantes pour garantir la compensation de la zone humide ; que, par suite, l’arrêté par lequel le préfet du Tarn a autorisé le défrichement en vue de la réalisation d’une retenue d’eau de Sivens est entaché d’erreur manifeste dans l’appréciation de la nécessité de la conservation de la zone humide du Tescou ;

5. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association requérante est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 12 septembre 2014 par lequel le préfet du Tarn a autorisé le défrichement de 34 hectares 45 ares 11 centiares de bois situés sur la commune de Lisle-sur-Tarn en vue de la réalisation d’une retenue d’eau ;

Sur les conséquences de l’illégalité de l’arrêté attaqué :

6. Considérant que l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu ; que, toutefois, s’il apparaît que cet effet rétroactif de l’annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu’il était en vigueur que de l’intérêt général pouvant s’attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif – après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l’ensemble des moyens, d’ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l’acte en cause – de prendre en considération, d’une part, les conséquences de la rétroactivité de l’annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d’autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l’annulation ; qu’il lui revient d’apprécier, en rapprochant ces éléments, s’ils peuvent justifier qu’il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l’effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l’affirmative, de prévoir dans sa décision d’annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l’acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ;

7. Considérant que si la compagnie des Coteaux de Gascogne allègue que l’annulation rétroactive de l’arrêté du 12 septembre 2014 par lequel le préfet du Tarn a autorisé le défrichement de 34 hectares 45 ares 11 centiares de bois situés sur la commune de Lisle-sur-Tarn en vue de la réalisation d’une retenue d’eau aurait des conséquences manifestement excessives tant environnementales que financières, elle ne verse cependant au dossier aucun élément permettant au tribunal de déterminer si, eu égard aux intérêts publics et privés en présence, l’annulation de l’arrêté du 12 septembre 2014 serait de nature à emporter des conséquences manifestement excessives, et, par suite, de décider de différer les effets d’une telle annulation ; que les conclusions présentées à cette fin doivent être, dès lors, rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;

9. Considérant qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat le versement d’une somme de 150 euros au titre des frais exposés par l’association requérante et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté du 12 septembre 2014 par lequel le préfet du Tarn a autorisé le défrichement de 34 hectares 45 ares 11 centiares de bois situés sur la commune de Lisle-sur-Tarn en vue de la réalisation d’une retenue d’eau est annulé.

Article 2 : L’Etat versera à l’association France nature environnement Midi-Pyrénées une somme de 150 (cent cinquante) euros au titre des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l’association France nature environnement Midi-Pyrénées, au ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer et à la compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne.

Copie en sera adressée au préfet du Tarn.

Délibéré après l’audience du 24 juin 2016, à laquelle siégeaient :

M. François de Saint-Exupéry de Castillon, président,

Mme Wohlschlegel, conseiller,

Mme C-D, premier conseiller,

Lu en audience publique le 30 juin 2016.

Le rapporteur, Le président,

N. C-D François DE SAINT-EXUPERY

DE CASTILLON

Le greffier,

M. ALRIC

La République mande et ordonne au ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme :

Le Greffier en chef,

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