Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 1re section, 29 juin 2017, n° 16/06130

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TGI Paris, 3e ch. 1re sect., 29 juin 2017, n° 16/06130
Juridiction : Tribunal de grande instance de Paris
Numéro(s) : 16/06130

Sur les parties

Texte intégral

T R I B U N A L

D E GRANDE

I N S T A N C E

D E P A R I S (footnote: 1)

3e chambre 1re section

N° RG : 16/06130

N° MINUTE :

Assignation du :

14 avril 2016

JUGEMENT

rendu le 29 juin 2017

DEMANDERESSES

S.A. AGEAS FRANCE, prise en la personne de son représentant légal

[…]

[…]

[…]

Société AGEAS SA/NV, société de droit belge, prise en la personne de ses représentants légaux

[…]

[…]

Toutes les deux représentées par Maître Guillaume MARCHAIS de la SELARL MARCHAIS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #L0280

DÉFENDERESSE

Association E, prise en la personne de son représentant légal

[…]

[…]

représentée par Maître Philippe GAULTIER de la SEP LEGRAND LESAGE-CATEL GAULTIER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D1104

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Marie-Christine COURBOULAY, Vice Présidente

X Y, Juge

Z A, Juge

assistée de Léa ASPREY, Greffier

DÉBATS

A l’audience du 22 mai 2017

tenue en audience publique

JUGEMENT

Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe

Contradictoire

en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

La société AGEAS France, filiale française de la société de droit belge AGEAS SA/NV, est un assureur spécialisé dans la création et la gestion de contrats d’assurance-vie, qui propose une gamme étendue de produits d’épargne, retraite et prévoyance et d’optimisation fiscale.

La société AGEAS SA/NV est titulaire des marques suivantes :

— Marque française verbale AGEAS n° 3747540, déposée le 18 juin 2010 et enregistrée le 29 avril 2011, pour désigner des services de la classe 36.

— Marque de l’Union européenne verbale AGEAS n° 009143686, déposée le 1er juin 2010 et enregistrée le 1er avril 2011, pour désigner des services de la classe 36.

— Marque française semi-figurative n° 3765509, déposée le

10 septembre 2010 et enregistrée le 10 juin 2011, pour désigner des services de la classe 36.

— Marque de l’Union européenne semi-figurative

n° 009368853, déposée le 10 septembre 2010 et enregistrée le 31 août 2012, pour désigner des services de la classe 36.

La société AGEAS France est titulaire d’une licence non exclusive d’exploitation de sur ces marques sur le territoire français.

L’association E, créée le 2 juin 2004, est une association à but non lucratif constituée en application de la loi du 1er juillet 1901. Présidée par monsieur B C, elle est enregistrée auprès de la Préfecture de l’Hérault sous le numéro W832000011. Se présentant comme une association de défense du consommateur, elle explique que son activité consiste à faire bénéficier ses adhérents de tarifs de groupes négociés pour toute souscription de conventions d’assurances de personnes en matière de frais de santé et de prévoyance (garanties décès, incapacité, invalidité) mais qu’elle n’exerce aucune activité commerciale et ne propose aucun produit d’assurance à la souscription ou à la vente. Elle exerce son activité notamment par l’intermédiaire du site internet www.assoaghea.org, dont le nom de domaine a été réservé par son président B C le 3 février 2015. Ce dernier a également réservé les noms de domaine suivants :

— E.fr le 19 aout 2014(inactif)

— E.org le 24 septembre 2014 (redirigeant vers le site http://www.assoaghea.org/)

— assoaghea.fr le 3 février 2015 (inactif)

— assoaghea.com le 3 février 2015 (inactif)

Elle a déposé le 7 août 2014 une demande de marque française verbale E n° 14 4110904 désignant divers produits et services des classes 16, 35, 36 et 38, et en particulier les services « d’assurances ».

Par lettre recommandée avec avis de réception du 15 octobre 2014, la société AGEAS France, estimant que le dépôt et l’utilisation de la marque E étaient de nature à générer, dans l’esprit des consommateurs, un risque de confusion, a mis en demeure l’association E, d’avoir à retirer « les services d’assurances » du dépôt de la marque E, et de renoncer à utiliser ce terme pour ces services d’assurance, avant de former opposition à la demande d’enregistrement de la marque E.

Par courrier du 27 octobre 2014, l’association E proposait de préciser le libellé de la marque avant de procéder le 29 janvier 2015, aux termes de plusieurs échanges avec la société AGEAS France au retrait pur et simple de la demande d’enregistrement de la marque litigieuse, entraînant la clôture de la procédure d’opposition.

L’association a toutefois continué à exercer son activité sous la dénomination E et d’exploiter le site internet http://www.assoaghea.org/.

Par courrier du 15 septembre 2015, la société AGEAS France a à nouveau mis en demeure l’association E de cesser tout usage de ce signe, ce que cette dernière a refusé.

C’est dans ces conditions qu’après avoir fait constater par huissier le 6 novembre 2015 le contenu du site http://www.assoaghea.org/, la société AGEAS France et la société AGEAS SA/NV ont, par acte d’huissier du 14 avril 2016, fait assigner l’association E devant le tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon des marques françaises n° 3 747 540 et n° 3 765 509 et des marques de l’Union européenne n° 009 143 686 et n° 009 368 853 et concurrence déloyale.

Au terme de leurs dernières conclusions, notifiées par la voie électronique le 25 avril 2017 auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, les sociétés AGEAS SA/NV et AGEAS FRANCE demandent au tribunal, au visa des articles L711-1 et suivants, L712-1, L713-1 et suivants, L716-14 du code de propriété intellectuelle, de l’article 9 du Règlement (CE) N° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque de l’Union européenne tel que modifié par le règlement (UE) n° 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2015, et l’article L. 717-1 du code de la propriété intellectuelle, de l’article « 1382 » du code civil, des articles 699 et 700 du code de procédure civile et sous le bénéfice de l’exécution provisoire, de :

— recevoir les sociétés AGEAS SA/NV et AGEAS FRANCE en leurs demandes respectives, les déclarer bien fondées et y faire droit ;

En conséquence :

— dire qu’en exploitant la dénomination et le titre E, D E et le signe semi-figuratif et en les exploitant pour son activité dans le domaine de l’assurance, l’association E s’est rendue coupable d’actes de contrefaçon des marques françaises n°. 3747540 et No. 3765509 et des marques de l’Union européenne n°. 009143686 et n° 009368853 appartenant à la société ageas SA/NV ;

— condamner l’association E à verser les sommes suivantes :

  • 20.000 euros à la société AGEAS SA/NV à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de marques ;
  • 10.000 euros à la société AGEAS FRANCE à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

— faire interdiction à l’association E, sous astreinte de 1.000 (mille) euros par infraction constatée, de faire usage des signes litigieux E / D E et du signe semi-figuratif, à quelque titre que ce soit et sous quelque forme que ce soit, et l’enjoindre de procéder ;

— enjoindre en conséquence à la défenderesse de procéder sans délai à la modification de sa dénomination E ;

— ordonner à la défenderesse de rendre inactif le site Internet http://www.assoaghea.org/, sans délai, de procéder à la radiation des noms de domaine , , , et dans les 15 jours suivant la signification de la décision à intervenir, et d’en justifier auprès des demanderesses, sous astreinte de 1.000 (mille) euros par jour de retard ;

— ordonner la parution , aux frais de la défenderesse , du dispositif du jugement à intervenir dans 3 (trois) publications au choix des demanderesses et dans la limite de 5.000 (cinq mille) euros HT par insertion, soit 15.000 (quinze mille) euros HT au total, et ce sous astreinte de 1.000 (mille) euros par jour de retard à compter de la signification du jugement : « Par décision en date du __________, le Tribunal de Grande Instance de Paris a condamné l’association E à verser aux sociétés AGEAS FRANCE et AGEAS SA/NV la somme de ___________ € à titre de dommages-intérêts et ce, pour avoir commis au préjudice de cette dernière des actes de contrefaçon de droits de marques et des actes de concurrence déloyale et/ou parasitaires ».

— condamner l’association E à payer aux sociétés AGEAS SA/NV et AGEAS FRANCE la somme de 15.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’au remboursement des frais de procès-verbal de constat ;

— condamner l’association E aux entiers dépens dont distraction faite au profit de la SELARL MARCHAIS Associés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

En réplique, dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 12 mai 2017, auxquelles il sera renvoyé pour un plus ample exposé de ses moyens conformément à l’article 455 du code de procédure civile, l’association E, demande au tribunal, au visa des articles L.713-3 et L.716-4 du code de la propriété intellectuelle, et 9 du Règlement (CE) n°207/2009 du Conseil du 26 février 2009 de :

— dire et juger la société AGEAS S.A. /N.V irrecevable et en tout cas mal fondée en ses demandes formées au titre de la prétendue contrefaçon de marques et ses demandes formées à titre subsidiaire pour concurrence déloyale ; L’en débouter ;

— dire et juger la société AGEAS FRANCE irrecevable et en tout cas mal fondée en ses demandes formées au titre de la prétendue concurrence déloyale et parasitaire ; L’en débouter ;

— débouter les sociétés AGEAS S.A. /N.V et AGEAS FRANCE de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

— les condamner in solidum en tous les dépens, dont distraction au profit de Maître Philippe Gaultier, Avocat, par application de l’article 699 du code de procédure civile.

— condamner in solidum les sociétés AGEAS S.A./N.V et AGEAS FRANCE à verser à l’association E la somme de 8.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 16 mai 2017.

MOTIFS DU JUGEMENT

1°) Sur la contrefaçon

La société AGEAS SA/NV fait valoir que l’utilisation de l’élément verbal E par la défenderesse comme dénomination de son association depuis son assemblée générale mixte du 17 septembre 2014 ainsi que celle de ce signe ou du signe D-E sur son site internet constituent une imitation de ses marques verbales et semi-figuratives AGEAS pour des services d’assurance similaires à ceux couverts par ses marques. Elle affirme que ces usages sont bien effectués à titre de marque dès lors que le consommateur est susceptible d’établir un lien entre le signe et les services d’assurance proposés par l’association, auxquels il risque d’attribuer une origine commune avec les services commercialisés sous la marque AGEAS. Précisant que ses marques présentent a minima un caractère distinctif normal, contenu essentiellement dans le terme AGEAS s’agissant des marques semi-figurative, elle affirme que l’élément verbal E doit être considéré comme l’élément distinctif et dominant dans le signe D-E comme dans le logo semi-figuratif D E utilisé sur le site internet. Après avoir procédé à la comparaison des signes, dont elle relève l’absence de signification, elle soutient qu’ils présentent d’importantes similitudes visuelles et phonétiques. Elle ajoute que l’association E, qui déclare sur son site internet intervenir dans le domaine de l’assurance de personnes et souscrire des conventions d’assurances auprès des assureurs, exerce dans un domaine très similaire au sien et propose des services d’intermédiaire pour la souscription de contrats d’assurance connexes aux services d’assurance pour lesquels ses marques sont enregistrées. Elle en déduit que le consommateur destinataire des services d’assurance, qui peut être un professionnel comme un particulier et n’est pas nécessairement doté d’un degré d’attention particulièrement élevé, sera amené au vu de la forte ressemblance entre les signes et de la similarité des services, à les confondre.

En réponse, l’association E rappelle que le signe E n’est jamais utilisé seul mais toujours en association avec le préfixe D et quasi-exclusivement au sein du signe semi-figuratif D E. Elle soutient que l’emploi de cet élément dans les statuts de l’association pour la désigner auprès de la préfecture n’est pas un usage à signe de marque, pas plus que l’usage en tant que simple nom de domaine, lequel ne représente qu’un chemin d’accès technique vers un site internet. Elle souligne que le public pertinent, majoritairement constitué de professionnels tels que courtiers ou opérateurs de marché financiers, est doté d’un degré d’attention particulièrement élevé. Elle ajoute que les services qu’elle propose ne sont pas similaires aux services d’assurance pour lesquels les marques opposées sont enregistrées puisqu’elle est une association à but non lucratif de défense des consommateurs et de souscripteurs et qu’elle ne rend aucun service d’assurance par le biais du site litigieux. Elle fait enfin valoir qu’il convient de comparer les marques premières avec les signes semi-figuratif et verbal D-E présents sur son site, et non avec le seul élément verbal E. Sur ce point, elle soutient que le terme AGEAS, sans signification propre, n’est pas particulièrement distinctif puisqu’il est un acronyme constitué de la contraction de termes descriptifs et génériques dans le domaine des assurances, ainsi que le révèle la signification du sigle exposé par la demanderesse sur son site internet, la syllabe finale AS renvoyant notamment au terme « assurance » et ajoute que les signes présentent des différences visuelles, phonétiques et intellectuelles qui excluent tout risque de confusion.

Sur ce

Conformément aux articles 9 « droit conféré par la marque de l’union européenne » et 9 ter « date de l’opposabilité du droit aux tiers » du Règlement (UE) 2015/2424 du 16 décembre 2015 modifiant notamment le Règlement CE n° 207/2009 du 26 février 2009 sur la marque communautaire entrés en vigueur le 23 mars 2016 conformément à son article 4, la marque de l’Union européenne confère à son titulaire un droit exclusif opposable aux tiers à compter de la publication de l’enregistrement de la marque. Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires, d’un signe identique à la marque de l’Union européenne pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée ou d’un signe identique ou similaire à la marque de l’Union européenne pour des produits ou services identiques ou similaires aux produits ou services s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du public. Le risque de confusion comprend le risque d’association entre le signe et la marque.

En vertu des dispositions combinées des articles 14 « application complémentaire du droit national en matière de contrefaçon » (non modifié), 101 « droit applicable » (modifié formellement) et 102 « sanctions » (modifié formellement) des Règlements (UE) 2015/2424 du 16 décembre 2015 et CE n° 207/2009 du 26 février 2009, si les effets de la marque communautaire sont exclusivement déterminés par les dispositions du règlement, les atteintes à une marque de l’Union européenne et leurs sanctions sont régies par le droit national concernant les atteintes à une marque nationale.

A cet égard, conformément à l’article L 717-1 du code de propriété intellectuelle, constitue une contrefaçon engageant la responsabilité civile de son auteur la violation des interdictions prévues aux articles 9, 10, 11 et 13 du règlement (CE) 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire désormais dite de l’Union européenne.

Et, conformément à l’article L 716-1 du code de la propriété intellectuelle, l’atteinte portée au droit du propriétaire de la marque constitue une contrefaçon, qui peut être prouvée par tout moyen en vertu de l’article L 716-7 du même code, engageant la responsabilité civile de son auteur. Constitue une atteinte aux droits de la marque la violation des interdictions prévues aux articles L 713-2, L 713-3 et L 713-4 du même code.

En vertu de l’article 713-2 du code de la propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire :

a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, même avec l’adjonction de mots tels que : « formule, façon, système, imitation, genre, méthode », ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l’enregistrement ;

b) La suppression ou la modification d’une marque régulièrement apposée.

Enfin, aux termes de l’article L 713-3 du code de propriété intellectuelle, sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public :

a) La reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement ;

b) L’imitation d’une marque et l’usage d’une marque imitée, pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux désignés dans l’enregistrement.

La société AGEAS SA/NV reproche à l’association E :

— l’usage du terme E comme dénomination de l’association en défense,

— l’usage du terme verbal ou semi-figuratif D-E sur le site internet de l’association

Il résulte des statuts de l’association E, produits aux débats par le demandeur en pièce 11, que par décision de son assemblée générale mixte du 17 septembre 2014, sa dénomination est devenue E en remplacement de son ancien nom APAP 83. Pour autant, le constat d’huissier du 6 novembre 2015 portant sur le contenu du site www.assoaghea.org, par lequel l’association E exerce son activité, établit que celle-ci communique exclusivement sous l’intitulé D-E, y compris dans les mentions légales du site internet, le terme E n’étant jamais utilisé seul.

Or, dans son arrêt Arsenal Football Club du 12 novembre 2002, la Cour de Justice de l’Union européenne a précisé que le titulaire d’une marque enregistrée ne peut, en application de l’article 5§1 a) de la directive 89/104/CEE du 21 décembre 1988 rapprochant les législations des Etats membres sur les marques devenue la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008, interdire l’usage par un tiers d’un signe identique à sa marque que si cet usage a lieu dans la vie des affaires sans le consentement du titulaire de la marque et porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir aux consommateurs la provenance des produits ou des services.

Le terme E n’étant utilisé seul que dans les statuts de l’association éponyme, soit dans un document interne à l’association, mais jamais en lien avec les services proposés par celle-ci, sur lesquels il sera revenu ci-après, il ne constitue pas un usage à titre de marque mais uniquement à titre d’identification administrative de l’association, aux fins notamment d’enregistrement de celle-ci en préfecture.

S’agissant de l’exploitation du signe D-E en tant que nom de domaine (www.assoaghea.org), lequel n’a pas en soi pour finalité de distinguer des produits ou des services, cet usage ne peut être considéré comme étant fait à titre de marque qu’à la condition que le signe soit utilisé par l’association de telle façon qu’il s’établit un lien entre ce signe et les services fournis par elle, conformément à l’arrêt dit « Céline » du 11 septembre 2007 (C-17/06) de la Cour de Justice de l’Union européenne (…). En l’espèce, il est établi par les pièces produites aux débats, et notamment par le constat d’huissier du 6 novembre 2015, que le signe D-E est repris sur l’ensembles des pages du site internet soit dans sa forme verbale, soit au sein du signe semi-figuratif pour présenter les services offerts par

l’association qui sont, aux termes de l’article 2 de ses statuts, de :

« 1. Rassembler des personnes physiques ou morales, groupes de personnes, entreprises et groupes d’entreprises, désireux de s’unir afin de rechercher, de négocier et d’obtenir aux meilleures conditions, des contrats auprès d’organisme d’assurance, de Prévoyance et de Mutuelles ;

2. Documenter toute personne physique ou morale, membre de l’association, ayant adhéré ou désirant adhérer à un ou plusieurs régimes de retraite ou de prévoyance et/de complémentaire santé, que ce ou ces régimes soient obligatoires ou non, et qu’ils émanent d’organismes publics ou privés ;

3. Documenter les employeurs sur les régimes obligatoires et facultatifs dont bénéficie ou peut bénéficier leur personnel ;

4. Faciliter les adhésions en les transmettant aux organismes intéressés ;

5. De conclure des conventions cadres avec les organismes habilités pour faire bénéficier ses membres des garanties collectives ou individuelles et de services rentrant dans l’objet de l’Association ;

6. Souscrire pour le compte de ses membres des contrats de retraite, de prévoyance et/ou de complémentaire santé, participer pour leur compte au suivi de la gestion des contrats ;

7. Représenter ses membres auprès de toutes les instances nationales ou internationales pour les sujets afférents à son objet social ;

8. Et de façon générale, apporter toute aide et/ou assistance à ses adhérents membres en matière de prévoyance, retraite et/ou de santé ; »

Ainsi, l’association E propose par le biais de son site internet des services d’intermédiation avec les sociétés d’assurance consistant, principalement, à regrouper des personnes physiques ou morales en vue de négocier la souscription de contrats d’assurance aux meilleures conditions et d’informer et d’assister ses adhérents dans leur relation avec leurs assureurs. Ces services sont exclusivement présentés sous le sigle D-E qui sera identifié par le consommateur comme indicateur de leur provenance et constitue donc un usage à titre de marque susceptible de porter atteinte aux droits de la demanderesse sur les marques opposées en cas de risque de confusion établi.

En application du droit interne interprété à la lumière de la directive 2008/95/CE du 22 octobre 2008 rapprochant les législations des États membres conformément au principe posé par l’arrêt Von Colson et Kamann c. Land Nordhein-Westfalen du 10 avril 1984 comme en application directe du droit communautaire, le risque de confusion doit faire l’objet d’une appréciation abstraite par référence au dépôt d’une part en considération d’un public pertinent correspondant au consommateur des produits et services concernés normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et d’autre part par comparaison entre le signe litigieux utilisé et la marque protégée par référence à son enregistrement indépendamment de ses conditions d’exploitation mais également par comparaison des services et produits visés dans l’enregistrement et des produits et services commercialisés sous le signe litigieux. Le risque de confusion est en outre analysé globalement : tous les facteurs pertinents, dont la notoriété de la marque et l’importance de sa distinctivité, doivent être pris en considération, l’appréciation globale de la similitude de la marque et du signe litigieux devant être fondée sur l’impression d’ensemble qu’ils produisent au regard de leurs éléments distinctifs et dominants.

La contrefaçon s’appréciant par référence à l’enregistrement de la marque, les conditions d’exploitation du signe par le titulaire de la marque sont indifférentes : seules doivent être prises en compte les conditions d’exploitation du signe litigieux et de commercialisation des services et produits argués de contrefaçon à l’égard desquels sera examinée la perception du public pertinent.

Sur ce point, il a été vu que la comparaison des signes doit être opérée entre d’une part, les signes verbal AGEAS et semi-figuratif

constituant les marques opposées et les signe verbal D-E et semi-figuratif exclusivement utilisés par l’association

E sur son site internet.

Compte-tenu de la nature des services proposés par l’association, tels qu’exposés ci-dessus, qui consistent essentiellement à permettre l’obtention de contrats d’assurance aux meilleures conditions par le biais d’un regroupement des consommateurs français, particuliers ou professionnels, désireux d’y souscrire, le public pertinent est constitué de ces consommateurs qui sont, au vu de leur démarche visant à recourir aux services de l’association dans le but de rechercher un contrat d’assurance performant, dotés d’un niveau d’information et d’attention relativement élevé.

Les marques françaises et de l’union européenne verbales AGEAS n°3747540 et n°009143686 et la marque de l’Union européenne No. 009368853 sont toutes trois enregistrées

en classe 36 pour les services « d’assurances, à l’exclusion de l’assurance maladie ; affaires financières ; affaires monétaires ; affaires immobilières. ». La marque semi-figurative française n°3765509 est enregistrée pour les mêmes services si ce n’est

l’absence de précision relative à l’exception de l’assurance maladie.

Il importe peu à cet égard que, comme le relève la défenderesse, l’enregistrement de cette dernière marque ne vise que l’intitulé général de cette classe, dès lors qu’il est acquis qu’à sa date, la désignation d’un intitulé de classes pouvait couvrir tous les produits ou services répertoriés dans celle-ci et que cet intitulé doit désormais être interprété comme comprenant l’ensemble des produits couverts par le sens littéral de l’indication générale d’intitulé de classe, soit les services d’assurance au sens large.

Cependant, contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, ces services ne sont pas similaires à ceux proposés par l’association qui consistent, comme il a été vu, à proposer une plate-forme de regroupement de consommateurs en vue de la négociation de contrats d’assurance aux meilleures conditions. Ainsi, l’association E agit en qualité d’association à but non lucratif de défense des consommateurs dans leurs relations avec les assureurs, mais ne propose directement aucun service d’assurance quel qu’il soit. Cette absence de similarité, qui exclut en soi tout risque de confusion, commande d’ores et déjà le rejet des demandes en contrefaçon de marque.

A titre surabondant, s’agissant des signes en présence, les marques AGEAS opposées sont constituées, dans leur forme verbale des cinq lettres AGEAS et dans leur forme semi-figurative de ces mêmes lettres écrites en lettres minuscules gris foncé sur fond blanc au centre d’un cercle formé par la superposition de traits de plusieurs couleurs dans des tons jaune bleu et rouge, semblant avoir été tracés à la main et évoquant, comme le relève la défenderesse, une pelote.

La distinctivité du signe verbal AGEAS pour des services d’assurance n’est pas contestée. Ce signe, reproduit au centre de l’élément figuratif, constitue certes l’élément dominant des marques semi-figuratives, mais l’élément figuratif, n’en est pas pour autant négligeable puisque sa large épaisseur et ses couleurs vives le rendent facilement reconnaissable et mémorisable pour le consommateur.

S’agissant du signe verbal D-E, si l’élément dominant est effectivement le terme E dès lors que le terme D renvoie à la forme juridique de l’association, il n’en reste pas moins que ce dernier, placé en position d’attaque et de même taille que le reste du signe dont il est séparé par un tiret, conserve une aptitude à identifier les services proposés par l’association et, bien que secondaire, doit être pris en compte dans l’appréciation de la similitude des signes.

Le signe semi-figuratif D-E est constitué par la présence d’un grand papillon incliné orange, prune et blanc occupant le centre du signe et accolé sur sa partie gauche à trois arcs de cercles orange, prune et vert et sur le bas de sa partie droite par l’élément verbal D E en couleur prune et lettres capitales, un rectangle gris clair dont la partie haute est discontinue peut être perçu en arrière-plan. Au vu de la taille et de l’emplacement occupé par le papillon ainsi que de ses couleurs vives, celui-ci attirera l’attention des consommateurs au moins autant que l’élément verbal D E qui occupe un positionnement moins central.

Au vu de ces observations, la comparaison du signe verbal D-E litigieux avec les marques verbales AGEAS révèle en premier lieu des différences importantes sur un plan visuel puisque le premier est constitué de deux mots séparés par un trait d’union comportant 9 lettres dont la présence de la lettre H, relativement rare, au centre du second terme quand le second ne comporte que 5 lettres, avec seulement 4 communes aux deux signes. Sur un plan phonétique, les deux signes se distinguent par le nombre de syllabes (5 contre 3) et par une prononciation différente des deux termes E et AGEA en raison de la présence dans le terme litigieux de la lettre H après le G, ce qui induit naturellement en langue française une prononciation [gue], comme dans les mots « ghetto » et « spaghetti », et non [je] comme le soutient à tort la demanderesse. De plus, la lettre finale sifflante dans le signe AGEAS attirera particulièrement l’attention du consommateur qui, étant doté d’un niveau d’attention relativement élevé, sera conduit à la prononcer puisqu’elle renvoie à dessein, comme l’explique la plaquette de présentation de la société AGEAS France, à la syllabe d’attaque du terme « assurance ». Enfin, sur un plan conceptuel, lorsque le signe AGEAS évoque le domaine des assurances par sa syllabe finale AS, le signe litigieux D-E n’évoque que le domaine associatif, le terme E étant dépourvu de signification particulière pour le consommateur français. Quant aux signes semi-figuratifs, ils présentent encore plus de différences visuelles en raison de la présence du grand papillon dans le signe litigieux, dont il a été vu qu’il était d’égale importance à celle de l’élément verbal, et du cercle de couleur dans les marques premières. Dans ces conditions, l’impression visuelle d’ensemble produite par les signes est totalement différente.

Dès lors, en l’état des différences entre les signes et en l’absence de similarité des services et a fortiori en l’absence de caractérisation d’un risque de confusion, les demandes de la société AGEAS SA/NV en contrefaçon de marques seront intégralement rejetées.

Le rejet des demandes de la société AGEAS SA/NV au titre de la contrefaçon de ses marques AGEAS commande celui des demandes principales de la société AGEAS France au titre de la concurrence déloyale en sa qualité de licencié puisque le seul fait fautif invoqué au soutien de ses demandes réside dans l’existence des actes de contrefaçon de marque allégués.

2°) Sur la demande subsidiaire au titre de la concurrence déloyale et parasitaire

Les sociétés AGEAS font valoir à titre subsidiaire que la réservation et l’exploitation du nom de domaine assoaghea.org très hautement similaire aux marques antérieures des demanderesses pour présenter des services également très similaires constituent des actes de concurrence déloyale en raison du risque de confusion et de parasitisme en ce qu’ils tendent à « se placer dans leur sillage et donc de bénéficier [de leurs] efforts commerciaux et financiers depuis de très nombreuses années » et portent atteinte à leur dénomination sociale.

L’association E soutient qu’elle n’a commis aucune faute constitutive de concurrence déloyale et parasitaire puisqu’aucun risque de confusion n’est établi, que les parties ne sont pas en situation de concurrence et qu’il n’est pas démontré que la dénomination AGEAS constitue une valeur économique individualisée.

Sur ce

En vertu des dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, devenus 1240 et 1241, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.

La concurrence déloyale doit être appréciée au regard du principe de la liberté du commerce qui implique qu’un signe qui ne fait pas l’objet de droits de propriété intellectuelle puisse être librement reproduit sous certaines conditions tenant à l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit, circonstance attentatoire à l’exercice paisible et loyal du commerce.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée.

Le parasitisme, qui s’apprécie dans le même cadre que la concurrence déloyale dont il est une déclinaison mais dont la constitution est toutefois indifférente au risque de confusion, consiste dans le fait pour une personne physique ou morale de profiter volontairement et déloyalement sans bourse délier des investissements, d’un savoir-faire ou d’un travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.

L’action en concurrence déloyale, qui échappe aux règles spéciales régissant l’action en contrefaçon qui sanctionne une atteinte à un droit réel privatif, peut certes être invoquée à titre subsidiaire pour des faits identiques à ceux constitutifs de la contrefaçon, mais ne peut constituer une position de repli par rapport à celle-ci, le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle ne pouvant jouir de plus de droits sur le terrain de la concurrence déloyale et parasitaire qu’il n’en a en application du droit des marques.

Les sociétés AGEAS imputent à l’association E l’utilisation illicite d’une imitation des marques AGEAS générant un risque de confusion dans l’esprit du public. Or, il a été vu au stade de la contrefaçon que les signes présentent des impressions visuelles d’ensemble bien distinctes excluant tout risque de confusion et les parties ne sont pas en situation de concurrence puisque l’association E ne commercialise aucun produit d’assurance. Aucune faute constitutive de concurrence déloyale n’est donc établie.

S’agissant du parasitisme, les sociétés AGEAS ne démontrent pas le moindre investissement révélant l’existence d’une valeur économique individualisée et protégeable.

En conséquence, les demandes subsidiaires au titre de la concurrence déloyale et parasitaire seront intégralement rejetées.

3°) Sur les demandes accessoires

Succombant au litige, la société AGEAS SA/NV et la société AGEAS France, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, seront condamnées in solidum à payer à l’association E la somme de 8.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’à supporter les entiers dépens de l’instance.

Au vu du sens de la présente décision, l’exécution provisoire ne sera pas ordonnée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par mise à disposition au greffe le jour du délibéré, par jugement contradictoire et rendu en premier ressort,

Déboute la société AGEAS SA/NV de ses demandes au titre de la contrefaçon de ses marques françaises verbales et semi-figuratives AGEAS n°3747540 et n° 3765509 et des marques de l’Union européenne verbales et semi-figuratives AGEAS n° 009143686 et n° 009368853;

Déboute la société AGEAS FRANCE de ses demandes principales en concurrence déloyale et parasitaire ;

Déboute les sociétés AGEAS SA/NV et AGEAS FRANCE de leurs demandes subsidiaires n concurrence déloyale et parasitaire ;

Rejette la demande des sociétés AGEAS SA/NV et AGEAS FRANCE au titre des frais irrépétibles ;

Condamne in solidum la société AGEAS SA/NV et la société AGEAS FRANCE à payer à l’association E la somme de HUIT MILLE CINQ CENTS EUROS (8 500 €) en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société AGEAS SA/NV et la société AGEAS FRANCE à supporter les entiers dépens de l’instance qui pourront être recouvrés directement par Maître Philippe Gaultier, Avocat, dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Fait et jugé à Paris le 29 juin 2017.

Le Greffier Le Président

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Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 1re section, 29 juin 2017, n° 16/06130