Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 1re section, 6 juillet 2017, n° 17/02441

  • Mesures provisoires ou conservatoires·
  • Étendue des faits incriminés·
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  • Modèles de chaussures·
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  • Droit communautaire·
  • Droit d'information·
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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

La liste des documents ou informations dont la production peut être ordonnée par le juge sur le fondement des articles L. 331-1-2 et L. 521-5 du CPI, dans leur version issue de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, a été supprimée par la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014. Les travaux préparatoires confirment que cette suppression est intervenue, non pour limiter le champ du droit d’information, mais dans l’objectif de renforcer l’efficacité de ce droit en laissant au juge un entier pouvoir d’appréciation. Le droit d’information porte tant sur la détermination des maillons de la chaîne des prétendus contrefacteurs que sur l’étendue de la contrefaçon alléguée, permettant ainsi l’obtention des éléments nécessaires à l’évaluation du préjudice. En l’espèce, la société demanderesse a pu chiffrer précisément le préjudice résultant de la contrefaçon alléguée, sur la base des éléments obtenus dans le cadre de la saisie-contrefaçon. Si l’exercice du droit d’information n’est pas conditionné par la démonstration préalable de la réalité de la contrefaçon, sa mise en oeuvre doit être nécessaire et proportionnée, la communication ne devant pas porter une atteinte excessive aux droits des prétendus contrefacteurs, conformément aux règles de l’accord ADPIC et du droit de l’Union européenne relatives à la protection des informations confidentielles. Ainsi, pour garantir le respect de la confidentialité et la proportionnalité de la mesure, tout en assurant une protection efficace et effective des droits de propriété intellectuelle, le juge doit, sans porter un jugement au fond, apprécier le sérieux des moyens des parties et des éléments de preuve qui les soutiennent. En l’espèce, l’identité du fournisseur et des acheteurs, ainsi que les statistiques d’achats et de ventes, constituent des éléments définissant la stratégie commerciale de la société défenderesse et représentent pour celle-ci un avantage concurrentiel relevant du secret des affaires. Les demandes au titre du droit d’information seront donc rejetées.

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 6 juill. 2017, n° 17/02441
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 17/02441
Publication : PIBD 2017, 1083, IIID-827
Domaine propriété intellectuelle : DESSIN ET MODELE
Numéro(s) d’enregistrement des titres de propriété industrielle : 003320555-0001 ; 003320555-0002
Classification internationale des dessins et modèles : CL02-04
Référence INPI : D20170110
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Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS ORDONNANCE DU JUGE DE LA MISE EN ETAT rendue le 06 juillet 2017

3e chambre 1re section N° RG : 17/02441

Assignation du 09 février 2017

DEMANDERESSE Société PUMA SE, société de droit européen, prise en la personne de son représentant légal […] 91074 HERZOGENAURACH (ALLEMAGNE) représentée par Maître Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU – CICUREL – M – GAUTHIER – MARIE, avocat postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0240 et Maître Lilyane A de la SELAS FIDAL, avocat plaidant, avocat au barreau de STRASBOURG.

DEFENDERESSE SA.S. RAUTUREAU APPLE SHOES, prise en la personne de son représentant légal […] 85130 LA GAUBRETIERE représentée par Me Florence ANDREANI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #C0331

MAGISTRAT DE LA MISE EN ETAT Julien R. Juge assisté de Léa A. Greffier

DÉBATS À l’audience du 20 juin 2017, avis a été donné aux avocats que l’ordonnance serait rendue le 06 juillet 2017.

ORDONNANCE Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe Contradictoire en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE La société de droit européen PUMA SE (ci-après la société PUMA), fondée en 1948, est spécialisée dans la fabrication d’articles de sport et de sportswear qui développe depuis les années 1990 une ligne d’articles de mode sportswear alliant la mode et le sport. Elle est titulaire des droits de propriété intellectuelle sur les modèles communautaires suivants déposés et enregistrés les 26 juillet 2016 en classe 02.04 de la classification de Locarno :

— le modèle n° 3320555-0001 portant sur une semelle de chaussure :

— le modèle n° 332055-0002 portant sur une chaussure :

La société PUMA présente ces modèles comme un de ses articles phares qu’elle exploite sous la dénomination « Creeper by Rihanna » et sur lequel elle revendique cumulativement des droits d’auteur. La SAS RAUTUREAU APPLE SHOES a pour activité principale la fabrication et la vente de chaussures.

Imputant à cette dernière la commercialisation de chaussures identiques à son modèle sous la référence « Picadilly Sneaker » sur son site internet noname-eshop.fr, la société PUMA a :

- fait dresser par huissier un procès-verbal de constat sur ce site le 23 novembre 2016 ;

— été autorisée par ordonnance du 13 décembre 2016 rendue par le délégataire du président du tribunal de grande instance de Paris à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES. Les opérations de saisie-contrefaçon se sont déroulées le 13 janvier 2017. C’est dans ces circonstances que, par acte d’huissier du 9 février 2017, la société PUMA a assigné la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de droits d’auteur et de modèles communautaires ainsi qu’en concurrence déloyale et demande au tribunal, sous le bénéfice de l’exécution provisoire et au visa des articles L111-1,L112-1,L112- 2, L 122-1, L 122-4, L 331-1-3, L 331-1-4 et L 335-2, L 343-1-1,L 513- 4, L 513-5, L 521-1, L 521-5, L 521-7 et L 521-8 du code de la propriété intellectuelle et 1240 et 1241 du code civil : À titre principal :

- de dire et juger que la société RAUTUREAU a commis des actes de contrefaçon des droits d’auteur et du droit de dessin et modèle européen n° 003320555-001 et n° 003320555-002 dont la société PUMA est titulaire portant sur des motifs de tissu originaux,
- de dire et juger que la société RAUTUREAU a commis des actes de concurrence déloyale distincts de la contrefaçon générant un risque de confusion dans l’esprit d’un consommateur d’attention moyenne et, à tout le moins, de parasitisme économique, En conséquence,
- d’ordonner à la société RAUTUREAU la cessation des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction à compter de la signification du jugement à intervenir,
- de condamner la société RAUTUREAU à verser à la société PUMA la somme de 2 194 576 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant de la contrefaçon,
- de condamner la société RAUTUREAU à verser à la société PUMA la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’atteinte à l’image et à la réputation résultant de la contrefaçon,
- de condamner la société RAUTUREAU à verser à la société PUMA la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral résultant de la contrefaçon,
- de condamner la société RAUTUREAU à verser à la société PUMA la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de ses préjudices résultant des faits distincts de concurrence déloyale,

— d’ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir sur le site internet de la société RAUTUREAU (http://www.noname- eshop.fr/) pendant une durée de 6 mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui commencera à courir 15 jours après la signification du jugement à intervenir, À titre subsidiaire : de dire et juger que la société RAUTUREAU a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaires à l’égard de la société PUMA, En conséquence,
- d’ordonner à la société RAUTUREAU la cessation des actes de concurrence déloyale sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par infraction à compter de la signification du jugement à intervenir,
- de condamner la société RAUTUREAU à verser à la société PUMA la somme de 2 131 720 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel résultant des actes de concurrence déloyale,
- de condamner la société RAUTUREAU à verser à la société PUMA la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice d’atteinte à l’image et à la réputation résultant des actes de concurrence déloyale,
- d’ordonner la publication du dispositif du jugement à intervenir sur le site internet de la société RAUTUREAU (http://www.noname- eshop.fr/) pendant une durée de 6 mois, sous astreinte de 500 euros par jour de retard qui commencera à courir 15 jours après la signification du jugement à intervenir, En tout état de cause :

- de condamner la société RAUTUREAU à verser à la société PUMA la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- de condamner la société RAUTUREAU aux entiers frais et dépens, y compris du procès-verbal de Maître L, du constat d’huissier du 13 janvier 2017 et de la requête en saisie contrefaçon du 13 décembre 2016. Dans ses dernières conclusions d’incident notifiées par la voie électronique le 22 mai 2017 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la société PUMA demande au juge de la mise en état, au visa des dispositions des articles 11, 138, 139, 142, 770 et 771 du code de procédure civile, de la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014 renforçant la lutte contre la contrefaçon et des articles L 331-1-2, L 521-5 et L 521- 6 du code de la propriété intellectuelle : Sur demande de la société PUMA :

— d’enjoindre la société RAUTUREAU de produire à l’avocat soussigné concernant les chaussures arguées de contrefaçon désignées PICADILLY et toutes autres désignations constatées par le PV de saisie contrefaçon du 13 janvier 20 dont les annexes dudit PV:

1. Les copies certifiées sincères, conformes et exhaustives par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, des comptes clients, factures de ventes, bons de commandes, bons de livraisons, contrats, statistiques de ventes jusqu’au jour de leur remise, 2. les états des stocks complets certifiés sincères, conformes et exhaustifs par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes, au jour de la saisie contrefaçon et au jour de la remise des documents, 3. Les copies certifiées sincères, conformes et exhaustives par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes des comptes fournisseurs, factures de achats, bons de commandes, bons de livraisons, contrats, statistiques d’achats des chaussures en cause, jusqu’au jour de leur remise, 4. Les copies certifiées sincères, conformes et exhaustives par un expert-comptable ou un commissaire aux comptes des look books 2016 et 2017, quelle que soit leur appellation, de la totalité des modèles de chaussures en cause, jusqu’au jour de leur remise, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document, 5 jours à compter de l’ordonnance à intervenir ;

- d’ordonner à l’huissier instrumentale, Me Nicolas D, de remettre à l’avocat soussigné les annexes 3 et 4 de son PV de saisie-contrefaçon du 13 janvier 2017, qu’il a mises sous scellés, au vu de l’ordonnance à intervenir, à savoir : annexe 3 : copies des factures intactes approvisionnement : enveloppe scellées », annexe 4°: copies « des pièces comptables ventes (pdf) » ;

- d’enjoindre la société RAUTUREAU de cesser immédiatement tout acte de fabrication, détention et commercialisation du modèle de chaussure objet de la procédure en contrefaçon et en concurrence déloyale engagée par la société PUMA à son encontre (RG n° 17/02441), sous quelque désignation que ce soit, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour et par infraction à compter de l’ordonnance à intervenir ;

- de condamner la société RAUTUREAU à payer à la société PUMA une provision de 300.000 € augmentée des intérêts au taux légal du jour de la demande au jour du paiement, outre la capitalisation des intérêts au même taux dès qu’ils seront dus pour une année entière ;

- de condamner la société RAUTUREAU à payer à la société PUMA une somme de 20.000 € au titre des frais irrépétibles ;

— de réserver les dépens ;

Sur demande de la société RAUTUREAU :

— de déclarer sa demande irrecevable, en tout cas mal-fondée, de la débouter en ses fins, moyens et conclusions,
- de rejeter la demande de RAUTUREAU tendant à faire écarter les pièces 4 à 51 de la société PUMA, À défaut, de déclarer irrecevables toutes les pièces RAS 13, 14, 20, 20b, 22, 22-2, 22-3, 23, 24, 28, 29, 30, 31, 37, en langue étrangère et les écarter des débats,
- d’écarter des débats les pièces RAS qui n’ont pas de date certaine : dont pièces RAS 46, 55, 59,
- d’écarter des débats les copies du site archives.org, de sites internet et les copies écran de sites internet : dont pièces RAS 21, 23, 58,
- d’écarter des débats le PV d’huissier en pièce RAS 56
- de réserver les dépens.

En réponse, dans ses dernières écritures d’incident notifiées par la voie électronique le 13 juin 2017 auxquelles il sera renvoyé pour un exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, la S.A.S. RAUTUREAU APPLE SHOES demande au juge de la mise en état, au visa de l’article 771 du code de procédure civile, de :

- constater l’existence de contestations sérieuses ;

- débouter la société PUMA SE de l’intégralité de ses demandes ;

- condamner la société PUMA SE à payer à la société RAUTUREAU APPLE SHOES la somme de 20 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile ;

- la condamner aux entiers dépens dont droit de recouvrement direct au profit de Maître Florence ANDREANI, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l’ordonnance sera contradictoire conformément à l’article 467 du code de procédure civile.

EXPOSE DES MOTIFS

1°) Sur le droit à l’information Moyens des parties Au soutien de ses prétentions, la société PUMA expose que le droit à l’information, dont la mise en œuvre n’est pas subordonnée à la preuve de la matérialité de la contrefaçon ou à une décision préalable reconnaissant la contrefaçon, a pour objet non seulement la détermination de l’origine de la contrefaçon et des réseaux de distribution mais également l’ampleur de son préjudice. Elle précise qu’elle ne peut évaluer le montant des dommages et intérêts auxquels elle peut prétendre puisque, lors de la saisie-contrefaçon, l’huissier a mis sous scellés les factures d’approvisionnement sur lesquelles apparait l’identité des fournisseurs (annexe n° 3 du procès-verbal) pour ne lui remettre qu’un jeu de copies sur lesquelles l’identité des fournisseurs est masquée (annexe n° 2 du procès-verbal) et a conservé l’annexe n° 4 de son procès-verbal concernant les « pièces clients », seul un jeu de 45 factures de ventes ne révélant pas l’identité des acheteurs particuliers et non professionnels lui ayant été transmis (annexe n° 5 du procès-verbal). Elle ajoute que la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES ne peut invoquer un empêchement légitime tel qu’une information à « caractère hautement stratégique » pour soustraire à sa connaissance des éléments importants permettant de déterminer l’origine et les réseaux de distribution de marchandises des modèles contrefaits et l’ampleur des actes de contrefaçon alors que le renouveau qu’elle prête à sa marque « NO NAME » n’est dû qu’à ces derniers. Elle précise que sa demande respecte le principe de proportionnalité et les droits de la défense. En réplique, la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES explique avoir pleinement coopéré lors de la saisie-contrefaçon et avoir communiqué à l’huissier les éléments permettant l’identification précise du modèle en cause, de la zone géographique de distribution, des modalités de publicité et des conditions de création du modèle, des conditions d’approvisionnement hors identité du fabricant chinois qui est pour elle hautement stratégique, du réseau de distribution, l’identité des clients étant toutefois caviardées en ce qu’elle est confidentielle, ainsi que du stock au 13 janvier 2017. Elle en déduit que la société PUMA, qui sait désormais que les produits sont créés en France et fabriqués en Chine et connaît la nature de son réseau de revendeurs multimarques en France, est en possession des documents qui suffisent pour établir les quantités commercialisées au 13 janvier 2017, à savoir 30 291 paires, et le chiffre d’affaires réalisé depuis la première commercialisation du modèle en cause au 13 janvier 2017, à savoir 1 234 139.50 euros, et ainsi le préjudice qu’elle allègue, ses demandes complémentaires tendant en réalité, en violation du secret des affaires, à connaître sa stratégie commerciale et à pallier sa carence dans la preuve de son préjudice. Elle ajoute que la demande de la société PUMA est prématurée au regard des fins de non-recevoir (validité des deux modèles et originalité des créations) et des défenses au fond (contestation de la contrefaçon et des actes de concurrence déloyale)

qu’elle n’a pu exposer dans des écritures au fond mais dont elle détaille la teneur dans ses conclusions d’incident.

Appréciation du juge de la mise en état En application de l’article 770 du code de procédure civile, le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l’obtention et à la production des pièces. En vertu de l’article L 521-5 du code de la propriété intellectuelle applicable en matière de dessins et modèles communautaires conformément à l’article L 522-1 du même code, si la demande lui en est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits argués de contrefaçon ou qui fournit des services utilisés dans de prétendues activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services. La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime. Et, conformément à l’article L 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle, si la demande lui est faite, la juridiction saisie au fond ou en référé d’une procédure civile prévue aux livres 1er, II et III de la première partie peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des marchandises et services qui portent prétendument atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de telles marchandises ou fournissant de tels services ou a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces marchandises ou la fourniture de ces services. La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime. Si ces deux dispositions visent, dans leur rédaction issue de l’article 3 issu de la loi n° 2014-315 du 11 mars 2014, la production des pièces permettant de « déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits argués de contrefaçon », ils comprenaient dans leur version antérieure issue de la loi n° 2007-1544 du 29 octobre 2007, cette précision mais intégraient dans une liste des documents ou informations portant sur « les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que le prix obtenu pour les produits ou services en cause ». Les travaux préparatoires de la loi du 11 mars 2014 confirment que cette liste a été supprimée, non pour limiter le champ du droit à l’information, mais dans une optique de « renforcement de l’efficacité du droit à l’information » pour permettre

à la juridiction saisie de solliciter « toute information et tout document jugés pertinents » « alors qu’une liste limitative est aujourd’hui fixée par la loi ». L’objectif recherché par le législateur n’était ainsi pas de restreindre l’objet du droit à l’information mais de l’étendre en laissant au juge saisi un entier pouvoir d’appréciation. Et, aux termes des articles 6 et 8 de la directive 2004/48/CE du 29 avril 2004, le droit à l’information peut, sous réserve que la protection des renseignements confidentiels soit assurée et que la demande soit justifiée et proportionnée, porter notamment sur « des renseignements sur les quantités produites, fabriquées, livrées, reçues au commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les marchandises aux services en question ». Enfin, alors que ces dispositions s’inscrivent dans un dispositif législatif ayant pour objet de « rendre plus efficace la lutte contre la contrefaçon », son interprétation ne peut aboutir à conférer au juge de la mise en état des pouvoirs moins étendus que ceux qu’il tire des articles 770 et 142 du code de procédure civile qui constituent le droit commun de la production forcée des pièces détenues par les parties. Il est ainsi certain que l’objet du droit à l’information porte sur la détermination des maillons de la chaîne des contrefacteurs ainsi que de l’étendue de la contrefaçon alléguée et permet l’obtention des éléments nécessaires à la détermination du préjudice détenus par les contrefacteurs prétendus mais pas d’apporter la preuve de la contrefaçon elle-même qui peut être établie par tous moyens tels la saisie-contrefaçon qui est un moyen privilégié bien que facultatif. Par ailleurs, si l’exercice du droit à l’information n’est pas conditionné par la démonstration préalable de la réalité de la contrefaçon, sa mise en œuvre doit être nécessaire et proportionnée, la communication ne devant pas porter une atteinte excessive aux droits des prétendus contrefacteurs. Ainsi, l’article 43 ADPIC prévoit que la décision du juge est subordonnée à la présentation par le demandeur des éléments de preuve raisonnablement accessibles suffisants pour étayer ses allégations et que la communication puisse se faire dans des conditions qui garantissent la protection des renseignements confidentiels. Le 20e considérant de directive 2004/48/CE du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, à la lumière duquel doit être lu son article 8 sur le droit à l’information, précise que les procédures d’obtention des éléments de preuve portant sur l’atteinte à un droit de propriété intellectuelle doivent respecter les droits de la défense et être assorties des garanties nécessaires, y compris la protection des renseignements confidentiels. Enfin, la CJUE alors CJCE a rappelé, dans son arrêt du 16 novembre 2007 Anheuser-Busch Inc. c. Budëjovicky Budvar, nârodni podnik que, la Communauté étant partie à l’ADPIC, elle était tenue d’interpréter sa législation sur les marques, dans la mesure du possible, à la lumière de ce texte et de sa finalité. Elle a en outre érigé, dans ses arrêts AKZO Chemie BV et AKZO Chemie UK Ltd c. CEE et Engineering & Chemical Supplies (Epsom & Gloucester) Ltd du 24 juin 1986 et Varec SA c. État belge du 14 février 2008 touchant à

d’autres matières, la protection du secret des affaires en principe général. Aussi, pour garantir le respect de la confidentialité et la proportionnalité de la mesure tout en assurant une protection efficace et effective des droits de propriété intellectuelle, le juge de la mise en état doit, sans porter un jugement sur le fond qui n’appartient qu’au tribunal, apprécier le sérieux des moyens des parties et des éléments de preuve qui les soutiennent. Le procès-verbal de saisie-contrefaçon du 13 janvier 2017, quoique visé en pièce 2 dans le bordereau de communication de la société PUMA, ne figure pas dans le dossier remis au juge. Cet oubli n’est toutefois pas dirimant puisque son contenu est largement décrit en termes concordants par les parties. La société PUMA a pu obtenir dans le cadre des opérations de saisie-contrefaçon la liste précise des produits susceptibles de contrefaire ses modèles et sa création sous leurs références exactes ainsi qu’une fiche technique, l’intégralité des factures d’approvisionnement avec l’identité du fournisseur chinois caviardée, une sélection de 45 factures de vente ne comportant pas l’identité des acheteurs qui a été masquée ainsi qu’un listing de 72 commandes et factures clients mentionnant le chiffre d’affaires total et les quantités par référence, des éléments révélant la nature du réseau de distribution (vente en ligne directe et sur des places de marché virtuelles et revendeurs multimarques en France et à l’étranger) ainsi que l’état du stock au 31 janvier 2017. Sur la base de ces éléments dont elle oppose l’insuffisance, la société PUMA a pourtant pu chiffrer précisément dans son assignation, à titre d’ailleurs définitif et non provisionnel, son préjudice au titre du gain manqué à la somme de 2 131 720 euros et au titre des bénéfices de la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES à la somme de 62 856 euros, montants qu’elle entend cumuler. Elle ne peut de ce fait nier disposer d’éléments lui permettant d’apprécier, même à titre provisoire à supposer les carences qu’elle souligne établies, les quantités achetées et vendues, les prix d’achat et de vente, la localisation géographique des distributeurs et du fournisseur, le chiffre d’affaires par référence et l’état des stocks et ne conteste d’ailleurs pas l’exhaustivité, hors identité du fournisseur, des factures d’approvisionnement qui permettent sans conteste de déterminer la masse contrefaisante au titre du gain manqué voire, à titre de sanction si les éléments produits en défense sont effectivement épars et insuffisants, au titre des bénéfices du contrefacteur. L’identité du fournisseur et des acheteurs ainsi que les statistiques d’achats et de ventes, à nouveau réclamées après avoir été refusées dans l’ordonnance de saisie-contrefaçon, constituent des éléments définissant la stratégie commerciale de la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES et représentent pour elle un avantage concurrentiel relevant du secret des affaires. Ils n’ont pas à être connus de la société PUMA, dont la généralité des demandes traduit l’intention de tout connaître

de son concurrent alors que l’accès aux éléments comptables et financiers manquants aurait pu être demandée dans des conditions en garantissant la confidentialité, en l’absence de décision au fond sur la contrefaçon qui seule lèvera, en cas de succès, le secret des affaires qui, en l’absence d’évidence de la contrefaçon alléguée, doit profiter à la défenderesse le temps de la procédure. À cet égard, quoique la société PUMA ne lui en ait pas laissé le temps en élevant un incident dès sa constitution, la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES expose dans ses écritures les moyens qu’elle opposera au fond. À ce titre, elle soulève :

- l’auto divulgation du modèle par son égérie en décembre 2014 qui mérite en soi un débat de fond puisqu’une impression d’écran n’a certes pas de force probante quant à sa date mais peut, notamment quand elle n’est pas arguée de faux, en avoir une aux termes d’une appréciation qui n’appartient qu’au tribunal relativement à son contenu et à la date de celui-ci et car la divulgation antérieure de plus d’un an au dépôt de la demande est destructrice de nouveauté du modèle enregistré comme du modèle non enregistré, en admettant la pertinence du raisonnement de la société PUMA sur ce point ;

- le défaut de nouveauté et de caractère individuel en excipant de nombreuses antériorités qui supposent une analyse au fond ;

- le défaut d’originalité au titre du droit d’auteur qui commande à son tour, s’agissant en particulier de chaussures, un débat au fond. Au regard des moyens opposés, des éléments dont elle dispose déjà et de ceux qui sont aux mains de l’huissier dont on ne peut craindre la disparition, les demandes de la société PUMA au titre du droit à l’information sont prématurées et seront rejetées. 2°) Sur l’interdiction provisoire et la provision Moyens des parties

Au soutien de ses demandes fondées sur les articles 771 et L 521-6 du code de la propriété intellectuelle, la société PUMA expose que la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES fabrique, fait fabriquer, détient et commercialise des chaussures contrefaisant ses modèles et qu’il est urgent de mettre un terme à ces actes de contrefaçon en raison de la gravité des préjudices qu’ils génèrent pour elle en raison de la saisonnalité des produits de mode. Elle ajoute que ces agissements engendrent un détournement de clientèle quotidien au profit de la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES qui entraîne corrélativement pour elle une perte de chiffre d’affaires et que les faits sont d’autant plus graves que les modèles contrefaits sont des produits phares de la société PUMA et de la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES. Elle précise enfin que ses demandes sont d’autant plus justifiées qu’une précédente décision du Landgericht de Düsseldorf du 17 octobre 2016 a déjà

condamné la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES pour les mêmes faits de contrefaçon et de concurrence déloyale et conteste tous les moyens de défense au fond de cette dernière. Sur la provision, elle explique au visa des articles L 521-6 du code de la propriété intellectuelle et 771 2° du code de procédure civile que, « compte tenu des faits établis et de l’ampleur du préjudice résultant de la masse de produits argués de contrefaçon, [elle] est fondée à poursuivre la condamnation à titre provisionnelle d’une somme d’un montant de 300.000 euros ». En réplique, la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES expose que la décision provisoire allemande a été obtenue non contradictoirement, ce qui exclut toute analyse de la validité des modèles, et ne lui a pas été signifiée. Elle rappelle qu’elle conteste la validité des titres opposés ainsi que la vraisemblance de la contrefaçon. Elle précise enfin que la société PUMA ne justifie pas de sa demande exorbitante de provision. Appréciation du juge de la mise en état En application de l’article 771 3° et 4° du code de procédure civile, le juge de la mise en état est, jusqu’à son dessaisissement, seul compétent, à l’exclusion de toute autre formation du tribunal, pour accorder une provision au créancier lorsque l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable et ordonner toutes autres mesures provisoires, même conservatoires, à l’exception des saisies conservatoires et des hypothèques et nantissements provisoires, ainsi que modifier ou compléter, en cas de survenance d’un fait nouveau, les mesures qui auraient déjà été ordonnées. Dans ce cadre, le juge de la mise en état peut effectivement prendre des mesures d’interdiction provisoire. Toutefois, au regard de leur gravité intrinsèque, de telles mesures ne peuvent être prononcées que si l’atteinte alléguée est manifeste, le juge de la mise en état devant ainsi, sans porter un jugement sur le fond qui n’appartient qu’au tribunal, apprécier le sérieux des moyens des parties et des éléments de preuve qui les soutiennent, et que si elles sont nécessaires et proportionnées en considération des conséquences de sa décision sur les situations respectives des parties. La société PUMA, qui ne prouve en l’état ni la baisse de chiffre d’affaires qu’elle invoque ni que les modèles litigieux seraient des « produits phares » de l’une ou l’autre des parties, n’explique pas en quoi l’aggravation éventuelle de son préjudice ne pourrait pas être réparée par l’allocation de dommages et intérêts par le tribunal alors que rien n’indique que la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES serait menacée d’insolvabilité. Aussi, au regard de la nature des moyens étayés opposés au fond par la SAS RAUTUREAU APPLE SHOES que la décision du Landgericht de Düsseldorf du 17 octobre 2016 (pièce 3 en demande) n’est pas de nature à remettre en cause puisque la validité des modèles n*a pas été examinée, la demande d’interdiction

provisoire sera, comme la demande de provision qui de ce fait se heurte à une contestation sérieuse, rejetée. Sans objet, les demandes d’écartement de pièces des parties, qui sont en réalité mal qualifiées en ce qu’elles ne concernent pas leurs conditions de production ou de communication mais leur force probante au fond qui ne peut être appréciée que par le tribunal, ne seront pas examinées.

3°) Sur les demandes accessoires Au regard de la nature de l’incident, les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile seront, comme le sort des dépens, réservées avec l’examen du fond du litige.

PAR CES MOTIFS Le juge de la mise en état, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et rendue en premier ressort,

Rejette l’intégralité des demandes de la société PUMA SE ; Renvoie l’affaire à l’audience de mise en état du 05 septembre 2017 à 10h30 en bureau 204 : Réserve à l’examen du litige au fond les demandes des parties au titre de l’article 700 du code de procédure civile et des dépens.

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 1re section, 6 juillet 2017, n° 17/02441