Cour d'appel de Nancy, 2ème chambre, 23 septembre 2021, n° 20/01785

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Sur les parties

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D’APPEL DE NANCY

DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE

ARRÊT N° /21 DU 23 SEPTEMBRE 2021

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 20/01785 – N° Portalis DBVR-V-B7E-EUFA

Décision déférée à la Cour :

jugement du Tribunal judiciaire de NANCY, R.G. n° 11-18-1566, en date du 1er juillet 2020,

APPELANTE :

Association REALISE, prise en la personne de son représentant légal pour ce domicilié au siège […]

Représentée par Me Aline FAUCHEUR-SCHIOCHET de la SELARL FILOR AVOCATS, avocat au barreau de NANCY

INTIMÉ :

Monsieur A B X, né le […] à […] demeurant […]

Représenté par Me Hervé MERLINGE de la SCP JOUBERT, DEMAREST & MERLINGE, avocat au barreau de NANCY

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile, l’affaire a été débattue le 8 Juillet 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Francis MARTIN, Président chargé du rapport, et Fabienne GIRARDOT, Conseillère ;

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Francis MARTIN, Président de chambre,

Madame Nathalie BRETTILOT, Conseillère

Madame Fabienne GIRARDOT, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Monsieur Ali ADJAL.

A l’issue des débats, le Président a annoncé que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 23 Septembre 2021, en application du deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure

civile ;

ARRÊT : contradictoire, rendu par mise à disposition publique au greffe le 23 Septembre 2021, par Monsieur Ali ADJAL, greffier, conformément à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile ;

signé par Monsieur Francis MARTIN, Président de la deuxième chambre civile, Président de chambre, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier ;


Copie exécutoire délivrée le à

Copie délivrée le à


EXPOSE DU LITIGE

M. X est propriétaire d’une maison située […], à Tonnoy, dans laquelle il est domicilié. Il a acquis ce terrain, sur lequel il a fait édifié son pavillon, auprès de l’association Réalise en 1999. Dans les années qui ont suivi, M. X a travaillé en qualité de salarié de cette association.

En 2004, l’association Réalise a transformé un terrain situé à une centaine de mètres de la propriété de M. X en centre éducatif fermé (CEF).

En 2015, M. X a pris sa retraite. Peu de temps après, sur la période située entre fin 2015 et début 2016, le centre éducatif a créé une ferme pédagogique, hébergeant notamment deux ânes et un coq.

Par courrier de son conseil du 10 janvier 2017, M. X a mis en demeure l’association Réalise de mettre fin aux chants du coq, estimant subir un trouble anormal de voisinage.

Cette demande, d’abord refusée par courrier en réponse du 25 janvier 2017, a finalement fait l’objet d’une négociation devant le conciliateur de justice du tribunal d’instance de Nancy. Par procès verbal de conciliation du 22 juin 2017, il a été convenu qu’une barre serait installée afin d’empêcher le chant du coq lorsqu’il est dans on abri couvert. En cas de réitération, l’association Réalise s’est engagée à éloigner le coq de la basse cour à compter de janvier 2018.

Par acte d’huissier en date du 3 mai 2018, M. X a assigné l’association Réalise devant le tribunal d’instance de Nancy aux fins notamment de lui voir ordonner de retirer de sa ferme les deux ânes et le coq s’y trouvant et ce, sous astreinte de 150' par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la signification du jugement, et de condamner la défenderesse à lui verser la somme de 7500' au titre du préjudice moral.

Le coq objet du litige initial est mort en cours de procédure, en septembre 2019. Toutefois, des chants de coq se sont de nouveau fait entendre sur le terrain de l’association Réalise.

Devant le tribunal, M. X a demandé, au visa des articles 1382 ancien et 1240 nouveau du code civil ainsi que de l’arrêté du 27 décembre 2013 relatif aux installations classées d’élevage de volailles, de voir :

— dire que, par le bruit de ses animaux de ferme, l’association Réalise lui a causé un trouble anormal de voisinage,

— ordonner à l’association Réalise de retirer de la ferme les deux nouveaux coqs arrivés en fin d’année 2019 et ce, sous peine d’astreinte,

— ordonner à l’association Réalise de retirer de la ferme les deux ânes s’y trouvant et ce sous peine d’astreinte,

— condamner l’association Réalise à lui verser la somme de 7500' à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,

— condamner l’association Réalise au paiement de 1000' au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance.

L’association Réalise a demandé au tribunal, au visa de l’article 651 du code civil, de voir :

— M. X débouté de toutes ses demandes,

— à titre de demande reconventionnelle, M. X condamné à lui verser la somme de 2000' pour procédure abusive,

— en tout état de cause que, M. X condamné à lui régler une indemnité de 1200' sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

Par jugement rendu le 1er juillet 2020, le tribunal judiciaire de Nancy a :

— condamné l’association Réalise à verser à M. X la somme de 2 000 euros au titre du trouble anormal de voisinage subi du 2 avril 2018 au 29 décembre 2019 ;

— condamné l’association Réalise à retirer de la ferme les nouveaux coqs arrivés en fin d’année 2019 et ce, sous astreinte d’un montant de 150' par jour de retard passé le délai de huit jours à compter de la signification du jugement ;

— dit que faute pour l’association Réalise de s’être conformée à l’injonction qui précède, elle sera redevable, passé ce délai, d’une astreinte dont le montant sera provisoirement fixé à 150' par jour de retard ;

— que l’astreinte provisoire court pendant un délai maximum de deux mois, à charge pour M. X, à défaut de départ des coqs à l’expiration de ce délai, de solliciter du juge de l’exécution, la liquidation de l’astreinte provisoire et le prononcé de l’astreinte définitive ;

— débouté M. X de sa prétention sur l’injonction de retrait des ânes ;

— débouté l’association Réalise de sa prétention sur le fondement de l’action abusive ;

— condamné l’association Réalise aux entiers dépens, lesquels comprendront les coûts des actes de procédure nécessaires au sens des articles L111-7 et L111-8 du code des procédures civiles d’exécution ;

— condamné l’association Réalise à payer à M. X la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

— ordonné l’exécution provisoire de la présente décision ;

— rejeté les prétentions pour le surplus.

Le tribunal a considéré qu’au vu des pièces produites, et notamment des attestations de témoins produites par M. X, le trouble anormal causé par le chant du ou des coqs de l’association Réalise était caractérisé, mais qu’en revanche aucun élément de preuve n’était produit concernant les ânes.

Par déclaration enregistrée le 15 septembre 2020, l’association Réalise a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions déposées le 29 avril 2021, l’association Réalise demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau, de débouter M. X de toutes ses demandes, de le condamner à lui payer les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

A l’appui de son appel, l’association Réalise expose en substance :

— que le coq qu’elle possédait lorsque M. X a introduit son action est mort et a été remplacé ensuite par un autre coq qu’une habitante de Tonnoy a donné au CEF, ce nouveau coq faisant montre de discrétion naturelle, plus que l’ancien, mais qu’elle s’en est néanmoins séparée pour exécuter le jugement déféré,

— que la détention d’un coq dans une commune rurale comme Tonnoy n’est pas constitutive d’un trouble anormal de voisinage, qu’il existe d’ailleurs dans ce village deux autres fermes, un centre équestre et d’autres poulaillers (dont un chez le voisin de M. X),

— que le maire de Tonnoy atteste ne pas avoir eu connaissance de nuisances sonores qui seraient liées à l’atelier animal du CEF,

— qu’au cours de la première instance, le poulailler a été reculé de plusieurs dizaines de mètres pour l’éloigner du domicile de M. X,

— que l’action de M. X est une revanche personnelle de la part d’un ancien salarié du CEF,

— que M. X se borne à produire des attestations de membres de sa famille ou de son cercle d’amis, ainsi qu’une pétition signée par seulement six personnes (sur le 760 habitants de la commune), qui de plus demeurent au centre du village alors que la ferme pédagogique du CEF est située en périphérie,

— qu’elle produit le résultat d’un sondage réalisé dans le voisinage du CEF, l’attestation du voisin immédiat de M. X, ainsi qu’un procès-verbal de constat d’huissier de justice, dont il résulte que son coq et ses deux ânes ne produisent aucune nuisance,

— que l’action de M. X est abusive et l’a contrainte à des frais outranciers de déplacement du poulailler, à des démarches multiples et à remettre en cause ses projets éducatifs liés à l’existence du poulailler au sein de sa ferme pédagogique.

Par conclusions déposées le 3 mars 2021, M. X demande à la cour de confirmer le jugement déféré et, y ajoutant, de condamner l’association Réalise à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

M. X fait valoir en substance :

— que Tonnoy est une commune qui ne compte que deux fermes situées au centre du village, ainsi qu’un centre équestre en face de chez lui, mais que ces installations ne lui causent absolument aucune nuisance,

— qu’en revanche, le coq de l’association Réalise chante à tue-tête à longueur de journée et parfais la nuit, à tel point qu’une pétition de riverains a été signée pour protester contre ces nuisances,

— qu’il produit des attestations de témoins confirmant le trouble infernal causé par les chants de coq,

— que ces chants de coq ont généré chez lui des troubles du sommeil et portent atteinte à sa vie sociale en limitant ses possibilités de recevoir sur sa terrasse en plein été.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’existence des troubles anormaux de voisinage

M. X fonde ses demandes exclusivement sur la théorie des troubles anormaux de voisinage. Il n’invoque plus, à hauteur d’appel, que les troubles causés par les chants de coq (il conclut d’ailleurs à la confirmation du jugement, lequel a écarté les prétendus troubles causés parle braiment des ânes).

La responsabilité pour troubles anormaux de voisinage est une responsabilité sans faute qui repose sur la considération que les relations de voisinage génèrent des inconvénients que chacun doit supporter sauf s’ils dépassent les limites de ce qu’il est habituel de supporter entre voisins. La gravité du trouble doit être appréciée in concreto, c’est-à-dire en fonction des circonstances de temps et de lieu.

La preuve du trouble anormal de voisinage incombe à celui qui l’invoque.

En l’espèce, Tonnoy est une commune rurale de 760 habitants, que les parties s’accordent à qualifier de village. Les activités agricoles, telles que la présence d’un poulailler, y sont en principe normales, sauf à prouver qu’elles sont sources de nuisances anormales.

M. X produit un document (non daté) intitulé 'pétition de quartier contre les nuisances sonores, diurnes et nocturnes des ânes et coqs nouvellement implantés au centre éducatif fermé de Tonnoy'. Cette pétition n’est signée que par six personnes. Il apparaît en outre, au vu de l’adresse de ces six signataires, qu’aucun n’a son adresse ni dans la rue où est domicilié M. X ([…]), ni dans la rue où est implanté le […].

M. X produit également les attestations de quatre témoins, mais aucun d’eux n’est

domicilié à Tonnoy, ces personnes se rendant chez M. X en raison de leurs liens familiaux ou amicaux avec lui, ce qui réduit la portée de leur témoignage.

A l’inverse, l’association Réalise produit une liste de 18 personnes habitant Tonnoy, dont plusieurs sont domiciliées […] (comme M. X) ou rue du Château (adresse du CEF), lesquelles déclarent souscrire au fait que les deux ânes et le coq du CEF ne présentent pour elles aucun dérangement.

L’association Réalise produit également une lettre du maire de Tonnoy, datée du 8 février 2019, lequel déclare ne jamais avoir eu connaissance de nuisances sonores liées à l’atelier animal du CEF. Il se félicite au contraire de l’existence de cette ferme pédagogique qui bénéficie non seulement aux résidents du CEF, mais aussi aux enfants du village venant régulièrement rendre visite aux animaux.

Enfin, L’association Réalise produit une attestation de M. Z Y, qui est domicilié […], c’est-à-dire dans la maison immédiatement voisine de celle de M. X (qui est domicilié […]). M. Y déclare dans cette attestation datée du 11 septembre 2020 :

'J’atteste, malgré tout le temps passé à la maison depuis ma retraite, que je n’ai aucune gêne sonore du chant du coq de la ferme pédagogique du CEF, de même que les deux ânes présents à la ferme ne m’apportent aucune nuisance. Je viens d’apprendre par l’administration du CEF la disparition du coq courant août et je ne m’en étais même pas aperçu'.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments que le caractère anormal des chants du coq détenu par le CEF n’est nullement démontré.

Par conséquent, M. X doit être débouté de ses demandes tendant à voir ordonner à l’association Réalise de retirer son coq de la ferme pédagogique du CEF. Il doit être débouté également de sa demande d’indemnisation de son préjudice. Le jugement déféré sera infirmé sur tous ces points.

Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive

Agir en justice est un droit, lequel ne dégénère en abus que s’il est prouvé que l’auteur de l’action a agi de mauvaise foi ou a commis une erreur grossière équipollente au dol.

En l’espèce, il apparaît que M. X a agi en justice pour obtenir la soustraction du coq du poulailler du CEF sous prétexte que ce coq lui causait un préjudice sonore 'infernal', alors que ses autres voisins déclaraient ne subir 'aucun dérangement’ et que son voisin immédiat attestait ne subir 'aucune nuisance'.

Même si le ressenti des bruits de voisinage est subjectif, l’action judiciaire engagée par M. X pour la présence d’un seul coq (voire deux simultanément pendant quelques semaines) présent dans un poulailler qui n’était même pas situé dans un espace contigu à son habitation (y compris dans sa configuration originelle), dans un environnement purement rural (l’impasse du grand Pré où M. X est domicilié est bordée par un haras et par des prés), apparaît manifestement abusive. Cette action a conduit l’association Réalise à dépenser beaucoup d’énergie pour sa défense et à tenter de trouver des solutions pour apaiser M. X (notamment en déplaçant le poulailler), en pure perte.

L’action en justice de M. X a donc été préjudiciable à l’association Réalise.

Aussi convient-il de condamner M. X à payer à l’association Réalise la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile

M. X, qui est la partie perdante, supportera les dépens de première instance et d’appel et il sera débouté de sa demande de remboursement de ses frais de justice irrépétibles. En outre, il est équitable qu’il soit condamné à payer à l’association Réalise la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile (le jugement déféré sera donc infirmé sur les dépens et les frais irrépétibles).

PAR CES MOTIFS

LA COUR, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 alinéa 2 du Code de procédure civile,

CONFIRME le jugement déféré uniquement en ce qu’il a débouté M. X de sa prétention sur le retrait des ânes de ferme pédagogique du CEF,

INFIRME le jugement déféré en toutes ses autres dispositions et, statuant à nouveau,

DEBOUTE M. X de toutes ses prétentions,

CONDAMNE M. X à payer à l’association Réalise la somme de 1 000 ' (mille euros) à titre de dommages et intérêts pour action abusive,

DEBOUTE M. X de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. X à payer à l’association Réalise la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE M. X aux dépens de première instance et d’appel.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Francis MARTIN, Président de Chambre à la Cour d’Appel de NANCY, et par Monsieur Ali ADJAL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,

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