Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 8, 2 avril 2019, n° 17/02130

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Chronologie de l’affaire

Sur la décision

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 8

ARRÊT DU 02 Avril 2019

(n° , pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : S N° RG 17/02130 - N° Portalis 35L7-V-B7B-B2TBA

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 31 Janvier 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MEAUX section RG n° 13/00322

APPELANTE

SAS SODIFER

[…]

[…]

représentée par Me Jean-françois KLATOVSKY, avocat au barreau de PARIS

INTIMÉE

Mme A Z

[…]

[…]

née le […] à […]

représentée par Me Nathalie BAUDIN-VERVAECKE, avocat au barreau de MEAUX

PARTIE INTERVENANTE :

[…]

[…]

[…]

[…]

représentée par Me Véronique DAGONET, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC 3

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 28 Juin 2018, en audience publique, devant la Cour composée de :

Catherine BEZIO, Présidente de chambre

Patricia DUFOUR, Conseiller

Nadège BOSSARD, Conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience dans les conditions prévues par l'article 785 du code de procédure civile.

Greffier : B C, lors des débats

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, prorogé ce jour.

- signé pour le Président empêché par Madame Patricia DUFOUR, Conseiller et par Madame Anna TCHADJA ADJE, Greffier présent lors de la mise à disposition.

FAITS ET PROCÉDURE :

Madame A Z a été engagée par la SAS SODIFER qui exploite un magasin sous l'enseigne LECLERC à compter du 23 août 2002 en qualité d'employée commerciale selon un contrat de travail à durée indéterminée.

Après avoir été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement qui a eu lieu le 21 septembre 2012, elle a été licenciée pour faute grave par lettre recommandée du 3 octobre 2012. La relation de travail est régie par la convention collective nationale du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire.

A Z estimant ne pas avoir été remplie de ses droits et contestant son licenciement a, le 27 mars 2013, saisi le conseil de prud'hommes de MEAUX qui, par jugement en date du 10 janvier 2017 a :

- condamné la SAS SODIFER à verser à A Z les sommes de :

-760,79 euros à titre de rappel de prime annuelle,

- 76,07 euros au titre des congés payés afférents,

- 3.594,16 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 359,41 euros au titre des congés payés afférents,

- 3.654,06 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation,

-15.000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

avec intérêts au taux légal à compter du jugement,

- ordonné la remise d'un certificat de travail, d'une attestation destinée au […], d'un bulletin de paie conformes, sous astreinte de 10 euros par jour et par document de retard à compter du 16ème jour suivant la notification du jugement, le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte et d'en fixer une définitive en cas de besoin,

- ordonné à la SAS SODIFER de rembourser au […] la somme de 2.000 euros en remboursement des allocations chômage versées à A Z,

Vu la déclaration d'appel déposée le 2 février 2017 par la SAS SODIFER ;

Vu l'ordonnance en date du 24 juillet 2017 qui a orienté la procédure sur le fondement de l'article 905 du code de procédure civile et a fixé la clôture différée au 7 juin 2018 et l'audience de plaidoiries au 28 juin 2018 ;

Vu les conclusions déposées le 4 mai 2017 sur le RPVA par la SAS SODIFER qui demande à la cour à la cour d'infirmer dans sa totalité le jugement entrepris ;

Vu les conclusions déposées le 8 juin 2017sur le RPVA par A Z qui demande à la cour de confirmer le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et, statuant à nouveau sur ce point, de :

- condamner la SAS SODIFER à lui payer les sommes de :

** 21.564,98 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

** 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Vu les conclusions d'intervention volontaire déposées le 29 mai 2017 par l'institution nationale publique […] qui demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la SAS SODIFER à lui verser la somme de 5.895 euros en remboursement des allocations chômage versées à A Z, condamner la SAS SODIFER au paiement de la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

MOTIVATION :

Sur le licenciement pour faute grave :

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n'a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie la cessation immédiate du contrat de travail.

L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

En l'espèce, la SAS SODIFER a, à la suite d'un courrier que lui a adressé Monsieur H-I, salarié, le 3 septembre 2012, licencié pour faute grave de Madame X dans les termes suivants :

« '.. Nous vous avons indiqué lors de notre entretien du 21 septembre dernier, et au cours duquel vous étiez assistée de Monsieur D E, que nous ne pouvions tolérer l'attitude que vous avez cru bon d'adopter à l'encontre de votre supérieur hiérarchique.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 3 septembre 2012, Monsieur J H-I, responsable des rayons épicerie et DPH au sein de notre magasin, nous a alertés qu'il était la cible de moqueries et d'insultes sur votre « mur » FACEBOOK.

L'ensemble des conversations échangées sur ce mur accessible à tous car non limité par vos soins nous ont été transmises par Monsieur H-I.

Il apparaît que lors de ces conversations vous et vos collègues de travail n'avez pas hésité à user d'insultes et de moqueries à l'encontre de votre responsable notamment en rapport avec ses origines.

Il apparaît également que vous avez systématiquement initié ces conversations relatives à votre responsable Monsieur H-I.

Nous reprenons ci-après les propos que vous avez tenus sur votre « mur » :

« T'inquiète la vengeance est un plat qui se mange froid !! comme les […] ».

« il n'était pas là cet après-midi. Fred l'a cherché dans tous les rayons. Il était dessus de ne pas le choper ».

Vous avez par ailleurs cru bon de spécifier que vous « aimiez » des propos particulièrement racistes tels que :

« alors ce nec a été secher ' ».

L'accès à votre mur n'ayant pas été limité, vos commentaires, moqueries, dont certaines à caractère racial ou raciste, pouvaient donc être lus par tous et plus particulièrement par l'ensemble des salariés de notre société.

Cette situation a profondément affecté Monsieur J H-I qui se dit démoralisé dans son travail au quotidien.

Vos propos ont porté atteinte à son intégrité, à sa dignité, à ses conditions d travail et mettent en danger sa santé mentale.

Monsieur H-I a par ailleurs été très choqué de savoir que votre mari l'avait cherché dans le magasin et qu'il était déçu de ne pas le « choper ».

Il est certain que l'objet de cette visite n'était pas amical et que Monsieur H-I peut légitimement craindre pour son intégrité physique depuis lors.

Travailler dans ces conditions, en sachant que l'ensemble des salariés de la société SODIFER ont pu lire ces propos et insultes, et qu'il est recherché par votre conjoint, devient pour lui difficile et remettent en cause son maintien dans l'emploi qu'il occupe.

Nous sommes tenus d'une obligation de sécurité de résultat à l'égard de tous les salariés de notre société et ne pouvons cautionner de tels propos de votre part sur un site accessible à tous et rendant l'identification de Monsieur J H-I aisée puisque vous n'hésitez pas à vous moquer de ses origines asiatiques.

Par ailleurs, vous avez apposé le logo de l'enseigne LECLERC sur votre « mur » FACEBOOK.

L'image de notre magasin est donc associée à vos commentaires ce que nous ne pouvons pour notre part accepter.

Lors de notre entretien, vous n'avez strictement rien dit pour expliquer vos agissements et avez préféré laisser Monsieur D Y répondre à votre place.

Nous ne pouvons que déplorer à ce sujet que Monsieur Y ait osé affirmer qu'il n'y avait aucun rapport entre les origines chinoises de Monsieur H-I et le terme « sushis » que vous avez employé, celui-ci relevant de la cuisine japonaise.

Nous ne relèverons pas cette ineptie.

Vous n'avez exprimé aucun remords et n'êtes pas revenue sur les propos que vous avez pu tenir à l'encontre de votre responsable.

Cette situation rend impossible la poursuite de nos relations contractuelles et ce même pendant la durée d'un éventuel préavis.

Aussi, après réflexion, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave qui prendra effet dès la première présentation de cette lettre par la poste' ».

La SAS SODIFER fait valoir qu'un fait particulièrement grave est reproché à A Z à savoir, l'abus dans sa liberté d'expression, à l'égard de J H-I, qui faisait l'objet de railleries de la part des salariés placés sous sa subordination et de propos racistes sur le réseau Facebook et ne pouvait plus supporter de tels propos.

Elle précise qu'en tant qu'employeur, elle ne pouvait tolérer une telle situation dès lors que les propos de l'intimée sur son mur Facebook, accessibles à tous les utilisateurs de ce réseau, étaient injurieux et excessifs, que la personne visée était clairement identifiée, que ces propos portaient atteinte à sa dignité et son intégrité et qu'ils étaient tenus dans une sphère publique et soutient que l'absence de mise à pied est inopérante dès lors qu'une telle mesure n'est ni obligatoire ni systématique.

Elle estime le licenciement de A Z parfaitement justifié.

Cette dernière invoque le caractère privé des propos tenus sur Facebook, faisant observer qu'à l'époque elle n'avait que 78 amis, ce qui ne représente pas un réseau important, que son patronyme est inconnu du grand public, que les captures d'écran versées aux débats l'ont été par F G, et que ce n'est pas M. H-I qui a eu personnellement connaissance des 'conversations'.

A Z conteste le caractère injurieux des propos et souligne le fait qu'il lui est reproché des propos et agissements de ses amis.

Il sera rappelé que la notification d'une mise à pied à titre conservatoire n'est en aucun cas un préalable à la mise en 'uvre d'une procédure de licenciement pour faute grave.

Il n'est pas contestable que A Z n'avait pas restreint l'accès à son compte Facebook lequel était accessible à quiconque par le biais d'une connexion internet, peu important que le nombre de ses amis soit limité, ce d'autant plus que plusieurs de ses collègues de travail en faisait partie.

De plus, ainsi que l'intéressée en fait état dans ses écritures, le fait que les pièces dont se prévaut l'employeur aient été apportées par 'un certain F G' montre qu'effectivement son compte était accessible à tout un chacun.

Force est de constater de plus que la salariée n'apporte pas le moindre élément de nature à établir que les pièces de la SAS SODIFER, selon ses termes, pouvaient 'être trafiquées' par des montages. Rien ne permet donc de remettre en cause la véracité des captures d'écran versées aux débats.

Les sous-entendus par référence à des plats d'origine asiatique ainsi que les propos sentencieux tenus font qu'il était aisé d'identifier la personne visée, laquelle au demeurant s'est bien reconnue ainsi que le montre la lettre que Monsieur H-I a adressée à l'employeur le 3 septembre 2012.

Les propos échangés, qu'ils aient été tenus par A Z ou approuvés par elle, sans qu'à aucun moment elle n'ait apporté de réserves ou protesté, présente indubitablement un caractère injurieux pour l'intéressé et de surcroît particulièrement raciste.

Ces propos du fait de leur mode de diffusion et de leur nature outrageante excèdent la liberté d'expression de tout salarié dans une entreprise et présentent un degré de gravité tel qu'ils sont constitutifs d'une faute grave rendant impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise.

Il convient par conséquent d'infirmer le jugement déféré, de dire le licenciement de A Z pour faute grave justifié et de débouter cette dernière de l'ensemble de ses demandes.

Sur la prime annuelle :

Aux termes de l'article 3-8 de la convention collective applicable, les salariés ont droit au paiement d'une prime annuelle dont le versement pourra s'effectuer en une ou plusieurs fois au cours de l'année. Dans le cas où la prime est versée en plusieurs fois, le ou les versements précédant le solde constituent une avance remboursable si le salarié a quitté l'entreprise avant la date de versement dudit solde [...].

La SAS SODIFER a notifié à A Z la rupture immédiate de son contrat de travail par lettre recommandée en date du 3 octobre 2012.

Elle était par conséquent fondée à déduire l'avance versée à A Z au titre de la prime annuelle, cette dernière ne contestant pas expressément que le solde de cette prime était payé aux salariés présents dans l'entreprise au 30 novembre.

Le jugement est infirmé en ce qu'il a condamné la SAS SODIFER à lui payer la somme de 760,79 euros à titre de rappel de prime annuelle ainsi que les congés payés afférents.

Sur l'intervention volontaire de l'institution nationale publique […] :

Le jugement est infirmé en ce qui concerne le remboursement des allocations chômage versées à A Z dès lors que les conditions de l'article L.1235-4 du code du travail ne sont pas remplies.

Madame Z est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Il n'est pas inéquitable de laisser à la charge du […] les sommes qu'elle a exposées dans le cadre du présent appel.

PAR CES MOTIFS

Déclare […] recevable en son intervention volontaire,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit le licenciement pour faute grave de A Z fondé

Déboute A Z de l'ensemble de ses demandes,

Déboute l'institution nationale publique […] de sa demande,

Condamne A Z aux dépens de première instance et d'appel,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile au profit l'institution nationale publique […].

LE GREFFIER LE CONSEILLER

P/ LE PRÉSIDENT EMPECHE

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